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Deneuve au sommet !

Elle a été la star du festival de Cannes. Elle y a reçu une ovation. En un mois, deux films sortent avec elle pour interprète : "Le lieu du crime" de Téchiné et "Pourvu que ce soit une fille", de Monicelli. Elle n'a jamais paru si sûre d'elle-même. C'est la grande dame du cinéma français. Distante ? Non. Pour nous, elle est sortie de sa réserve.

Quinze ans après "Les demoiselles de Rochefort", elle est à nouveau la fille de Danielle Darrieux, cinq ans après "Hôtel des Amériques", elle retrouve André Téchiné, un metteur en scène qu'elle aime, deux ans après "Paroles et musique", d Elie Chouraqui, on retrouve Catherine Deneuve, plus belle que jamais, mais surtout plus intense, plus pathétique, plus bouleversante qu'elle ne l'a jamais été.

Les gens qui me trouvent différente, métamorphosée dans ce film sont les gens qui ne me connaissent pas bien, mais c'est vrai que je suis sans doute allée plus loin que d'habitude, avec plus de violence et de réalisme.

Assise en face de moi, en cachemire violet sur chemisier blanc et jupe noire, elle est le charme, la féminité et le raffinement même. Elle est aussi la liberté, comme quelqu'un qui refuse toute entrave : parler de l'air du temps, des livres, des fleurs ou des enfants, chiner, se promener, voir un film ou prendre tout simplement son temps, elle n'aime que ça. Mais la soirée de gala qui l'attend dans l'heure qui suit, donner interview sur interview, avoir l'impression de se répéter ou de s'entendre éternellement poser les mêmes questions, ça fait partie du métier, mais c'est aussi la barbe ! Ce qui ne l'empêche pas d'être courtoise, consciencieuse, chaleureuse quand elle le veut et enthousiaste quand elle parie du "Lieu du crime", un film superbe où elle est sublime.

"Le lieu du crime" est un film parfait s'il y en a : une chronique familiale dans le Sud-Ouest, dans de merveilleux décors naturels, un enfant mythomane et charmant qui découvre durement la vie, une femme qui, en une nuit, fiche la sienne en l'air parce qu'il fallait bien qu'elle en passe par là, et une histoire policière qui fait plus que peur...

C'est vrai, c'est un film remuant qui parle de gens qui n'ont pas bien su grandir, mais en même temps c'est un film positif, parce que Lili, l'héroïne, parvient à briser des choses qui ne pouvaient que la mener à rien. J'aime les gens qui comme elle ont décidé d'aller jusqu'au bout de quelque chose, même si ça paraît totalement fou. De toute façon, les conventions, l'idée de ce qui se fait ou ne se fait pas, c'est dérisoire. Ce qui compte, c'est l'idée qu'on se fait de soi-même, la possibilité qu'on a ou non de pouvoir se regarder en face dans une glace.

Depuis "Hôtel des Amériques", elle voulait retravailler avec Téchiné. Un projet sur la guerre d'Algérie ne s'est pas fait ("c'était superbe, mais les Français sont peut-être encore trop sensibilisés par cette période") et quand il lui a proposé d'être Lili dans "Le lieu du crime" - un rôle écrit pour elle - elle a dit oui d'emblée et d'enthousiasme.

Entre André et moi, il ne peut y avoir de malentendu. On aime les mêmes choses, les mêmes films, on réagit de la même manière. Moi qui ai parfois du mal à me laisser diriger, je n'ai aucune réticence à son égard parce que je lui fais totalement confiance. Il a toujours pensé que je devais incarner ce genre de personnage. Plein de passions, rentré, un peu "allumé". Cette fois-ci, on est allé plus loin que d'habitude, parce que le film est à la fois plus simple, plus réaliste et plus violent, mais aussi parce que les circonstances s'y sont prêtées : tout le tournage s'est admirablement passé, même si ça a été difficile, douloureux souvent. On ne peut pas "jouer" ces rôles-là, il faut s'y donner corps et âme. On en sort K.O. mais c'est merveilleux.

Aller à Cannes dans la sélection officielle, ça ne l'émeut pas outre-mesure bien qu'elle n'y soit pas allée - sinon en invitée - depuis "Les parapluies de Cherbourg".

C'est bien parce que ça prolonge le film, mais la compétition ne m'intéresse pas. Ne pas être sur des listes de lauréats ne m'a jamais manqué et le sentiment d'émulation n'a jamais été pour moi un moteur. Je suis beaucoup trop individualiste pour ça !

Est-ce pour cela qu'elle tourne finalement assez peu ou par manque de scénarios ?

