Ses interviews / Presse 1980-89 / Elle 1984
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Catherine Deneuve par Christine Ockrent

Moi, ce qui m'intéresse chez vous, parce que le trouve que c'est très rare - surtout chez les acteurs -, c'est ce sens de la retenue que l'on ressent en vous voyant jouer un rôle, et ça c'est à la fois votre métier, votre talent et votre tonne de talent, mais c'est aussi la retenue dans votre personnage qui est, que vous le vouliez ou non, un personnage public. Et là, on sent un très grand souci de le maîtriser : vous n'avez pas envie qu'il vous échappe, qu'il soit partout.
J'aime le secret. J'aime l'idée des choses cachées. J'aime l'idée de pouvoir tout donner à quelques personnes qui me sont chères et je ne peux pas concevoir de donner des bribes à plein de gens. Moi, j'ai l'impression qu'on a un potentiel qui peut s'user très vite. C'est vrai que je n'ai pas envie de donner une image différente de celle que les gens imaginent, ni une image fausse. De toute façon, de caractère, et dans la vie, je suis quelqu'un de très réservé. Je n'aime pas l'idée d'une image morcelée. Je n'aime pas l'idée des impressions, des jugements sur les impressions. Mais je ne maîtrise pas très bien tout ça. C'est une volonté, mais ce n'est pas toujours...

Oh ! vous le maîtrisez pas mal, vu de l'extérieur.
Oui, vu de l'extérieur, sûrement. Mais, en réalité, je le vis moins bien, tout ce que je vous dis là est profondément sincère mais ce sont plutôt des souhaits. Je n'arrive pas toujours à maintenir un équilibre.

Alors, comment essayez-vous de garder la maîtrise de votre image ?
Je ne vois que mes amis. J'ai donc des relations tout à fait normales et naturelles, avec des gens que je connais depuis très longtemps, que je vois très régulièrement et qui font partie de ma famille affective.

Et vos amis, ce ne sont pas les copains ? Ce n'est pas ce système bien parisien... du copinage : "Allez, coco, je te renvoie l'ascenseur" ? Vous semblez très étrangère à tout ça.
Je n'ai pas vraiment de copains. D'abord, je ne vis pas en groupe et ensuite je ne fréquente pas tellement de gens de cinéma pour des raisons...

... De goût ?
Pour des raisons de goût, peut-être. Et parce que le cinéma est très important pour moi et ce n'est pas une chose sur laquelle j'ai envie de bavarder.

Mais c'est peut-être aussi parce que ce sont des gens qui ne vous intéressent pas ?
C'est possible, oui. Je n'ai pas une passion pour les acteurs en général, disons pour les gens de cinéma. Je vis déjà beaucoup avec eux. Et moi, j'ai vraiment besoin de vivre d'autres choses qui m'intéressent, qui sont peut-être plus anodines mais très importantes à mon équilibre. Et les gens que je vois, je les vois depuis très, très longtemps.

Vous avez été vedette à vingt ans.
Oui. Heureusement ! Heureusement !

Vedette à 20 ans, il y a vingt ans, cela veut dire aussi une longévité rare et d'autant plus rare qu'on ne sent pas du tout cette frénésie à nourrir le phénomène.
Etre vedette jeune, c'est une chance formidable. La notion d'ambition est tout à fait décalée. Quand on réussit très jeune, on ne peut pas dire qu'on l'a voulu, qu'on l'a souhaité. La notion de rivalité n'existe plus parce qu'on a la chance d'avoir plus vite des propositions. Donc il n'y a pas de lutte. Moi je ne sais pas ce que c'est la rivalité.

Les rapports de forces, ce n'est pas votre exercice favori.
Déjà avec une femme, ça ne m'intéresse pas, mais avec les actrices, encore moins.

Et dans la vie ?
Je déteste les rapports de forces, je déteste ça.

Pour les éviter que fait-on ? On prend les jambes à son cou ?
Non. Aujourd'hui j'ai envie de rassurer, de donner une image beaucoup plus apaisante. En même temps je sens bien que je vais toujours dans le sens de simplifier, simplifier, simplifier.

Et de maîtriser, maîtriser, maîtriser ?
D'essayer en tout cas. D'essayer.

Le temps, la notion du temps vous préoccupe ?
Beaucoup, oui, beaucoup.

