Ses interviews / Presse 1980-89 / Cinématographe 1986
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Le système solaire du cinéma français

Le système solaire du cinéma français ? A la lettre, cela ne veut rien dire. Et pourtant... Tout le monde identifie Catherine Deneuve à cette image. Si Depardieu est la force, Adjani le mystère, elle est le soleil irradiant de ses rayons une production française assombrie par les polars et la comédie naturaliste. Mais cette fois, l'astre lumineux s'est installé dans l'univers d'André Téchiné...

Il y a quelques mois, dans Cinématographe, nous avions intitulé un sujet "Quel rôle pour les femmes ?"...
Quel rôle pour les femmes... Ecoutez, moi j'ai toujours entendu dire cela. Il y a deux phrases, deux leitmotivs qui reviennent régulièrement dans ce métier : la mort de la nouvelle vague - en attendant, j'aimerais bien assister à la naissance de la nouvelle (!) - et l'absence de rôles pour les femmes. Depuis le temps qu'on en parle, on aurait pu le considérer comme un fait acquis, intrinsèque à la nature du cinéma. Je pense plutôt que c'est un faux problème. Il y a beaucoup de gens qui écrivent pour les femmes, seulement je crois que c'est beaucoup plus difficile que pour les hommes. Lorsqu'on construit un scénario autour d'un personnage féminin, on touche très vite au domaine sentimental, à l'émotion. Alors évidemment, on est beaucoup moins inspiré que s'il s'agissait de traiter un drame social ou un fait-divers savoureux. Il est difficile d'imaginer "Police" avec une femme au cœur de l'histoire. Personnellement, j'ai la chance d'avoir des cinéastes, souvent des auteurs, qui écrivent pour moi. Ce n'est pas de ma part une politique concertée, c'est naturel, cela veut aussi dire, par la force des choses, moins de films...

Peut-on considérer que vous tournez deux types de films : avec Truffaut, Resnais ou Téchiné qui sont les moments forts de votre carrière... et les autres. Ceux qu'une actrice se doit de faire parce qu'après tout c'est son métier. Appelons-les des films de transition.
Je ne peux pas dire cela aussi froidement. Je ne peux pas dire que je fais tantôt un film d'art, tantôt un film commercial. Ce n'est pas aussi simple. C'est certain qu'il y a des films qu'on tourne les yeux fermés, et d'autres où je me dis : "Tiens ! Voilà un joli personnage, un sujet attirant, des dialogues séduisants". Et on se laisse tenter. Mais vous savez, parfois il y a un monde entre le film rêvé sur le papier et sa conclusion. Il arrive même que ce ne soit plus du tout le même film ! Sinon, dire que je vais tourner, par exemple, "Paroles et musique" pour faire six cent mille entrées, non. J'aimais simplement ce personnage de femme très moderne, les rapports avec les rôles masculins, Christophe Lambert et Richard Anconina. Une carrière de comédien n'est pas aussi schématique, aussi simpliste que votre définition, elle repose sur le hasard des rencontres, sur des opportunités.

Parmi tous les scripts qu'on vous envoie, se dégage-t-il un portrait-robot, un personnage générique ?
On me propose quelques rôles de célibataire, beaucoup de femme mariée avec un enfant et un emploi ! Cela correspond heureusement avec la réalité d'aujourd'hui. Et puis il y a des personnages plus ambigus, un peu doubles. A l'extrême, des créatures polaires, très dures.

Mais Catherine Deneuve ne l'emporte-t-elle pas sur le personnage de fiction ? Votre notoriété doit peser sur le film d'un cinéaste, disons moins "auteuriste" qu'André Téchiné ?
"Paroles et musique" - puisque c'est mon dernier film avant celui d'André - n'est pas un film de Catherine Deneuve mais bien d'Elie Chouraqui. N'imaginez pas que je suis quelqu'un de très impressionnant sur un plateau de tournage, dans mes relations de travail. Je suis très proche des gens, de l'équipe, je suis assez directe dans mes rapports.

