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Le système
solaire du cinéma français |
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Le système solaire du cinéma
français ? A la lettre, cela ne veut rien dire. Et pourtant...
Tout le monde identifie Catherine Deneuve à cette image. Si Depardieu
est la force, Adjani le mystère, elle est le soleil irradiant de
ses rayons une production française assombrie par les polars et
la comédie naturaliste. Mais cette fois, l'astre lumineux s'est
installé dans l'univers d'André Téchiné...
Il y a quelques mois, dans Cinématographe,
nous avions intitulé un sujet "Quel rôle pour les femmes
?"...
Quel rôle pour les femmes... Ecoutez, moi j'ai toujours entendu
dire cela. Il y a deux phrases, deux leitmotivs qui reviennent régulièrement
dans ce métier : la mort de la nouvelle vague - en attendant, j'aimerais
bien assister à la naissance de la nouvelle (!) - et l'absence
de rôles pour les femmes. Depuis le temps qu'on en parle, on aurait
pu le considérer comme un fait acquis, intrinsèque à
la nature du cinéma. Je pense plutôt que c'est un faux problème.
Il y a beaucoup de gens qui écrivent pour les femmes, seulement
je crois que c'est beaucoup plus difficile que pour les hommes. Lorsqu'on
construit un scénario autour d'un personnage féminin, on
touche très vite au domaine sentimental, à l'émotion.
Alors évidemment, on est beaucoup moins inspiré que s'il
s'agissait de traiter un drame social ou un fait-divers savoureux. Il
est difficile d'imaginer "Police" avec une femme au cur
de l'histoire. Personnellement, j'ai la chance d'avoir des cinéastes,
souvent des auteurs, qui écrivent pour moi. Ce n'est pas de ma
part une politique concertée, c'est naturel, cela veut aussi dire,
par la force des choses, moins de films...
Peut-on considérer que
vous tournez deux types de films : avec Truffaut, Resnais ou Téchiné
qui sont les moments forts de votre carrière... et les autres.
Ceux qu'une actrice se doit de faire parce qu'après tout c'est
son métier. Appelons-les des films de transition.
Je ne peux pas dire cela aussi froidement. Je ne peux pas dire que je
fais tantôt un film d'art, tantôt un film commercial. Ce n'est
pas aussi simple. C'est certain qu'il y a des films qu'on tourne les yeux
fermés, et d'autres où je me dis : "Tiens ! Voilà
un joli personnage, un sujet attirant, des dialogues séduisants".
Et on se laisse tenter. Mais vous savez, parfois il y a un monde entre
le film rêvé sur le papier et sa conclusion. Il arrive même
que ce ne soit plus du tout le même film ! Sinon, dire que je vais
tourner, par exemple, "Paroles et musique" pour faire six cent
mille entrées, non. J'aimais simplement ce personnage de femme
très moderne, les rapports avec les rôles masculins, Christophe
Lambert et Richard Anconina. Une carrière de comédien n'est
pas aussi schématique, aussi simpliste que votre définition,
elle repose sur le hasard des rencontres, sur des opportunités.
Parmi tous les scripts qu'on
vous envoie, se dégage-t-il un portrait-robot, un personnage générique
?
On me propose quelques rôles de célibataire, beaucoup de
femme mariée avec un enfant et un emploi ! Cela correspond heureusement
avec la réalité d'aujourd'hui. Et puis il y a des personnages
plus ambigus, un peu doubles. A l'extrême, des créatures
polaires, très dures.
Mais Catherine Deneuve ne l'emporte-t-elle
pas sur le personnage de fiction ? Votre notoriété doit
peser sur le film d'un cinéaste, disons moins "auteuriste"
qu'André Téchiné ?
"Paroles et musique" - puisque c'est mon dernier film avant
celui d'André - n'est pas un film de Catherine Deneuve mais bien
d'Elie Chouraqui. N'imaginez pas que je suis quelqu'un de très
impressionnant sur un plateau de tournage, dans mes relations de travail.
Je suis très proche des gens, de l'équipe, je suis assez
directe dans mes rapports.
Je disais surtout cela parce
qu'un comédien de renom doit compter - c'est le mot juste sans
doute - avec son image, auprès de son public.
