Amanda Weber est archiviste au Musée de l'Homme. Elle mène une vie rangée sans amour ni histoires, quotidienne en somme, jusqu'au jour où, pour retrouver le meurtrier d'un neveu vagabond, elle devient une enquêtrice de choc et donne beaucoup de fil à retordre aux assassins.

Avec ses cheveux courts frisottés et roux, ses petites lunettes cerclées de métal, un maquillage imperceptible, simplement vêtue - un chemisier à col Claudine, un duffle-coat, et des bottines en caoutchouc -, Amanda n'est pas le genre de fille sur laquelle les hommes se retournent ! Mais on est tellement pris par son jeu vit. madré, espiègle - elle est une bouffée de fraîcheur dans un univers noir -, que l'on ne se dit même pas d'elle : "Tiens, mieux arrangée, mieux fagotée, elle pourrait être jolie".

Amanda, c'est Catherine Deneuve, métamorphosée pour le dernier film de Jean-Pierre Mocky, "Agent trouble".

Aussi est-on presque surpris de la retrouver toujours aussi blonde, belle et sereine, avec autant d'éclat dans le teint et de flamme dans le regard. Toute de Saint Laurent vêtue (en l'occurrence d'un tailleur vert amande), elle est immuable ! Au point qu'elle vous donnerait un sentiment d'éternité, ce qui est bien réconfortant puisque les acteurs sont toujours des miroirs. On le lui dit, elle rétorque en souriant :

Je crois que les gens se demandent quelle tête j'ai maintenant. Je n'avais pas tourné depuis un an. je n'étais pas en France. Alors réponse en septembre, lorsque je tournerai de nouveau, cette fois un rôle de journaliste de radio.

Avec Jean-Pierre Mocky, pour la première fois elle a accepté d'incarner un personnage dont la séduction n'est pas l'atout principal. Bien sûr le charme opère parce que c'est elle, parce qu'elle est là et que l'intrigue tient en haleine. (C'est un des meilleurs films de Mocky, même s'il cède comme toujours à ses obsessions, à son mépris de la classe moyenne. Avec lui, le salaud est toujours un ministre qui doit être de droite. Mais les acteurs sont formidablement dirigés : superbes Richard Bohringer, Pierre Arditi, Sylvie Joly et Dominique Lavanant).

Une sacrée gageure tout de même, pour une star qui fait rêver les hommes, d'accepter un rôle où il faut plaire autrement. Elle explique :

J'ai hésité, mais j'avais envie de faire un film policier ; j'ai tout de même été un peu paniquée quand il a fallu choisir la perruque, le duffle-coat et les chaussures plates. Au fait, qu'est-ce que j'ai eu froid aux pieds dans la neige pendant le tournage ! Mais ce rôle de composition m'a amusée, vous savez. Si la séduction n'est pas un poids, elle peut tout de même devenir une contrainte et, là, j'étais complètement libérée. J'ai hésité aussi parce que je n'ai pas toujours aimé le côté bâclé de certains films de Mocky. J'avais peur des lumières, mais il a choisi le meilleur chef opérateur, William Lubtchansky, et le résultat est agnifique. Le film a été tourné en quatre semaines, ce qui est très court. Nous nous sommes bien entendus. Mocky est à l'image de ses films, tantôt exalté, tantôt sombre, il me fait penser à Polanski, il gueule beaucoup sur les plateaux, je crois qu'il était flatté de m'avoir et qu'à la fois je le dérangeais un peu. Il était vaguement intimidé. Dons le fond, il n'imaginait pas que je puisse avoir de l'humour, des humeurs, bref être comme tout le monde. Mais nous avons vite trouvé nos modes d'emploi réciproques. C'était très bien.

Catherine Deneuve ne tarit pas d'éloges sur ses partenaires féminines, Sylvie Joly et Dominique Lavanant.

Les femmes comiques se moquent d'elles-mêmes. Pour faire de l'humour sur soi, pratiquer la dérision, il faut être généreux, regardez Jacqueline Maillan, je ne sais pas si je serais capable de tenir ces rôles-là. J'aimerais bien essayer. Je connaissais depuis longtemps Dominique Lavanant, que j'aime beaucoup, mais pas Sylvie Joly - qui m'a beaucoup plu. J'aimerais bien la revoir, mais le cinéma c'est une famille qui se fait et se défait, on se perd de vue et on se retrouve un jour.

