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Le grand bonheur de Catherine

Un homme très grand, très bouclé, visiblement heureux, descend les escaliers en sifflotant, tout sourire dehors, comme porté par la joie d'avoir travaillé durant tout un après-midi avec celle qui sera sa future interprète dès avril. Cet homme, c'est Élie Chouraqui, et Catherine Deneuve qui a beaucoup aimé son dernier film : "Qu'est-ce qui fait courir David ?" vient d'accepter d'être la vedette de "Paroles et Musique", son prochain film.

En quelques enjambées, Élie Chouraqui dévale les cinq étages et se retrouve au rez-de-chaussée alors que je suis toujours en train de me battre avec les boutons de l'ascenseur qui me dédaigne plusieurs fois sur son passage. Enfin, je parviens jusqu'au sommet de cet immeuble Art Déco qui donne sur une immense place que prolonge le parvis d'une église où, à cette heure, les cloches sonnent à toute volée. On se croirait presque en province...

Ponctuelle, Catherine Deneuve n'a pas coutume de faire attendre ses visiteurs. Dans son salon, très Art Déco lui aussi, elle a juste eu le temps d'ouvrir cinq minutes les fenêtres afin de chasser l'odeur des cigarettes qu'elle allume l'une après l'autre, surtout lorsqu'elle travaille.

Pull-over et jupe de lainage mohair, Catherine a posé de grosses lunettes aux verres légèrement fumés sur le bout de son nez. Visiblement sa séance de travail avec Chouraqui l'a épuisée. Elle s'en excuse en posant sans cesse sa main sur son front, comme quelqu'un qui voudrait à tout prix chasser sa migraine.

Elle est dès à présent accaparée par son prochain film alors que "Le Bon Plaisir" vient tout juste de sortir sur les écrans et connaît un joli succès. Dans sa déjà très longue carrière, "Le Bon Plaisir" est son quarantième film et Catherine vient tout juste aussi de fêter ses quarante ans.

Exceptionnellement, moi qui déteste les fêtes organisées, j'ai voulu célébrer cet anniversaire. Pas seulement parce que quarante ans, c'est important dans la vie d'une femme, mais surtout parce que mon fils Christian, cette année, fêtait ses vingt ans. Vingt ans pour lui - quarante pour moi - cela ne se reproduira plus dans nos vies. Je n'aurai qu'une fois le double de son âge.

J'ai toujours voulu préserver ma vie privée et surtout mes enfants. Mais cette fois-ci ces deux anniversaires représentaient comme un symbole. Avoir un grand fils comme Christian, c'est vrai que ça fait plaisir.

Et Christian est très beau, comme sa mère, comme son père, Roger Vadim auquel il ressemble beaucoup. Et puis, cet anniversaire, c'était aussi comme un geste, comme une main tendue. Catherine n'avait guère apprécié que l'on parle des débuts de son fils dans "Surprise-party , un film réalisé par Vadim. Elle connaît trop les difficultés de ce métier pour ne pas avoir d'inquiétudes à le voir s'engager dans cette voie.

Ceci a été amené sur la place publique indépendamment de ma volonté, précise Catherine qui aurait sans doute préféré plus de discrétion.

Aujourd'hui, tout est déjà loin. Une seule chose demeure : Christian veut toujours être acteur et il devrait prochainement tourner avec le cinéaste Eric Rohmer. Il ne cache rien de ses projets à sa mère. Mais leurs conversations, leurs échanges d'idées restent strictement confidentiels.

Pour ce double anniversaire, c'est à Maisons-Laffitte, à La Vieille Fontaine, un endroit qu'elle aime beaucoup parce qu'il ressemble plus à une demeure familiale qu'à un restaurant, que Catherine Deneuve a reçu une soixantaine de personnes, sa famille et de très proches amis surtout.

Ça n'était pas une soirée de gens de cinéma, mais réellement une fête familiale avec mes sœurs et mes neveux et nièces. Je ne fête pas les anniversaires, surtout pas les miens, ceux de mes enfants bien sûr, lorsqu'ils étaient petits, lorsque cela signifiait quelque chose, mais plus maintenant, ou du moins pas systématiquement.

Difficile de placer Catherine Deneuve sur le terrain de la confidence.

La vie privée des acteurs ne me préoccupe pas. Seuls les projets professionnels des gens qui font le même métier que moi m'intéressent. Je me refuse donc à alimenter moi-même ce genre de confidences que l'on feuillette distraitement dans les magazines. Je n'ai pas envie d'être "feuilletée". Ces choses là sont trop importantes pour moi pour qu'elles soient dites à travers une interview. Si un jour j'ai vraiment envie d'en parler, j'écrirai un livre et je raconterai les choses comme j'en aurai envie.

C'est aussi parce que j'ai si peu de temps de disponible que ce qui me reste, je préfère le consacrer à la lecture de journaux d'information ou à tous ces livres qui s'accumulent sans que je puisse les ouvrir. J'ai l'impression de courir après le temps. Les journées me semblent toujours trop courtes.

Parce qu'elle tente de sauvegarder le maximum d'instants de liberté - pour ses enfants (Chiara n'a pas encore douze ans), pour ses amis, pour elle-même - Catherine Deneuve est très pointilleuse sur son emploi du temps.

