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Ses interviews / Presse 1980-89 / Madame Figaro 1983 |
Repères
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Décoiffée et drôle dans "L'Africain", qu'elle vient de tourner, ou sophistiquée en Saint Laurent pour nos photos de mode, elle reste la star numéro un des français. Une star qui aime la nature, ses enfants, les maisons, les amis et protège sa vie privée. Ce qui rend plus précieux encore ce bavardage avec Madame Figaro qu'elle incarne à merveille. Catherine Deneuve me fascine depuis "Les parapluies de Cherbourg". Je la trouve belle, intelligente, pleine de talent, de diversité, de féminité, de mystère... Je vois tous ses films, j'aime tous ses rôles, je rêve devant ses photos et je ne l'ai jamais rencontrée "pour de vrai", comme disent les enfants. Quelle tête peut-on faire quand on se trouve face à une femme qui, comme à des millions de gens, vous a tant de fois apporté une parcelle de rêve ? Je n'ai pas le temps de m'interroger davantage, elle est devant moi. Inconnue et pourtant si familière... Blonde (tiens, on dirait qu'elle a foncé ses cheveux...), souriante, attentive aux présentations. Son regard va droit sur vous, et sa poignée de mains est chaleureuse avec un rien de masculin. Madame Deneuve, il ne faut pas longtemps pour comprendre qu'elle ne triche pas. Petite, beaucoup plus que je l'imaginais (mais je m'aperçois quelle est en ballerines), ronde, mais moins que je ne le craignais, le teint de satin et les lèvres pâles, elle est toute de cuir noir vêtue et ne ressemble à personne, pas même à la star Deneuve. Elle disparaît dans la loggia, se prépare pour les photos. On entend bourdonner l'essaim protecteur de son environnement professionnel : maquilleur, coiffeuse, habilleuse et on sent qu'ils sont plus encore, qu'une vraie complicité-amitié les lie, renforcée par des années de vie quasi commune. Catherine Deneuve réapparaît, déshabillée de soie, maquillée, prête. Les projecteurs s'allument. Elle donne son avis, bavarde, s'amuse et resplendit. Depuis vingt ans, on a tout dit et redit sur Catherine Deneuve : qu'elle est parfaite et glacée, proche et inaccessible, hautaine, bourgeoise, distinguée, fragile, romantique, surprenante, mais toujours bien rangée. L'image idéale de la Française dont rêvent les Américains. Mais ce que je n'ai lu nulle part, c'est la densité de la lumière qui se dégage d'elle. Elle irradie. Elle parle vite et d'abondance, avec cette voix rauque et douée qui lui est si particulière. Elle est visiblement lasse des interviews : "Non pas tant des questions que l'on me pose que de mes propres réponses, que je retrouve souvent déformées... Il y a vingt ans que je lis sur moi des choses que je n'ai jamais dites". Vingt ans pourtant qu'elle a dressé entre sa vie professionnelle et sa vie privée un mur infranchissable. "Justement ! Je me demande aujourd'hui si j'ai eu raison..." Elle fait allusion à un article récent où il est question de son fils Christian, du film qu'il tourne avec son père Roger Vadim, de leurs rapports à tous trois. Et, soudain, elle se met très en colère : "Je n'ai pas l'habitude de répondre par voie de presse, mais ce qu'a fait cette journaliste est méprisable : vous pouvez le dire et la citer". Elle m'émeut, parce que sa colère est surtout faite de déception et de chagrin : "Je suis triste parce que je trouve ça mesquin..." Mais quelle tendresse aussitôt quand elle parle de son fils : "Je ne m'opposerai jamais à rien, je pense seulement qu'il est trop jeune. Et je le pense parce que je le connais bien..." Sans doute se souvient-elle trop intensément, qu'elle a eu aussi très jeune, son premier rôle... La voilà hissée sur son tabouret, le visage auréolé de blanc, de face, de profil, de trois quarts, illuminé par ses yeux fascinants, tantôt verts, tantôt gris, rêveurs, rieurs, durs ou tendres, attentifs à tout le travail qui se fait autour d'elle et dont elle est à la fois la reine et la prisonnière. Sa patience semble à toute épreuve. On rajuste un cil, un cheveu, on s'inquiète de son confort : "Ça va, je tiens !" Elle réclame une cigarette, qui s'allume mal : "Vous avez fini de jouer avec mes nerfs ?" Elle rit de plus belle. Un raccord de rouge et, en une seconde, son visage, d'une mobilité surprenante, a repris la pose. Elle parle du film terminé la veille, qui l'a exilée trois mois au Kenya. "J'aime bien partir, c'est une rupture avec le quotidien, dont j'ai besoin, mais je suis toujours soulagée de revenir". Le film ? Une comédie d'amour et d'aventures qui s'appelait "Sur la piste des éléphants" et qui est devenue "L'Africain". Le metteur en scène ? Philippe de Broca. Son principal partenaire ? Philippe Noiret, qu'elle retrouve après "La vie de château" de Jean-Paul Rappeneau en 1966, et "Touche pas la femme blanche", de Marco Ferreri en 1973. Le producteur ? Claude Berri qui, il y a deux ans, écrivait et tournait pour elle "Je vous aime". Son rôle ? Une enquiquineuse pleine de charme qui veut installer un Club Méditerranée en pleine brousse peuplée de Pygmées. Elle y retrouve son ex-mari qui n'aspire, lui, qu'à fuir le monde civilisé et cette ex-épouse à la fois trop séduisante et trop envahissante. "C'était amusant, passionnant, mais difficile, dans un pays où le moindre déplacement pose un problème. Je ne suis pas croyante (elle se dit même athée et ses enfants ne sont pas baptisés), mais je reconnais qu'il y a une sorte de bénédiction sur certains films. Le moindre arrêt aurait été catastrophique et il n'y a pas eu une entorse, pas une piqûre, pas une fièvre... Tout au long du tournage, je me suis sentie protégée, dynamisée, et les autres aussi..." Son meilleur souvenir, c'est d'avoir tourné avec les Pygmées : "Ils sont incroyables de vivacité, d'humour et surtout très émouvants". On sent qu'elle a aimé ce rôle, qu'elle aime tourner dangereusement, rire et faire rire. "J'adore les comédies", dit-elle. A propos de ses rôles je me rappelle avoir lu, à plusieurs reprises, qu'elle trouvait le cinéma misogyne. "Je n'ai jamais dit ça !" "D'ailleurs, misogyne est un mot qui n'est pas dans mon vocabulaire. Le cinéma est le reflet d'une société, et il est indéniable que la société actuelle est plus ouverte aux hommes. Les rôles masculins sont donc plus nombreux. C'est une question de quantité ou de durée, mais pas de qualité. Les comédiennes devraient plus souvent accepter des participations au lieu d'attendre les rôles principaux !" Preuve à l'appui : la "participation exceptionnelle" qu'elle aura dans le prochain Alain Corneau, "Fort Saganne , avec Gérard Depardieu. Et avant ? "Je prends des vacances dès que je peux et j'oublie tout le reste. Dès qu'un film est fini, il est vraiment fini pour moi". Elle me raconte que souvent, hors saison, elle prend sa voiture et file en Haute Provence, en Hollande ou en Irlande, parce que la nature y est sauvage et que les parcs y sont beaux. Les jardins sont sa passion. A Paris, elle s'y promène souvent et, à la campagne, elle a le sien depuis dix ans : "La nature, c'est très rassurant". Elle aime les paysages à hauteur d'yeux, les collines douces, la Sologne et, par-dessus tout, la Toscane. Elle adore les étendues d'eau "parce que c'est la vie, indispensable comme le feu". Les photos sont finies, elle est détendue, harmonieuse, et si gentille... Il est beaucoup plus de dix heures, je sais qu'elle a un dîner chez elle (je l'ai entendue se préoccuper du menu et de la disposition de Ia table), mais elle semble avoir la nuit devant elle... J'esquisse une phrase sur les contraintes de son emploi du temps. "C'est le seul point sur lequel j'envie les hommes. Je veille à tout, j'organise et c'est difficile, éreintant. Partir faire un film, c'est un déchirement de quitter ceux que j'aime, mais ça peut être aussi une libération momentanée de trop de responsabilités matérielles. Je ne suis pas une féministe acharnée, mais j'aime les femmes et je reconnais leurs difficultés. Une femme manque toujours de temps..." Pourtant, elle parle à bâtons rompus, du mariage : "C'est entièrement faux de dire que je suis contre, sinon je ne l'aurais jamais été (quelques années, au photographe anglais David Bailey). Mais tout est affaire de moment..." ; de la politique : "J'ai mon opinion personnelle, que je crois de bon sens, mais l'engagement politique, pour moi, n'est pas compatible avec le métier d'acteur" ; de l'éducation des enfants : "Je ne suis ni pour la contrainte ni pour la force. Je suis très libérale, mais convaincue qu'il faut aussi faire preuve d'autorité. Je ne veux pas être la meilleure amie de mes enfants. Et ça n'est pas bien de les mêler à la vie publique, c'est même très égoïste, mais c'est dur, car il arrive toujours un moment où on serait fier de les montrer... Maintenant, j'en arrive à me demander si c'est si bien d'avoir des vies tellement séparées et je ne suis pas sure d'avoir eu raison..." ; de l'argent : "II devient très vite une obligation. Quand on mène une vie comme la mienne, l'organisation et le confort