Parce qu'il file ou parce qu'il faut essayer de le rentabiliser ?
Non, parce que je vis très mal le manque de temps. Je suis toujours frappée de voir à quel point les hommes, les hommes qui travaillent, ont l'air beaucoup plus disponibles et concentrés à la fois dans leur travail et dans leur vie. C'est un des seuls avantages que je leur connaisse, celui d'être entièrement libérés de tout le quotidien de la vie. Et c'est un énorme avantage pour faire ce dont on a envie.

Est-ce que vous êtes capable de vous dire : "Tiens, dans huit ans et demi..." ?
Ah non ! D'abord je ne pense pas tellement au passé et pratiquement pas du tout à l'avenir. Pour moi, le temps c'est maintenant, dans la journée, dans les jours qui viennent. Et ce qui m'angoisse c'est cette difficulté que j'ai de plus en plus à accepter d'arriver à faire plusieurs choses dans la journée, chacune à son tour. Je suis toujours debout, toujours en train de marcher ou de courir. J'ai beaucoup de mal à rester immobile.

Et cela rassure ?
Non. C'est comme un mouvement perpétuel, par moments, c'est presque une envie de se fatiguer physiquement aussi. Comme je suis très nerveuse, c'est une façon de casser la mécanique, un peu. Et de me faire céder. De plier.

De tester l'animal ?
Ah oui, alors là, je ne supporte pas que l'organisme me laisse tomber. C'est ce qui m'ennuie d'ailleurs dans l'idée de vieillir, cette idée de ne plus avoir le corps qui suive, qui ne réponde plus tout le temps avec la même énergie.

Mais le temps, c'est vieillir...
Oui. Et voilà, c'est ça qui me plaît beaucoup moins. Cette dégradation de tout, du corps, de la tête, c'est quand même d'une injustice épouvantable !

Et qu'est-ce qui rassure par rapport à tout ça ? Les fleurs ?
Oui. La nature est très importante pour moi. Pas les fleurs, mais la nature.

Parce que ça refleurit et ça rebourgeonne ?
Non, surtout parce qu'elle s'embellit en vieillissant. C'est pour cette raison que j'aime les arbres d'ailleurs. Pas les fleurs, les fleurs se fanent. Mais les arbres, c'est le contraire de nous : plus ça vieillit, plus c'est beau. La maturité va avec un embellissement.

La mort de votre sœur, iI y a dix-sept ans delà, vous a fait prendre conscience de façon plus aiguë du temps ?
Oui. Tout à fait. C'est vrai... La notion de temps m'a paru vraiment une chose très importante à partir de ce moment-là. D'abord, c'est le premier vrai grand chagrin que j'ai éprouvé et sa mort m'a donné un sentiment d'urgence par rapport au temps et surtout par rapport aux gens. Il m'a semblé qu'on n'aimerait jamais assez, qu'on n'aimait jamais assez les gens qu'on aimait. Il n'y a pas plus important pour moi. Mon métier, ma vie de travail, tout ça, c'est très important, mais ça ne m'équilibre pas suffisamment, ce n'est pas une chose qui m'apporte une satisfaction profonde. Mais c'est vrai que la présence des gens que j'aime m'a semblé beaucoup plus importante après sa mort. Ça passe vraiment par l'idée de se voir. De se voir. De se parler. De se voir physiquement. Mes enfants, mes amis, je leur consacre un temps énorme.

Vous êtes profonde et en même temps on sent chez vous comme une ironie.
Ironie très grande sur les gens et sur la vie, c'est vrai.

C'est une force d'être ironique ?
Pour moi, oui.

Mais c'est une solitude aussi ?
C'est une forme de solitude que j'accepte de vivre volontiers car elle a des avantages. D'abord, on ne peut pas se prendre au sérieux, ce qui est très important dans la vie.

Et puis, ça fait gagner beaucoup de temps.
Quand je rencontre des gens qui m'intéressent, j'ai envie de leur dire : "Ne perdons pas de temps, pas de chichis, pas de présentations, pas de numéros" et par moments, les gens qui m'intéressent, je peux même les dérouter parce que je peux aller... très vite. Moi qui suis très réservée, je peux . être directe, très directe. Je n'aime pas passer par les états progressifs de l'intimité. Je ne suis pas du tout sensible à toutes les formes de ce qu'on est supposé faire. Tout ce qui est respect, tout ce qui est notion de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, j'y suis tout à fait insensible.

