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Ses interviews / Presse 1980-89 / Madame Figaro 1984 |
Repères
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Elle a soufflé ses quarante bougies, raccourci provisoirement ses cheveux et n'a jamais été plus belle que dans le prochain film d'Elie Chouraqui, "Paroles et musique". Catherine Deneuve y est Margaux, une femme déchirée entre deux hommes, deux enfants, deux modes de vie et les trente-six mille façons qu'on a d'être femme. Elle y pleure, elle y rit, elle y aime d'un amour tantôt de mère, tantôt d'épouse et tantôt de passion : celle qu'elle éprouve pour un homme trop jeune pour elle, trop fou aussi, mais tellement plein de charme et d'insolence ! Alors, pour en savoir plus sur Catherine Deneuve, on pourrait se contenter de dire : "Rassemblez les morceaux du puzzle, faites-vous votre opinion personnelle, et rêvez un peu " Ca serait trop simple. Une star, ça s'interviewe, à intervalles réguliers, ni trop ni trop peu, en tout cas chaque fois qu'elle sort un film. Alors, si on a eu la chance d'être agréé, on se retrouve place Saint-Sulpice, et, le trac au creux de l'estomac, on sonne à SA porte en se disant : "Comment va-t-elle être ?". Elle est vêtue tout de miel, du pull à la chaussure et des cheveuxau sourire, sans bijoux ni beaucoup de maquillage, détendue, volubile, rieuse. On parle des riens qui font la vie, du film, du plaisir qu'elle a eu à tourner avec Christophe Lambert et Richard Anconina, ces deux jeunes gens qui montent. Et aussi avec Charlotte Gainsbourg, la fille de Jane Birkin, et jouant le rôle de sa fille dans le film. Elle est non seulement adorable, mais étonnamment douée. Ça n'est jamais très facile de tourner avec des enfants car il faut être très patient. Elle, elle est tout de suite plus vraie que nature. Quand on en vient à l'objet même de ma visite : elle, sa spontanéité fait place à une vraie lassitude. Quand je parle de moi, j'ai toujours le sentiment de bavarder, de me répéter, de dire des choses inutiles ou qui risquent d'être mal interprétées. Je suis toujours une autre mais toujours la même ! conclut-elle en riant. Sans doute parce que de son évolution et de certaines étapes de sa vie, elle n'a pas du tout envie de parler. Et parce que l'essentiel, elle ne le dira jamais. Que ceux qui avaient espéré qu'un jour elle lèverait le voile sur sa vie privée ne se fassent pas la moindre illusion : le black-out est et restera total. Déjà s'il m'arrive, tous les deux ou trois ans, d'aller un peu trop loin dans une interview, je le regrette à chaque fois. Tout simplement parce que les mots imprimés ne me semblent jamais les mêmes que quand je les dis ou quand je les pense. Ça ne met pas en cause mon interlocuteur, mais l'acte et le procédé : plus on parle et plus les choses s'étiolent. Et si elle joue le jeu du métier, accorde des interviews, elle vit très mal cette contradiction entre son refus et son envie, parfois, de dire de quoi son cur est fait... Comme je plains les hommes politiques qui sont tout le temps sur la sellette... Nous, les acteurs, on est relativement tranquilles quand on ne tourne pas. A-t-elle le trac à la sortie de ses films ? Oh ! oui - Je l'ai rarement pendant le tournage, et toujours quand le film est fini - un vrai trac, physique, terrible. Comme tous les acteurs, je me dis qu'être oubliée ou être repoussée, c'est terrible. A vingt ans, on est plutôt inconscient. A quarante, l'expérience nous empêche de l'être. On devient plus critique, plus exigeant à mesure que le temps passe... Maintenant plus qu'avant, je vis toujours très mal la sortie d'un film, parce que je regarde tout presque à la loupe, je ne me trouve jamais assez bien, et ça me rend mélancolique... La vérité, c'est qu'on ne se donne jamais assez de mal. Le travail, il n'y a que ça de vrai. Et je le dis d'autant plus que je me sais très paresseuse. Et que souvent, au lieu de me battre, je baisse les bras. Je n'ai pas envie de convaincre, j'ai envie qu'on me suive, parce que j'aime que les choses