|
"Je ne suis pas une dame glacée" |
|
Dans "Le bon plaisir", un film de Francis Girod,
elle a pour partenaire le Président de la République. Pourtant
les pouvoir et les gens qui l'exercent ne l'intéressent pas.
C'est la première fois
que vous avez comme partenaire le président de la République
?
Oui
Enfin je crois. C'est plutôt rare ce genre d'histoires,
non ? Evidemment, j'ai eu parfois des princes commes partenaires, "Mayerling",
"Peau d'âne". Mais avec les princes, il y a toujours un
côté conte de fées. On ne peut s'identifier que difficilement.
En revanche, dans "Le bon plaisir", je suis une femme qui travaille,
qui élève son enfant toute seule, etc. D'ailleurs, mon rôle
n'est absolument pas celui d'un personnage politique. Si je rencontre
le Président et le Premier Ministre, ce n'est qu'un hasard de la
vie.
Le fait que le film se passe
dans les milieux du pouvoir, ça vous a amusée ?
Bien sûr. Si c'était l'histoire d'un PDG anonyme qui retrouve
son ancienne petite amie, ce serait moins rigolo. Cela dit, le film est
très discret. On ne dit pas de choses gênantes. Je n'aurais
pas aimé ça du tout et même, je ne l'aurais sûrement
pas accepté.
Françoise Giroud vous
a donné les clés de son livre ? Le Président, c'est
Pompidou, Giscard ou Mitterrand ? Ou encore un peu les trois à
la fois ?
Je ne sais pas. D'ailleurs, ça ne m'intéresse pas. Pour
moi, c'est d'abord très fictif. Il n'y a rien de guindé.
Ce sont des personnages qui ne sont pas en représentation.
Les gens du pouvoir vous intéressent
?
Pas du tout.
Et l'exercice du pouvoir ?
Non, pas du tout.
Mais un remaniement ministériel,
par exemple, ça vous arrête ?
Disons que je lis l'article dans les journaux. Je suis l'actualité.
Je m'intéresse un peu à la politique, mais pas d'une façon
profonde. J'ai du mal d'ailleurs à croire ce que je lis dans ce
domaine. Comme tout le monde, je suis frappée par les contradictions
entre le langage et l'action. Ça me gêne. L'exercice du pouvoir
? Décidément non ! Tant qu'à faire je préférerais
être journaliste politique, analyser l'action. Mais l'exercice de
la politique, ça doit être terriblement difficile. Comment
pouvoir arriver à concilier la sincérité et l'ambition
?
Vous ne pensez pas qu'il y a
une similitude entre le jeu de l'homme politique et celui de l'acteur
?
Non, heureusement. Parce que nous, quand on joue, on s'amuse toujours
un peu. Les hommes politiques, eux, ne s'amusent pas. Enfin, j'espère,
qu'ils ne s'amusent pas. Bien sûr, avec la télé, ils
doivent faire attention à leur physique, à leur voix, à
leur charme, c'est la seule ressemblance.
Comme les acteurs, les hommes
politiques doivent exercer une séduction ?
Mais tout le monde veut séduire ou être séduit. C'est
dans la nature de l'être humain, non ?
"Le bon plaisir",
c'est votre trentième, votre quarantième film ?
Je ne sais pas. Je ne sais pas combien j'ai tourné de films. Je
ne connais que mon âge.
Quand vous vous retournez sur
votre carrière...
Je ne me retourne jamais sur ma carrière. Une carrière,
c'est comme un bilan : on ne parle que des choses passées, sur
lesquelles on ne peut plus agir. Le présent et l'avenir m'intéressent
davantage. Je n'ai pas envie de faire le point, j'aurais l'impression
de ne parler que de choses négatives.
Vous regardez parfois vos anciens
films ?
Non. J'en ai beaucoup en cassettes, mais je ne les regarde pratiquement
jamais. Je n'aime pas me voir au cinéma. Pourtant, paradoxalement,
je vais toujours aux rushes. Ça m'aide à construire mon
travail. Là, je me regarde comme je regarderais quelqu'un d'autre
: c'est un dédoublement authentique. Et puis, je suis toujours
insatisfaite de moi, sauf peut-être dans "Le dernier métro"...
Il y a un film, ou des films,
que vous aimeriez refaire ?
Disons plutôt qu'il y a des scènes. J'aimerais refaire, par
exemple, certaines scènes de "Tristana" et de "La
sirène du Mississippi".
Un film pour vous, c'est un
lot de souvenirs ?
Oui. Ce sont des lieux, des rencontres, des époques, des saisons,
des images.
Vous rêvez quelquefois
de vos films ?
Jamais. Je ne rêve jamais à des choses professionnelles.
Je fais tout pour m'en empêcher d'ailleurs. Il y a dans ma tête
comme un déclic qui provoque ce refus, peut-être.
Est-ce qu'il y a un lien entre
tous ces films ?
Sûrement. D'ailleurs, j'ai l'impression, lorsqu'on me pose des questions,
que les réponses, en fait, sont dans mes films, que je n'ai rien
à ajouter. Je dois avoir tourné plus de quarante films -
vous voyez, je sais tout de même approximativement leur nombre -
alors il est impossible, si on les regarde, de ne pas avoir une idée
de ce que je suis réellement. En tout cas, du point de vue de mon
comportement. La vérité doit correspondre fatalement à
mon profil, non ? Regardez, dans un film, on remarque tout de suite parmi
les acteurs le névrosé et le paisible.
Quand on vous propose un film,
"Le bon plaisir " ou n'importe quoi...
