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Star mystère
? Deneuve s'explique |
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Si Catherine Deneuve cache sa vie
privée, c'est par aversion pour l'étalage du "fouillis
intime", parce que, comme elle le dit ci-dessous : "Aux hommes
connus on ne pose pas de questions personnelles, alors pourquoi aux femmes,
c'est injuste". Cette interview accordée à Michèle
Manceaux est une rareté : Deneuve n'en donne qu'une par an aux
magazines. La star n° 1 du cinéma français s'y révèle
forte, vivante, équilibrée, "une femme épatante",
comme le proclament ses metteurs en scène, et une actrice heureuse
dont nos photos retracent la carrière... et un tout petit peu la
vie.
Catherine Deneuve donne peu d'interviews, à peine
une par an. On sait peu de choses à son propos, des choses officielles
: un fils avec Vadim, une fille avec Mastroianni - (les deux séducteurs
du siècle) -, un mariage avec le photographe anglais David Bailey,
la mort accidentelle de sa sur, comédienne ravissante et
douée, Françoise Dorléac et puis surtout on sait
qu'à quarante ans, après quarante films, elle est la seule
"star" française, la plus chère au box-office
(200 millions de centimes par films), la seule qui garde un mystère.
De ce mystère, j'ai demandé à plusieurs metteurs
en scène qui ont fait des films avec Catherine Deneuve ce qu'ils
en pensaient. Ils ont tous en un mot, toujours le même, pour définir
cette créature blonde, à la fois diaphane et énergique
: elle est épatante. Et en effet, dans son appartement 1930, entre
ses enfants très présents et son secrétariat très
précis, Catherine Deneuve se découvre une femme épatante,
résolument indépendante et sincère. Une femme qui
a le sens de la tenue et des valeurs. Une femme dont Gérard Depardieu
le plus fameux comédien de sa génération et le plus
poétique, dit : "Catherine, c'est l'homme que je voudrais
être". Ce mois-ci, elle sera la maîtresse du président
de la République dans "Le bon plaisir", film de Francis
Girod, tiré du best-seller de Françoise Giroud.
Vous ne voulez absolument pas
parler de vous sur un plan privé ?
Non. Je n'aime pas lire les interviews que vous faites dans "Marie
Claire", la vie privée des gens ne m'intéresse pas.
Sans doute, parce que je n'aime pas que l'on s'intéresse à
ma vie privée. Je trouve dommage que l'on interviewe les actrices,
disons les femmes connues, quelle que soit leur activité, et qu'on
arrive toujours à leur poser des questions personnelles, c'est-à-dire
sur leur vie privée. Je trouve ça injuste dans la mesure
où l'on ne pose pas ces questions aux hommes connus.
"Marie Claire" est
un journal féminin qui s'intéresse, davantage qu'un autre,
à la vie des femmes.
Ce n'est pas une raison. Si on interviewe des hommes, on ne leur pose
pas des questions intimes. On ne les interroge pas sur leurs enfants,
leurs relations, leurs difficultés à assumer leur vie professionnelle.
Comme si un homme était assez intéressant du fait qu'il
travaille, pour que lui, on n'ait pas à lui poser ce genre de questions
personnelles. Je pense que ce devrait être pareil pour les femmes.
J'ai tourné une quarantaine de films. Si vous venez me voir, c'est
à cause de ce travail. En tout cas, c'est le terrain sur lequel
j'ai envie de répondre. En plus, je trouve que les interviews ne
sont pas assez préparées et que ça donne à
l'ensemble de l'interview une impression de fouillis intime assez vaseux.
C'est un défaut français qui n'existe pas tellement à
l'étranger, aux U.S.A., en Angleterre, où l'on reste beaucoup
plus professionnel. Ici, on prend le ton de la conversation qu'on pourrait
avoir avec une amie, et on entend toujours la même chose. Moi, ça
ne m'intéresse pas de savoir que Marie-Christine Barrault est gourmande,
sensuelle, etc.