qu'il apporte sont très appréciables" ; le cinéma : "Je ne vais jamais aux projections privées, mais dans les salles de mon quartier, j'ai besoin de sentir les réactions du public" ; le théâtre : "J'y reste spectatrice, je ne monterai jamais sur une scène. J'aurais trop peur d'affronter, même muet, un jugement si vivant et si proche" ; la lecture : "Je lis beaucoup, mais, là encore, le temps me manque. Au Kenya, où il fait nuit à six heures, j'ai pu en profiter. D'abord les journaux, que je recevais de France tous les jours, puis Doris Lessing, et des romans, surtout anglo-saxons. Mais je ne lis jamais en pensant à un rôle possible, c'est un réflexe que je n'ai pas" ; le bonheur : "Ça n'est pas une réalité possible. Je peux parler de moments de bonheur, même de moments magnifiques, mais le bonheur en soi, la permanence du bonheur n'existe pas" ; le travail : "Je ne suis pas très ambitieuse, mais j'ai le goût du travail bien fait, et je veux réussir ce que j'entreprends" ; l'amitié : "C'est vital". Et l'amour ? Elle ne me répond pas - peut-être n'a-t-elle pas entendu ? - mais elle m'a dit, tout à l'heure, en parlant de Proust, de Swann et d'Odette que l'estime et l'amour sont souvent incompatibles. Insatiable, j'ai envie de savoir ce qui est indispensable à sa vie. "Cesser de travailler, ce serait un drame pour moi" ; l'humour, le rire : "Une certaine façon de regarder les choses qui permet de passer au travers des difficultés, c'est le sens de la dérision, que j'aime tant chez les Italiens" ; des amis, et de la vie gaie que, hors cinéma, elle mène avec eux ; enfin et surtout, des siens... Là, elle a un sourire lumineux, tendre et serein... "Sur le plan affectif, je suis assez comblée..." Comment voit-elle l'avenir ? Sera-t-elle, immuablement, la belle, blonde et harmonieuse actrice numéro un du cinéma français ? "Je sais que j'ai évolué, mais je n'ai pas beaucoup changé. Aujourd'hui, j'ai plus de convictions et plus de doutes aussi. J'ai fait l'expérience de la solitude, mais dans ma vie, je prends peut-être moins de risques qu'avant. J'ai envie de choses plus douces " Ces choses plus douces, c'est Christian, son fils de dix-neuf ans. avec qui elle a de "vrais rapports mère-fils" ; c'est Chiara, sa fille de neuf ans, à qui elle vient de téléphoner dans un italien plein de tendresse. "Je lui parle italien pour qu'elle n'oublie pas la langue de son père, sinon elle parle français, à l'école comme à la maison. Quand je pars longtemps, je l'emmène, pour éviter un trop grand déchirement, mais, depuis sa naissance, je lui ai toujours fait mener une vie très régulière". C'est aussi sa famille : "On est nombreux, et très proches les uns des autres. Ma mère, mes surs - l'une travaille avec moi, l'autre avec son mari -, elles ont des enfants, on se voit très souvent, et je les adore..." Fugitive, l'ombre de Françoise Dorléac passe entre nous : personne n'en parle, mais personne n'oublie. C'est aussi avoir du temps, pour vivre, pour s'arrêter dans les maisons qu'elle aime : "J'adore les maisons. Elles sont toujours très révélatrices de leurs habitants". Cette Parisienne née à Paris d'un père gascon et d'une mère normande d'origine italienne, rêve d'une maison provençale, où la lumière et l'architecture sont en harmonie, où il y aurait obligatoirement une cave "parce que c'est les racines et le mystère", et un grenier "parce que c'est le rêve". Elle la meublerait elle-même car si elle n'était pas comédienne, elle serait sans doute antiquaire, ou plutôt "brocanteuse" : "J'aime aller à la découverte des objets". Et si, un jour, ce qu'elle fait n'était plus une passion mais seulement un métier, elle évoluerait sans doute : pas vers la mise en scène, qu'elle trouve "frustrante et complexe", mais plutôt vers l'écriture qui lui paraît plus proche de son tempérament. L'heure a enfin raison de notre conversation : elle me quitte en courant. Je viens de rencontrer une star, qui est aussi une femme sereine et intelligente. "Saint Laurent for ever, car je suis fidèle au style tailleur" Il m'habille depuis toujours parce que, grâce à lui, je peux préserver mon propre style au-delà des saisons et des collections. Je ne déteste pas, parfois, les accessoires un peu insolites. J'adore les chapeaux, mais je n'ai pas souvent le courage d'en porter, car cela conditionne tout le reste, c'est compliqué. D'ailleurs, des photos de moi avec un chapeau sur la tête, on peut les compter sur les doigts d'une seule main. |
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