Actrice français n°1 dans le cœur du public, choisie pour incarner Marianne, comment Catherine Deneuve se projette-t-elle dans le temps ? Aimerait-elle, par exemple, interpréter souvent des Amanda ?

Je n'ai pas de stratégie, je suis seulement très instinctive. J'ai des envies du moment auxquelles je cède. Alors ce que je vais faire dans un an, je ne le sais pas encore. Dans dix ans ? Je refuse d'y penser. Tout dépendra de mon évolution physique, même quand on prend soin de soi. en ne sait jamais comment on va vieillir, comment on va se transformer et l'accepter. Je n'y pense pas parce que ça me gâcherait le présent.

Alors parlons du présent. A la voir aussi épanouie, on l'imagine heureuse dans sa vie personnelle. Pudique, elle balise l'interview :

Ce genre de question, il n'y a que ma mère qui puisse me la poser. J'ai aussi un ami auquel je peux tout raconter. Disons que j'ai trouvé un équilibre, je travaille beaucoup, mais jamais le week-end, jamais le soir ; je prends des vacances l'été parce que l'homme de ma vie et mes enfants, ça passe avant tout. Je crois que je ne pourrais plus me passer d'une forme de luxe qui est pour moi une manière d'isolement. Le luxe c'est pouvoir prendre son temps pour aller où on veut quand on veut, et faire une multitude de choses, par exemple je m'occupe beaucoup de la vie à la maison.

De ses enfants, Christian (24 ans) et Chiara (15 ans), elle dit :

Ils ont beaucoup de défauts, mais ils sont très épanouis, et, rien que pour cela, je me dis que je suis une bonne mère.

Ce qu'elle aime chez un homme :

L'intelligence, l'humour exercé sur soi-même et la gentillesse.

Le week-end idéal ?

Sûrement pas sur une île déserte. Ce serait dans une ville tempérée. Vienne, Londres, Florence, où il y a des musées, des bars, des librairies.

Ce qu'elle déteste par-dessus tout :

Le téléphone, j'en ai horreur sauf si les gens sont très loin et que l'on ne peut pas faire autrement. Le téléphone ça n'est pas assez intime. Je n'aime pas parler à quelqu'un dont je ne vois pas les yeux.

Ses films préférés : "Les parapluies de Cherbourg", "Tristana", "Répulsion", "Le dernier métro", "Le sauvage".

Jadis, Catherine Deneuve avait signé des pétitions en faveur des femmes (l'avortement), mais elle n'est pas de celles qui mettent leur nom au bas des manifestes.

Je pourrais m'engager pour l'Afrique verte, il faut aider ce continent, mais je ne me verrais pas prendre la tête d'une croisade anti-sida, cela me mettrait mal à l'aise. Je me sens concernée, bien sûr, mais utiliser les acteurs pour ces campagnes, cela me dérange. Je me dis : "Ca changerait quoi si je m'engageais ainsi ?" Evidemment Elizabeth Taylor l'a fait, bien qu'elle soit timide ; elle a ramené beaucoup d'argent pour aider les malades, c'est bien, mais je ne pourrais pas le faire. Les apparitions en public m'ont toujours gênée.

La foule, iI lui a pourtant fallu l'affronter souvent lorsqu'elle a participé au lancement de son parfum ("Deneuve") aux Etats-Unis.

C'est un parfum fabriqué en France, mais commercialisé par firme américaine. J'y ai beaucoup travaillé. II est floral et contient beaucoup d'essences naturelles. Je le porte tout le temps. Pour sa promotion je suis allée dans de nombreuses villes américaines, j'ai signé beaucoup de photos, pris l'avion un nombre incalculable de fois. La répétition pèse un peu, mais je l'ai fait avec plaisir. D'autant que cela m'apporte une liberté financière que je n'aurais pas autrement. L'indépendance des femmes est d'abord économique.

En la quittant, on ne peut s'empêcher de lui dire combien on la trouve spontanée, naturelle, pas atteinte par la "grosse tête". Elle réplique :

La grosse tête, ah ça non, et si c'était la petite tête ?

Son explication :

Le sentiment de n'être rien, de ne plus exister.

Catherine Deneuve ne devrait pas trop s'en faire. Elle est formidable comme actrice et comme femme.