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Ses interviews / Presse 1980-89 / Madame Figaro 1989 |
Repères
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Visiblement, elle aime ça. Elle observe, elle hume longuement le verre. Volnay 1959 premier cru. Dans cette cave de Beaune sombre et voûtée, la poussière centenaire qui tapisse une armée de vénérables bouteilles semble vibrer, le gris mat soudain ravivé en halo par des cheveux-lueur. Catherine Deneuve, dernière recrue de l'Académie des arts et du vin, s'adonne à ses gouleyants travaux pratiques. Pourquoi elle, si rétive d'habitude aux associations, a-t-elle accepté avec enthousiasme de devenir "académicienne" ? Parce que j'aime le vin ! Nous avons tous des vies tendues. Le bon vin délasse, rend les gens gais. Sauf si l'on en abuse, bien sûr. Pour moi, le vin est inséparable des amis, du partage d'un moment chaleureux. C'est le ruban indispensable de la convivialité. Créée il y a trois ans sous l'égide de Calvet, l'Académie des arts et du vin regroupe 14 artistes, tous épicuriens bons vivants. Et l'on imagine aisément qu'entre Chabrol, Rochefort, Poiret et les autres, les séances de dégustation n'engendrent pas la mélancolie. Fait significatif: cette année, la présidente en est l'experte et gourmette Macha Méril. Comme quoi on admet aujourd'hui qu'une femme puisse aimer le vin sans être une pocharde. Catherine Deneuve en est la preuve radieuse. Les gens qui ont du goût et de l'odorat ne peuvent qu'apprécier les bons vins, les plaisirs de table - raffinés. J'ai toujours aimé ça, comme mon père. Et ma fille Chiara est pareille : bien que très jeune, elle prend plaisir à goûter, à sentir les vins. C'est très curieux. Ce qui l'attire dans un vin ? Elle que les fleurs et les parfums passionnent, lance d'emblée : Les odeurs. Un vin, ça se respire, le velouté en bouche vient ensuite. Elle réfléchit une seconde, puis : On ne parle presque jamais de la couleur des vins. Pour moi, c'est essentiel. J'ai remarqué un jour que les grands vins avaient une couleur particulière, très profonde. Si bien que maintenant, je les reconnais presque à la vue. Ce ne sont pas des nuances rubis, comme on le dit souvent : le rubis brille, mais il est transparent. La couleur d'un grand vin, c'est pour moi celle des pétales des pensées pourpres. Un rouge dense, vivant comme un velours. Catherine Deneuve s'interrompt. Ecoute les explications du maître de chai. Se mordille la lèvre inférieure comme une écolière qui s'applique. C'est que, justement, l'homme de l'art insiste sur les précautions à prendre pour bien conserver ses bouteilles. Et que, justement, sa cave à elle lui cause quelques soucis... Je me retrouve régulièrement dans 20 cm d'eau. Que faire ? Elle discute des solutions, grapille les conseils. Puis en riant : Alors, si je comprends bien, ou je pompe ou je m'achète des bottes ? Et d'évoquer la cave d'une maison précédente qu'elle avait fait aménager. En "pro", comme toujours. C'était une maison sans fondations. J'ai donc dû la faire creuser à la main ! Mais elle était superbe, impeccable, avec du sable par terre, des casiers, des alvéoles de tuiles rondes comme en Italie... Dans sa cave, quels vins entrepose-t-elle en vue des libations futures ? Ma prédilection va aux bourgognes. Parce qu'ils allient amplitude et finesse, mais aussi parce que leurs noms me font rêver. Se profilent en filigrane les mâles rotondités sonores du pommard, les joues pleines du mafflu richebourg, la fière élégance du romanée-conti que le prince de Conti, jadis, ravit de justesse à la Pompadour. Et aussi des noms de climats, qui chantent à l'oreille des trilles de mystère ou de poésie. "Chevalier-bâtard", Les griottes, les Combettes, sans oublier, à Chambolle-Musigny, le soyeux cru les amoureuses. Grisant voyage au pays du vin et de la sémantique. Musardant aussi dans d'autres vignobles, Catherine succombe en ce moment devant un côte-rôtie la mouline de Guigal, un must rare du nord de la vallée du Rhône. C'est Depardieu qui me l'a fait connaître. Grâce à lui, qui est très connaisseur, j'ai pu en acheter deux caisses, mais il faut que j'écrive vite au vigneron pour avoir le droit d'en obtenir encore l'an prochain ! Quel vin sublime, opulent... On plonge dans des arômes d'épices, de cuir, de fruits rouges... Un vin qui, comme tous les grands vins, conjugue
en virtuose force et charme, plaisir et équilibre. Exactement comme
elle. |
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