Je disais surtout cela parce qu'un comédien de renom doit compter - c'est le mot juste sans doute - avec son image, auprès de son public.
Je ne peux pas faire des films en fonction du public uniquement. Et puis l'idée qu'on a de soi n'est pas forcément celle du public.

Dans votre entourage, on doit tout de même parfois vous dire "Attention, Catherine, il vaudrait mieux que tu ne fasses pas cela, ton public ne comprendrait pas, refuserait de te suivre..."
Non, non. On ne sait jamais, en plus, ce que pense exactement de vous le public. Il n'y a pas de science exacte et on assiste à tellement de surprises d'un film à l'autre... Aujourd'hui, il ne suffit plus d'un nom à l'affiche pour faire venir les gens. Il n'y a aucun acteur qui soit vraiment un "sésame" pour les fréquentations. Et c'est tant mieux. Cela signifie que le public choisit les films, qu'il ne suffit plus d'afficher un casting prestigieux pour le convaincre d'aller au cinéma. C'est plutôt réconfortant. Il n'a plus à votre égard une adoration aveugle et sans restriction mais une réelle estime pour votre interprétation, de l'amour.

Rendons-nous maintenant sur le lieu du crime ! Comment Téchiné vous a-t-il présenté son film, votre personnage ?
Avec André, il y a maintenant trois ans que nous essayons de retravailler ensemble. Il y a eu deux projets avortés et il se trouve que celui-là a pu se monter. Il y a, entre lui et moi, une entente qui fait que l'on se chuchote plus les choses qu'on ne se les dit clairement. Un metteur en scène ne vous donne pas nécessairement des indications définitives et fondamentales sur votre rôle. C'est beaucoup plus diffus, presque impressionniste. Il n'y a pas de formules, de phrases-clé, pas de conventions. Tout cela reste mystérieux et secret. Je connais l'univers d'André, j'ai vu tous ses films. Quand je tournais "Le lieu du crime", j'étais imprégnée de chacun d'eux, ils nourrissaient mon personnage. Curieusement, on s'est peut-être dit plus de choses sur mon personnage à travers les conversations que nous avons eues à propos des films des autres, du comportement et des motivations de leurs héros... Ce que j'aime aussi chez André, c'est son attention aux acteurs, jusqu'au moindre petit rôle.

Vous connaissiez Wadeck Stanczak avant "Le lieu du crime" ?
Je l'avais seulement vu jouer dans "Rendez-vous". Wadeck est un mélange de dureté et de pureté avec quelque chose d'un peu buté qui lui donne une certaine force. Nous étions au début un petit peu morts de trac ; lui, je crois, était encore le plus intimidé. Dans les films d'André, il n'y a pas de scènes de présentation et nous devions tout de suite tourner des choses très difficiles. Heureusement, le tournage se passait beaucoup la nuit et l'obscurité, le froid, la fatigue rapprochent et facilitent les rapports humains.

Il y a dans Le lieu du crime une très belle scène d'amour entre vous et Wadeck. Alors... justement... il y a une question que je n'ose pas vous poser.
Mais si, allez-y !

C'est à propos de "Paroles et musique"... Il y a quelque chose de discutable...
Qu'est-ce que vous trouvez discutable ?

Il y a un baiser avec Christophe Lambert qui dure une demi-heure...
Comment ça un baiser d'une demi-heure ?

Mais oui, Lambert vous raccompagne chez vous, iI hésite, il redescend l'escalier, il reprend l'ascenseur, cela n'en finit pas, c'est long, long. Autant l'amour physique est fort, lyrique, justifié par la mise en scène dans le film de Téchiné, autant, ici, quelle gratuité...
J'ai bien compris que vous n'avez pas tellement de sympathie pour "Paroles et musique" ! Mais vous n'attendez tout de même pas que je vous dise que vous avez raison.

La règle du jeu ?
La règle du jeu, pas forcément.

Il y a des choses qu'on ne peut pas dire. Par exemple, la dureté de votre métier. Depardieu nous disait, en septembre 1985, qu'une actrice devait livrer un combat quotidien, qu'elle devait
être une "guerrière".

