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"Ne plus être désirable, ce serait horrible"

C'est la star des records : de beauté, d'efficacité, de rareté, de discrétion, de durée (elle a débuté en 1959). A cette liste, elle vient d'ajouter le record du nombre des entrées, car elle est la première vedette féminine française à avoir attiré, avec "Le dernier métro", plus d'un million de spectateurs à Paris. Tel son personnage du "Dernier métro" de Marion l'ambiguë, Catherine Deneuve déroute. Elle est tour à tour chaleur et froideur, délicatesse et sécheresse, spontanéité et propos très contrôlés. Livrons-la telle qu'elle apparaît.

Biarritz. 19 heures. Elle tourne "Hôtel des Amériques" d'André Téchiné. Dans la tempête, Catherine a travaillé jusqu'à 6 h 30 ce matin ; elle s'est réveillée à 12 h 30 pour filer se balader. Pas un gramme de poudre ni de Rimmel sur le visage, une paire de lunettes bleues sur le nez, hyper-décontractée, jean et haut de survêtement blanc, talons plats, elle rentre. Pas rapide, assuré, un barda de paquets dans les bras, elle questionne de sa voix posée : "La régie, par là ou par là ? A quelle heure commence-t-on ce soir ?" Elle se remet entre les pinceaux de son maquilleur, entre les ciseaux de son coiffeur. Une heure et demie durant.

Dîner au bistrot. Avec l'équipe. Elle saisit le menu :

Pizza et jambon de Bayonne. Y'en a pour deux plombes. Hé ! Daniel, le type au pull extra, où est-il ? Ah ce pull ! génial ! Je voudrais le copier pour Christian [son fils, 17 ans]. Moi, je ne mange pas. Enfin si, ou je vais avoir froid. En tout cas, pas de pizza.

Elle baisse l'abat-jour de la lampe "plus sympa comme ça". Cigarette, ton détaché :

En effet, je me suis foncé les cheveux. Pour le film uniquement ; je suis une jeune femme qui s'installe en province. Elle ne s'y installe pas vraiment, elle y travaille. Alors, ma couleur blonde habituelle m'a semblée trop claquante pour ce rôle. J'ai recherché un ton plus discret, plus doux. Ce n'est pas la première fois que je me change ainsi. Personne ne s'en souvient. J'ai été rousse, j'avais même adopté un style court pour "Liza", de Marco Ferreri en 1971.

Vous avez du mal, personnellement, à vous adapter à ces nouveaux visages ?

Réponse lapidaire :

Je n'ai aucun mal. Et très peu de mes proches ont remarqué ce détail.

Cette heure et demie de maquillage quotidienne pour vous qui ne restez pas en place, elle vous est pénible ?
Elle ne m'amuse, ni ne m'ennuie. Je bavarde, je rigole, ma loge est ouverte. Je suis habituée, je subis. Bien au début d'un tournage, moins bien à la fin.

Dans la vie, vous vous maquillez ?

Catherine, alors souriante, immenses yeux marron, pétillants :

Chez moi, je n'ai pas le temps. Je cours sans cesse. La vie est si brève, j'en profite au maximum. Avec mes amis, je ne suis jamais sophistiquée. En revanche, pour des photos, je passe trois heures à me préparer. Je fais un effort, même s'il m'en coûte. Je réagis par un automatisme qui correspond à ma nature perfectionniste. Naturelle. Je ne supporte pas la présence d'un reporter. Je n'ai pas suffisamment confiance en moi, sans doute. Et je suis épatée par les comédiens qui posent sans fard aucun.

Ce million d'entrées du "Dernier métro" vous a épatée ?
Je ne m'y attendais pas. Nous sommes montés jusqu'à devenir la plus grosse recette de l'année. J'en suis heureuse. Le succès n'était pas évident. "Le dernier métro" n'est ni une comédie, ni un policier classique. J'estime cet accueil du public rassurant. Pour moi : je n'ai jamais atteint un tel chiffre. Et pour là profession : en période dite de crise, un million de personnes se sont déplacées pour notre entreprise. Elles peuvent donc se mobiliser pour d'autres.

Pourquoi Marion, votre personnage du "Dernier métro", a-t-elle séduit ?
Marion et surtout son contexte ont plu. Les gens se sont sentis concernés par cette époque de l'occupation. Ils ont replongé dans des souvenirs difficiles mais qui leur appartenaient. Puis Depardieu a étonné. Pour la première fois, il se révélait fragile, tendre. Et Marion, oui, cette femme inquiète, guidée par le sentiment viscéral du devoir, se conduit durement par amour pour un homme. Cet être sévère, mystérieux, complexé, est en réalité logique, simple, sans artifices. J'ai été immédiatement emballée par cette dualité, cette composition prodigieuse deTruffaut.

Vous ressemblez à Marion ?
J'ai son côté double. Je suis dure. Je ne triche pas. J'assume mes responsabilités. Je n'ai pas trop d'ambition car, ne vous y trompez pas, si Marion n'aimait pas son mari, elle craquerait, elle lâcherait le théâtre. Je n'ai jamais rien sacrifié à ma carrière. Je ne suis pas assez ambitieuse. Mon travail m'intéresse beaucoup, certes. Je lui ai parfois préféré quelqu'un ou du temps pour moi.

