Ses interviews / Presse 1980-89 / Source inconnue 1983
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Deneuve "la" star

L'héroïne de "L'Africain" en est à son 50ème film : vingt ans de carrière et un parcours sans faute.

1983 sera l'année Catherine Deneuve : la star féminine numéro un du cinéma français s'apprête à présider la Nuit des Césars, succédant à Jean Gabin, Lino Ventura, Yves Montand, Orson Welles… "L'Africain", de Philippe de Broca, avec Philippe Noiret sort mercredi à Paris, tandis qu'à Londres sort "The hunger" ["Les prédateurs"], qu'elle vient de tourner en Angleterre avec David Bowie. "Le dernier métro", de François Truffaut, qui valut à Catherine Deneuve le César de la meilleure actrice en 1980, ressort sur les écrans de Londres et de Paris. Bref, l'année démarre sur grand écran pour Mme la Présidente, qui avoue : "Je suis comédienne parce que j'aime ça, bien sûr, mais aussi parce que je ne me sens pas capable de faire autre chose".

Assise au piano, dans un contre-jour de fin d'automne, une femme élégante, tailleur noir et chevelure blonde relevée en chignon, joue quelque chose de mélancolique, comme son regard. C'est Catherine Deneuve dans "The hunger" ["Les prédateurs"] de Tony Scott, un film qui sort en Grande-Bretagne, et plus tard en France, bien après "L'Africain". Debout derrière la femme au piano, il y a une autre femme, en short et tee-shirt. C'est Susan Sarandon ("Tempest", de Paul Mazursky). Elle demande : "Est-ce que, par hasard, tu serais en train de me draguer ?"... "Pas à ma connaissance", répond la première, avant de quitter son piano. La musique - une autre musique - continue, très belle. C'est comme un ballet étrange et sensuel. Les deux femmes se croisent et s'observent, se rencontrent dans la lumière morte... La blonde pose un doigt sur le cou de la brune, suit la ligne de l'épaule et descend jusqu'à l'échancrure du tee-shirt. Leurs lèvres se rapprochent...

Ce rôle - où elle affronte aussi la beauté dangereuse de David Bowie - c'est le cinquantième de Catherine Deneuve, pour le vingtième anniversaire de sa carrière.

C'est un film sur le vieillissement, dit-elle, l'histoire d'une femme qui a vécu mille ans. C'est un film très étrange, mais ce n'est pas un film d'horreur ; c'est très sensuel et très beau. Je n'aime pas la nudité à l'écran ; les acteurs cessent d'être des acteurs pour redevenir des gens comme tout le monde. D'ailleurs, pour moi, le seul metteur en scène érotique au cinéma, c'est Bergman ; il n'y a que dans ses films que l'image d'une femme nue arrive à m'émouvoir.

Londres. Devant l'entrée du National Film Theatre, les gens font la queue pour assister à l'enregistrement d'une émission consacrée à Catherine Deneuve, "French movie star". Son arrivée ressemble d'ailleurs à un mini-festival de Cannes de la grande époque : Daimler grise interminable, veste rouge, blondeur plus en volume que jamais, flashes qui ne " crépitent " plus, mais qui "flashent", tout simplement... Accueillie par l'administrateur (tiens, il est pakistanais !), elle ignore - ou ne voit pas - un petit fonctionnaire à lunettes, timide et amoureux, qui lui tend un bouquet de roses sous cellophane. "Miss Deneuve, please"... Mais Miss Deneuve est déjà passée, et le petit fonctionnaire reste avec ses roses sur le cœur.

A presque quarante ans (elle est née Catherine Dorléac, le 22 octobre 1943, à Paris), Catherine Deneuve est généralement considérée comme l'unique star féminine du cinéma français, depuis la "retraite" de Brigitte Bardot. Cette blondeur peut-être... cette fameuse blondeur à la Jean Harlow, qui lui donne un petit quelque chose d'hollywoodien, par rapport au côté "bien de chez nous" des Miou-Miou, Girardot, Pisier, Huppert, Baye... Mais une star, c'est quoi ? La troisième des quatre filles de Maurice Dorléac et Renée Deneuve n'a pas l'air d'en avoir une idée bien précise. Quant à se définir elle-même par ce mot, encore moins, puisque être une star, c'est d'abord dans la tête et que, dit-elle, "je n'ai jamais pensé, jeune, à être actrice. Mon père était un acteur de théâtre, je l'ai vu jouer quelquefois, mais je n'ai jamais mis les pieds au cinéma avant l'âge de seize ans. D'ailleurs c'est grâce à ma sœur que tout a commencé : si Françoise n'avait pas fait de cinéma, je n'en aurais probablement jamais fait non plus".

Elle ne fait que passer dans "Les petits chats", de Jacques Villa, en 1959. Catherine a pour partenaire Sylvie, la plus jeune des trois sœurs Dorléac, et la première à faire du cinéma. Sylvie abandonnera assez vite, par manque de vocation, et épousera un spécialiste en ordinateurs. Les vrais débuts de Catherine Deneuve, c'est l'année suivante, dans "Les portes claquent", de Jacques Poitrenaud et Michel Fermaud, avec Françoise Dorléac et Dany Saval.

