Ses interviews / Presse 1980-89 / Madame Figaro 1988
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Une star incontournable

Drôle d'endroit pour une rencontre : il n'y avait que "Madame Figaro" pour réunir la plus célèbre de nos actrices, la plus mystérieuse de nos photographes et un de nos romanciers les plus prometteurs. Catherine Deneuve a voulu que Bettina Rheims (SYGMA) fixe son image, que Patrick Besson signe son portrait. Rencontre noir sur blanc pour une beauté de marbre, où l'objectif force la réserve d'un mythe. Besson aime Deneuve : il lui a déjà dédié un poème... Cela ne ressemble pas à ce qu'on a l'habitude de voir ou de lire sur le sujet.

"Catherine Deneuve... On serait tenté de s'arrêter là", écrivit un jour Eric Neuhoff pour une monographie parue chez Solar en 1980 et qui fait désormais la joie de quelques collectionneurs chevronnés. Aujourd'hui, dans ce petit salon mi-parisien mi-japonais, où le seul livre présent est "l'Exposition coloniale" - "Qu'est-ce que c'est que ça ? Ah, je crois que c'est un cadeau qu'on a fait à ma fille... Vous l'avez lu ? C'est bien ?" - "Incontournable, vraiment ? Catherine Deneuve est en vert et moi, évidemment, en prose. Quand elle parle, elle donne l'impression de lancer - avec un mélange d'ironie, d'exaspération et de mansuétude - du pain aux oiseaux.

Ça veut dire que je suis une espèce de monument... Quelque chose dans le genre de la pyramide de Peï ? Au contraire, j'ai l'impression d'être toujours en mouvement... Remarquez, c'est peut-être pour ça : comment contourner quelqu'un qui bouge sans cesse ?

Je remarque qu'en outre elle prend des risques : Mocky, Rappeneau, Dupeyron... Elle proteste :

Pourquoi des risques ? Un acteur a besoin d'un metteur en scène et il est toujours à la recherche de talents nouveaux... Les monstres sacrés, dans une certaine mesure, se nourrissent des jeunes auteurs et "vice versa" bien sûr...

Préfère-t-elle le mot "investissement" ? Elle sourit - le beau sourire de l'indifférence - boit une gorgée de vodka et dit que non, elle ne préfère pas.

Mais c'est vrai que les actrices sont plus courageuses, ont plus de fantaisie que les acteurs. Elles ont tout le temps besoin de se donner des frissons.

Deviendra-t-elle un jour productrice, pour avoir encore plus de frissons ?

Non, parce que sur un plateau je ne pense qu'à une chose : mon rôle. Je ne me vois pas en train de faire changer un décor, vérifier un cadrage, presser le metteur en scène, etc. Ça m'énerverait. D'ailleurs, je trouve que les acteurs qui produisent le film dans lequel ils tournent ont toujours, à l'écran, l'air énervé.

Que pense-t-elle des nouveaux comédiens français ?

Ils sont tous bons. Avant, il y avait ce qu'on appelait les "mauvais acteurs". Le mauvais acteur était, du reste, un personnage récurrent dans le cinéma français. De nos jours, c'est fini. Les gens jouent mieux, d'une façon générale. Même ceux qui ne font pas ce cinéma.

Elle compare "Les tricheurs", le célèbre film de Marcel Carné, aux "Nouveaux tricheurs", "remake "récemment diffusé sur Canal Plus.

II y a là-dedans de jeunes acteurs et actrices merveilleux de simplicité, d'intensité... Ils sont extraordinairement "pointus". Mais que vont-ils devenir ? On est trop dur avec eux. Ils sont asphyxiés par la presse, qui les monte au pinacle, les vide et les jette. On leur demande leur avis sur tout. Et puis, il faut qu'ils aient bon cœur, sinon gare ! Mais enfin, on peut être à la fois un grand acteur et le dernier des salauds !

Je lui ressers de la vodka, car mon verre est vide.

On ne respecte plus le mauvais caractère ou simplement le caractère. C'est pour ça que j'adore Pialat : il dit ce qu'il pense, comme il le pense, et se fiche du reste. Tout le monde devrait avoir le droit de faire ça. D'ailleurs, tout le monde l'a. L'ennui, c'est que personne ne le prend.

Ses "incontournables" à elle ?

La place Saint-Sulpice, parce qu'elle n'est jamais deux fois pareille ; Robert De Niro pour - entre autres - son interview dans le dernier numéro de "Studio" ; Jessica Lange, pour les petits boutons de fièvre et de malheur qu'elle a autour des lèvres dans "Frances" ; Hissène Habré...

Là, je demande des explications.

II me semble qu'il peut marcher longtemps pieds nus...

Voilà tout de même une des choses les plus troublantes qu'une femme ait jamais dites sur un homme. Son écrivain incontournable ?

C'est bête, mais c'est Proust.

Je me demande si, un jour, je serai las de Catherine Deneuve, et la réponse est non. Un grand artiste n'est-il pas nécessairement quelqu'un dont on ne se fatigue jamais ?


Par : Patrick Besson
Photos :
Bettina Rheims


Film associé : Aucun



Documents associés
Bettina Rheims