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Ses interviews / Presse 1980-89 / Elle 1981 |
Repères
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C'est la star des records : de beauté, d'efficacité, de rareté, de discrétion, de durée (elle a débuté en 1959). A cette liste, elle vient d'ajouter le record du nombre des entrées, car elle est la première vedette féminine française à avoir attiré, avec "Le dernier métro", plus d'un million de spectateurs à Paris. Tel son personnage du "Dernier métro" de Marion l'ambiguë, Catherine Deneuve déroute. Elle est tour à tour chaleur et froideur, délicatesse et sécheresse, spontanéité et propos très contrôlés. Livrons-la telle qu'elle apparaît. Biarritz. 19 heures. Elle tourne "Hôtel des Amériques" d'André Téchiné. Dans la tempête, Catherine a travaillé jusqu'à 6 h 30 ce matin ; elle s'est réveillée à 12 h 30 pour filer se balader. Pas un gramme de poudre ni de Rimmel sur le visage, une paire de lunettes bleues sur le nez, hyper-décontractée, jean et haut de survêtement blanc, talons plats, elle rentre. Pas rapide, assuré, un barda de paquets dans les bras, elle questionne de sa voix posée : "La régie, par là ou par là ? A quelle heure commence-t-on ce soir ?" Elle se remet entre les pinceaux de son maquilleur, entre les ciseaux de son coiffeur. Une heure et demie durant. Dîner au bistrot. Avec l'équipe. Elle saisit le menu : Pizza et jambon de Bayonne. Y'en a pour deux plombes. Hé ! Daniel, le type au pull extra, où est-il ? Ah ce pull ! génial ! Je voudrais le copier pour Christian [son fils, 17 ans]. Moi, je ne mange pas. Enfin si, ou je vais avoir froid. En tout cas, pas de pizza. Elle baisse l'abat-jour de la lampe "plus sympa comme ça". Cigarette, ton détaché : En effet, je me suis foncé les cheveux. Pour le film uniquement ; je suis une jeune femme qui s'installe en province. Elle ne s'y installe pas vraiment, elle y travaille. Alors, ma couleur blonde habituelle m'a semblée trop claquante pour ce rôle. J'ai recherché un ton plus discret, plus doux. Ce n'est pas la première fois que je me change ainsi. Personne ne s'en souvient. J'ai été rousse, j'avais même adopté un style court pour "Liza", de Marco Ferreri en 1971. Vous avez du mal, personnellement, à vous adapter à ces nouveaux visages ? Réponse lapidaire : Je n'ai aucun mal. Et très peu de mes proches ont remarqué ce détail. Cette heure et demie de maquillage
quotidienne pour vous qui ne restez pas en place, elle vous est pénible
? Dans la vie, vous vous maquillez ? Catherine, alors souriante, immenses yeux marron, pétillants : Chez moi, je n'ai pas le temps. Je cours sans cesse. La vie est si brève, j'en profite au maximum. Avec mes amis, je ne suis jamais sophistiquée. En revanche, pour des photos, je passe trois heures à me préparer. Je fais un effort, même s'il m'en coûte. Je réagis par un automatisme qui correspond à ma nature perfectionniste. Naturelle. Je ne supporte pas la présence d'un reporter. Je n'ai pas suffisamment confiance en moi, sans doute. Et je suis épatée par les comédiens qui posent sans fard aucun. Ce million d'entrées
du "Dernier métro" vous a épatée ? Pourquoi Marion, votre personnage
du "Dernier métro", a-t-elle séduit ? Vous ressemblez à Marion
? Vous êtes dure ? Sincèrement
? "Le dernier métro"
est arrivé au bon moment pour vous ? Et les bas, les creux, comment
les prenez-vous ? Mais je n'ai pas de creux. J'ai travaillé à mon rythme. Deux fois par an. J'ai été très gâtée. J'ai débuté presque malgré moi. Des scénaristes, des auteurs m'ont taillé des rôles sur mesure. Jamais je ne me suis angoissée en ruminant : "On ne pense plus à moi". Mon cheminement n'a pas été non plus un conte de fées. A certaines occasions, je me suis masqué la vraie vérité, mes envies, mes aspirations profondes ont été déçues. Les acteurs ne sont pas des purs, pas des champions. Le cinéma est une industrie, je me débrouille, j'opère des compromis. Comme dans ma vie. De quoi avez-vous envie en ce
moment ? D'une autre Marion ? Flash de photographe. Catherine bondit Son voisin-copain, Christian la rassure : "Te mine pas. Un photographe d'ici, sympa". Vous avez des regrets ? Votre beauté vous a bien
aidée ! Subitement, elle farfouille dans son sac-besace, marmonne : Où sont mes clés de voiture ? Bon d'accord, je les ai oubliées sur la porte. Vous n'avez pas terminé votre phrase ? Regard droit, fixe : Non, je n'en avais pas envie. Ah, voilà ma mozzarella huile d'olive. Elle parle vite. Je ne suis pas mon âge. Elle a trente-huit ans. Je ne suis pas aussi adulte que je le devrais. Marion est mon rôle le plus mûr. Mon registre jeune femme immature me convient encore très bien. Je n'en suis pas saturée. Je ne suis pas pressée de vieillir ni dans la vie, ni dans mon métier. On aurait beau me répéter que j'ai tort, je ne céderais pas. Je ne respecte que mon instinct, même si je me trompe. Les gens sans cesse raisonnables sont ennuyeux. Votre avenir professionnel, vous y pensez quand même ? Catherine enchantée, le fou rire aux bord des lèvres : Pas du tout J'aviserai selon l'instant. Je suis trop sollicitée par le présent, le passé. Je ne suis pas très prévoyante. Pourtant, vieillir pour une comédienne admirée pour sa beauté, c'est ardu, non ? Catherine répond en repliant méticuleusement sa serviette à carreaux rouges et blancs : Ne plus être désirable est horrible pour n'importe quelle femme. Il est inutile de lutter, de tenter vainement de se soustraire à ce destin. Moi, j'en suis consciente, je le sais, je m'en accommode. J'écarte de plus en plus de photos, ça oui ! Mais en quinze ans, je n'ai pas l'impression d'avoir bougé ni dans ma tête, ni physiquement. D'ailleurs, je ne me vois plus dans ma glace le matin. Si je raffolais des mondanités, je m'en apercevrais dans le regard des autres. Or, je ne sors qu'avec mes proches, mes intimes. Dans leurs yeux, je ne décèle rien que chaleur et tendresse. Je me préserve ainsi. Je compense et c'est une compensation sacrement enrichissante. Physiquement parlant, vous pourriez vous préserver aussi ? Elle finit de repasser la serviette de son coude. Ton un brin confident : Je ne prête aucune attention à ce genre d'artifice. Et au contraire, je ne me ménage pas. Je bénéficie d'une solide santé, j'en abuse. Je ne m'écroule qu'épuisée. Je peux me coucher à l'aube, rien ne m'arrête. La vie, la vie, c'est l'important. Et comme personne n'est là pour me mettre en garde ou m'engueuler, je... Brusquement elle se lève : Je me dépêche... Et s'en va.
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