Ses interviews / Presse 1980-89 / Les Cahiers du Cinéma 1984
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Entretien avec Catherine Deneuve

La construction d'un personnage différent

Dans "Le dernier métro", Marion Steiner était une femme énergique. Margaux, dans "Paroles et musique", retrouve cette caractéristique avec un aspect moderne ancré dans une quotidenneté. Élie Chouraqui a désiré donner une nouvelle image de vous. Pour le rôle, vous changez de style et d'apparence.
Des femmes m'avaient reproché la soi-disant dureté de Marion Steiner dans "Le dernier métro". Personnellement, je trouvais que c'était un personnage très vrai et particulièrement juste. Elle était obligée de prendre des initiatives et de décider pour les autres. Elle ne pouvait se permettre d'être remise en question. "Paroles et musique" m'offre un rôle dynamique également mais plus proche de certaines réalités actuelles, plus quotidien. Le ton particulier du film me plaît. Il est rare de voir un homme écrire ainsi sur une femme, sur ses relations avec les hommes, les enfants, le travail, ces petits riens, ces choses qui font que l'on craque brusquement et que le cafard s'installe. Avec toujours cette énergie et ce désir des femmes de faire face, de se jeter dans le concret avec exigence et de réussir leur vie professionnelle et personnelle. J'ai retrouvé, dans "Paroles et musique", le charme de "Qu'est-ce qui fait courir David ?" avec en plus ce point de vue féminin si rarement juste et non stéréotypé. Élie Chouraqui est très attentif à la femme. Avec lui, nous avons pris la décision de changer mon allure, sans vraiment la définir. Nous allions en tout cas dans cette direction, c'était indispensable. A travers la construction du personnage de Margaux, je l'ai rejoint dans ce souhait de créer une image différente de moi. Ces changements (coiffure, habillement, démarche...) devenaient peu à peu des évidences. Travailler avec des gens qui ont une idée de moi et qui veulent des choses arrêtées m'intéresse. Cela fait partie du rôle de metteur en scène d'exiger de vous le maximum, d'insister, de recommencer et de ne pas renoncer. Ce fut le cas avec Elie qui me demanda beaucoup.

Vous avez souvent dit que vous aimiez les rôles qui n'étaient pas écrits spécialement pour vous. Il en fut ainsi pour "Paroles et musique".
Absolument. Le fait que le film ne soit pas à l'origine écrit pour moi m'a séduite car cela me permettait d'échapper à un personnage déjà ancré. Il s'instaurait un décalage par rapport à mon reflet et à ce que l'on me propose couramment. Lorsqu'un rôle n'est pas conçu pour moi, j'y perçois souvent des choses qui ne sont peut-être pas évidentes pour moi mais que je me sais capable de faire. Les gens n'imaginent peut-être pas ce que je pourrais faire, ce ne sont pas pour eux des évidences puisqu'ils ne trouvent pas de références précises dans mes compositions antérieures.

"Paroles et musique" plonge dans deux univers très différents qui se croisent à un moment donné.
Oui, ce point est important. D'un côté, deux copains avec leurs rapports complices, rieurs et tendres ; de l'autre, le monde de Margaux. Jérémie entre dans une famille avec des enfants, d'autres problèmes et subit son côté enveloppant. Ils vivent une histoire d'amour très physique, vraie, importante et sans doute éphémère. Ces deux univers ne peuvent pas cohabiter tout le temps. Ils ont pris chacun le meilleur de l'autre. En revanche, malgré les difficultés, il est certain que la relation qu'elle vit avec son mari reste très forte. En dépit de son amour pour Jérémie, elte aime encore son mari et revenir vers lui ne symbolise aucunement une solution de sagesse. Ce n'est pas un échec. Une séparation ne signifie pas forcément un échec.

Des compositions étonnantes à l'étranger

Revenons à votre "image". Pensez-vous que les metteurs en scène conservent aussi une vision stéréotypée de vous ?
Stéréotypée, non, mais ils détiennent forcément une image de moi. Après un certain nombre d'années et de films, il s'instaure automatiquement une "image", qu'on le veuille ou non. Je pense que les gens qui ont profondément envie de travailler avec vous se donnent la peine de dépasser ces limites et de jeter sur vous un autre regard. Souvent les metteurs en scène s'arrêtent à des images toutes faites et je comprends ce phénomène. Confier un rôle à quelqu'un représente une énorme décision à prendre et ils cherchent à mettre toutes les chances de leur côté. Ils n'ont pas toujours envie de risquer avec un acteur qui n'est pas le personnage de façon flagrante. A propos de la distribution des rôles au cinéma, les metteurs en scène italiens m'ont beaucoup plus "déplacée" que les metteurs en scènes français. D'une façon générale, j'ai créé des compositions plus étonnantes ou extravagantes avec des cinéastes étrangers, que ce soit Buñuel, Risi, Ferreri, Bolognini. C'est d'ailleurs Polanski qui le premier a senti une potentialité de violence en moi. Juste après " Les parapluies de Cherbourg ", tourner "Répulsion" avec lui fut particulièrement important, un moment-clé. Pour les acteurs, comme dans tout apprentissage, il est primordial de faire des rencontres essentielles, comme Polanski, tôt et jeune.

