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Star mystère ? Deneuve s'explique

Si Catherine Deneuve cache sa vie privée, c'est par aversion pour l'étalage du "fouillis intime", parce que, comme elle le dit ci-dessous : "Aux hommes connus on ne pose pas de questions personnelles, alors pourquoi aux femmes, c'est injuste". Cette interview accordée à Michèle Manceaux est une rareté : Deneuve n'en donne qu'une par an aux magazines. La star n° 1 du cinéma français s'y révèle forte, vivante, équilibrée, "une femme épatante", comme le proclament ses metteurs en scène, et une actrice heureuse dont nos photos retracent la carrière... et un tout petit peu la vie.

Catherine Deneuve donne peu d'interviews, à peine une par an. On sait peu de choses à son propos, des choses officielles : un fils avec Vadim, une fille avec Mastroianni - (les deux séducteurs du siècle) -, un mariage avec le photographe anglais David Bailey, la mort accidentelle de sa sœur, comédienne ravissante et douée, Françoise Dorléac et puis surtout on sait qu'à quarante ans, après quarante films, elle est la seule "star" française, la plus chère au box-office (200 millions de centimes par films), la seule qui garde un mystère. De ce mystère, j'ai demandé à plusieurs metteurs en scène qui ont fait des films avec Catherine Deneuve ce qu'ils en pensaient. Ils ont tous en un mot, toujours le même, pour définir cette créature blonde, à la fois diaphane et énergique : elle est épatante. Et en effet, dans son appartement 1930, entre ses enfants très présents et son secrétariat très précis, Catherine Deneuve se découvre une femme épatante, résolument indépendante et sincère. Une femme qui a le sens de la tenue et des valeurs. Une femme dont Gérard Depardieu le plus fameux comédien de sa génération et le plus poétique, dit : "Catherine, c'est l'homme que je voudrais être". Ce mois-ci, elle sera la maîtresse du président de la République dans "Le bon plaisir", film de Francis Girod, tiré du best-seller de Françoise Giroud.

Vous ne voulez absolument pas parler de vous sur un plan privé ?
Non. Je n'aime pas lire les interviews que vous faites dans "Marie Claire", la vie privée des gens ne m'intéresse pas. Sans doute, parce que je n'aime pas que l'on s'intéresse à ma vie privée. Je trouve dommage que l'on interviewe les actrices, disons les femmes connues, quelle que soit leur activité, et qu'on arrive toujours à leur poser des questions personnelles, c'est-à-dire sur leur vie privée. Je trouve ça injuste dans la mesure où l'on ne pose pas ces questions aux hommes connus.

"Marie Claire" est un journal féminin qui s'intéresse, davantage qu'un autre, à la vie des femmes.
Ce n'est pas une raison. Si on interviewe des hommes, on ne leur pose pas des questions intimes. On ne les interroge pas sur leurs enfants, leurs relations, leurs difficultés à assumer leur vie professionnelle. Comme si un homme était assez intéressant du fait qu'il travaille, pour que lui, on n'ait pas à lui poser ce genre de questions personnelles. Je pense que ce devrait être pareil pour les femmes. J'ai tourné une quarantaine de films. Si vous venez me voir, c'est à cause de ce travail. En tout cas, c'est le terrain sur lequel j'ai envie de répondre. En plus, je trouve que les interviews ne sont pas assez préparées et que ça donne à l'ensemble de l'interview une impression de fouillis intime assez vaseux. C'est un défaut français qui n'existe pas tellement à l'étranger, aux U.S.A., en Angleterre, où l'on reste beaucoup plus professionnel. Ici, on prend le ton de la conversation qu'on pourrait avoir avec une amie, et on entend toujours la même chose. Moi, ça ne m'intéresse pas de savoir que Marie-Christine Barrault est gourmande, sensuelle, etc.