On avait besoin d'une petite sœur pour Françoise, dit-elle, et voilà… Mais c'est en rencontrant Jacques Demy que j'ai vraiment compris ce que c'était que le métier. "Les parapluies de Cherbourg" restent l'expérience la plus importante de ma carrière. Demy était un peu fou, dans le bon sens du terme ; je ne comprenais pas pourquoi il me voulait, moi, à ce point-là. Il m'a expliqué le projet, m'a fait entendre la musique, mais il n'avait pas d'argent pour faire le film. Le temps qu'il le trouve, j'ai eu mon fils Christian (né le 20 juin 1963, qui est aussi le fils de Roger Vadim). "Les parapluies", je les connais toujours par cœur, parce qu'il a fallu faire tout le film en playback. Jacques Demy est à la fois exigeant et généreux ; c'est lui qui m'a donné confiance en moi.

C'était peut-être effectivement une question de confiance : Catherine Deneuve "existe" vraiment à partir de ce film. Et les choses se confirmeront trois ans plus tard, en 1966, avec "Les demoiselles de Rochefort". La musique est toujours de Michel Legrand, plus riche encore en tubes que la première. Les sœurs Deneuve-Dorléac chantent le fameux "Nous sommes deux sœurs jumelles, nées sous le signe des Gémeaux..." Catherine tournera encore deux fois sous la direction de Jacques Demy : en 70, dans "Peau d'âne", et en 73, dans "L'événement le plus important depuis que l'homme a marché sur la lune". Sans Françoise. Le destin a séparé les deux sœurs, un jour de juin 1967, sur l'autoroute de l'Estérel.

Elysées-Matignon, Paris. Une femme aussi blonde que belle - le genre "quarante ans vous contemplent", comme dirait Jean-Loup Dabadie - veste en cuir beige et lunettes qui ne cachent pas ses yeux noisette, dîne avec trois amis. Elle leur parle un anglais très convenable, au point de provoquer un ou deux "Tu crois que c'est elle... - Mais si, je t'assure"... C'est qu'à la ville - et même dans une des cantines du Tout-Paris - Catherine Deneuve peut, quand elle le veut, ressembler à tout le monde. Sans maquillage, les cheveux tirés, parlant une autre langue, elle passerait presque inaperçue. Elle ne demande que ça, d'ailleurs ; n'allez pas lui demander un autographe si vous la rencontrez dans la rue ou au restaurant... il y a de fortes chances qu'elle vous reçoive plutôt mal. Elle tient à sa tranquillité, accorde un minimum d'interviews et protège farouchement sa vie privée. Question de choix : elle a pris le risque de l'impopularité, plutôt que d'être accessible et vulnérable. D'où ces mots qui n'en finissent pas de revenir à son sujet, toujours les mêmes : "lointaine, froide, glaciale, distante, dure..."

Ce qu'on écrit sur moi, dit-elle, j'évite autant que possible de le lire, parce que ça fait toujours du mal, même si c'est positif... surtout si c'est positif... Oui, le côté iceberg, qui revient toujours, ça doit finir par être lassant pour les lecteurs ; moi, ça ne me dérange pas.

Ça ne la dérange pas, mais elle ne cherche pas non plus à s'en défendre. Il y a des choses plus importantes. Comme son métier, même si elle avoue avoir une ambition limitée :

Je n'appellerai jamais un metteur en scène pour lui dire "j'aimerais travailler avec vous" ; ce n'est pas dans ma nature. Tout ce que je veux, c'est travailler avec des gens de talent et des gens que j'aime. Et puis, des metteurs en scène jeunes, c'est important.

Pour "Répulsion", en 1964, Roman Polanski cherchait "une jeune fille à l'air angélique, capable d'égorger un homme avec un rasoir". Il a engagé Deneuve. "Mais, dit-elle, je ne suis pas du tout agressive". Défensive, peut-être... elle a refusé le scénario plein d'érotisme et de sadomasochisme de "Belle de jour" (en 67), jusqu'à ce qu'elle sache que c'était Luis Buñuel qui faisait le film. "Parce que, dit-elle, je pense qu'il y a chez la plupart des gens - surtout chez les femmes - une espèce de masochisme". Chez elle, en tout cas, il est limité au minimum syndical :

Je n'aime pas souffrir physiquement, dit-elle ; c'est l'une des raisons pour lesquelles je n'aimerais pas travailler avec Godard ; d'ailleurs, il y a longtemps que je n'ai pas vu l'un de ses films. Je pense qu'il a à la fois besoin et pas besoin des acteurs : il a une façon de les traiter que je supporterais difficilement. J'aurais pu dire la même chose de Clouzot, à une autre époque.

Catherine Deneuve est un drôle de mélange : quelque chose entre la vedette-sans-le-vouloir, à qui tout arrive toujours par hasard ("petite, j'étais toujours dans la lune"), et la star à l'américaine qui est pour elle-même un manager plus coriace que celui qui mâchouille son cigare dans "Rocky". De tous les adjectifs déversés sur elle (ou plutôt sur ce qu'elle veut bien nous laisser entrevoir d'elle-même), le mot "insaisissable" est peut-être celui qui lui correspond le mieux. Son sourire, rare, et plus énigmatique que celui de Mona Lisa, cache des jardins secrets qu'elle n'accepte de dévoiler que sur pellicule, et encore…

Pour aller présider au Rex la Nuit des Césars, la star unique et préférée des Français prendra le métro. Le dernier, celui qui lui a valu d'être sacrée meilleure actrice de l'année en 1980 : un hommage tardif rendu par le cinéma au talent, plus seulement à la beauté.

Si j'étais critique, dit-elle, ce que je n'aimerais pas être, et si j'avais à écrire sur Catherine Deneuve, je crois que j'écrirais quelque chose comme : "intéressante, mais imprévisible"...


Par : Jean-Philippe Chatrier


Films associés : L'Africain, Les prédateurs

 



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