Je ne vis pas comme un métronome, mais j'essaie de grouper, de rassembler sur un minimum de jours toutes les obligations auxquelles je me dois. Et elles sont hélas, nombreuses ! Mon agenda est toujours bien rempli avec des rendez-vous qui trop souvent se déplacent, s'annulent, se reportent.

Quand un film sort - comme en ce moment "Le Bon Plaisir" - on se doit de participer à sa campagne de lancement. Quand un autre se prépare en même temps, il faut en parler longuement avec le scénariste et le metteur en scène. En fait, ce que je préfère dans tout cela, c'est tourner. Lorsqu'on tourne, on est préservée ; on a un excellent alibi pour. refuser des tonnes d'obligations.

Si je n'avais pas une secrétaire employée à plein temps chez moi et un agent qui s'occupe de tout ce qui est professionnel et financier, je ne pourrais pas travailler avec cette disponibilité d'esprit qui est indispensable pour un acteur.

Catherine, effectivement, délègue beaucoup. Elle fait entièrement confiance à ceux qui l'entourent. N'allez pas lui demander si elle sait précisément où elle en est financièrement.

Aucune idée, dit-elle. S'il y a un problème, on m'en parle, bien évidemment. Mais je ne peux pas, en plus, m'occuper de comptabilité. C'est cela mon luxe. Ne pas me préoccuper de l'aspect matériel de ma vie.

Disons que dans ce que l'on pourrait appeler la "petite entreprise Deneuve", la responsabilité de Catherine est de faire entrer de l'argent ; ensuite, aux autres de faire en sorte que cette entreprise soit bien gérée et tourne rond. Le luxe de Catherine Deneuve, c'est aussi de ne jamais s'engager trop à l'avance.

J'ai souvent plusieurs projets en vue, mais je n'ai jamais deux contrats de signés. J'aime avoir du temps devant moi, voir venir les choses petit à petit. Je serais incapable d'enchaîner deux films à la suite l'un de l'autre. J'ai besoin, Dieu merci, de l'incertitude de ce métier pour le vivre bien. Les gens installés ou qui se sentent installés une fois pour toutes et qui font tout pour rester à cette place doivent avoir un gros problème et finissent par s'accrocher a des choses illusoires. Je ne veux pas me sentir installée. J'ai besoin de tenter des aventures, d'avoir l'impression de prendre des risques.

Quand l'un de mes films ne marche pas, bien sûr, j'en éprouve une énorme déception. Mais, malgré tout, cela ne m'empêche pas d'aller par goût vers le projet le plus nouveau, celui qui m'apporte un personnage, un rôle différent, donc moins sûr. Il faudrait vraiment plusieurs échecs consécutifs - à ce moment-là, la notion de danger l'emporterait - pour me faire changer d'attitude.

Sa carrière, Catherine aime à dire qu'elle l'a construite davantage sur des coups de cœur que sur des coups de tête. Et lorsqu'un projet auquel elle a cru passionnément ne se réalise pas, c'est le désarroi. Elle se sent incapable de s'intéresser à un autre scénario, incapable de bouger, incapable d'envies. Après l'arrêt - pour des raisons financières - d'un film que Catherine devait tourner avec Robert Enrico, il lui a fallu plus d'un an pour se remettre de "cet acte manqué". C'est la seule fois où Catherine est restée éloignée aussi longtemps des studios. C'était en 1977.

Car en fait, bien qu'elle soit venue par hasard au cinéma et sans aucune envie particulière au début pour ce métier, Catherine a appris à l'aimer passionnément, mais elle n'a jamais pu se faire aux exigences du cinéma, aux contraintes auxquelles se doivent les vedettes.

Catherine est, par tempérament, quelqu'un, qui a horreur de se mettre en avant qui, d'une certaine façon, est restée timide, ou plutôt très pudique. Et, paradoxalement, elle a réussi en exerçant le métier qui expose le plus, qui exige le plus le don de soi : celui d'actrice, à plus forte raison lorsqu'on est devenue une star.

Je me sens parfaitement à l'aise dans un environnement professionnel, au milieu d'une équipe technique, mais il est vrai que je ne me sens jamais bien au milieu d'une foule. Il n'est pas normal de sentir autant de regards sur soi. Lorsque je dois paraître en public, j'ai toujours une certaine appréhension. Je dois me forcer - encore aujourd'hui - pour y aller. Les premiers mètres, lorsque j'arrive quelque part, me sont toujours très pénibles. Il y a encore plein de choses dans la vie, dans cet aspect du métier, qui me coûtent énormément. Mais heureusement, je vis dans un univers très amical et je me sens très protégée. Tout le monde vit une certaine dualité. La mienne est plus évidente parce que je suis comédienne. Mais combien de gens vivent en accord total avec leur vraie nature ?

Parfois, je me sens oppressée par cet aspect du métier, mais j'ai mon refuge : ma famille, mes amis, le cinéma : c'est une énorme satisfaction.

Avec son fils, le grand bonheur de Catherine


Par : Christian Gauthey
Photos :


Film associé : Le bon plaisir



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