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Puisqu'il s'agit de Jacques Demy, commençons par le commencement : les circonstances de votre rencontre avec lui et la réalisation de ce film, "Les parapluies", qui vous a fait connaître dans le monde entier.
C'était en 1960. Je venais de tourner "L'homme à femmes" de Jacques-Gérard Cornu. Jacques Demy, semble-t-il, m'y avait remarquée. Un jour, je reçus une invitation à un cocktail, à l'occasion de la sortie de "Lola". Sur le carton, Jacques avait ajouté un mot insistant pour que je sois présente. Malheureusement, j'étais absente de Paris ce soir-là. J'ai cru que ça allait en rester là. Mais c'était mal connaître la détermination, l'entêtement de Jacques Demy. A mon retour, il me contactait de nouveau, proposait un rendez-vous, et c'est au cours de cette première rencontre qu'il m'a parlé des "Parapluies"… trois ans avant sa réalisation - car le projet a été très long à monter. Je m'en souviens d'autant plus précisément qu'entre cette première rencontre et le tournage du film, j'ai eu largement le temps d'avoir un bébé ! J'ai écouté les premiers enregistrements, encore enceinte, et le tournage a démarré très vite après mon accouchement.

Le tournage vous a-t-il, à vous, posé des problèmes particuliers ?
Il est impossible, rétrospectivement, d'exprimer quelle aventure extraordinaire a été ce film. Le nombre de problèmes techniques qu'il posait était assez incroyable, avec ces musiques pré-enregistrées, ce travail en play-back et la minutie dans la préparation et la réalisation qu'impliquait tout cela. J'ai toujours pensé que le résultat tenait du miracle. Il s'est passé, durant le tournage, une sorte de phénomène curieux, comme un état de grâce ressenti par tous. Encore aujourd'hui, je connais le film par cœur. En apprenant mon rôle, durant deux mois chaque jour, il m'est entré dans la mémoire au point que si j'entends le disque, tout me revient et je le récite ou chante automatiquement.

Jacques Demy vous a-t-il dit si, dès le départ, il avait pensé à vous pour le rôle de Geneviève ?
J'ignore s'il a pensé, au départ, à confier les rôles à des chanteurs professionnels. En tout cas, il ne m'en a jamais parlé. Ce que je sais, c'est qu'une fois choisie, je suis entrée dans ce projet avec enthousiasme et que tout, soudain, est devenu féérique. Je me sentais portée par la force étonnante de Demy. Je sentais qu'il croyait en moi. Et rappelez-vous que je n'avais que dix-sept ans ! J'avais besoin de cette confiance.

C'est la force tranquille de Demy qui vous paraît être sa qualité dominante ?
C'est une de ses qualités. Mais pas la seule. Il est un fait que sa détermination est si grande qu'il est vain de vouloir s'y opposer. Mais, au cinéma, mieux vaut un excès d'autorité que pas assez. Du moins en ce qui concerne le réalisateur. Jacques, lui, y ajoute une sorte de grâce personnelle, de fluidité dans ses rapports humains…

Entre-temps, aviez-vous vu "Lola" ? Vous sentiez-vous en accord avec ce type d'univers cinématographique ?
Certes. Mais s'y ajoutait, pour "Les parapluies", la dimension musicale, singulièrement porteuse d'émotions. Je n'étais pas musicienne, je n'avais jamais chanté. Par contre, j'aimais, je connaissais la musique. Ca m'a sans doute aidée. Et puis, je me suis tellement intégrée à cette musique qu'à revoir le film, c'est tout juste si je réalise que ce n'est pas moi qui chante mais Danièle Licari.

Parlez-nous un peu du tournage lui-même.
Ce fut passionnant, excusez-moi de le répéter. Mais les difficultés étaient telles, la loi du chronomètre si forte, qu'il nous fallait travailler en équipe, très étroitement. Et puis nous inventions. Nous n'avions, pour la plupart, pas d'expérience à faire valoir. Ce côté-là aussi, d'avoir à inventer, était excitant. Nous vivions tous immergés dans le film, à Cherbourg, avec l'aimable complicité des gens de là-bas, et ce, durant deux mois, au point que la réalité ne pouvait, lorsqu'elle interférait, venir à bout de notre passion. Car, autour de nous, la vie suivait son cours…

Ce personnage de Geneviève, victime de la guerre, de l'absence, et qui se résigne finalement à ne plus courir en vain après le bonheur, comment l'avez-vous abordé ?
Il s'agissait, en fait, je le reconnais, d'une histoire assez cruelle. Mais il m'était impossible d'aborder ce personnage de façon habituelle. J'étais, que je le voulusse ou non, conditionnée par la structure musicale du film et les émotions qu'elle pouvait distiller presque indépendamment de moi, parfois avant que je n'aie à les exprimer par le jeu scénique. Je me suis adaptée avec assez de facilité aux problèmes que cela posait. Mais je ne sais pas si, aujourd'hui, cela me serait encore possible…

Avec "Les demoiselles de Rochefort", on peut supposer que le problème se posait différemment ?
Effectivement. D'abord, il s'agissait plus précisément d'une comédie musicale, avec une structure scénaristique plus complexe. Et, au niveau de l'interprétation, ce côté "dansé" ajoutait une dimension non négligeable. Ce fut beaucoup plus difficile pour moi. D'abord, les rapports avec Jacques étaient plus distants, par la force des choses et compte tenu de l'appareillage énorme mis en place. Et puis, à tort ou à raison, et peut-être à cause du caractère énorme, techniquement parlant, de l'entreprise, je n'ai pas senti cette "grâce" qui avait baigné tout le tournage des "Parapluies".