soient évidentes, ou peut-être parce que je suis assez autoritaire... Elle le dit avec un tel sourire qu'on a tout de suite envie de se rallier, sans discussion, et voilà qu'elle s'explique : Dans la vie comme dans un film, il faut avoir une ligne, des objectifs et un but. Savoir, dès le départ, ce qu'on veut faire ou ce qu'on veut raconter. Si on a ce fil conducteur, on a un centre d'équilibre et rien ne peut nous arriver. Un tournage, c'est un parcours du combattant : entre les problèmes des uns et des autres et les problèmes matériels, on a dix mille bonnes raisons de se perdre. Pour éviter de se laisser prendre au piège, il faut avoir au fond de soi des certitudes omniprésentes et si solides qu'on n'est même pas obligé d'y penser. C'est Truffaut qui m'a appris ça et je ne suis pas près de l'oublier ! Longuement, intelligemment, elle parle de lui et du perfectionnisme avec lequel il faisait son métier. Lui donnait le maximum, car il savait qu'on ne peut pas être surdoué pour tout, et qu'on ne se donne jamais assez de mal. En permanence il doutait, remettait en cause presque chaque scène pour n'en changer parfois qu'un détail, mais toujours capital. Même si c'est douloureux, on ne peut pas faire ce métier sans douter. C'est ce qui permet d'aller de l'avant. On lui a souvent posé la question, elle a toujours répondu la même chose : "Non, je n'aimerais pas passer derrière la caméra". Cette fois-ci, elle précise : Si je voulais, bien sûr je le pourrais. Mais peut-être ai-je peur, comme Alice, de ne pas repasser de l'autre côté du miroir... Et sans doute aime-t-elle trop le métier d'actrice pour l'abandonner, même provisoirement. Pour moi, ça va bien au-delà du rôle. Je pense toujours au film dans son ensemble, à tous les éléments qui vont être réunis pour qu'il prenne corps, et, comme un caméléon, je m'adapte à la couleur du temps. Les Américains, qui voient en elle la plus belle femme du monde, aimeraient bien nous la voler. Elle va souvent là-bas, pour le travail, pour le plaisir ou pour multiplier son tonus. Mais je suis française, jusqu'au plus profond de moi, et je ne vivrais là-bas pour rien au monde, même si on y travaille formidablement bien ! Ouf ! on respire. Il n'empêche que c'est aux States qu'elle a signé un contrat pour son premier livre, qui paraîtra donc en anglais d'abord, en français ensuite et qui existe déjà "un peu dans ma tête et un tout petit peu sur le papier". J'avais besoin de l'éloigner de moi, même géographiquement. Je ne voulais pas faire un livre d'actrice, ce qu'on m'avait demandé dix fois, j'ai donc choisi une conception plus générale, avec ce qu'on appelle un "livre de beauté" au sens large, qui parle de mode de vie tout autant que d'esthétique. De ses autres projets, elle ne parle pas, peut-être parce qu'on vit une terrible période de "à quoi bon". On est découragé, sans illusions, mais on vit trop avec une mentalité d'assistés. Même moi. Elle le dit avec une ironie charmante qui n'exclut ni la sincérité ni la sévérité ! Un tournage, c'est un effort quotidien terrible : on se mine, on se vide, et après, je suis tout à fait capable, si on ne m'oblige pas, de ne rien faire du tout. J'ai beaucoup de mal à être une grande personne, et je ne me trouve pas très sérieuse. Je me dis souvent que je ferais bien d'être aussi exigeante avec moi-même que je le suis avec les autres. Et la voilà qui rêve d'organiser sa vie différemment, avec plus de temps pour lire, voir des expositions ou des films. Rigoureuse, amoureuse du concret comme de l'absolu. Catherine Deneuve la perfectionniste est toujours parfaite, sans doute parce que par-delà les traquenards de la vie, elle marche les yeux grands ouverts sur le chemin qu'elle s'est tracé, vers le but qu'elle s'est fixé. En veillant jalousement sur des jardins secrets qui s'appellent : maisons, enfants, amour, passions et rêves... Une dernière phrase en guise de conclusion : J'adore regarder les étoiles, parce que
c'est la nature et le surnaturel... |
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