Peut-être parce que je suis très têtue. Si j'ai des doutes sur quelque chose, il est très difficile de me convaincre. Je sais qu'on ne peut pas toujours faire le | film de l'année, mais j'ai tout de même besoin de sujets qui, à mes yeux, sont importants. Le Monicelli "Pourvu que ce soit une fille" (sortie prévue en juin) est un film que j'aime même si je n'y ai qu'un petit rôle : il est misogyne, mais intelligent, ironique et finalement positif.

Quand je lui dis qu'elle doit certainement refuser beaucoup de propositions, elle enfourche son vieux cheval de bataille contre la télévision (c'est vrai qu'elle est têtue !).

Elle fait courir un grave danger au cinéma, et on ne fait plus assez de films, que ce soit en France ou aux États-Unis. Je suis archi-contre la manie qu'on a maintenant de mélanger cinéma et télévision, en utilisant les mêmes auteurs, les mêmes acteurs, les mêmes sujets. Le grand et le petit écran, ça n'est pas du tout la même chose. Moi, je vais au cinéma dans les salles, dans une atmosphère que j'aime et pas à la télévision. C'est de la paresse de rester chez soi dans son fauteuil...

Dès que l'effervescence de Cannes sera un peu calmée, elle aimerait se consacrer au livre qu'elle a promis aux Américains, et qui viendra ensuite en France.

Je le ferai, car j'ai envie de dire beaucoup de choses, mais ça n'est pas si facile que ça : n'est pas écrivain qui veut...

D'un livre à l'autre, je fais une allusion discrète à celui de Vadim dont on dit qu'il l'a mise fort en colère.

Je n'ai pas voulu le faire interdire parce que ça n'en vaut même pas la peine... Tout cela date de vingt ou vingt-cinq ans. Vadim veut redonner vie à des images qui n'ont plus cours, ou à lui-même, qui n'est plus qu'un fantôme. Comme Jane, je dirai "No comment".

Passéiste, elle ne l'est absolument pas.

Ça ne sert à rien de ressasser le passé. Ce qui est fait est fait et je n'ai jamais fait de choses monstrueuses, ou dont j'aie à avoir honte. Pour le reste, je pense à l'avenir.

Un avenir immédiat qu'elle voudrait gai.

Je rêve de faire une comédie, d'aller tourner à l'étranger : en Chine, en Amérique du Sud ou en Afrique. J'aime vivre et travailler dans un pays, c'est comme ça qu'on aime à le connaître, pas en faisant du tourisme. En vingt ans, je n'ai pas assez voyagé et tout m'attire encore. Le temps presse, je me sens une véritable boulimie d'ailleurs, mais pas plus d'un mois à chaque fois, car les miens me manqueraient.

Le dynamisme, l'énergie, la joie de vivre sont vraiment ses maîtres mots.

C'est pour ça que je ne fais pas de théâtre, à cause du trac. Polanski m'affirme que dès que le rideau s'ouvre on oublie l'angoisse. Mais aussi je pense à toute la journée à vivre, avec cette peur au ventre, en attendant le soir. Pas question ! Sous mes airs sereins, je suis terriblement angoissée. J'ai toujours envie que les choses soient positives, sans doute parce que ma nature profonde, c'est d'être inquiète. Le métier que je fais ne m'aide pas, car il est merveilleux et terriblement angoissant. Quelle que soit la notoriété qu'on ait, on vit en l'occurrence dans une incertitude totale. J'ai l'impression de faire des soufflés toute la journée, qui se transforment parfois en puddings ; ça prend ou ça ne prend pas, et on ne sait jamais pourquoi. Plus les années passent, plus ce sentiment s'amplifie. On a plus d'exigence vis-à-vis de soi-même avec une perception des choses plus aiguë, un sentiment plus grand de sa responsabilité. C'est épuisant !

A la voir si belle, si blonde et si charnelle, on devine qu'elle a ses trucs pour combattre l'angoisse.

Je fais de l'acupuncture, je me soigne à l'homéopathie et je fais de grandes cures de nature dans ma campagne. C'est là que je retrouve immédiatement de grands moments de sérénité avec ma famille, mes enfants et mes fleurs.

Des fleurs qu'elle plante et soigne elle-même - elle a une passion pour les roses - courant les expositions florales comme d'autres courent les musées ou les antiquaires. Son printemps sera gai : les roses à Bagatelle, le flower show à Chelsea, les serres d'Auteuil, les tulipes en Hollande d'où elle arrive tout juste. La nature nous ramène au "Lieu du crime", et aux merveilleux paysages du Sud-Ouest où le film a été tourné. A Danielle Darrieux qui, elle aussi, aime la nature et que Catherine Deneuve admire et respecte infiniment. Est-ce que vous vous imaginez vieillir comme elle ?

J'ai l'impression qu'elle a bondi de son fauteuil.

