|
Entretien avec Catherine Deneuve |
|
La construction d'un personnage différent
Dans "Le dernier métro",
Marion Steiner était une femme énergique. Margaux, dans
"Paroles et musique", retrouve cette caractéristique
avec un aspect moderne ancré dans une quotidenneté. Élie
Chouraqui a désiré donner une nouvelle image de vous. Pour
le rôle, vous changez de style et d'apparence.
Des femmes m'avaient reproché la soi-disant dureté de Marion
Steiner dans "Le dernier métro". Personnellement, je
trouvais que c'était un personnage très vrai et particulièrement
juste. Elle était obligée de prendre des initiatives et
de décider pour les autres. Elle ne pouvait se permettre d'être
remise en question. "Paroles et musique" m'offre un rôle
dynamique également mais plus proche de certaines réalités
actuelles, plus quotidien. Le ton particulier du film me plaît.
Il est rare de voir un homme écrire ainsi sur une femme, sur ses
relations avec les hommes, les enfants, le travail, ces petits riens,
ces choses qui font que l'on craque brusquement et que le cafard s'installe.
Avec toujours cette énergie et ce désir des femmes de faire
face, de se jeter dans le concret avec exigence et de réussir leur
vie professionnelle et personnelle. J'ai retrouvé, dans "Paroles
et musique", le charme de "Qu'est-ce qui fait courir David ?"
avec en plus ce point de vue féminin si rarement juste et non stéréotypé.
Élie Chouraqui est très attentif à la femme. Avec
lui, nous avons pris la décision de changer mon allure, sans vraiment
la définir. Nous allions en tout cas dans cette direction, c'était
indispensable. A travers la construction du personnage de Margaux, je
l'ai rejoint dans ce souhait de créer une image différente
de moi. Ces changements (coiffure, habillement, démarche...) devenaient
peu à peu des évidences. Travailler avec des gens qui ont
une idée de moi et qui veulent des choses arrêtées
m'intéresse. Cela fait partie du rôle de metteur en scène
d'exiger de vous le maximum, d'insister, de recommencer et de ne pas renoncer.
Ce fut le cas avec Elie qui me demanda beaucoup.
Vous avez souvent dit que vous
aimiez les rôles qui n'étaient pas écrits spécialement
pour vous. Il en fut ainsi pour "Paroles et musique".
Absolument. Le fait que le film ne soit pas à l'origine écrit
pour moi m'a séduite car cela me permettait d'échapper à
un personnage déjà ancré. Il s'instaurait un décalage
par rapport à mon reflet et à ce que l'on me propose couramment.
Lorsqu'un rôle n'est pas conçu pour moi, j'y perçois
souvent des choses qui ne sont peut-être pas évidentes pour
moi mais que je me sais capable de faire. Les gens n'imaginent peut-être
pas ce que je pourrais faire, ce ne sont pas pour eux des évidences
puisqu'ils ne trouvent pas de références précises
dans mes compositions antérieures.
"Paroles et musique"
plonge dans deux univers très différents qui se croisent
à un moment donné.
Oui, ce point est important. D'un côté, deux copains avec
leurs rapports complices, rieurs et tendres ; de l'autre, le monde de
Margaux. Jérémie entre dans une famille avec des enfants,
d'autres problèmes et subit son côté enveloppant.
Ils vivent une histoire d'amour très physique, vraie, importante
et sans doute éphémère. Ces deux univers ne peuvent
pas cohabiter tout le temps. Ils ont pris chacun le meilleur de l'autre.
En revanche, malgré les difficultés, il est certain que
la relation qu'elle vit avec son mari reste très forte. En dépit
de son amour pour Jérémie, elte aime encore son mari et
revenir vers lui ne symbolise aucunement une solution de sagesse. Ce n'est
pas un échec. Une séparation ne signifie pas forcément
un échec.
Des compositions étonnantes à l'étranger
Revenons à votre "image".
Pensez-vous que les metteurs en scène conservent aussi une vision
stéréotypée de vous ?
Stéréotypée, non, mais ils détiennent forcément
une image de moi. Après un certain nombre d'années et de
films, il s'instaure automatiquement une "image", qu'on le veuille
ou non. Je pense que les gens qui ont profondément envie de travailler
avec vous se donnent la peine de dépasser ces limites et de jeter
sur vous un autre regard. Souvent les metteurs en scène s'arrêtent
à des images toutes faites et je comprends ce phénomène.
Confier un rôle à quelqu'un représente une énorme
décision à prendre et ils cherchent à mettre toutes
les chances de leur côté. Ils n'ont pas toujours envie de
risquer avec un acteur qui n'est pas le personnage de façon flagrante.
