Ses interviews / Presse 1980-89 / Les Cahiers du Cinéma 1986
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

L'ampleur des sentiments

"Le Lieu du crime" est votre deuxième film avec André Téchiné : c'est un metteur en scène que vous semblez aimer beaucoup.
C'est un des metteurs en scène que je préfère et avec qui j'aime le plus travailler, il a son univers, il fait des films intimistes, qui ont une ampleur, comme les films de Jacques Demy. Ce sont des films à la fois très lyriques et simples.

Vous êtes beaucoup plus impliquée dans "Le Lieu du crime" que vous ne l'étiez dans "Hôtel des Amériques", à la fois en tant qu'actrice, femme et personnage.
C'est possible. Je crois qu'il y a des films qui s'arrêtent quand on a fini de les tourner, et il y a des rencontres qui continuent de vivre de façon plus ou moins souterraine. D'autant qu'avec André, il y a des choses qu'on continue d'explorer, sur lesquelles on fait le point ensemble et qui ressortent plus naturellement ensuite, plus vite. Moins de temps perdu avec les présentations. André avait deux projets qui n'ont pu se réaliser, nous sommes restés en contact sur des sujets qui n'ont rien à voir avec "Le Lieu du crime", mais qui ont les mêmes schémas, le même type de personnage. Vous parlez d'implication, il y a parfois des rencontres évidentes avec des rôles. Je n'avais pas tourné depuis un an, il y avait ces deux rendez-vous manqués et, dès le premier jour de tournage, on a commencé par une scène difficile pour moi, qui n'était pas une scène d'approche mais une scène qui me plongeait d'emblée dans l'atmosphère du film ; tout de suite, il y a eu des émotions vraies. Ce qui fait que nous sommes restés sur une tension tout au long du tournage, mais une tension très gaie. A cause du climat : c'était un film d'été qu'on tournait en automne, les journées étaient courtes, il faisait froid, du moins il a commencé à faire froid plus tôt qu'il n'aurait dû, il fallait lutter contre le temps, la lumière. André manque toujours de temps sur un tournage parce qu'il veut toujours faire plus et mieux.

C'est une chose de savoir que vous vouliez travailler avec Téchiné. Mais que s'est-il passé, lorsqu'il vous a proposé ce film ?
J'étais emballée, j'ai eu le même genre de bonheur en lisant le scénario et en faisant ce film qu'en tournant "Le dernier métro". J'avais une certitude, quant à moi et à ce que j'aime au cinéma, que c'était une vraie rencontre avec un rôle, avec un film, avec quelqu'un pour qui on a plus que de l'estime. Ça n'arrive pas souvent chez moi, car, même si j'aime mes films, je n'ai pas toujours cet état de plaisir au tournage, pas aussi intensément. Il n'y a pas eu une journée où je n'ai ressenti ce plaisir. J'avais eu cet état d'esprit avec "Le dernier métro", j'étais contente que ce soit un tournage long, trois mois, dans ce monde-là. Plus on fait de films, plus on avance, plus on est sensible à la qualité des choses, parce qu'on se rend compte que c'est rare. Au début, dans les premières années, tout semble plus simple, ou c'était moi qui me posais moins de questions, mais tout paraissait plus évident, surtout quand on a la chance de faire, jeune, des films importants ; on croit que c'est toujours comme ça, le cinéma. Au fur et à mesure, on se rend compte que c'est extrêmement difficile de trouver de bons scénarios. Ce n'est pas tant le problème des rôles que celui des histoires. C'est la raison pour laquelle j'ai tourné avec Mario Monicelli. Indépendamment du fait que j'aime beaucoup Monicelli, le rôle n'est pas extraordinaire pour moi, mais je trouvais le scénario formidable, une comédie ironique, un peu dure, cruelle. Même si le rôle n'est pas capital, je suis très contente d'avoir participé à ce film.

Mais avec "Le Lieu du crime", on va tout de même parler de votre grand retour au cinéma.
Oui, sûrement. Il y a des gens qui ont aimé "Hôtel des Amériques", c'est un film qui, comme "La Sirène du Mississipi", n'a pas eu un succès commercial, mais ceux qui l'aiment en sont amoureux. S'il n'a pas été un succès commercial, c'est qu'il n'a pas convaincu tout le monde. Dans "Le Lieu du crime", il y aurait comme la confirmation de quelque chose qui était déjà présent dans "Hôtel des Amériques". Ce n'est pas le même personnage, mais je sens comme une continuité, quelque chose de plus abouti. "Le Lieu du crime" est plus violent, sûrement d'une plus grande ampleur. Il y avait une tristesse dans "Hôtel des Amériques", qui peut-être gagnait à la mélancolie. Là, c'est beaucoup plus vital. Dans "Hôtel des Amériques", les personnages parlaient beaucoup de ce qui leur était arrivé, du passé, ce qui donne tout de suite un autre climat, tandis que là, on est toujours au présent, même si on devine le passé à travers ce qu'ils font. Il y a aussi un autre rythme puisque le film se déroule sur deux jours, les gens parlent peu d'eux-mêmes et on en sait beaucoup à leur sujet. Il y a moins de nostalgie.