Il a raison. Les comédiens sont très exposés. Je crois pourtant que ce métier est plus facile pour nous. J'ai le sentiment - je ne pourrais pas le définir exactement - que "jouer" est davantage dans la nature féminine. Je n'ai pas de théorie, de philosophie à développer, simplement les femmes sont peut-être plus joueuses... Mais c'est vrai qu'un acteur livre un combat quotidien. Le cinéma est de plus en plus une industrie. Il y a beaucoup d'argent en jeu et beaucoup d'éléments qu'un comédien ne contrôle pas, qui ne dépendent pas de lui. Et pourtant, souvent il porte le film sur ses épaules, c'est sa responsabilité.

Il est dommage que le public ignore cet aspect.
Franchement, je ne sais pas si le public doit le savoir. Et est-ce que le lecteur doit le savoir ?

Nous voulons qu'il le sache.
Pourquoi ? Je ne dis pas que le spectateur doit être quelqu'un d'inconscient, mais le cinéma reste avant tout un spectacle et je préfère penser que les gens vont au cinéma pour se détendre. Se détendre n'implique pas de voir des films simplistes mais plutôt d'oublier la réalité. Quand je vais voir un ballet, je n'ai pas trop envie qu'on me rappelle que le danseur s'est vraiment "ouvert les pieds" pendant des semaines pour atteindre la perfection. Je le sais, mais je préfère qu'on ne me le rabâche pas trop, sinon je me demande vraiment si je pourrais apprécier le spectacle. Non, je me demande sincèrement si le lecteur a besoin de connaître tout cela. Il y a dans le cinéma plein de choses qui sont à la fois importantes et ennuyeuses, tout ce qui concerne la finance, et qui n'est pas strictement cinématographique. Quand on parle du cinéma, je préfère qu'on évoque les films.

La grande presse diffuse toujours une image euphorique de votre profession.
Euphorique, vous trouvez ? Mais nous avons la chance de faire un métier - je suis désolée - merveilleux et passionnant. Ce n'est pas non plus la grande famille", mais les rapports sont chaleureux et je souffre souvent de la brutalité des séparations après chaque tournage. On se quitte après plusieurs semaines de vie commune sans savoir quand on se retrouvera. Tout va beaucoup trop vite.

A côté de cela, il y a tout de même des gens qui paient cash leur passion pour le cinéma.
Soyez plus précis parce que là, je ne vous suis pas.

Je pourrais citer beaucoup d'exemples... Récemment, le décès subit de Marc Grunebaum après huit ans de bataiIles pour faire aboutir son projet, "La valse aux adieux".
C'est un cas particulièrement triste. Comme partout, il y a des gens qui se conduisent bien, d'autres mal.

Je m'aperçois que je suis soudain très ennuyeux... Je... Vous... Vous êtes le système solaire du cinéma français.
(Rires). Ah bon ?

C'est l'idée un peu magique que les gens ont de vous.
Eh bien, il y a des jours où c'est lourd à porter et d'autres, ma foi, où cela ne me déplaît pas de donner un peu de rêve.

Est-ce que vous pouvez sortir dans la rue ? Vous promener ?
Moi ? Tout le temps, tous les jours. Cette après-midi, j'étais dehors. Et comment je me promène dans la rue !

Et vous vous arrêtez à un carrefour ?
(Rires). Absolument. Tout le monde me connaît dans le quartier, tous les commerçants. Je vis profondément avec mon quartier. Je ne suis pas en train de vous dire que je suis une actrice qui s'apprête à tourner dans un film néo-réaliste italien, mais je ne suis pas du genre à rester dans une tour d'ivoire. En général, je vais même rarement voir les films en projection privée. Je préfère le contact avec le public. Bien sûr, on me reconnaît parfois de manière insistante mais une fois dans la salle, je me sens bien au milieu des gens, dans l'obscurité. Il va falloir que je vous quitte. J'ai un rendez-vous rue du Dragon. Accompagnez-moi, vous verrez que je sors dans la rue !

Le système solaire du cinéma français


Par : Olivier Dazat
Photos :


Films associés : Paroles et musique, Le lieu du crime



Documents associés