Catherine
Deneuve : la femme pudique |
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Vous avez peu tourné
aux Etats-Unis, mais les Américains vous connaissent bien. Comment
l'expliquez-vous ?
C'est dû à la fois à des raisons professionnelles
et extra-professionnelles. On m'a demandé souvent d'inaugurer une
manifestation, ou de participer à des émissions de télévision.
Sur une dizaine d'années, ça impose obligatoirement une
présence. C'est en fait beaucoup plus lié à la télévision
qu'au cinéma.
Vous n'aimeriez pas être
l'ambassadrice officielle du cinéma français.
Alors là, il faudrait me payer très cher ! Je n'aime pas
m'ennuyer et il s'agirait d'un véritable travail. ais je crois
que je ne serais pas assez diplomate, je suis trop directe !
Et une carrière aux U.S.A.
?
J'ai tourné quelques films là-bas, mais je n'ai jamais eu
envie d'y vivre, ni de m'impliquer par une présence fréquente.
J'ai failli tourner un film avec Hitchcock, mais il est mort peu après.
Mais ça n'aurait sans doute pas suffi à m'imposer, pas plus
que "Répulsion" de Polanski n'a pu le faire. C'est un
travail de longue haleine.
Cela dit, votre carrière
est tout de même un modèle de longévité.
Vous savez, une carrière se fait et se juge après. J'ai
commis plein d'erreurs. On se trompe souvent, on ne peut pas toujours
préjuger du résultat final d'un film. Mais je reconnais
que je suis une privilégiée dans la durée, et dans
la liberté de mes choix. Et j'ai la chance que des auteurs écrivent
pour moi.
Comment choisissez-vous un rôle
?
En principe, je ne refuse jamais quelque chose qui a été
écrit pour moi, mais j'essaie d'éviter les personnages qui
me paraissent très antipathiques, ou qui ressemblent à ce
que j'ai déjà fait.
Vous pensez être prisonnière
d'une image ?
Disons que les gens manquent beaucoup d'imagination. Les réalisateurs
sont souvent leurs propres auteurs, et ne travaillent pas à plusieurs,
comme en Italie par exemple. Ça limite forcément la création
et les personnages. Bien sûr, il y a des gens que je mets à
part, comme Buñuel. Ses films sont complètement marqués
de sa personnalité, qui imprégnait tout. Mais c'est un cas
particulier. Ses scénarios étaient pourtant très
classiques en apparence, mais la subversion transparaissait tout de même
Devant d'autres scénarios, c'est parfois plus difficile d'imaginer
ce qu'ils donneront à l'écran. Mais c'est une discipline
à laquelle on est rompu et on parvient tout de même à
visualiser, surtout si l'on connaît l'uvre du cinéaste.
Il vous arrive d'intervenir
?
II m'arrive de discuter, mais je respecte la liberté créatrice
de l'autre. Je ne susciterais un réel conflit que si je voyais
qu'on ne respecte pas le projet initial, et que je n'en ai pas été
prévenue.
Vous aimeriez aborder d'autres
disciplines artistiques, la mise en scène par exemple ?
Non. On demande toujours ça aux comédiens. J'aime bien être
un instrument, et tenter de servir au mieux un film.
Que pensez- vous de la place
de la femme à l'écran ?
J'ai l'impression que ça a commencé à évoluer
quand les femmes ont travaillé. Regardez "Julia" : c'est
un des premiers films où les deux rôles principaux sont tenus
par des vedettes féminines. Mais d'une manière générale,
il est indéniable que les rôles de femmes sont souvent moins
intéressants. Cela a toujours été le cas, en France
comme partout. Une fois encore. je m'estime privilégiée
!
Etes-vous proche des mouvements
féministes ?
Je suis tout à fait pour, mais je n'adhérerai jamais à
aucun mouvement. C'est toujours trop extrémiste pour moi. Je dirai
que je suis ce qu'on appelle une sympathisante. D'ailleurs, je me suis
toujours sentie très proche des femmes.