Les lectrices aiment connaître mieux les femmes connues.
Voilà, c'est contre cela que je m'élève violemment : on n'a pas à donner aux gens ce qu'ils veulent à partir du moment où on estime qu'on le fait uniquement pour leur faire plaisir, en sachant qu'on ne leur apporte rien. Je ne dis pas qu'une interview sérieuse apporte beaucoup mais au moins, on essaye de réfléchir, d'apporter une connaissance. Alors que l'idée qu'on fait plaisir aux lectrices parce que c'est ce qu'elles ont envie de lire, je trouve que ça ne flatte pas ce qu'il y a de meilleur en elles. On a tous tendance à lire ça dans les journaux qu'on acheté ou qu'on n'achète pas - quand je suis chez le coiffeur, dans une salle d'attente, j'avoue que je lis aussi des choses pour lesquelles je n'ai pas une grande admiration, mais disons que j'évite de remplir, moi-même, ce genre de colonnes.

Je ne plaide pas pour ce type d'interview, j'en connais aussi les limites, mais c'est vrai que la vie des gens m'intéresse.
Moi aussi, la vie des gens m'intéresse, mais on ne dit pas n'importe quoi à n'importe qui. Simplement pour répondre à une curiosité un peu voyeuse, un peu malsaine.

Je ne sais pas pourquoi je plaide pour ce genre d'interview mais il y a souvent des actrices qui sont des femmes intelligentes, agréables et qui ne désirent pas tellement parler de leur métier ou ne savent pas en parler.
Moi, je trouve qu'il y a surtout beaucoup de journalistes qui ne savent pas parler aux acteurs de leur métier. Un grand metteur en scène m'a dit un jour : "II faut apprendre à être meilleur que les questions". C'est vrai, on vous pose des questions, souvent banales et on nous demande de répondre des choses originales. C'est aussi parce que l'on nous pose toujours les mêmes questions que j'ai décidé de répondre à très peu d'interviews. Si ça ne tenait qu'à moi, je n'en donnerais pas. Non par goût du secret, ni pour cultiver une image, mais parce que je n'exerce pas un métier qui varie tellement. Parce que je ne mène pas une carrière mouvementée sur laquelle j'aurais à m'expliquer tout le temps. La dernière interview que j'ai donnée à "l'Observateur" date d'un an. Je ne dis pas que ça m'a vidée mais ça m'a enlevé l'envie de parler pour plusieurs mois. Quand je vois des acteurs, à la sortie des films, qui se soumettent à un programme de trois jours où ils rencontrent des journalistes du matin au soir, je trouve ça terrible. Ce n'est pas une idée juste que la promotion d'un film doive se faire comme ça.

Les publicitaires essayent de faire d'un film, un événement.
Oui, mais au stade où j'en suis - ça fait plus de vingt ans que je fais du cinéma - on n'a pas tellement besoin de parler de moi. On en parle de toute façon, on écrit toute l'année, même si je ne fais rien. Je suis frappée du nombre de gens qui me disent: "On vous voit partout." Il suffit de deux couvertures de magazines, d'un film ancien à la télévision et on ne quitte pas l'actualité. Il y a un moment au contraire, où il faudrait arriver à freiner la curiosité parce qu'il y a répétition donc saturation. On existe dans l'esprit des gens, on n'a pas besoin de leur raconter comment vont vos amours, vos enfants.

Soit, mais il n'y a pas une muraille entre la vie privée et la vie publique. On s'adresse à une seule personne. Si je vous demande: "Est-ce que vous aimez le quartier où vous habitez ?" est-ce la personne publique ou la personne privée qui répond ?
Quand on me pose des questions sur mon métier, je n'ai pas l'impression d'être deux personnes différentes, c'est toujours moi qui parle.

Je vois sur votre table, un livre : "Les Cahiers de la drôle de guerre", je me dis : on pourrait parler de ça, mais est-ce privé ou public ?
Je ne l'ai pas lu, je l'ai acheté. Il y a beaucoup de livres que j'achète et que je ne lis pas. J'adore les livres, j'en lis quelques-uns, mais il y a beaucoup de livres que je n'ai pas lus.