Vous êtes très "physique" dans "Le Lieu du crime" : c'était écrit ou est-ce un parti pris de la direction d'acteur ?
Plus on tournait, plus je jouais de cette manière, et plus André me poussait dans cette voie. Il voulait que ce soit presque excessif. Je trouvais qu'il y avait un danger d'hystérie, dans les scènes d'émotion, surtout pour une actrice comme moi, plutôt nerveuse, et c'est quelque chose qu'on a évité. Quand ça culmine, il y a toujours un risque que le public repousse les personnages, parce que ça dérange trop. Je dis toujours "le public" comme si je pensais à lui, mais en vérité je pense à moi en train de regarder le film. Je disais à André : "Attention, cette femme est seule, elle n'a pas d'homme dans sa vie, il ne faut pas qu'elle apparaisse comme une mère maquerelle". Je crois que c'est le film où André est le plus proche de ce qu'il veut faire, de ce qu'il ressent. Il y a une grande part de ses propres souvenirs, on a tourné dans le collège où il a étudié, ces relations passionnelles entre la mère et cet enfant. J'aime cette scène où je rentre le matin, quand le garçon est en train de prendre son petit déjeuner : "Et en plus ne m'appelle pas Lili". L'enfant a douze ans dans le film et j'aime ce ton, d'une femme qui a des rapports véritablement amoureux avec son fils : souvent leurs relations ressemblent à des querelles d'amoureux. Cette compréhension qu'elle a de cet enfant se sent dans la scène du déjeuner, où elle dit à ses propres parents ou à Victor Lanoux, le père du garçon : "Vous ne pouvez pas comprendre". Elle ne fait pas partie du monde des adultes, elle comprend mieux les problèmes de son fils - sans jamais être juge, ni véhémente -, la violence, le rejet du petit garçon, que le côté bien pensant de sa mère ou de Lanoux.

Dans toutes les scènes de la fin, vous êtes très différente, comme lavée par la pluie, hagarde : vous ressemblez à un fantôme.
Oui, c'est vrai, tout à fait. André voulait que je sois "allumée", comme il dit.

Il y a un certain courage de votre part, même si le mot n'est pas très adéquat.
Ah, mais je trouverais ça bien, surtout que je suis toujours craintive... Il est difficile pour les acteurs, quand ils ont des réticences à faire certaines choses, de faire la part entre les craintes personnelles et les craintes professionnelles. Beaucoup d'acteurs, sans être frileux, ont du mal en tant qu'êtres humains à accepter certaines choses. Moi-même, je m'interroge souvent : y a-t-il des choses que je répugne à faire par appréhension personnelle, ou par peur du risque, du ratage ? Mais il faut plutôt chercher à élargir qu'à rétrécir. Les acteurs sont particulièrement bons quand ils travaillent avec des cinéastes avec lesquels ils se sentent bien, qui ont des idées sur tout. Moi qui suis assez réaliste, critique, qui demande beaucoup, il faut que j'aie une confiance très grande dans la personne qui me dirige, et du coup, ma confiance devient totale, j'accepte même de faire certaines choses que je ne comprends pas, ce qui ne me gêne pas. Cela va au-delà de l'estime qu'on a pour des gens ; il faut, outre une certaine admiration, être sûr que c'est le regard de quelqu'un, en dehors d'influences, techniques ou autres, qu'il y ait de vraies raisons. Ce que demande André est toujours en rapport avec la scène, les personnages, il peut donc tout demander. Je n'avais pas tourné depuis un an et, à force de dire non, je commençais à me demander si j'avais raison ; il y avait donc une envie de rattraper l'exigence que j'avais eue pendant un an, il fallait absolument que ce soit ça. Avec néanmoins une certaine crainte : on s'était très bien entendus au moment de "Hôtel des Amériques", et je craignais soit de le décevoir, soit que cette deuxième rencontre ne se passe pas exactement comme nous l'avions imaginé lui et moi. D'où l'envie de prouver encore plus.