Les lectrices aiment connaître
mieux les femmes connues.
Voilà, c'est contre cela que je m'élève violemment
: on n'a pas à donner aux gens ce qu'ils veulent à partir
du moment où on estime qu'on le fait uniquement pour leur faire
plaisir, en sachant qu'on ne leur apporte rien. Je ne dis pas qu'une interview
sérieuse apporte beaucoup mais au moins, on essaye de réfléchir,
d'apporter une connaissance. Alors que l'idée qu'on fait plaisir
aux lectrices parce que c'est ce qu'elles ont envie de lire, je trouve
que ça ne flatte pas ce qu'il y a de meilleur en elles. On a tous
tendance à lire ça dans les journaux qu'on acheté
ou qu'on n'achète pas - quand je suis chez le coiffeur, dans une
salle d'attente, j'avoue que je lis aussi des choses pour lesquelles je
n'ai pas une grande admiration, mais disons que j'évite de remplir,
moi-même, ce genre de colonnes.
Je ne plaide pas pour ce type
d'interview, j'en connais aussi les limites, mais c'est vrai que la vie
des gens m'intéresse.
Moi aussi, la vie des gens m'intéresse, mais on ne dit pas n'importe
quoi à n'importe qui. Simplement pour répondre à
une curiosité un peu voyeuse, un peu malsaine.
Je ne sais pas pourquoi je plaide
pour ce genre d'interview mais il y a souvent des actrices qui sont des
femmes intelligentes, agréables et qui ne désirent pas tellement
parler de leur métier ou ne savent pas en parler.
Moi, je trouve qu'il y a surtout beaucoup de journalistes qui ne savent
pas parler aux acteurs de leur métier. Un grand metteur en scène
m'a dit un jour : "II faut apprendre à être meilleur
que les questions". C'est vrai, on vous pose des questions, souvent
banales et on nous demande de répondre des choses originales. C'est
aussi parce que l'on nous pose toujours les mêmes questions que
j'ai décidé de répondre à très peu
d'interviews. Si ça ne tenait qu'à moi, je n'en donnerais
pas. Non par goût du secret, ni pour cultiver une image, mais parce
que je n'exerce pas un métier qui varie tellement. Parce que je
ne mène pas une carrière mouvementée sur laquelle
j'aurais à m'expliquer tout le temps. La dernière interview
que j'ai donnée à "l'Observateur" date d'un an.
Je ne dis pas que ça m'a vidée mais ça m'a enlevé
l'envie de parler pour plusieurs mois. Quand je vois des acteurs, à
la sortie des films, qui se soumettent à un programme de trois
jours où ils rencontrent des journalistes du matin au soir, je
trouve ça terrible. Ce n'est pas une idée juste que la promotion
d'un film doive se faire comme ça.
Les publicitaires essayent de
faire d'un film, un événement.
Oui, mais au stade où j'en suis - ça fait plus de vingt
ans que je fais du cinéma - on n'a pas tellement besoin de parler
de moi. On en parle de toute façon, on écrit toute l'année,
même si je ne fais rien. Je suis frappée du nombre de gens
qui me disent: "On vous voit partout." Il suffit de deux couvertures
de magazines, d'un film ancien à la télévision et
on ne quitte pas l'actualité. Il y a un moment au contraire, où
il faudrait arriver à freiner la curiosité parce qu'il y
a répétition donc saturation. On existe dans l'esprit des
gens, on n'a pas besoin de leur raconter comment vont vos amours, vos
enfants.
Soit, mais il n'y a pas une
muraille entre la vie privée et la vie publique. On s'adresse à
une seule personne. Si je vous demande: "Est-ce que vous aimez le
quartier où vous habitez ?" est-ce la personne publique ou
la personne privée qui répond ?
Quand on me pose des questions sur mon métier, je n'ai pas l'impression
d'être deux personnes différentes, c'est toujours moi qui
parle.