Vous voyez, vous entrez là dans une conversation privée. (Rires).
Franchement, je n'avais pas pensé à cette question. Généralement, on me demande quels sont mes goûts en musique, en littérature et je réponds : mes goûts, je n'en sais rien. Je suis comme tout le monde, si je regarde une émission de Pivot et que je vois quelqu'un d'intéressant, c'est certain que j'ai envie de le lire. La musique, c'est un peu pareil. Je n'ai pas de goûts définis.

Vous consacrez du temps à la lecture ?
Non, parce que je suis très agitée, parce que j'ai du mal à faire tout ce que je yeux, parce que je suis une personne et pas deux, contrairement à ce qu'on peut croire. Le temps me manque et j'ai du mal à faire que les choses soient un peu harmonieuses. C'est la grande différence entre les hommes et les femmes, les femmes sont beaucoup plus préoccupées de l'harmonie de leur vie.

Comment cela ?
Les femmes veulent réussir leur métier, mais aussi l'amour, la maternité. Pour les hommes, généralement, le métier est la préoccupation dominante.

Les femmes veulent tout, est-ce harmonieux ? Elles courent après le temps.
C'est vrai, mais elles ont raison de tout vouloir. Et puis, elles sont quand même moins "ambitieuses" que les hommes.

Vous n'êtes pas ambitieuse ?
Moi, j'ai eu la chance d'avoir réussi jeune sans me donner aucun mal, presque par hasard. Après, je n'ai pas eu besoin d'être ambitieuse sur ce plan-là. Je le dis sans fausse modestie. Il y a des choses que j'ai faites ou que j'ai refusé de faire, il y a quand même des choix, mais au départ j'ai eu cette chance formidable. Je ne suis pas très ambitieuse parce que j'ai la chance d'avoir réussi jeune.

J'ai quand même l'impression que vous travaillez avec une énergie et une volonté très précises. En tout cas, c'est ce que vos metteurs en scène disent de vous. Je leur ai demandé de me parler de vous.
Ah, c'est formidable.

Je vais vous faire réagir à ce qu'ils ont dit.
Oui, oui. C'est bien, c'est rare.

Jacques Demy...
Oh la la, j'ai refusé le rôle d'"Une chambre en ville", il doit m'en vouloir.

Il ne l'a pas montré. Au contraire, il est très élogieux, il dit : "Catherine est irréprochable".
Quelle chape de plomb s'abat sur mes épaules quand j'entends ça !

Ils ont tous fait à peu près le même portrait.
Irréprochable ?

Oui, professionnellement, irréprochable !
Il ne faut pas exagérer.

Vous ne vous trouvez pas irréprochable ?
Non.

Ils disent que vous avez une conscience professionnelle fantastique.
Ça oui, mais irréprochable, non. Je suis très passionnelle, je me décourage facilement. Autant je peux m'enthousiasmer, autant je peux descendre brusquement, je suis très cyclothymique.

Vous voyez, on est entraîné à parler de vous quand même !
Cela ne me gêne pas de parler de moi à travers mon métier. D'ailleurs ce que je fais dans mon métier en dit beaucoup sur moi. Après vingt ans de carrière, le public a quand même une idée sur le caractère d'une actrice, qui ne peut pas être entièrement fausse.

Vous avez une image, oui c'est ce qui fait de vous une star. Mais je ne vous connais pas, je ne connais pas votre caractère, je ne connais que vos films.
C'est le plus grand compliment qu'on puisse me faire. Quand on me dit que je suis froide et hautaine, ça ne me plaît pas. Qu'on dise que je suis distante, je l'accepte. C'est vrai, je n'aime pas les faux rapports, les fausses amitiés, le copinage. C'est vrai que j'ai préservé une image, une image qui n'est pas tout à fait moi, je le reconnais, mais c'est l'image que j'ai envie de donner. Dans la vie, c'est pareil, on a toujours envie de donner une image de soi qui correspond à ce que l'on voudrait être, même si on n'y parvient pas toujours. Mais pour une actrice, c'est presque un devoir de correspondre à l'image que les gens ont de vous. Parfois c'est un peu lourd, on a envie d'envoyer tout balader mais en même temps ça oblige à une certaine tenue et la tenue c'est une chose importante dans la vie : je pense que les contraintes font partie de la vie.