A votre avis, pourquoi cette démarche différente de la part des réalisateurs étrangers ?
Je pense qu'ils se faisaient une image moins précise de moi et qu'ils avaient donc moins de scrupules à la bouleverser. En outre, par le système du doublage, on peut s'adapter plus facilement aux transformations et l'on est moins précis. Les cinéastes étrangers n'ont pas délibérément entrepris de me faire interpréter des compositions différentes, mais eux-mêmes pensent qu'on peut se démarquer et changer sans difficultés. Pour cela, ils font réellement moins de chichi que nous ! Par exemple, dans de nombreuses comédies italiennes, les acteurs interprètent des personnages de transformation très lointains de leur réelle personnalité. En France, nous n'avons pas les mêmes formations, les mêmes images et nous ne faisons surtout pas les mêmes films. Le cinéma italien demeure plus fantaisiste, plus libre et plus souple, avec tout le charme que cela comporte. Fantaisiste ne signifie pas léger, les scénarios italiens sont extrêmement exigeants, travaillés et bien construits. J'aime beaucoup le cinéma italien et je m'y sens bien. On y trouve une liberté d'esprit formidable.

Vous continuez à choisir de tourner un film davantage en fonction du scénario que du rôle.
Oui, l'histoire du film m'importe davantage que mon rôle. Avant tout je fais des films et je n'ai envie de rien prouver, je ne cherche pas le numéro d'acteur. Je me sens concernée par bien d'autres choses que mon simple personnage. L'envie de participer à un film est provoquée par le plaisir pris à la lecture d'une histoire. Le scénario de "Paroles et musique" m'a plu par sa justesse, son propos et son ton particulier, nouveau et original dans le cinéma français. J'ai demandé à Elie Chouraqui de procéder ensemble à une lecture du scénario. Nous avons revu les dialogues, travaillé ensemble des scènes et changé quelques détails seulement puisqu'il était déjà très écrit. Ce fut stimulant de travailler avec Christophe Lambert et Richard Anconina au cours d'un tournage agréable. Pour ce film "d'humeurs", il s'avérait primordial que l'ambiance soit imprégnée de complicité. Nous n'avons pas enfanté dans la douleur !

Perplexe face à certains procédés

Vous préférez qu'un metteur en scène vous laisse une part de liberté dans votre travail. Vous n'avez jamais tourné avec des réalisateurs qui utilisent l'acteur en tant qu'outil distancié (Bresson) ou qui s'en servent violemment jusqu'au paroxysme (Zulawski).
Bresson reste particulier. Je ne crois pas qu'il soit très intéressé par les acteurs, il n'a pas forcément besoin d'eux. J'aime beaucoup ses films mais l'acteur n'y représente qu'un outil pouvant être remplacé par quelqu'un d'autre. En revanche, Zulawski a besoin d'acteurs prêts à tout donner, à tout exprimer pris de force. Il faut vraiment désirer ce genre de relations dans le travail! Zulawski ne peut pas tourner avec tous les acteurs car beaucoup ne se prêteraient pas à ce genre de rapports. Il se sert énormément d'eux et joue en quelque sorte contre eux. Je voudrais bien savoir ce qu'il leur apporte. A ce sujet, j'ai souvent entendu parler de révélation, cela me laisse perplexe, sans doute parce que je ne suis pas séduite par le résultat final. Je ressens une méfiance à l'égard de ce genre de procédé car ce n'est pas joué, il n'existe pas de fabrication, cela revient à un "éventrement". Personnellement, je ne supporterais pas d'être étouffée, j'aspire à une certaine liberté tout en étant entraînée et "tenue" par un metteur en scène.

Et Pialat...
Nous avions un projet... il ne s'est pas réalisé, Pialat en a beaucoup qu'il ne mène pas jusqu'au bout. Il change d'idée et je le comprends. Pialat m'a toujours inspiré la plus grande admiration. Lui, il utilise les acteurs et il le fait bien, même avec des non-professionnels. Il provoque sans doute des rapports violents, toutefois il y a chez lui une grande sincérité, c'est important.