Je vois sur votre table, un
livre : "Les Cahiers de la drôle de guerre", je me dis
: on pourrait parler de ça, mais est-ce privé ou public
?
Je ne l'ai pas lu, je l'ai acheté. Il y a beaucoup de livres que
j'achète et que je ne lis pas. J'adore les livres, j'en lis quelques-uns,
mais il y a beaucoup de livres que je n'ai pas lus.
Vous voyez, vous entrez là
dans une conversation privée. (Rires).
Franchement, je n'avais pas pensé à cette question. Généralement,
on me demande quels sont mes goûts en musique, en littérature
et je réponds : mes goûts, je n'en sais rien. Je suis comme
tout le monde, si je regarde une émission de Pivot et que je vois
quelqu'un d'intéressant, c'est certain que j'ai envie de le lire.
La musique, c'est un peu pareil. Je n'ai pas de goûts définis.
Vous consacrez du temps à
la lecture ?
Non, parce que je suis très agitée, parce que j'ai du mal
à faire tout ce que je yeux, parce que je suis une personne et
pas deux, contrairement à ce qu'on peut croire. Le temps me manque
et j'ai du mal à faire que les choses soient un peu harmonieuses.
C'est la grande différence entre les hommes et les femmes, les
femmes sont beaucoup plus préoccupées de l'harmonie de leur
vie.
Comment cela ?
Les femmes veulent réussir leur métier, mais aussi l'amour,
la maternité. Pour les hommes, généralement, le métier
est la préoccupation dominante.
Les femmes veulent tout, est-ce
harmonieux ? Elles courent après le temps.
C'est vrai, mais elles ont raison de tout vouloir. Et puis, elles sont
quand même moins "ambitieuses" que les hommes.
Vous n'êtes pas ambitieuse
?
Moi, j'ai eu la chance d'avoir réussi jeune sans me donner aucun
mal, presque par hasard. Après, je n'ai pas eu besoin d'être
ambitieuse sur ce plan-là. Je le dis sans fausse modestie. Il y
a des choses que j'ai faites ou que j'ai refusé de faire, il y
a quand même des choix, mais au départ j'ai eu cette chance
formidable. Je ne suis pas très ambitieuse parce que j'ai la chance
d'avoir réussi jeune.
J'ai quand même l'impression
que vous travaillez avec une énergie et une volonté très
précises. En tout cas, c'est ce que vos metteurs en scène
disent de vous. Je leur ai demandé de me parler de vous.
Ah, c'est formidable.
Je vais vous faire réagir
à ce qu'ils ont dit.
Oui, oui. C'est bien, c'est rare.
Jacques Demy...
Oh la la, j'ai refusé le rôle d'"Une chambre en ville",
il doit m'en vouloir.
Il ne l'a pas montré.
Au contraire, il est très élogieux, il dit : "Catherine
est irréprochable".
Quelle chape de plomb s'abat sur mes épaules quand j'entends ça
!
Ils ont tous fait à peu
près le même portrait.
Irréprochable ?
Oui, professionnellement, irréprochable
!
Il ne faut pas exagérer.
Vous ne vous trouvez pas irréprochable
?
Non.
Ils disent que vous avez une
conscience professionnelle fantastique.
Ça oui, mais irréprochable, non. Je suis très passionnelle,
je me décourage facilement. Autant je peux m'enthousiasmer, autant
je peux descendre brusquement, je suis très cyclothymique.
Vous voyez, on est entraîné
à parler de vous quand même !
Cela ne me gêne pas de parler de moi à travers mon métier.
D'ailleurs ce que je fais dans mon métier en dit beaucoup sur moi.
Après vingt ans de carrière, le public a quand même
une idée sur le caractère d'une actrice, qui ne peut pas
être entièrement fausse.
Vous avez une image, oui c'est
ce qui fait de vous une star. Mais je ne vous connais pas, je ne connais
pas votre caractère, je ne connais que vos films.