Un autre meneur en scène, Alain Cavalier, à dit: "Catherine est dans une position anti-réaliste, elle est une artiste de sa personne".
Très joli. Mais si j'ai, en effet, la volonté de construire quelque chose de moi-même dans mon métier, j'affirme sincèrement que ma vie personnelle a toujours été plus importante que mon métier. Non que je sous-estime mon métier, mais j'ai toujours senti que cela ne pouvait pas être l'essentiel de ma vie, que cela n'en serait jamais le moteur. J'ai besoin de travailler, de m'exprimer professionnellement mais ma famille, mes enfants - ce n'est pas seulement un sens des valeurs - c'est primordial pour moi. J'ai des amis, les mêmes depuis vingt ans. Ce sont eux à qui je tiens vraiment. Mon métier est complémentaire.

Pourquoi choisissez vous un film plutôt qu'un autre ?
Quand on est un acteur connu, forcément le public, donc les producteurs, ont une image de vous et on en est victime. Il y a des acteurs paradoxaux qui choisissent des emplois contraires. Moi, je dirais que c'est un peu les deux, je suis Balance, j'ai envie de faire des films qui me correspondent et en même temps je suis souvent attirée par des contraires extrêmes. Par peur de la monotonie, par peur de m'ennuyer... Quand j'ai fait "Les prédateurs" que certaines personnes aiment beaucoup et d'autres détestent, je l'ai choisi parce que j'incarnais un vampire, ça me plaisait.

Vous le regrettez ?
Non, j'aime bien le film, je ne le regrette pas même si certaines personnes me le reprochent.

Et "Le bon plaisir", le film qui sort ce mois-ci, pourquoi l'avez-vous choisi ?
Parce que j'ai été choisie.

Vous êtes choisie souvent, ce n'est pas une raison suffisante.
Les acteurs, même connus font les choses qu'on leur propose. Ce qui compte pour moi, c'est de continuer à donner une image suffisamment nouvelle pour créer une envie. Je choisis dans ce sens. Souvent, on me dit : pourquoi ne produisez-vous pas vous-même un film pour jouer tel ou tel personnage. Mais ce n'est pas dans ma nature. J'ai essayé, ça ne marche pas, ça crée des rapports de force un peu faussés. J'aime mieux que des auteurs écrivent pour moi, que des réalisateurs me cherchent, me veuillent.

Il y a beaucoup de gens qui ont envie de travailler avec vous, donc ça ne suffit pas qu'on vous choisisse.
Non, c'était une boutade.

Alors pourquoi "Le bon plaisir" ?
Parce qu'il y a quelque chose de bien articulé dans les rapports des personnages, parce que c'est raconté comme une roman policier, parce que la situation est originale, à la limite justement entre la vie privée et publique. Intéressant de voir comment des gens connus utilisent leur pouvoir.

Votre metteur, en scène dans ce film, Francis Girod, dit que vous connaissez parfaitement la technique du cinéma, que vous savez vous mettre en valeur.
C'est normal que je connaisse la technique, au bout de vingt ans. Mais je ne suis pas une actrice égoïste, je sais aussi mettre les autres en valeur.

(Irruption de Christian, vingt ans, le fils de Catherine Deneuve et de Vadim, qui vient demander de l'argent).

Je suis pour l'autorité vis-à-vis des enfants, mais avec lui c'est fini, il est trop grand, il gagne sa vie. Il ne me demandait qu'un prêt. Quand même c'est formidable, ce qu'il est décontracté, je n'aurais jamais osé déranger quelqu'un en plein travail. En même temps, je trouve ça bien qu'on ose quand même. (On sent une mère débordée, comme beaucoup de mères d'adolescents.)

Ah oui, Christian, quelle décontraction. II est réellement charmant mais il faut faire attention aux enfants charmants, on a tendance à leur céder beaucoup trop.