Comment préférez-vous entrer dans la peau d'un personnage? Aimez-vous vous y préparer longtemps à l'avance et répéter ?
Cela dépend essentiellement des films et des metteurs en scène. Je n'aime pas user les scènes avant le film mais j'apprécie aussi que les choses soient bien en place, par exemple que n'interviennent pas des problèmes techniques au moment où l'on commence à tourner. Je ne souhaite pas tourner beaucoup, il faut donc répéter tout de même avant. On me demande souvent si je n'ai pas changé d'avis par rapport au théâtre. En fait, rien n'a changé à ce sujet-là. Mon manque d'envie s'explique par la crainte du public, je m'arrête au trac.

Une image plus douce et plus chamelle

Que pensez-vous de l'évolution de votre image depuis quelques années dans l'esprit du public ?
J'ai l'impression que les gens se font de moi une image plus charnelle, plus réaliste et plus quotidienne. Ce changement fait partie d'une évolution due à mes rôles, à mon âge et au fait que je puisse maintenant interpréter un autre type de personnage. Aujourd'hui, mon image semble plus douce pour le public, plus chaleureuse qu'il y a dix ans en tout cas. Je suis assez distante et ce n'est pas un point sur lequel j'ai beaucoup changé. Le public qui me voit à travers les magazines et les photos glacées peut éprouver cette sensation de froideur. Cela ne correspond en définitive qu'à une image globale et construite artificiellement. Pour cette raison, à partir d'un certain moment il ne faut pas qu'on vous voit trop pour éviter la répétition et la saturation. Je ne tourne pas énormément par rapport à d'autres. Certains acteurs peuvent par leur physique, se prêter à davantage de transformations que moi et enchaîner film sur film. Je ne le peux pas et en plus, cela ne correspond pas à mon rythme de travail, je m'accorde aussi un temps pour vivre, tout simplement. J'ai toujours souhaité préserver ma vie privée et dresser une barrière entre vie publique et vie personnelle. Automatiquement, ce choix entraîne une image plus distante puisque l'on ne risque pas de me trouver dans un magazine, photographiée dans ma maison avec ma famille. En outre, il existe de moins en moins d'idéalisation dans le cinéma depuis quelques années. L'idéalisation suppose un certain genre d'héros et d'héroïnes qui ne trouvent plus tellement leur place dans le cinéma aujourd'hui qui est plus réaliste et reflète de plus en plus la vie. Dans "Paroles et musique", Elie Chouraqui peint des choses réelles mais pas banales. Il adopte heureusement un ton original car il existe un danger dans le cinéma réaliste : devenir tellement quotidien qu'il ne reste pas grand chose en dehors de la vision des choses vraies. Dans le cinéma, il faut tout de même que s'opère une transformation. Une certaine forme d'idéalisation en fait partie, entre autres.

Pensez-vous que l'image de la femme change progressivement dans le cinéma ? Les rôles féminins sont-ils plus intéressants et moins passifs qu'avant ?
Certainement, les choses ont changé depuis que les femmes travaillent de plus en plus. L'évolution de la femme au cinéma s'est produite parallèlement à celle opérée dans la société. Il n'y avait que dans les films de Hawks que l'on voyait des femmes aussi actives que maintenant, prenant des décisions, dynamiques et ayant un franc-parler. Le cinéma illustre tout de même le reflet d'une certaine réalité sociale, les changements de la femme en sont une des expressions.

Qu'espérez-vous de ce film, "Paroles et musique", dans ce que vous n'aimez pas, que l'on nomme votre "carrière" ?
C'est vrai que je n'aime pas ce mot ! Lorsque l'on me demande comment je mène ma carrière, je réponds que cela ne signifie rien puisque la notion de carrière revient à un bilan établi après. Je souhaite faire des films qui intéressent et qui marchent. Toutefois, je ne veux rien prouver, que ce soit avec "Paroles et musique" ou un autre film. J'ai cédé à une forte envie de le tourner, c'est suffisant. Je n'ai rien à prouver. C'est toujours le désir qui guide mes choix. Je ne veux pas suivre une ligne directrice avec une image de moi précise. Je ne choisis pas mes films selon un calcul et une suite logique professionnellement parlant. Je n'arrive pas à avoir ni du recul ni à me projeter dans l'avenir. Quand on me demande ce que je ferai dans dix ans, je rétorque que je ne désire pas le savoir et que cela m'indiffère. Je me vois comme quelqu'un en mouvement et je tiens à le rester. Je suis en accord avec moi-même dans mes choix. Il faut demeurer attentive et en marche. Un autre point me paraît essentiel : travailler avec des cinéastes qui savent parler aux acteurs. J'espère toujours des choses différentes de chaque metteur en scène tout en attendant cet amour et cet intérêt pour l'acteur.


Par : Danièle Barra


Film associé : Paroles et musique

 



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