La vie d'un acteur, c'est aussi une sorte d'hémorragie, de ponction qui s'exerce sur vous et qui s'Interrompt brutalement à la fln d'un tournage... Ça doit être tuant, non ?
Oui, mais moi, justement, je ne veux pas le voir comme une hémorragie, mais comme une opération où l'on fait sans arrêt des garrots. Sinon les acteurs auraient tendance à être complètement exsangues. Certains sont complètement bouffés, usés. Ce n'est pas seulement le travail, c'est de ne pas arriver à faire la part des choses et de continuer cet engrenage en dehors des périodes de travail. Alors le sang continue de partir comme ça... Il faut accepter de faire des choses avec une certaine lucidité et un certain recul, sinon je pense qu'on est dévoré complètement.

Et alors comment fait-on pour se reconstituer le sang ?
Moi, j'ai un goût pour la solitude assez prononcé.

On vampirise aussi les autres, ou pas ?
Je crois que je vampirise pas mal les autres, mais je ne le vis pas tout à fait comme ça. Je le vois plus comme des transfusions. Ça marche dans les deux sens. Je prends beaucoup aux gens que j'aime et qui m'intéressent, mais je pense que je leur donne aussi pas mal. Avoir des enfants m'a beaucoup aidée parce que c'est une réalité quotidienne qui vous oblige à faire ce qu'on n'a pas toujours envie de faire, mais qui vous entraîne dans un cycle et dans un rythme de vie beaucoup plus terre à terre.

Et ce sont des entants que vous avez voulus pour ça en partie ?
Voulus, oui, mais pas du tout pour ça. Mais c'est comme cela que je l'ai vécu. J'avais un besoin, une envie d'enfant absolument incroyable, très jeune... J'avais envie d'avoir un enfant, oui, quand j'avais dix-huit ans.

Et vous en feriez un autre ?
Eventuellement, oui, mais aujourd'hui je regrette d'avoir eu un fils aussi jeune. D'abord parce que je crois que je n'ai pas été une très bonne mère quand j'étais jeune, en tout cas pas la mère que j'aurais aimé être. Et ensuite parce qu'il y a une époque que je n'ai pas connue dans ma vie, la période entre l'adolescence et la maternité.

Ce sont des enfants sans mari aussi ? C'est spécial, ça.
Oui. Ce n'est pas une décision.

Et vous vous êtes mariée une fois, une seule fois ?
Une fois, oui. Et je n'ai pas eu d'enfant avec mon mari. Mais avoir des enfants sans se marier, je ne me rendais pas compte à quel point ça pouvait être choquant. Pour moi, c'était tellement évident. Maintenant on a l'impression, parfois, pour certaines femmes, que faire des enfants seule est une façon d'affirmer une indépendance à peine conquise. Ça, ça me choque énormément. Je trouve que c'est vraiment une perversion de la liberté. Je trouve ça terrible.

Parce que l'enfant, c'est quand même l'enfant d'un monsieur.
C'est vrai que j'ai toujours eu envie d'avoir un enfant avec un homme que j'aimais ou, en tout cas, un enfant de cet homme mais, au départ, je pensais qu'on vivrait ensemble et je pensais que c'était pour toujours.

L'institution du mariage, non plus, ne vous a jamais obsédée ?
Non, je ne suis pas obsédée par le mariage, mais je ne suis pas contre. En revanche, envisager d'avoir un enfant seule me semble une déformation. Faire un enfant pour soi, concevoir un enfant qui ne connaîtra jamais son père, c'est lui donner peu de chances d'avoir une vie équilibrée. Moi qui ai déjà eu des enfants que j'élève seule, qui connaissent leur père mais avec lequel ils ne vivent pas, ça pose malgré tout des problèmes. Pas à moi, mais à eux, j'en suis sûre.

En fait, les enfants, la famille sont les racines.
Oui. Mes amis aussi ce sont vraiment des racines.

Et c'est donc le jardin secret ?
Oui, oui, oui.

Et ce serait plutôt une serre ou un jardin anglais ?
C'est plutôt un jardin anglais, donc très mélangé. J'aime vraiment la nature. Moins les serres. Ce qui est mis sous verre, c'est un peu comme ce qui est mis sous cloche, ce sont des choses en danger ou fragiles, qui poussent dans des conditions un peu artificielles. Je n'ai pas de collection d'orchidées. Je préfère les vrais parcs, les arbres.

Pas les petites plantes fragiles, qu'il faut couver...
Je fais des choses terribles. Je continue à chercher des plantes à l'étranger, qui sont à la limite de la résistance dans la région parisienne, et j'essaie. Il y a des plantes qu'on arrive à acclimater.

Et avec les gens, vous faites pareil ?
Là, franchement, je ne fais absolument aucun point de comparaison. Je pense qu'il faut que ça passe ou que ça casse.