Votre fille a quel âge ?
Onze ans. Elle veut tout le temps être avec moi. Ça me fait un peu peur. Elle n'aime pas la compagnie des enfants de son âge. Elle préfère être seule avec moi. Mais nous parlions, je crois, de la technique: C'est vrai que ça m'intéresse, c'est un bon dérivatif à l'angoisse de regarder les autres travailler. Ma façon de me concentrer c'est de me déconcentrer, donc d'observer, de regarder les techniciens, les autres acteurs. J'observe beaucoup.

D'où votre réputation de froideur ?
Peut-être, mais si je ne m'intéressais plus à rien sur un plateau, ce serait l'attente, la répétition, l'ennui. C'est parfois ce que je redoute.

Et comment vous débrouillez-vous avec cette fonction de séduction de l'actrice, que personnellement je trouve tellement angoissante ?
Tout le monde est dans la séduction, vous aussi, les hommes politiques aussi, il faut toujours charmer, toujours séduire.

Si vous vendez du fromage, vous n'avez pas besoin de séduire. Si vous vendez autre chose que votre physique, c'est moins angoissant.
C'est vrai que la cruauté du public avec les gens qui font du cinéma depuis longtemps, est terrible. C'est horrible ce qu'on peut entendre. Des réflexions absolument épouvantables que les gens disent à haute voix. Ça m'est arrivé, il n'y a pas très longtemps. Ce jour-là, je me sentais en forme et je traversais la rue. Un jeune homme m'a reconnue et m'a interpellée familièrement, il était dans une voiture avec une jeune femme à côté de lui, et il m'a dit : "T'es moche !" J'étais sidérée mais j'ai trouvé ça tellement étonnant que j'ai ri. J'ai compris que c'était plus pour épater la jeune fille qui était à côté de lui. J'ai ri parce que ce jour-là, je me sentais en forme, mais un autre jour, j'aurais pu me sentir terriblement agressée.

Il y a une autre chose qui est cruelle pour les acteurs, c'est le vieillissement.
Oui, c'est la chose la plus cruelle, la plus injuste, la plus dure, surtout pour les femmes. C'est vrai que j'y pense, que ça me préoccupe. Cela ne m'angoisse pas encore, mais j'y pense beaucoup et je sais qu'il n'y a pas de remède. Ce que j'espère - des amies qui sont des femmes plus avancées en âge que moi, me le disent - c'est qu'avec l'âge, on voit les choses différemment. Heureusement, c'est une compensation. Pour l'instant, ce sont des questions que je n'aime pas me poser. Je ne sais pas comment je me verrai dans cinq ou six ans, comment je supporterai de me voir vieillir dans les yeux des autres, comment je réagirai. Je ne pas quelle est la meilleure façon de se protéger, de se préparer à ça. On peut se dire : ce sont des choses que je repousse, mais je sais que ça arrivera. Il y a des jours où ça m'angoisse, il y a des jours ou ça passe. J'espère que l'autre versant de ma vie, qui n'est pas ma vie d'actrice, m'aidera à prendre le virage.

Il y a sans doute un moment où il faut savoir changer d'emploi.
Oui et c'est difficile parce qu'on a tendance à toujours vous proposer la même image qui a fait recette. Ce sont les autres qui ne veulent pas vous voir vieillir, qui veulent conserver le passé. Il faut avoir la lucidité de sentir les choses que l'on ne peut plus faire mais c'est difficile quand les autres insistent : "Mais non, tu te trompes, tu es encore si belle, tu peux encore faire ça". C'est difficile de résister à ce discours qu'on a encore envie d'entendre. J'espère que je saurai m'armer pour ce tournant. Mes enfants m'aideront.

Comment cela ?
Quand on est une actrice seule, qu'on a un coup de cafard, qu'on a des problèmes, on a tendance à se réfugier chez les uns, les unes, les autres ; on a moins d'obligations à réagir. Quand on a des enfants ou même un enfant, on est obligé de faire des efforts. Je crois qu'il faut faire des efforts, pas démesurés parce que si ça coûte trop, on craque, mais les enfants obligent par leur comportement, leur vie à eux, leur exigence, à ne pas se laisser aller, à ne pas s'écrouler.