Vous avez, avec Danielle Darrieux, de très belles scènes dans le film et ce sont vos retrouvailles avec elle, depuis "Les Demoiselles de Rochefort".
Oui, déjà à la lecture je trouvais ces scènes formidables, émouvantes. Entre la mère et la fille, le ton est très intime, mais on sent qu'il s'agit de deux mondes : ce qui fait que la violence de la fin est très attendue ; quand Darrieux me dit : "Va-t-en !", c'est choquant, mais au fond, on n'est pas vraiment surpris.

On a le sentiment que, dans votre relation avec Darrieux, vous faites très jeune fille.
Oui, André voulait beaucoup ça et j'étais tout à fait d'accord : on est toujours les enfants de ses parents. Il n'y a pas beaucoup d'adultes dans le film. J'adore la scène du déjeuner où Darrieux commence à raconter, à faire un vœu, elle a une voix que je pourrais écouter... tellement mélodieuse.

Jouer avec un adolescent qui n'est pas un acteur ne vous a pas posé de problèmes ?
Il n'est pas acteur, mais il est très émouvant. Au début, c'était difficile, à cause de son accent. Ça me pose toujours problème, c'est comme un accent étranger, ça masque tellement de choses, j'ai du mal à entendre la voix de quelqu'un qui a un accent. Il m'a fallu du temps pour m'y faire, tout en aimant son côté méditerranéen, chaleureux. Il me touchait beaucoup physiquement, j'aimais beaucoup son petit cou d'adolescent, ses genoux plus gros que ses cuisses, et sa tête d'oiseau. Je disais à André : "II faut le filmer de dos, il est émouvant, sa nuque...". Un enfant qui accepte de jouer, c'est pour lui à la fois un plaisir et un jeu, ça cherche à plaire comme les adultes, et ça peut être dangereux. Il me regardait quand même comme Catherine Deneuve...

Oui, mais il vous envoie tout de même quelques vacheries dans le film.
Je parlais de nos rapports sur le tournage. Il est formidable dans les scènes graves, justement, quand il vient me dire : "T'es fâchée ?". Comme tous les enfants, le plus dur, ce sont les longues scènes de dialogue, mais il avait une fraîcheur formidable. D'autant que son rôle est très important, difficile, il doit changer d'humeur en cours de scène et André fait des plans longs. Ça a été pour lui une expérience formidable, moins de faire du cinéma que de jouer ce rôle-là. Je l'ai revu au moment du doublage, il était mélancolique, moins d'être devenu un acteur que d'avoir vécu cette expérience. C'est normal, un film devrait toujours être ça pour un acteur : on devrait toujours être différent après un film.

Est-ce le cas pour vous après "Le Lieu du crime" ?
Ça m'a marquée et fait beaucoup de bien. Il y a longtemps qu'on ne m'avait pas vue dans un film aussi dramatique, physique. Je n'ai pas beaucoup tourné, le film de Chouraqui a plus d'un an, les gens ont une image de moi plus installée. Quand les gens vous connaissent depuis très longtemps, il n'y a rien à faire, c'est difficile de les surprendre. Il y a tant d'à priori.

Cela signifie que vous refusez beaucoup de propositions ?
J'ai l'impression de refuser des rôles qui ne sont pas assez intéressants pour moi. Mais parmi les refus, certains films se sont faits que j'ai trouvés intéressants, franchement. Sans être modeste, je suis persuadée que ces films auraient été différents avec moi. Le problème, lorsqu'on a refusé un scénario, c'est qu'on se dit en en lisant un autre qui ne vous satisfait pas tout à fait : "Pourquoi ferais-je celui-ci puisque j'ai refusé celui-là avec un tel ? C'est ridicule". De fait, j'ai plus envie de travailler avec des jeunes metteurs en scène, qui font leur premier film, mais la réciproque n'est pas toujours évidente, à cause de mon image. J'ai davantage envie, non pas de faire des films expérimentaux, mais de travailler avec des cinéastes qui ont plus envie que d'autres de faire un film, qui y mettent de l'énergie, pour qui c'est un vrai enjeu. Ça manque tellement dans les tournages, la vie, le rythme, l'énergie. Je n'ai pas envie de faire des films installés.


Par : Serge Toubiana
Photos :


Films associés : Le lieu du crime, Le dernier métro, Pourvu que ce soit une fille, Hôtel des Amériques, La sirène du Mississipi



Documents associés