Ses interviews / Presse 1980-89 / Source inconnue 1988
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Catherine : son film frisson

"Une guerrière. Qui brûle et renaît, radieuse et flamboyante". C'est ainsi qu'il parle d'elle, Depardieu le poète. A lire ces mots, cette longue déclaration d'amitié, on la sent touchée. Emue. Les mots, elle les savoure avec la même sensualité tendre qu'elle mordille les mûres qui donnent de la saveur à sa coupe de champagne.

Dix ans que Gérard Depardieu et Catherine Deneuve tournent ensemble. Dix ans qu'ils rient, pleurent, se disent des mots d'amour devant la caméra, couple mythique réuni par Claude Berri ("Je vous aime"), Truffaut ("Le dernier m étro") Alain Comeau (" Le choix des armes" et "Fort Saganne"), François Dupeyron, enfin, "Drôle d'endroit pour une rencontre". Entre, ils se sont envoyés des messages, des manuscrits comme on s'envoie des fleurs. Ils ont comme des plages de silence aussi. Elle l'avoue, avec un tranquille sourire.

Nous les acteurs, nous ne sommes pas fréquentables. On se donne, pendant un tournage, on brûle mais, pour que la flamme reste incandescente, il faut bien recharger le feu : nous ne sommes pas doués sur le suivi" !

Le film fini, la "famille" se disperse. Dans leur cas, pas besoin de grandes phrases, chacun savait qu'il pouvait compter sur l'autre.

On avait la tendresse. Sans cette ambiguïté que donne la sexualité. Il se trouve qu'entre nous il n'y a pas eu de rapports sexe-séduction. C'est une chance. Cela nous a permis la légèreté et la confiance absolue. Une amitié privilégiée.

C'est pourtant grâce au dernier, "Drôle d'endroit pour une rencontre", que Gérard Depardieu et Catherine Deneuve ont vraiment appris à se connaître.

Finalement, je n'avais de Gérard qu'une certitude intuitive. On se croisait, on était entouré, choyé, starisé. Et puis là, on s'est retrouvé seuls en tête-à-tête, à nu. Il a fallu affronter...

Cette fois, plus de confort, plus de garde-fous rassurants mais le froid, la nuit, les angoisses. La guerrière dont parle Gérard a parfois craqué.

Je n'étais alors qu'un petit soldat qui, à 6 heures du matin, le visage figé de froid, avait envie de déposer les armes.

Gérard le généreux était là. Comme elle était là quand au début, surtout, il en avait marre du tournage, des maladresses du réalisateur François Dupeyron, dont c'était le premier film, quand il avait un coup de gueule, lui qui a horreur des conflits. Elle avait une parole, un rire. Avec le petit jour qui adoucissait les visages, les tensions s'évanouissaient, sous la chaleur du premier rayon de soleil.

Oui, ce film a été différent parce que sans doute le plus difficile qu'ils aient tourné. Les conditions d'abord. L'extérieur, Montauban, la nuit .

Vous savez ce que c'est, la nuit ? Tout est hostile. Les gestes, la façon de s'exprimer. On s'alourdit. On a des rapports plus passionnels. Tout est multiplié. Devient menace. Tout peut se passer. Et, il y avait là le silence et le noir...

Quand vous tournez de nuit à Paris, il y a partout des zones de lumière, des points de chaleur. Cela palpite, vit. Là, c'était comme au cirque. Il y avait un trou de lumière et nous au milieu, dans ce cercle, œil du cyclone, sous les projecteurs, désarmés, vulnérables, à la merci des autres, pourtant ils nous aimaient, pourtant ils y croyaient autant que nous à ce film. Mais on était seuls. Totalement seuls.

Catherine a souffert. Même si dans ce bar de l'hôtel du Prince-de-Galles, elle crée à son entrée - rayonnante, fine, belle de jour, belle de nuit - ce moment de silence à quoi on reconnaît les stars. Elle le confesse :

Ce film m'a changée. Je ne suis plus la même. J'ai beaucoup appris, sur les autres et sur moi-même. Mes limites, mes résistances. J'étais au pied du mur. Je me suis surprise...

Au pied du mur, parce qu'il y avait longtemps que Catherine Deneuve n'avait eu entre les mains un scénario aussi dérangeant. "Décapant", dit-elle avec un sourire de lionne carnassière. Elle n'a pas été pour rien l'interprète préférée de Buñuel, elle n'a pas tourné avec Polanski par hasard. Quand Gérard Depardieu lui a fait lire le scénario de "Drôle d'endroit pour une rencontre", Deneuve n'a pas hésité. Lui, fatigué par le tournage du Pialat "Sous le soleil de Satan" avec cet abbé Donissan qui lui avait pompé l'âme, ne savait pas encore sous quelle forme il participerait au film. Peut-être en tant que producteur seulement. Elle a su le convaincre.

Il a eu la générosité d'accepter. Bien que le rôle de la femme soit, en apparence, plus important.

Cette femme, elle est folle. "Fêlée d'amour". On ne s'en aperçoit pas tout de suite. D'abord on voit une voiture. La nuit. Une autoroute. A l'intérieur un homme et Catherine. Ils s'engueulent. La voiture bifurque ur l'aire de repos. La portière s'ouvre. Catherine tombe. L'homme a lancé aussi sa valise.

