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Catherine par Deneuve

Je suis une femme qui fonctionne à l'énergie. Le dynamisme que je dégage, les activités multiples qui sont les miennes viennent d'une vitalité explosive. Aussi pour recharger mes batteries, je décompresse en sommeillant. Je dors n'importe où, sur une chaise, une banquette de voiture, en transit dans un aéroport... Lorsqu'on me demande ce que je fais entre les prises sur un tournage, je réponds : "Je dors" ; en fait ce n'est pas un vrai sommeil, j'associe ça à l'état de veille chez les animaux, une manière de récupérer très vite son énergie pour s'en servir à la seconde. Ce n'est pas un repos synonyme d'oubli car je reste vigilante à ce qui m'entoure. Dans mes journées, toutes mes activités se chevauchent un peu. Je passe du professionnel à l'intime, des choses de métier à des choses personnelles. Comme beaucoup de femmes, je suis obligée de mêler les deux. Il n'y a pas eu de période dans ma vie où je n'ai vécu qu'à travers mon métier, j'avais déjà un enfant à vingt ans. Il y a une phrase que j'aime bien dans "Le Dernier Métro", celle que dit Depardieu à Andréa Ferréol : "Il y a deux femmes en vous". Je pense que c'est ce qui nous différencie des hommes. Tenir à deux en une seule ! Un sacré vertige ! Ce qui explique qu'une femme se réservera toujours dans une journée des plages à elle pour ses pensées secrètes.

Je n'aime pas le quotidien et j'en ai besoin, pour stabiliser certaines choses. L'horreur de la routine, c'est peut-être aussi la peur de voir repoindre cette mélancolie qui dort au fond de moi. Mon grand plaisir reste de penser : on va m'appeler et je vais devoir sauter dans un pantalon et prendre l'avion dans la demi-heure ! Ça, ça me plaît beaucoup ! Je préfère l'imprévu, les projets, y compris ceux qui n'aboutissent pas. C'est important la gestation des choses, comme celle des émotions, on ne peut vivre en permanence dans les certitudes. Donc je dois gérer une contradiction dans ma vie, celle de vivre des événements forts, jouer étant le plus intense, puis de retomber dans une espèce d'attente terrible. Mes activités hors cinéma, le parfum et les bijoux, compensent ces attentes, me permettent de choisir des films indispensables. C'est une forme de liberté.

Il est vital de pouvoir choisir, pour tout. De s'obliger à émerger au grand air. Je suis comme tout le monde, j'ai des doutes et souvent je dois me pousser dans une direction, me forcer à prendre une décision. Je suis beaucoup moins sure de moi que j'en ai l'air et la peur est un véritable moteur pour me faire avancer. Dans la vie et dans mon métier. On m'imagine souvent comme une femme parfaite, sans faille, gérant son temps d'une façon méticuleuse. Malheureusement, je n'y arrive pas mais je ressens le besoin de tendre vers ça. Comme une nécessité intérieure. En fait, je suis en quête d'harmonie. J'entretiens, par exemple, un rapport assez passionnel avec la campagne. Il dure depuis vingt ans. C'est un besoin vital, presque cellulaire. A l'inverse de Paris, le mouvement n'y est pas nerveux, je marche à mon pas. Le jardin, les plantes, toutes ces occupations m'apaisent, me font du bien et puis, je vagabonde énormément. Cette liberté, je la protège contre tous les emplois du temps. Je crois que c'est la part d'enfance qui ne m'a jamais quittée.

Petite fille, j'étais rêveuse, j'écoutais les gens énormément, je ne parlais pas. Ma sœur Françoise était très volubile et moi muette, je me cachais derrière elle. Je n'étais pas du genre à aimer me déguiser ou à jouer à des jeux de société. Je me trouvais déjà entre le rêve et l'envie de vivre. Pour combler le fossé avec ce qui m'entourait, ce que j'en imaginais. Je me sentais aussi timide et très craintive vis-à-vis de l'extérieur. Je pense incarner certaines femmes d'aujourd'hui, qui ont été mariées, qui ont eu des enfants hors du mariage et qui travaillent en même temps, pendant, après. Malgré les absences dues à mon métier, j'ai été présente, même loin à l'étranger, pour leur apprendre à s'interroger, à développer un esprit critique. Pour moi, la famille dépasse les liens du sang. Elle est plus large tout en restant plus intime. Pour échanger des choses profondes avec des amis, il faut avoir une complicité concrète de ce que l'on vit. D'où la difficulté de me confier en public. Il ne s'agit pas de garder un secret ou d'entretenir un mystère mais je ne veux pas tromper les gens, faire croire que je donne tout alors qu'il ne s'agit que d'une partie de moi-même. Mes proches, je les connais depuis longtemps et la fidélité est le moteur de cette amitié. Je n'ai jamais eu de vraies déceptions, je n'ai jamais perdu que les amis qui m'ont quittée physiquement.

