Ses interviews / Presse 1980-89 / Les Cahiers du Cinéma 1984 - spécial Truffaut
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Au départ, "La sirène du Mississipi" devait se faire avec les frères Hakim : c'était un projet de producteur. J'avais été choisie par eux et François était d'accord pour que nous fassions le film ensemble. Mais ils ne se sont pas entendus avec lui, et comme c'était eux qui avaient les droits ils ont proposé le film à quelqu'un d'autre. Mais j'ai refusé de le faire. Finalement les droits sont tombés, et Truffaut m'a gardée.

Ça a été un tournage long et difficile, il écrivait les dialogues au fur et à mesure. Il avait donné un rôle de perdant à Belmondo, qui était une vedette populaire, et le public n'a pas marché. J'aime beaucoup ce film. Mais Truffaut était très critique vis-à-vis de son travail et très lucide. Y compris sur le lancement de ses films. Il n'y avait pas de réunion pour décider ce qu'il fallait dire et ne pas dire, mais il vous le faisait sentir. Il avait beaucoup d'emprise sur les gens. II fallait absolument que ce soit homogène et qu'on ait l'impression que les gens avaient fait le même film, savoir ce sur quoi il fallait mettre l'accent.

Il a toujours fait des films d'amour, mais la sexualité a toujours été présente. Elle est toujours assez nimbée, la pudeur l'emporte sur la violence du fond, mais si on regardait ses films sous cet angle précis, par exemple "La sirène", on verrait combien ils sont violents.

C'est le réalisateur qui m'a appris le plus de choses. Il m'a beaucoup contraint. Dans "La sirène", j'avais des réticences. Je disais tout le temps : "Dans la vie on ne fait pas comme ça". Et lui répondait : "Mais la vie n'est pas le cinéma, et le cinéma n'est pas la vie. En une heure et demie, on ne raconte que les événements importants et intéressants. C'est beaucoup plus fort et ça va plus vite". J'avais tendance à lui dire : "Ça, je ne le sens pas". Il me répondait : "II ne suffit pas de sentir. Si on veut faire des films réalistes, il n'y a qu'à prendre des gens dans la rue". Si on prend des acteurs, c'est bien pour leur demander de faire des choses qu'on ne fait pas dans la vie. Donc, il faut styliser et faire des choses qu'on ne sent pas. Les acteurs ont souvent des réticences parce qu'ils ont peur d'être ridicules ou qu'ils n'ont pas l'image de ce qu'ils sont en train de faire. Truffaut obligeait beaucoup les acteurs à styliser. Par exemple les fins de scènes devaient être ponctuées de manière précise. Il disait: "II faut remplir l'écran, il faut avoir des gestes plus amples, ne pas avorter les mouvements".

L'importance du son c'est lui aussi qui me l'a appris. Sur "Le dernier métro", il y a certaines scènes qu'il ne regardait pas, il les écoutait au casque. Parce que l'image peut tromper, à cause de l'émotion qui se dégage dans les regards, par exemple. Alors que le son ne trompe jamais. Pour le doublage, parfois, j'étais découragée : "II faut doubler ça ?" II répondait : "II ne faut pas partir de ce principe, il faut partir du principe qu'on peut améliorer". Et ce qu'on améliore, c'est vrai que c'est incroyable pour le son, pour la compréhension. Les gens n'ont pas cette qualité d'attention que l'on croit, il faut vraiment donner le maximum de chances que tout soit entendu. Surtout avec Truffaut qui n'appuie pas sur les choses, il faut vraiment que ce soit très clair.

Il savait très bien parler à chacun individuellement, selon sa personnalité. Il n'avait pas le même ton, les mêmes mots selon l'acteur. Je ne l'ai jamais vu dire des choses importantes à un acteur devant d'autres acteurs. Je ne l'ai jamais vu dire "Coupez !" devant tout le monde quand l'acteur était mauvais. Parce que si c'est vraiment grave, ça met l'acteur dans un état épouvantable, et François était un des rares à avoir de la psychologie sur ce plan. Quand on répétait, c'était un luxe supplémentaire. Parce qu'avant le tournage, il y avait une lecture très précise du rôle avec lui.

C'était comme quelqu'un qui vous apporte un cadeau : vous voyez tout de suite si cette personne vous comprend et vous aime bien, qu'elle a senti ce qui vous plairait. Quand vous lisez un scénario dialogué par François Truffaut, c'est dans les mots que vous sentez son regard, son exactitude, sa finesse de perception, sa justesse et sa sensibilité, et puis sa féminité. Tourner avec lui, c'est presque un cadeau empoisonné : il est presque impossible de retrouver avec un autre autant d'éléments positifs dans un film.


Par : Catherine Deneuve


Films associés : La sirène du Mississipi, Le dernier métro



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