Vous êtes dure ? Sincèrement ?
Je suis exigeante avec mes enfants, mes amis. J'attends beaucoup. En échange je donne. Beaucoup. Du temps déjà, c'est énorme. Dans ma carrière, je suis lucide. Quand je ne me sens pas en harmonie, quand j'ai le cafard, on ne me remonte pas avec des balivernes. Lors de l'arrêt du tournage du "Coup de foudre", de Robert (Enrico, en 1976) j'ai été assommée. J'étais frustrée, agressée, victimée. [Silence]. Ce film écrit par Pascal Jardin ne s'est jamais achevé. Pascal est mort. Son film était beau. Il lui ressemblait.

"Le dernier métro" est arrivé au bon moment pour vous ?
Oui, je n'avais pas joué depuis longtemps. Depuis plus d'un an. Après une absence aussi longue, je devais revenir en force. Mon problème est de durer. Pourquoi, comment dure-t-on ? Je l'ignore. On choisit dans ce qu'on vous propose. Nous sommes en perpétuel état d'attente.

Et les bas, les creux, comment les prenez-vous ?

Catherine saisie, ses pommettes saillantes rosissent :

Mais je n'ai pas de creux. J'ai travaillé à mon rythme. Deux fois par an. J'ai été très gâtée. J'ai débuté presque malgré moi. Des scénaristes, des auteurs m'ont taillé des rôles sur mesure. Jamais je ne me suis angoissée en ruminant : "On ne pense plus à moi". Mon cheminement n'a pas été non plus un conte de fées. A certaines occasions, je me suis masqué la vraie vérité, mes envies, mes aspirations profondes ont été déçues. Les acteurs ne sont pas des purs, pas des champions. Le cinéma est une industrie, je me débrouille, j'opère des compromis. Comme dans ma vie.

De quoi avez-vous envie en ce moment ? D'une autre Marion ?
Non, d'une comédie. Mais je ne rêve pas d'un rôle précis. L'aventure que représente un film, les metteurs en scène m'intéressent plus que des personnages éventuels.

Flash de photographe. Catherine bondit Son voisin-copain, Christian la rassure : "Te mine pas. Un photographe d'ici, sympa".

Vous avez des regrets ?
Pas de regrets, des reproches. On peut toujours s'améliorer, se perfectionner. Dans certaines périodes j'ai manqué d'énergie. Pour certaines scènes, j'étais énervée, je n'ai pas donné mon maximum. Je n'étais pas disponible.

Votre beauté vous a bien aidée !
La beauté, la beauté, une grande injustice. Pour mon goût, le charme est plus touchant que la beauté formelle des traits. Mon visage classique a marqué le public, et m'a servie sur la distance. Mais combien de fois ai-je été traitée de "jolie, blonde et froide". Je l'ai tellement entendu que je ne l'entends même plus. Puis, mon visage m'a bloquée. J'aurais adoré interpréter : "L'Honneur perdu de Katharina Blum". Impossible, je n'aurais pas été crédible. Peut-être un jour... [Hésitation]. Un jour, mon emploi collera à mon...

Subitement, elle farfouille dans son sac-besace, marmonne :

Où sont mes clés de voiture ? Bon d'accord, je les ai oubliées sur la porte.

Vous n'avez pas terminé votre phrase ?

Regard droit, fixe :

Non, je n'en avais pas envie. Ah, voilà ma mozzarella huile d'olive.

Elle parle vite.

Je ne suis pas mon âge.

Elle a trente-huit ans.

Je ne suis pas aussi adulte que je le devrais. Marion est mon rôle le plus mûr. Mon registre jeune femme immature me convient encore très bien. Je n'en suis pas saturée. Je ne suis pas pressée de vieillir ni dans la vie, ni dans mon métier. On aurait beau me répéter que j'ai tort, je ne céderais pas. Je ne respecte que mon instinct, même si je me trompe. Les gens sans cesse raisonnables sont ennuyeux.

Votre avenir professionnel, vous y pensez quand même ?

Catherine enchantée, le fou rire aux bord des lèvres :

Pas du tout J'aviserai selon l'instant. Je suis trop sollicitée par le présent, le passé. Je ne suis pas très prévoyante.

Pourtant, vieillir pour une comédienne admirée pour sa beauté, c'est ardu, non ?

Catherine répond en repliant méticuleusement sa serviette à carreaux rouges et blancs :

Ne plus être désirable est horrible pour n'importe quelle femme. Il est inutile de lutter, de tenter vainement de se soustraire à ce destin. Moi, j'en suis consciente, je le sais, je m'en accommode. J'écarte de plus en plus de photos, ça oui ! Mais en quinze ans, je n'ai pas l'impression d'avoir bougé ni dans ma tête, ni physiquement. D'ailleurs, je ne me vois plus dans ma glace le matin. Si je raffolais des mondanités, je m'en apercevrais dans le regard des autres. Or, je ne sors qu'avec mes proches, mes intimes. Dans leurs yeux, je ne décèle rien que chaleur et tendresse. Je me préserve ainsi. Je compense et c'est une compensation sacrement enrichissante.

Physiquement parlant, vous pourriez vous préserver aussi ?

Elle finit de repasser la serviette de son coude. Ton un brin confident :

Je ne prête aucune attention à ce genre d'artifice. Et au contraire, je ne me ménage pas. Je bénéficie d'une solide santé, j'en abuse. Je ne m'écroule qu'épuisée. Je peux me coucher à l'aube, rien ne m'arrête. La vie, la vie, c'est l'important. Et comme personne n'est là pour me mettre en garde ou m'engueuler, je...

Brusquement elle se lève :

Je me dépêche...

Et s'en va.

 

"J'ai changé"


Par : Marie-Laure Bouly


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