Je ne m'imagine pas et il ne faut pas s'imaginer. Peut-être parce que j'ai peur de vieillir, surtout parce que je ne sais même pas ce que je serai dans deux ans. Je n'ai aucune envie de faire des plans, parce que je me connais. Je suis une violente, avec des choses en moi que j'ignore moi-même, des réactions extrêmes auxquelles je ne peux rien. Quand je dis aux gens : "Vous ne me connaissez pas", ils ont du mal à me croire, et ils ont tort. Je ne regrette jamais mes violences, sauf si j'ai injustement blessé quelqu'un. Là, je suis capable de renoncer à toute fierté pour m'excuser. Personne n'a jamais pu me forcer à faire où à subir quelque chose contre mon gré. C'est une preuve d'indépendance, peut-être, mais aussi d'orgueil. Ça n'est pas facile à vivre mais je n'y peux rien : je suis rebelle et je ne sais même pas pourquoi je le suis.

Une rebelle, une angoissée qui n'a peur de rien, sauf d'être empêchée de faire ce qu'elle aime faire et surtout de perdre les gens qu'elle aime.

Les ennuis, les maladies, on peut se battre, faire quelque chose. Ce qui est insupportable, c'est l'irréversible.

La belle Catherine est une actrice dont on n'a pas fini de découvrir le talent, mais aussi une femme de cœur, courageuse et énergique.

J'ai, comme tout le monde, des périodes de grand découragement, quand la fatigue me gagne et que mon énergie me laisse tomber. Mais elle reprend vite le dessus, car t'important, dans la vie, c'est de ne jamais se résigner.

Le jardin secret de Catherine

Son jardin secret à elle c'est bel et bien un jardin. Celui de sa maison de campagne, où elle se réfugie chaque fols qu'elle le peut. Les mains dans ses rosiers, elle se ressource au contact d'une nature qu'elle a aimé d'emblée, et qu'elle a appris peu à peu à connaître, à domestiquer, à embellir.

Au point de départ de cet amour-passion, une dame dont elle parle avec un respect presque filial : Charlotte Testu, disparue depuis peu, auteur d'un album, "Les roses anciennes" (Flammarion), qui fut son amie et qui sut l'initier à tous les secrets des fleurs, des plantes et des arbres. Catherine Deneuve, si pudique, parle pour la première fois, avec une émotion profonde, d'un personnage et d'une amitié qui restent à tout jamais inscrits dans son cœur.

Sa vie n'a été qu'une longue histoire d'amour avec les plantes. Plusieurs fois par an, elle venait habiter chez mol, à la campagne. Elle s'installait, royale et lourde, regardait la pousse des plantes, humait leur odeur, avec une sorte de jubilation très émouvante qui, immédiatement, rayonnait dans toute la maison. Elle touchait les plantes, les caressait, s'adressait à elles avec des mots d'amour à la fois savants et tellement poétiques qu'ils en devenaient presque érotiques. Tout cela avec une délicatesse et en même temps une façon bourrue de dire les choses qui étalent extraordinaires. Quand mon travail m'empêchait d'être là, je lui téléphonais chaque jour, nous bavardions interminablement, elle me racontait mon jardin et je le sentais vivre. Elle m'a tout appris, la technique, le vocabulaire. Maintenant je sais qu'un arbre, c'est la puissance et l'éternité, que je pourrais rester des heures à le contempler, que j'adore les plantes fragiles, à feuilles argentées, et que la rose ancienne, c'est la reine des fleurs, parce qu'elle est la représentation de l'été et parce qu'un rosier peut exhaler une odeur de myrrhe incomparable...

Aujourd'hui, je sais que je suis loin d'être parvenue à son savoir, mais j'ai appris l'amour des plantes et des fleurs, les miracles de la floraison et de la fructification, la subtilité des odeurs. Je n'hésite pas à prendre l'avion pour aller voir un jardin dont on m'a dit du bien, pour aller chercher une bouture rare, et je fais constamment des petits voyages en Belgique, en Hollande, en Angleterre ou ailleurs pour acheter des plants, des graines que j'ai vus dans des revues spécialisées. Un jardin, ça n'est pas naturel. Il faut quinze ans, vingt ans pour qu'il existe réellement et semble triompher de la nature qui est pourtant toujours la plus forte. C'est une lutte presque inhumaine, et de chaque jour, contre le vent, la pluie, les mauvaises herbes. Si on se relâche un peu, le jardin est irrémédiablement condamné. C'est comme un enfant qui serait prématuré toute sa vie, et qu'on aimerait avec angoisse et passion, en sachant que le danger ne disparaîtra jamais.

Sa passion : les fleurs

Catherine Deneuve aime les fleurs et en cultive de toutes les espèces dans son jardin. Mais pour elle, la plus belle de toutes reste la rose ancienne au parfum incomparable de myrrhe...

Etonnant : sa vérité


Par : Sylvie Genevoix


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