A propos de la distribution des rôles au cinéma, les metteurs
en scène italiens m'ont beaucoup plus "déplacée"
que les metteurs en scènes français. D'une façon
générale, j'ai créé des compositions plus
étonnantes ou extravagantes avec des cinéastes étrangers,
que ce soit Buñuel, Risi, Ferreri, Bolognini. C'est d'ailleurs
Polanski qui le premier a senti une potentialité de violence en
moi. Juste après " Les parapluies de Cherbourg ", tourner
"Répulsion" avec lui fut particulièrement important,
un moment-clé. Pour les acteurs, comme dans tout apprentissage,
il est primordial de faire des rencontres essentielles, comme Polanski,
tôt et jeune.
A votre avis, pourquoi cette
démarche différente de la part des réalisateurs étrangers
?
Je pense qu'ils se faisaient une image moins précise de moi et
qu'ils avaient donc moins de scrupules à la bouleverser. En outre,
par le système du doublage, on peut s'adapter plus facilement aux
transformations et l'on est moins précis. Les cinéastes
étrangers n'ont pas délibérément entrepris
de me faire interpréter des compositions différentes, mais
eux-mêmes pensent qu'on peut se démarquer et changer sans
difficultés. Pour cela, ils font réellement moins de chichi
que nous ! Par exemple, dans de nombreuses comédies italiennes,
les acteurs interprètent des personnages de transformation très
lointains de leur réelle personnalité. En France, nous n'avons
pas les mêmes formations, les mêmes images et nous ne faisons
surtout pas les mêmes films. Le cinéma italien demeure plus
fantaisiste, plus libre et plus souple, avec tout le charme que cela comporte.
Fantaisiste ne signifie pas léger, les scénarios italiens
sont extrêmement exigeants, travaillés et bien construits.
J'aime beaucoup le cinéma italien et je m'y sens bien. On y trouve
une liberté d'esprit formidable.
Vous continuez à choisir
de tourner un film davantage en fonction du scénario que du rôle.
Oui, l'histoire du film m'importe davantage que mon rôle. Avant
tout je fais des films et je n'ai envie de rien prouver, je ne cherche
pas le numéro d'acteur. Je me sens concernée par bien d'autres
choses que mon simple personnage. L'envie de participer à un film
est provoquée par le plaisir pris à la lecture d'une histoire.
Le scénario de "Paroles et musique" m'a plu par sa justesse,
son propos et son ton particulier, nouveau et original dans le cinéma
français. J'ai demandé à Elie Chouraqui de procéder
ensemble à une lecture du scénario. Nous avons revu les
dialogues, travaillé ensemble des scènes et changé
quelques détails seulement puisqu'il était déjà
très écrit. Ce fut stimulant de travailler avec Christophe
Lambert et Richard Anconina au cours d'un tournage agréable. Pour
ce film "d'humeurs", il s'avérait primordial que l'ambiance
soit imprégnée de complicité. Nous n'avons pas enfanté
dans la douleur !
Perplexe face à certains procédés
Vous préférez
qu'un metteur en scène vous laisse une part de liberté dans
votre travail. Vous n'avez jamais tourné avec des réalisateurs
qui utilisent l'acteur en tant qu'outil distancié (Bresson) ou
qui s'en servent violemment jusqu'au paroxysme (Zulawski).
Bresson reste particulier. Je ne crois pas qu'il soit très intéressé
par les acteurs, il n'a pas forcément besoin d'eux. J'aime beaucoup
ses films mais l'acteur n'y représente qu'un outil pouvant être
remplacé par quelqu'un d'autre. En revanche, Zulawski a besoin
d'acteurs prêts à tout donner, à tout exprimer pris
de force. Il faut vraiment désirer ce genre de relations dans le
travail! Zulawski ne peut pas tourner avec tous les acteurs car beaucoup
ne se prêteraient pas à ce genre de rapports. Il se sert
énormément d'eux et joue en quelque sorte contre eux. Je
voudrais bien savoir ce qu'il leur apporte. A ce sujet, j'ai souvent entendu
parler de révélation, cela me laisse perplexe, sans doute
parce que je ne suis pas séduite par le résultat final.
Je ressens une méfiance à l'égard de ce genre de
procédé car ce n'est pas joué, il n'existe pas de
fabrication, cela revient à un "éventrement".
Personnellement, je ne supporterais pas d'être étouffée,
j'aspire à une certaine liberté tout en étant entraînée
et "tenue" par un metteur en scène.
Et Pialat...
Nous avions un projet... il ne s'est pas réalisé, Pialat
en a beaucoup qu'il ne mène pas jusqu'au bout. Il change d'idée
et je le comprends. Pialat m'a toujours inspiré la plus grande
admiration. Lui, il utilise les acteurs et il le fait bien, même
avec des non-professionnels. Il provoque sans doute des rapports violents,
toutefois il y a chez lui une grande sincérité, c'est important.
Comment préférez-vous
entrer dans la peau d'un personnage? Aimez-vous vous y préparer
longtemps à l'avance et répéter ?