Je ne peux pas faire des films en fonction du public uniquement. Et puis
l'idée qu'on a de soi n'est pas forcément celle du public.
Dans votre entourage, on doit
tout de même parfois vous dire "Attention, Catherine, il vaudrait
mieux que tu ne fasses pas cela, ton public ne comprendrait pas, refuserait
de te suivre..."
Non, non. On ne sait jamais, en plus, ce que pense exactement de vous
le public. Il n'y a pas de science exacte et on assiste à tellement
de surprises d'un film à l'autre... Aujourd'hui, il ne suffit plus
d'un nom à l'affiche pour faire venir les gens. Il n'y a aucun
acteur qui soit vraiment un "sésame" pour les fréquentations.
Et c'est tant mieux. Cela signifie que le public choisit les films, qu'il
ne suffit plus d'afficher un casting prestigieux pour le convaincre d'aller
au cinéma. C'est plutôt réconfortant. Il n'a plus
à votre égard une adoration aveugle et sans restriction
mais une réelle estime pour votre interprétation, de l'amour.
Rendons-nous maintenant sur
le lieu du crime ! Comment Téchiné vous a-t-il présenté
son film, votre personnage ?
Avec André, il y a maintenant trois ans que nous essayons de retravailler
ensemble. Il y a eu deux projets avortés et il se trouve que celui-là
a pu se monter. Il y a, entre lui et moi, une entente qui fait que l'on
se chuchote plus les choses qu'on ne se les dit clairement. Un metteur
en scène ne vous donne pas nécessairement des indications
définitives et fondamentales sur votre rôle. C'est beaucoup
plus diffus, presque impressionniste. Il n'y a pas de formules, de phrases-clé,
pas de conventions. Tout cela reste mystérieux et secret. Je connais
l'univers d'André, j'ai vu tous ses films. Quand je tournais "Le
lieu du crime", j'étais imprégnée de chacun
d'eux, ils nourrissaient mon personnage. Curieusement, on s'est peut-être
dit plus de choses sur mon personnage à travers les conversations
que nous avons eues à propos des films des autres, du comportement
et des motivations de leurs héros... Ce que j'aime aussi chez André,
c'est son attention aux acteurs, jusqu'au moindre petit rôle.
Vous connaissiez Wadeck Stanczak
avant "Le lieu du crime" ?
Je l'avais seulement vu jouer dans "Rendez-vous". Wadeck est
un mélange de dureté et de pureté avec quelque chose
d'un peu buté qui lui donne une certaine force. Nous étions
au début un petit peu morts de trac ; lui, je crois, était
encore le plus intimidé. Dans les films d'André, il n'y
a pas de scènes de présentation et nous devions tout de
suite tourner des choses très difficiles. Heureusement, le tournage
se passait beaucoup la nuit et l'obscurité, le froid, la fatigue
rapprochent et facilitent les rapports humains.
Il y a dans Le lieu du crime
une très belle scène d'amour entre vous et Wadeck. Alors...
justement... il y a une question que je n'ose pas vous poser.
Mais si, allez-y !
C'est à propos de "Paroles
et musique"... Il y a quelque chose de discutable...
Qu'est-ce que vous trouvez discutable ?
Il y a un baiser avec Christophe
Lambert qui dure une demi-heure...
Comment ça un baiser d'une demi-heure ?
Mais oui, Lambert vous raccompagne
chez vous, iI hésite, il redescend l'escalier, il reprend l'ascenseur,
cela n'en finit pas, c'est long, long. Autant l'amour physique est fort,
lyrique, justifié par la mise en scène dans le film de Téchiné,
autant, ici, quelle gratuité...
J'ai bien compris que vous n'avez pas tellement de sympathie pour "Paroles
et musique" ! Mais vous n'attendez tout de même pas que je
vous dise que vous avez raison.
La règle du jeu ?
La règle du jeu, pas forcément.
Il y a des choses qu'on ne peut
pas dire. Par exemple, la dureté de votre métier. Depardieu
nous disait, en septembre 1985, qu'une actrice devait livrer un combat
quotidien, qu'elle devait
être une "guerrière".