J'ai l'impression qu'il y a dans ce métier d'actrice, peut-être particulièrement pour les femmes, une angoisse continuelle de n'être pas à la hauteur. De surcroît, le statut de star, portée au pinacle, ne conduit-il pas à une sorte de perte d'identité ? On n'est plus que l'image des autres.
C'est vrai que bien des acteurs deviennent alcooliques ! Il y a une vie artificielle dont je me rends compte, mais je me protège. Je suis assez sévère avec moi-même, pour m'empêcher de tomber dans ces débordements. Quand j'étais très jeune, je ne savais pas ce que je voulais mais je savais déjà qu'il y avait des choses que je n'accepterais pas, que je ne me laisserais pas entamer, que je ne laisserais pas ma vie professionnelle prendre le dessus. J'ai un instinct de survie très grand.

Est-ce que vous imagineriez d'arrêter ce métier, comme Bardot, en disant : "C'est fini".
Non, parce que Brigitte, je crois, n'aimait pas beaucoup ce métier. Moi, j'aime beaucoup ce que je fais.

Imaginez-vous de travailler moins, de gagner moins d'argent ?
Oh ! la, la ! Travailler moins, je m'en accommoderai, ce n'est pas que je sois paresseuse mais j'ai beaucoup de choses à faire dans la vie. Mais gagner moins d'argent, ça me posera de gros problèmes. Rien que d'y penser, ça m'inquiète. Je suis une cigale, je dépense tout ce que je gagne.

Vous qui êtes si sérieuse !
Sur ce plan-là, je ne suis pas du tout sérieuse. Vous voyez que je ne suis pas irréprochable.

Un autre metteur en scène, Philippe de Broca, dit que vous portez une cotte de mailles.
Il exagère, Philippe. D'ailleurs une cotte de mailles, c'est plein de trous. Je ne sais pas pourquoi il dit ça. Je me suis beaucoup amusée sur le tournage de "L'Africain". C'était un peu loin mais j'aime beaucoup tourner en extérieurs. On appartient entièrement au film, on ne rentre pas le soir chez soi, c'est une bonne concentration. Généralement, les hommes souffrent davantage des tournages en extérieurs, ils sont beaucoup plus déracinés, ils ne savent pas s'adapter.

Quel est finalement à votre avis, le plus difficile de ce métier ?
L'incertitude. Parfois, il m'arrive de me lever tôt et de voir des gens qui vont à leur boulot, comme ça, tous les jours Et curieusement, j'éprouve comme une pointe d'envie. Ce n'est pas que cela me plairait de faire régulièrement quelque chose tous les jours mais cette incertitude de notre travail, sur l'activité de la journée, souvent me fait peur. Dans le métier d'acteur, le vrai travail est très peu de chose. Le pire, est tout ce que ça demande autour.

Est-ce que ce métier est plus difficile pour les femmes que pour les hommes ?
Si j'étais un homme, je pourrais vous répondre. Une chose que j'envie aux acteurs, c'est de pouvoir plus se transformer que les femmes. Les acteurs sont sollicités pour des rôles différents et ils ont plus de possibilités. Mais ça a changé quand même car les femmes ont de plus en plus d'activités professionnelles et ça se retrouve dans les films. Autrefois, au cinéma, les femmes étaient des maîtresses ou des épouses ou des infirmières, mais le personnage féminin était toujours lié au sentiment, à la vie sentimentale, jamais à une vie active ou professionnelle. Maintenant, on est dans un rôle sentimental mais aussi inséré dans la vie. Que les femmes aient pris dans la vie des responsabilités, ça élargit les rôles des actrices au cinéma.

Vous menez une vie indépendante de femme moderne qui décide de tout. Vous sentez-vous un peu comme un homme ?
Parfois, oui. Je voudrais me coucher, ne plus décider. J'ai une secrétaire mais je m'occupe de tout avec elle. Parfois, j'en ai assez. Parfois aussi, je me sens carrée, comme un homme qui expédie les affaires courantes. Je le remarque, je me dis : tiens là, je suis un homme. Parfois, ça me fait un peu peur.