Cela dépend essentiellement des films et des metteurs en scène.
Je n'aime pas user les scènes avant le film mais j'apprécie
aussi que les choses soient bien en place, par exemple que n'interviennent
pas des problèmes techniques au moment où l'on commence
à tourner. Je ne souhaite pas tourner beaucoup, il faut donc répéter
tout de même avant. On me demande souvent si je n'ai pas changé
d'avis par rapport au théâtre. En fait, rien n'a changé
à ce sujet-là. Mon manque d'envie s'explique par la crainte
du public, je m'arrête au trac.
Une image plus douce et plus chamelle
Que pensez-vous de l'évolution
de votre image depuis quelques années dans l'esprit du public ?
J'ai l'impression que les gens se font de moi une image plus charnelle,
plus réaliste et plus quotidienne. Ce changement fait partie d'une
évolution due à mes rôles, à mon âge
et au fait que je puisse maintenant interpréter un autre type de
personnage. Aujourd'hui, mon image semble plus douce pour le public, plus
chaleureuse qu'il y a dix ans en tout cas. Je suis assez distante et ce
n'est pas un point sur lequel j'ai beaucoup changé. Le public qui
me voit à travers les magazines et les photos glacées peut
éprouver cette sensation de froideur. Cela ne correspond en définitive
qu'à une image globale et construite artificiellement. Pour cette
raison, à partir d'un certain moment il ne faut pas qu'on vous
voit trop pour éviter la répétition et la saturation.
Je ne tourne pas énormément par rapport à d'autres.
Certains acteurs peuvent par leur physique, se prêter à davantage
de transformations que moi et enchaîner film sur film. Je ne le
peux pas et en plus, cela ne correspond pas à mon rythme de travail,
je m'accorde aussi un temps pour vivre, tout simplement. J'ai toujours
souhaité préserver ma vie privée et dresser une barrière
entre vie publique et vie personnelle. Automatiquement, ce choix entraîne
une image plus distante puisque l'on ne risque pas de me trouver dans
un magazine, photographiée dans ma maison avec ma famille. En outre,
il existe de moins en moins d'idéalisation dans le cinéma
depuis quelques années. L'idéalisation suppose un certain
genre d'héros et d'héroïnes qui ne trouvent plus tellement
leur place dans le cinéma aujourd'hui qui est plus réaliste
et reflète de plus en plus la vie. Dans "Paroles et musique",
Elie Chouraqui peint des choses réelles mais pas banales. Il adopte
heureusement un ton original car il existe un danger dans le cinéma
réaliste : devenir tellement quotidien qu'il ne reste pas grand
chose en dehors de la vision des choses vraies. Dans le cinéma,
il faut tout de même que s'opère une transformation. Une
certaine forme d'idéalisation en fait partie, entre autres.
Pensez-vous que l'image de la
femme change progressivement dans le cinéma ? Les rôles féminins
sont-ils plus intéressants et moins passifs qu'avant ?
Certainement, les choses ont changé depuis que les femmes travaillent
de plus en plus. L'évolution de la femme au cinéma s'est
produite parallèlement à celle opérée dans
la société. Il n'y avait que dans les films de Hawks que
l'on voyait des femmes aussi actives que maintenant, prenant des décisions,
dynamiques et ayant un franc-parler. Le cinéma illustre tout de
même le reflet d'une certaine réalité sociale, les
changements de la femme en sont une des expressions.
Qu'espérez-vous de ce
film, "Paroles et musique", dans ce que vous n'aimez pas, que
l'on nomme votre "carrière" ?
C'est vrai que je n'aime pas ce mot ! Lorsque
l'on me demande comment je mène ma carrière, je réponds
que cela ne signifie rien puisque la notion de carrière revient
à un bilan établi après. Je souhaite faire des films
qui intéressent et qui marchent. Toutefois, je ne veux rien prouver,
que ce soit avec "Paroles et musique" ou un autre film. J'ai
cédé à une forte envie de le tourner, c'est suffisant.
Je n'ai rien à prouver. C'est toujours le désir qui guide
mes choix. Je ne veux pas suivre une ligne directrice avec une image de
moi précise. Je ne choisis pas mes films selon un calcul et une
suite logique professionnellement parlant. Je n'arrive pas à avoir
ni du recul ni à me projeter dans l'avenir. Quand on me demande
ce que je ferai dans dix ans, je rétorque que je ne désire
pas le savoir et que cela m'indiffère. Je me vois comme quelqu'un
en mouvement et je tiens à le rester. Je suis en accord avec moi-même
dans mes choix. Il faut demeurer attentive et en marche. Un autre point
me paraît essentiel : travailler avec des cinéastes qui savent
parler aux acteurs. J'espère toujours des choses différentes
de chaque metteur en scène tout en attendant cet amour et cet intérêt
pour l'acteur.

|
|