Et que ça croisse ?
Et que ça croisse, oui. Je ne suis pas pour les rafistolages, pour les pansements. Je suis pour essayer de faire en sorte que ça marche, et si ça ne marche pas, je suis alors tout à fait contre les arrangements. Mais c'est peut-être aussi parce que j'en ai eu les moyens. Quand on réussit, il est plus facile d'avoir le courage de ses goûts. Je ne sais pas si j'aurais pensé de la même façon en étant une femme vraiment seule, qui ne travaille pas ou qui n'a pas une assurance de ressources. Pour une femme, la liberté matérielle c'est une grande liberté, qui ouvre beaucoup l'esprit.

Dans cette liberté, pour vous, il n'y a pas que l'argent, iI y a aussi l'autorité que donnent le succès, la carrière. C'est une forme de pouvoir ?
Pouvoir être libre de choisir, de dire non, de savoir, même en disant non, que tout ne se ferme pas, que vous ne risquez pas grand-chose, et en tout cas, pas de vous retrouver sans travail, c'est une forme de pouvoir.

Pourriez-vous vous arrêter brutalement, comme Louise Brooks, par exemple ?
Non. Si j'écrivais comme Louise Brooks, peut-être. Et encore... Non, je ne pourrais absolument pas m'arrêter. Et, en plus, je n'en ai pas les moyens.

Vous pourriez trouver un homme riche !
Généralement, les gens d'argent ne m'intéressent pas tellement. Peut-être parce que je n'ai jamais rencontré de riches héritiers non plus, plutôt des gens dont le métier est de faire de l'argent. Et là il y a quelque chose qui ne me correspond pas.

Et les hommes, vous préférez les choisir ?
Mais je choisis, j'ai la prétention de choisir presque tout ce qui est dans mon entourage. Etre dans un endroit avec des gens avec lesquels je n'ai pas envie d'être et où je me sentirais donc forcément isolée, ça pour moi, c'est une prison.

Psychologiquement, vous pensez que c'est toujours aussi difficile pour un homme aujourd'hui de vivre avec le genre de femme que vous incarnez, la femme libérée, épanouie, indépendante ?
Ça dépend des hommes. Pas pour les hommes qui m'intéressent, mais en général pour les hommes qui ne connaissent pas beaucoup de femmes comme moi, oui, je pense que c'est difficile. Les hommes sont toujours déroutés d'avoir affaire à des femmes qui sont simples et directes. Très directes.

Les femmes ont-elles plus le sens de la dérision que les hommes ?
Oui, parce qu'elles sont confrontées, par leur état et par leur situation, à un quotidien qui les ramène tout le temps à des choses réalistes. Alors qu'un homme peut être maintenu dans une irréalité professionnelle qui entretient des relations fausses avec la vie et avec les gens. Il y a des femmes qui ont envie de pouvoir, et je ne pense pas que ce soit une chose négative, mais dû fait qu'elles ont des relations beaucoup plus réelles avec les êtres, les enfants et la vie tout court, les femmes sont beaucoup plus protégées. Oui, je trouve les femmes plus harmonieuses.

Vous aimez les hommes intelligents ?
Oui, mais pas seulement. Je suis très sensible à la gentillesse chez les êtres en général et donc chez les hommes en particulier.

Qu'est-ce qui vous épate chez les gens ?
Le talent - pas la réussite, mais le talent - m'épate. L'imagination. Le charme. La grâce.

Truffaut, c'était un peu tout cela ?
C'était quelqu'un d'intelligent... qui avait beaucoup de talent. Oh oui, c'était vraiment quelqu'un de très très exceptionnel, non seulement par son talent, mais aussi parce qu'il avait réussi à vivre comme il en avait envie. Il a très bien su se protéger tout en étant extrêmement respectueux des autres. Il avait une vie très secrète. Pas solitaire, mais très secrète. C'était quelqu'un qui voyait des gens, mais individuellement. Moi je ne le comprends pas tout à fait, mais ça demande une grande force de caractère et une grande rigueur.

La rigueur, c'est quoi ? C'est de ne jamais changer d'avis ?
Oh non ! On a le droit de changer d'avis. La rigueur c'est de ne pas faire ce qu'on ne veut pas faire. Elle vous permet d'avancer avec une certaine direction, sans avoir trop d'à-coups à droite, à gauche - toujours cette notion de temps - d'arriver plus vite, plus loin. La rigueur c'est de ne pas céder... à des pressions. Au charme... A la facilité.

Même au charme ?
Ah oui, surtout !


Par : Christine Ockrent


Film associé : Le bon plaisir



Documents associés