"Je ne veux plus te voir. C'est fini. Fini..." Elle s'emmitoufle dans son vison. Dans l'ombre, Depardieu qui répare son moteur. Hostile. Il s'approche : "Tire-toi. Je veux rester seul. Tu sens la poule de luxe". Elle ne le regarde pas, semble ne pas l'entendre. Fébrile, nerveuse, elle a enfin ces pauvres mots : "Je vais rester. Il va revenir me chercher. Je sais qu'il m'aime. Il va revenir".

On se frotte les yeux. On n'en croit pas ses oreilles : Pas elle, pas ça. Deneuve, plaquée, humiliée, dérisoire dans ce manteau qui la protège, en perdante. - Comment dit-on loser au féminin ? - Dur à avaler. On a envie de la secouer. Qu'elle le quitte, ce bon Dieu de parking. Qu'elle ne se laisse pas piétiner, qu'elle réagisse ! Petit à petit, malgré nous, comme Depardieu, on entre dans cet univers "décalé". Il y a un peu de Bertrand Blier dans Dupeyron. La même cruauté. La noirceur. Deneuve corrige :

Je dirais, la dérision. "Drôle d'endroit pour une rencontre" me fait penser au cinéma à l'italienne. Grave et comique en même temps.

Quand, dans le film, elle échange son tailleur par exemple avec une autre femme parce qu'elle a envie de changer de tête, de vêtements.

Je lis ce genre de détails et je sais déjà que je vais faire le film.

Oui, il y avait longtemps qu'elle n'avait pas à se colleter avec un sujet de cette force. Le Mocky ? Pas mal, mais enfin...

Non, non, ne croyez pas ça. J'ai plus d'indulgence pour les imperfections de Mocky que pour bien des productions plus habiles. Au moins a-t-il un ton. Une insolence.

Le décapant toujours. Elle ne se plaint pas.

J'ai même été particulièrement gâtée.

Mais enfin, il est vrai que le cinéma offre moins de beaux personnages à une actrice.

Prenez le cas de Gérard. En dix ans, tout est allé beaucoup plus vite pour lui. Il y a dix ans, j'étais plus star qu'il ne l'était à l'époque. Et puis, je l'ai vu grandir, apprendre et prendre en charge, s'occuper de tout, régler le moindre détail, devenir le premier tout en restant le même: avide de mots, possédant cette curiosité, cette passion, cette envie que nous partageons. Amoureux du théâtre classique, des beaux textes, incroyablement riche de toutes ces connaissances que lui ont donné ses "pères". Père lui-même qui a besoin de rester le fils de quelqu'un...

Catherine Deneuve a pris des risques : "Mais Depardieu aussi...", le premier étant de travailler avec un réalisateur dont elle ne connaissait rien.

II était abrupt. Absorbé par son histoire. N'imaginant pas une seconde que son film nous intéresserait Gérard et moi. De nous avoir comme interprètes l'a rendu nerveux. Nous avons eu aussi d'énormes problèmes techniques. Bref, François a parfois été cassant. Pas grave, Je préfère ça à la flagornerie. La seule chose qui importe, c'est le résultat. Pas la "cuisine" intérieure, et le résultat m'a épatée. Qu'on aime ou non, on ne peut le nier : ce film existe...

Même si le risque de rejet existe. Le public n'a-t-il pas refusé Delon en loser dans "Notre histoire" et Belmondo dans "La sirène du Mississippi".

Evidemment j'ai besoin, comme tous ceux qui font ce métier, d'être aimée. C'est une tentation. J'ai eu la chance de travailler avec des auteurs mais j'ai toujours eu, en moi, cette envie d'être vue par le plus de spectateurs possibles. Pourquoi d'ailleurs le public aurait-il un rejet pour "Drôle d'endroit" ? Cette femme, elle est folle, d'accord, fêlée, mais elle n'est pas perdante puisqu'elle aime. Nous avons tous connu ces moments désespérés où un être vous abandonne, où l'on reste là, près de son téléphone à attendre la sonnerie, je n'ai pas eu à composer beaucoup. L'expérience m'a donné au moins cette certitude : "II vaut mieux aimer qu'être aimée".

Alors, guerrière ou fragile, amazone ou vulnérable ?

Je me suis nourrie de vitamines, comme les Américains, pour tenir le coup, j'ai peu dormi et j'ai été surprise de constater à quel point l'organisme était résistant quand il s'agissait de survie, je me suis tapée parfois la tête contre le mur, j'ai douté, mais j'ai gardé le désir.

Désir - un état dont elle parle bien - désir donc intact à la pensée de partir bientôt pour le Brésil, retrouver André Téchiné son cinéaste de "Hôtel des Amériques". Elle y aura pour partenaire Sandrine Bonnaire. Elle savoure déjà, le visage éclairé de ce sourire intact lui aussi. Désir qui est l'épine dorsale de ce "petit soldat" qui se protège et qui laisse rarement deviner l'inquiétude : elle, la star, la première, l'unique qui avoue :

Le métier est tellement éphémère. Tout peut s'arrêter demain. Et que devient-on quand le feu intérieur s'éteint ?

Un silence.

Je ne peux pas imaginer aujourd'hui de ne plus tourner.

Un autre silence.

De toute façon, je resterai dans le métier. Produire ou réaliser. Au fond, j'ai toujours été une timide qui s'est laissée violenter.

Un sourire. Exquise. Royale. Star. S'en va :

Je crois vous avoir tout dit.

Un consommateur, un anglais, un inconnu, anonyme, interroge : "Lady Deneuve ?" Yes, sir.


Film associé : Drôle d'endroit pour une rencontre

 

 



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