Etrangement, je ne sais pas si j'ai une famille de cinéma. Sans doute, mais les acteurs et les metteurs en scène sont souvent volages. On s'adore et après on s'oublie. On noue des amitiés très fortes au cours d'un tournage et à la fin chacun s'en retourne à ses projets. C'est ainsi et je ne me sens pas plus trahie que les autres ; ce qui est important, c'est de le savoir avant. J'aime bien ces contacts fugaces et forts, se perdre, se retrouver sur un autre plateau, ce rapport éphémère qui fait que la relation est forte. Dans ce milieu, il y a eu l'importance de François Truffaut et aujourd'hui d'André Téchiné. J'aime beaucoup Philippe Noiret, Jean-Louis Trintignant, Dominique Lavanant et Bernadette Lafont pour qui j'éprouve la même tendresse à chaque fois que je les rencontre. Mais la liste n'est pas close. J'aurais pu être d'une nature mélancolique et le cinéma m'en a sortie. J'ai eu la chance de rencontrer Jacques Demy et de m'en rendre compte pendant que je tournais. J'ai su que j'avais trouvé mon propre écho en jouant. Ensuite ça s'est concrétisé avec Buñuel, Polanski, Rappeneau et Truffaut. Le fait d'avoir tourné jeune, avec des réalisateurs un peu mythiques, empêche les erreurs ; on est plus disponible à vingt-cinq ans, plus ouverte, plus souple. Mais curieusement les grandes propositions de rôle ne vont pas toujours dans le sens de vos possibilités qui ne cessent de s'améliorer. Il y a une demande qui défie la logique à l'égard des femmes dans le cinéma. On peut être une actrice tout à fait reconnue, aimée du public et ne pas trouver de films qui vous emballent.

J'ai eu envie de rencontrer des metteurs en scène comme Mocky, Dupeyron ou Téchiné qui me donnent le sentiment d'être vivante professionnellement. Parce que le métier d'actrice est une création permanente. L'être depuis vingt ans correspond à une manière de vivre, un état naturel, presque inscrit dans les gènes.

Je me sens assez rebelle, nantie d'un bel esprit de contradiction. A partir du moment où je prends des décisions qui correspondent à mes choix de vie, quel que soit le prix à payer, rien ne peut m'en empêcher. Même s'il s'agit de folie ! Alors je n'ai pas vécu soumise, cependant j'ai l'impression d'avoir
répété énormément en silence. Je tiens trop à bien faire, je suis une perfectionniste. Si on me laisse agir à ma guise, je refais tout. Parfois je songe qu'arrivée au dernier jour de ma vie, je voudrai tout arrêter, et pouvoir dire : "Non, non, attendez, pas maintenant, on ne m'a pas laissé le temps, je suis prête là, j'ai compris, j'ai l'expérience, je peux commencer, pas recommencer". Comme si tout n'avait été jusque-là qu'une immense répétition générale !

Que soudain, Belle au bois dormant, je me réveille enfin. Ça n'a rien d'un cauchemar, seulement je suis toujours préoccupée par le temps et je n'arrive pas à en tenir compte dans ce que je fais. Avec en permanence cette idée de rendre une copie raturée et pas la bonne. J'aime garder l'impression de vivre à peu près normalement, c'est-à-dire, marcher dans la rue, faire des courses. Contrairement à ce que tout le monde pense, je vais au restaurant, au cinéma. Ça me coûte par moments mais je vis ainsi. Dans certains endroits, lors de circonstances particulières, on peut m'obliger à me voir comme une star. Il y a le regard des autres sur vous, cette insistance. Néanmoins, j'ai eu une grande chance dans ma vie, celle d'avoir eu un père qui nous a enseigné l'humilité et le sens de la dérision. C'était quelqu'un qui n'oubliait pas de nous rappeler que sous la roue du paon, si belle soit-elle, il y a toujours deux pieds palmés. Cette simplicité, je la porte en moi. On peut me trouver heureusement des défauts mais la seule chose dont je suis sûre, c'est de ne pas me prendre au sérieux.

Voilà, c'est mon histoire, toujours la même histoire. Avec peut-être un éclairage un peu différent.

 

 

Catherine Deneuve rédacteur en chef : un numéro magique

Publié aussi dans "Jours de France Madame"



Par : Catherine Deneuve
Photos : Barry Mac Kinley


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Barry Mac Kinley