Il a raison. Les comédiens sont très exposés. Je
crois pourtant que ce métier est plus facile pour nous. J'ai le
sentiment - je ne pourrais pas le définir exactement - que "jouer"
est davantage dans la nature féminine. Je n'ai pas de théorie,
de philosophie à développer, simplement les femmes sont
peut-être plus joueuses... Mais c'est vrai qu'un acteur livre un
combat quotidien. Le cinéma est de plus en plus une industrie.
Il y a beaucoup d'argent en jeu et beaucoup d'éléments qu'un
comédien ne contrôle pas, qui ne dépendent pas de
lui. Et pourtant, souvent il porte le film sur ses épaules, c'est
sa responsabilité.
Il est dommage que le public
ignore cet aspect.
Franchement, je ne sais pas si le public doit le savoir. Et est-ce que
le lecteur doit le savoir ?
Nous voulons qu'il le sache.
Pourquoi ? Je ne dis pas que le spectateur doit être quelqu'un d'inconscient,
mais le cinéma reste avant tout un spectacle et je préfère
penser que les gens vont au cinéma pour se détendre. Se
détendre n'implique pas de voir des films simplistes mais plutôt
d'oublier la réalité. Quand je vais voir un ballet, je n'ai
pas trop envie qu'on me rappelle que le danseur s'est vraiment "ouvert
les pieds" pendant des semaines pour atteindre la perfection. Je
le sais, mais je préfère qu'on ne me le rabâche pas
trop, sinon je me demande vraiment si je pourrais apprécier le
spectacle. Non, je me demande sincèrement si le lecteur a besoin
de connaître tout cela. Il y a dans le cinéma plein de choses
qui sont à la fois importantes et ennuyeuses, tout ce qui concerne
la finance, et qui n'est pas strictement cinématographique. Quand
on parle du cinéma, je préfère qu'on évoque
les films.
La grande presse diffuse toujours
une image euphorique de votre profession.
Euphorique, vous trouvez ? Mais nous avons la chance de faire un métier
- je suis désolée - merveilleux et passionnant. Ce n'est
pas non plus la grande famille", mais les rapports sont chaleureux
et je souffre souvent de la brutalité des séparations après
chaque tournage. On se quitte après plusieurs semaines de vie commune
sans savoir quand on se retrouvera. Tout va beaucoup trop vite.
A côté de cela,
il y a tout de même des gens qui paient cash leur passion pour le
cinéma.
Soyez plus précis parce que là, je ne vous suis pas.
Je pourrais citer beaucoup d'exemples...
Récemment, le décès subit de Marc Grunebaum après
huit ans de bataiIles pour faire aboutir son projet, "La valse aux
adieux".
C'est un cas particulièrement triste. Comme partout, il y a des
gens qui se conduisent bien, d'autres mal.
Je m'aperçois que je
suis soudain très ennuyeux... Je... Vous... Vous êtes le
système solaire du cinéma français.
(Rires). Ah bon ?
C'est l'idée un peu magique
que les gens ont de vous.
Eh bien, il y a des jours où c'est lourd à porter et d'autres,
ma foi, où cela ne me déplaît pas de donner un peu
de rêve.
Est-ce que vous pouvez sortir
dans la rue ? Vous promener ?
Moi ? Tout le temps, tous les jours. Cette après-midi, j'étais
dehors. Et comment je me promène dans la rue !
Et vous vous arrêtez à
un carrefour ?
(Rires). Absolument. Tout le monde me connaît dans le quartier,
tous les commerçants. Je vis profondément avec mon quartier.
Je ne suis pas en train de vous dire que je suis une actrice qui s'apprête
à tourner dans un film néo-réaliste italien, mais
je ne suis pas du genre à rester dans une tour d'ivoire. En général,
je vais même rarement voir les films en projection privée.
Je préfère le contact avec le public. Bien sûr, on
me reconnaît parfois de manière insistante mais une fois
dans la salle, je me sens bien au milieu des gens, dans l'obscurité.
Il va falloir que je vous quitte. J'ai un rendez-vous rue du Dragon. Accompagnez-moi,
vous verrez que je sors dans la rue !

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