...Non, pas n'importe quoi ! (rires). C'est vrai qu'on me propose parfois
n'importe quoi... Donc quand on me propose un film ?
Est-ce que vous essayez de trouver
un lien entre le scénario et ce que vous avez tourné auparavant
?
Surtout pas ! Si je trouve un lien, ça m'arrêterait plutôt.
Je crains toujours de ne pas être assez différente de moi-même.
D'ailleurs, on me reproche souvent d'avoir la même allure, la même
tête. Vous savez, la dame glacée, lointaine. Mais la différence,
c'est autre chose que l'apparence. Tenez, il y a une actrice qui m'intéresse
énormément, c'est Hanna Schygulla. De film en film, elle
est en perpétuelle transformation. C'est ça, pour moi, une
grande actrice. Elle m'a complètement étonnée dans
le film de Ferreri "Histoire de Piera". Et c'est rare que je
sois étonnée par les acteurs bien que je les aime beaucoup.
Je me suis identifiée à elle et je me suis demandé
: Est-ce que j'aurais eu autant de recul, de maîtrise qu'elle devant
cette espèce de folie ? Je lui ai trouvé une profonde sensibilité,
spectaculaire et subtile.
Lorsque vous allez au cinéma,
vous vous laissez entraîner par l'histoire ou vous regardez d'abord
ce que font vos petits camarades, les acteurs ?
Comme tout le monde, je fais les deux. Et si le film est réussi,
j'oublie que ce sont des acteurs qui jouent.
Vous allez beaucoup au cinéma
?
Oui, mais en salle. Je n'aime pas beaucoup les projections privées.
Vous y allez l'après-midi
?
Oui, mais j'ai du mal à y aller. J'ai l'impression que c'est une
récréation, ou bien que je fais l'école buissonnière.
Si vous passez devant un cinéma
qui projette un de vos films, vous entrez ?
Non, jamais.
Et si un de vos films est diffusé
à la télévision ?
Je change de chaîne.
Le fait de voir les autres vous
regarder, est-ce que ça vous ennuie ?
Ça me dérange beaucoup. Je sais que c'est en contradiction
avec mon métier, mais un regard posé sur moi me gêne.
C'est sans doute pour ça d'ailleurs que je ne veux pas faire de
théâtre. Il y a un malentendu dans ma carrière. Tenez,
dans "Le dernier métro", j'ai dû jouer sur scène.
Le public, c'étaient des figurants, d'accord, mais c'était
un public quand même. J'étais très malheureuse, très
gênée. Tous les acteurs que je connais, et qui font du théâtre,
me disent que c'est un moment extraordinaire et merveilleux, en dépit
du trac, quand ils montent sur scène. Moi, ça me semble
une chose impossible, surhumaine. Je suis masochiste, mais pas à
ce point-là.
Tous les acteurs sont un peu
masochistes, non ?
Mais tout le monde est masochiste ! (rires). Ça fait partie de
notre marmite qui bout, là !
Alors tout le monde est un peu
acteur ?
Bien sûr.
Quand vous arrivez sur un plateau,
vous êtes intimidée par les autres acteurs ?
Non, je suis plus intimidée par les techniciens.
Les techniciens, vous les regardez
comme ça, du coin de l'il ?
Ah, non ! Directement. Droit dans les yeux.
Vous fréquentez des acteurs
dans votre vie privée ?
Non. Pas beaucoup, en tout cas. D'abord, je travaille moins qu'on ne le
croit. Je fais, au plus, deux films par an. Il y a donc, dans ma vie,
des tas de choses qui ne sont pas celles de mon métier. J'ai des
amis, la plupart sont des anciens amis, qui n'ont rien à voir avec
le cinéma, enfin avec le côté de la caméra
où j'évolue d'habitude. Quand ils me parlent, ils ne s'adressent
pas forcément à l'actrice. Je n'ai pas envie d'être
une actrice 24 heures sur 24.
Quand on vous reconnaît
dans la rue, ça vous ennuie ?
Non, non, pas vraiment.
Alors, ça vous fait plaisir
?
C'est mitigé. En général, les gens sont gentils,
pas agressifs, ce qui fait plutôt plaisir et ça va contre
la fameuse légende : hautaine et glacée, etc. Les femmes
m'aiment bien, je crois.
Elles vous considèrent
comme leur modèle ?
Les acteurs sont toujours un peu des modèles pour certaines personnes,
non ?
Vous aimeriez avoir un "fan
club ?"
Pas du tout. Ça flatte le côté dérisoire. Non
pas que je veuille qu'on me prenne au sérieux, non, mais, je n'aime
pas le bluff. Qu'on s'identifie, comme ça, dans sa tête,
dans son imagination, c'est fatal, mais il ne faut surtout pas soutenir
ce genre de choses. L'illusion, le rêve, c'est bien, mais il ne
faut pas se laisser prendre au piège.
Si quelqu'un vous sourit dans
la rue, vous restez indifférente ou non ?
Mais non. Si on me sourit, je souris à mon tour. Et si on me parle,
je réponds.
Il vous arrive de vous déguiser
pour éviter d'être reconnue ?
Non. D'ailleurs, c'est inutile. Les gens, vous savez, ils vous reconnaissent
toujours, partout. On peut être emmitouflée, pas maquillée,
avec des lunettes, et ils vous reconnaissent quand même. C'est fou
comme les gens sont physionomistes.
En somme, ils vous connaissent
par cur ?
C'est ça. Par cur. C'est un peu effrayant. Mais, l'imagination
des autres, c'est un pouvoir sur lequel on ne peut rien.

|
|