C'était la première fois que vous étiez amenée à jouer, danser, chanter tout à la fois, à vous mettre dans les conditions d'une interprète de music-hall ?
Ce fut plus facile pour ma sœur François Dorléac, qui avait déjà une certaine expérience. Moi, en ce domaine, j'avais tout à apprendre. J'ai suivi des cours de danse durant des mois et des mois. Le tournage, ensuite, m'a donné beaucoup de plaisir. Par la suite, on m'a fait un certain nombre de propositions, américaines généralement, pour tourner des comédies musicales, mais aucune n'a vraiment abouti. Je ne sais toujours pas si je le regrette. Ca me tentait assez de poursuivre dans ce domaine mais, par ailleurs, j'avais quelques doutes sur mes capacités réelles d'interprète de comédies musicales. Les circonstances ont décidé pour moi.

Dans quelle mesure vos participations aux films de Demy ont-elles marqué votre image de marque de comédienne ?
Demy m'a marquée plus définitivement qu'aucun autre réalisateur. L'image qu'a imposée de moi "Les parapluies" correspond quelque part à une vérité de moi-même. Par ailleurs, ce film a décidé fondamentalement de ma carrière. Sans lui, et malgré les quelques expériences qui précédaient, je ne suis pas sure que j'aurais embrassé cette carrière. Par la suite, certes, j'ai échappé peu à peu à ce personnage et à l'image qu'il avait imposée de moi. Mais ce ne fut pas sans mal. Car j'étais très à l'aise dans l'univers de Demy : celui du mélodrame, de la magie, du conte de fées comme "Peau d'âne".

Parlez-nous un peu de ce dernier film…
"Peau d'âne" s'est réalisé dans une atmosphère assez particulière. Tourner un conte de fées, c'est à la fois être un personnage vrai et impalpable. C'est la première fois que j'incarnais un personnage à la fois inexistant et très connu. Il me fallait travailler sur le crédible et le fantomatique. Je devais jouer sur le léger sans identification possible. C'était une gageure passionnante. Ca m'était, par ailleurs, facilité par le fait que je n'aime pas prendre les choses brutalement, à bras le corps. Je tiens à conserver une certaine distance. Le personnage de Peau d'âne, purement imaginaire, sans psychologie pré-établie, me facilitait une approche qui, par ailleurs, semble-t-il, paraissait correspondre aux souhaits de Demy. D'une façon générale, je m'implique profondément dans les personnages que j'incarne, ce qui peut paraître paradoxal par rapport à ce que je viens de dire (mais ce métier est tout de paradoxe) ; reste que ma pratique professionnelle fonctionne là-dessus : à la fois distanciation et enracinement.

Est-ce que vos rapports avec Demy ont changé au fur et à mesure de vos tournages avec lui ?
Dans la mesure même où les films étaient différents. Il n'y a pas de rapports de nature entre les personnages des "Parapluies" et ceux de "L'événement". Le rôle que j'interprète dans ce dernier film me convenait manifestement moins. Et sur le scénario même, j'avais des doutes. La "grâce" n'était pas au rendez-vous. D'une façon générale, je ne me débarrasse pas facilement des doutes qui s'installent en moi au début d'un tournage. Même quand le film marche, je fais confiance à mon intuition de départ. A plusieurs reprises, dans ma carrière, j'ai travaillé aussi sur des réalisations dont je devinais, sans pouvoir être plus précise, que ça n'était pas au point. Et parfois même, je n'arrivais pas à surmonter cette impression. Par ailleurs, il convient de tenir compte aussi de mes propres limites : j'ai parfois peur de décevoir. Et ça me paralyse. Je fais partie du type d'acteur qu'il faut pousser. J'ai tendance à en faire moins que trop. Dans "L'événement", quand je le revois, je m'agace. J'y ai adopté un ton qui était sans doute celui que demandait le scénario. Mais je considère que ça ne fonctionne pas bien. Et que c'est partiellement de ma faute.

Est-ce que Demy est très exigeant en ce qui concerne la composition (morale et extérieure) de ses personnages ?
Très exigeant. Avec une vision très précise qu'il est vain de vouloir corriger si peu que ce soit. Pour "Les parapluies", il m'a obligée à couper la frange de cheveux que je portais sur le front. J'étais horrifiée. C'est comme s'il m'avait dit : "Déshabillez-vous". J'ai dû m'incliner. Mais non sans réticence. Sans doute avais-je deviné qu'avec ce film Demy allait influencer ma personnalité. De là date mon image de marque et le début de ce qu'on appelle "ma carrière de star". J'ai dû, pour ma part, entrer dans la vision que se fait Demy de la femme, de son type d'héroïne préférée.

Après "L'événement", y a-t-il eu d'autres propositions de Demy dans votre direction ?
Oui, pour un opéra populaire qui devait se dérouler à Nantes. Jacques m'avait pressentie ainsi que Gérard Depardieu. Mais, comme pour "Les parapluies", il exigeait le play-back. Personnellement, je n'ai pu m'y résigner. A tort ou à raison, j'estimais que ma voix faisait désormais partie de mon intégrité d'actrice. Je préférais chanter moi-même, aller vers une verison sans doute plus imparfaite mais plus juste. Nous ne sommes pas tombés d'accord sur ce point et le projet a été abandonné. Dommage, car le sujet était superbe, la musique de Colombier fantastique et j'étais prête à travailler énormément pour m'y impliquer…


Par : Gaston Haustrate et Jean-Pierre Le Pavec


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