Vous aimez bien les femmes ?
Oui, mes amies sont des femmes. J'ai quelques amis hommes mais j'ai plutôt des amies femmes et je n'ai jamais considéré une femme comme une rivale. Je n'ai jamais eu ce sentiment parce que j'ai eu la chance d'être très aimée par les hommes, très admirée.

Je vous admire de pouvoir dire aussi simplement: "Je suis admirée".
Quand je dis "admirée", je le dis sans orgueil, je le constate, c'est tout, ce n'est d'ailleurs pas tellement l'admiration mais l'amour et l'amitié que j'ai eus dans la vie qui m'ont permis de ne jamais éprouver un sentiment de rivalité. En plus, j'aime les femmes peut-être parce que je suis d'une famille de femmes, j'ai eu beaucoup de sœurs, j'ai toujours été avec des femmes, donc j'ai toujours aimé les femmes avec lesquelles j'ai travaillé. Quand j'entends dire : "Tu ne sais donc pas qu'elles se détestent." Je me dis : mais comment peut-on travailler avec quelqu'un qu'on déteste ? On ne peut pas devenir ami avec toutes les personnes avec lesquelles on travaille, mais l'idée de se détester, c'est un sentiment que je n'ai jamais éprouvé.

Jean-Paul Rappeneau écrit un film pour vous et pour Isabelle Adjani. Comment envisagez-vous une collaboration avec Adjani ?
Ça m'excite beaucoup. Une comédie avec deux femmes, c'est amusant au départ. Quant à Adjani, je vous l'ai dit, je ne considère jamais une femme comme une rivale. Quelque chose en moi aime tempérer le passionnel.

Vous n'êtes pas quelqu'un de passionnel ?
Si, si, mais je viens d'une famille nombreuse et j'ai été éduquée pour vivre avec les autres. Quand on a vécu dans une famille nombreuse, on sait se supporter, se tolérer.

Est-ce que vous avez changé et en quoi, depuis vingt ans ?
Je n'ai pas l'impression d'avoir changé du tout. Parfois, quand je pense à mon âge, je me dis : je ne fais pas assez de progrès.

Les gens disent le contraire, ils disent : elle progresse.
Professionnellement oui, j'ai fait des progrès, mais dans la vie, j'ai l'impression de ne plus avancer. J'ai les mêmes amis, j'ai les mêmes goûts, il y a des choses que je connais mieux, mais souvent je me dis : je ne fais pas assez de progrès. Je rêve de me connaître mieux, de connaître mieux les autres, d'arriver à une sérénité qui me semble la grande compensation de l'âge. Je ne suis pas encore arrivée à un âge assez grand pour ça, mais c'est ça qui m'attire.

Cette image d'une femme sereine et raisonnable ?
Oui. Je crois qu'autrefois les femmes y parvenaient plus tôt. Dès qu'elles avaient des enfants, elles entraient dans le raisonnable. Heureusement, nous sommes une génération où nous avons droit au déraisonnable, où le raisonnable est un choix.

Trouvez-vous choquant qu'une femme ait un amant de vingt ans de moins qu'elle ?
Dans le domaine sentimental, rien ne me choque. Là, je suis complètement amorale. Je n'ai pas de préjugés. J'estime que jamais personne ne sait ce qui se passe entre un homme et un femme, même une femme qui aurait connu cet homme avant.

Là, on entre dans le style d'interviews que vous n'aimez pas.
Nous parlons en général. Ce que je ne supporte pas, c'est que l'on tombe dans l'anecdote.

Vos enfants, c'est l'anecdote ?
Non, c'est capital. Je suis peut-être égoïste, mais j'ai un besoin physique de contacts charnels avec des enfants. J'ai été attentive à l'éducation de mes enfants. J'ai fait sûrement des erreurs mais j'ai été attentive. J'ai essayé d'être un peu comme mes parents ont été avec moi. Mes parents, tous les deux acteurs, étaient à la fois très formels et très libres. Ensemble, on parlait de tout. J'ai été aimée par mes parents et même adorée par mon père qui s'est marié tard et a adoré ses quatre filles. Ma mère disait toujours: "Tu arrêtes avec ces filles !" Vous savez, je me souviens d'une interview de Mel Brooks qui disait qu'étant enfant, il ne se souvenait pas d'avoir touché le sol tellement il allait de bras en bras. Moi aussi. Je pense que ma fille aussi. Son père l'adore. Il lui téléphone trois fois par semaine. Elle flotte. Le problème c'est qu'elle voudrait flotter toujours.