Et un engagement politique ?
C'est un peu pareil... Je ne me battrai pas pour défendre un candidat,
mais pour certaines causes, ou pour le respect des droits, oui !
Vous avez dit récemment
ne pas aimer les photos que l'on publie de vous. Pourquoi ?
Cela rejoint le problème de l'image qu'elles véhiculent.
Je préfère des photos plus naturelles. Je suis toujours
attristée quand je vois que l'on a de moi cette image de femme
froide et sophistiquée. Sans doute au départ cela correspond-il
à quelque chose qui existe dans ma vraie nature, mais il arrive
un moment où ça vous dépasse totalement. Mais je
suis sûrement un peu fautive : étant donné que je
dissimule ma vie privée, je ne facilite pas les choses !
Pourquoi ce mur entre vie professionnelle
et vie privée ?
Parce que je crois que si l'on veut faire rêver, il faut laisser
place à l'imagination des gens. Moi-même, au cinéma,
j'aime être transportée, et je ne le serais sûrement
pas si je connaissais toute t'intimité des acteurs.
Cela vous est-il facile de vous
protéger ?
Oui, parce que de toutes façons, à la base, cela correspond
à ma nature.
Le fait que votre fils, Christian
Vadim, fasse du cinéma ne vous gêne pas ?
Je ne peux pas dire que cela me ravisse, mais il est majeur et il fait
ce qu'il veut. Le problème est qu'il est toujours difficile d'être
le fils de quelqu'un de connu, ça fausse les choses. Mais c'est
sa vie, et je n'influerai pas. Et c'est un domaine que je ne tiens pas
à approfondir, d'autant qu'il n'est pas là pour donner son
avis...
Le théâtre ne vous
tente pas ?
Ah non ! Je n'ai surtout pas envie d'avoir des contacts directs avec le
public. Monter sur scène, dire trois mots me donne déjà
des angoisses, alors là j'aurais un tel trac, je souffrirais terriblement
!
Et la chanson ? Un nouveau disque,
avec ou sans Gainsbourg ?
Ça pourrait difficilement être sans lui, étant donné
que je ne connais personne d'autre dans ce milieu ! C'est drôle,
toutes les actrices ont envie de chanter, c'est comme un prolongement
de la comédie. Mais il n'y en a qu'une qui ait réussi à
mener deux carrières, c'est Jane Birkin.
Pourquoi avoir lancé
votre marque de bijoux ?
Ce n'était pas une envie qui me poursuivait : il s'est trouvé
qu'un ami me l'a proposé et ça m'a amusée de dessiner
les modèles.
Vous avez peur du vieillissement
?
Comme tout le monde. Peut-être plus encore, parce que je fais un
métier public et que les actrices n'ont pas le droit de vieillir
! Mais c'est pareil pour les hommes politiques...
Comment expliquez-vous ce nouvel
engouement des spectateurs pour les stars, comme Valérie Kaprisky
et d'autres ?
C'est un peu tôt pour répondre. C'est quelque chose qui a
été amplement médiatisé. Cela correspond-il
à un réel besoin du public, à un retour au rêve
? Je ne sais pas. L'avenir le dira.
Vous avez des projets ?
Pas de film pour l'instant, mais un livre édité par les
Américains, et qui sera fait sous forme d'interview, avec un journaliste.
Ce ne sera pas du tout une biographie, plutôt une conversation sur
la vie.
La vôtre ?
Surtout celle des autres !
Quel film vous a marquée
?
Je garde un souvenir exceptionnel du "Mariage de Maria Braun"
de Fassbinder, et de beaucoup de films allemands en général,
ceux de Wim Wenders, de Werner Herzog... A côté, notre cinéma
ronronne un peu, on doit être un peu flemmards !
Quel est pour vous le comble
de la séduction ?
C'est quelque chose qui fait tout passer, que l'on subit, sans même
envie ni contraintes.

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