En somme, à part l'incertitude du métier, vous êtes une femme, une mère et une actrice privilégiée, une star, une femme qui a eu, qui a tout ce qu'eIle a voulu ?
On peut dire ça, mais il y a tellement l'incertitude. Tout peut s'arrêter demain. Enfin, pas demain mais peut-être après-demain.

La grande Catherine vue par ses metteurs en scène

Francis GIROD ("LE BON PLAISIR") : "Une expérience inouïe"
C'est la seule, et même parmi les actrices connues, qui ait une représentation exacte de son image au cinéma. Elle sait exactement comment elle va être dans tel ou tel plan, comment sera la lumière, elle comprend le tournage aussi bien qu'un metteur en scène, elle a une expérience inouïe du cinéma. Elle ne se trompe pas et c'est pour cela que sa carrière est exceptionnelle, non seulement par la qualité mais par sa longévité.

Philippe DE BROCA ("L'AFRICAIN") : "Une cotte de mailles !"
Dans la vie, Catherine représente parfaitement la femme d'aujourd'hui, elle est homme et femme à la fois, responsable, indépendante. Au cinéma, il y a, avec elle, quelque chose que je ne comprends pas. Pendant le tournage de "L'Africain", on aurait dit qu'elle se protégeait contre un danger. Depuis "Le monsieur de compagnie" que nous avons fait ensemble, il y a vingt ans, elle s'est considérablement armée. Elle a appris à ne compter sur personne, mais j'ai l'impression que parfois elle porte une cotte de mailles.

Alain CAVALIER ("LA CHAMADE") : "Une vraie femme épatante"
Elle mêle à merveille le naturel de son comportement à la sophistication de son style. Elle est passionnante à voir vivre et travailler parce qu'elle fait tout jusqu'au bout avec une volonté de fer. Par exemple, elle veille à son maquillage comme un acteur japonais qui s'apprête au rituel du Nô, elle étudie scrupuleusement sa coiffure, son vêtement, jusqu'au moindre détail. Puis elle passe à la fougue, à l'élan, à la fantaisie avec une vitalité spontanée tout aussi vraie. Elle est une artiste de sa personne. Et une vraie femme épatante.

Jean-Paul RAPPENEAU ("LE SAUVAGE") : "Un bulldozer"
On m'avait dit : "Vous n'arriverez pas à la faire bouger, c'est du marbre." Or, j'ai eu du mal à la freiner. Cette blonde diaphane et immobile était un bulldozer. Avec un punch, un humour, un aplomb fabuleux, bref, l'idéal pour jouer la comédie. Elle présente tout ce dont peut rêver un metteur en scène de comédie. C'est la personne capable de dire le plus de mots dans le moins de secondes possibles tout en ne perdant pas une seule syllabe. Elle qui, a priori, semblait statique, cache un moteur de formule 1.

Jacques DEMY ("LES PARAPLUIES DE CHERBOURG") : "Une carrière bien en main"
Je n'ai eu aucune peine à tirer l'étincelle. Catherine à vingt ans était déjà une star en puissance. Vadim avait senti ce phénomène inexplicable, mais il avait voulu faire d'elle une autre Bardot, un autre "sex-symbol". Or Catherine n'était pas du tout ce que Vadim voulait. Fille d'un comédien, elle était venue au cinéma un peu par routine. Il me semble qu'avec "Les Parapluies", elle a pris sa carrière en main. Et quand Catherine prend quelque chose en main, c'est sérieux, elle a une ligne de conduite, une conscience professionnelle, bref, elle est irréprochable.

"Pourquoi je cache ma vie privée"


Par : Michèle Manceaux
Photos :


Film associé : Le bon plaisir



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