C'est le plus grand compliment qu'on puisse me faire. Quand on me dit
que je suis froide et hautaine, ça ne me plaît pas. Qu'on
dise que je suis distante, je l'accepte. C'est vrai, je n'aime pas les
faux rapports, les fausses amitiés, le copinage. C'est vrai que
j'ai préservé une image, une image qui n'est pas tout à
fait moi, je le reconnais, mais c'est l'image que j'ai envie de donner.
Dans la vie, c'est pareil, on a toujours envie de donner une image de
soi qui correspond à ce que l'on voudrait être, même
si on n'y parvient pas toujours. Mais pour une actrice, c'est presque
un devoir de correspondre à l'image que les gens ont de vous. Parfois
c'est un peu lourd, on a envie d'envoyer tout balader mais en même
temps ça oblige à une certaine tenue et la tenue c'est une
chose importante dans la vie : je pense que les contraintes font partie
de la vie.
Un autre meneur en scène,
Alain Cavalier, à dit: "Catherine est dans une position anti-réaliste,
elle est une artiste de sa personne".
Très joli. Mais si j'ai, en effet, la volonté de construire
quelque chose de moi-même dans mon métier, j'affirme sincèrement
que ma vie personnelle a toujours été plus importante que
mon métier. Non que je sous-estime mon métier, mais j'ai
toujours senti que cela ne pouvait pas être l'essentiel de ma vie,
que cela n'en serait jamais le moteur. J'ai besoin de travailler, de m'exprimer
professionnellement mais ma famille, mes enfants - ce n'est pas seulement
un sens des valeurs - c'est primordial pour moi. J'ai des amis, les mêmes
depuis vingt ans. Ce sont eux à qui je tiens vraiment. Mon métier
est complémentaire.
Pourquoi choisissez vous un
film plutôt qu'un autre ?
Quand on est un acteur connu, forcément le public, donc les producteurs,
ont une image de vous et on en est victime. Il y a des acteurs paradoxaux
qui choisissent des emplois contraires. Moi, je dirais que c'est un peu
les deux, je suis Balance, j'ai envie de faire des films qui me correspondent
et en même temps je suis souvent attirée par des contraires
extrêmes. Par peur de la monotonie, par peur de m'ennuyer... Quand
j'ai fait "Les prédateurs" que certaines personnes aiment
beaucoup et d'autres détestent, je l'ai choisi parce que j'incarnais
un vampire, ça me plaisait.
Vous le regrettez ?
Non, j'aime bien le film, je ne le regrette pas même si certaines
personnes me le reprochent.
Et "Le bon plaisir",
le film qui sort ce mois-ci, pourquoi l'avez-vous choisi ?
Parce que j'ai été choisie.
Vous êtes choisie souvent,
ce n'est pas une raison suffisante.
Les acteurs, même connus font les choses qu'on leur propose. Ce
qui compte pour moi, c'est de continuer à donner une image suffisamment
nouvelle pour créer une envie. Je choisis dans ce sens. Souvent,
on me dit : pourquoi ne produisez-vous pas vous-même un film pour
jouer tel ou tel personnage. Mais ce n'est pas dans ma nature. J'ai essayé,
ça ne marche pas, ça crée des rapports de force un
peu faussés. J'aime mieux que des auteurs écrivent pour
moi, que des réalisateurs me cherchent, me veuillent.
Il y a beaucoup de gens qui
ont envie de travailler avec vous, donc ça ne suffit pas qu'on
vous choisisse.
Non, c'était une boutade.
Alors pourquoi "Le bon
plaisir" ?
Parce qu'il y a quelque chose de bien articulé dans les rapports
des personnages, parce que c'est raconté comme une roman policier,
parce que la situation est originale, à la limite justement entre
la vie privée et publique. Intéressant de voir comment des
gens connus utilisent leur pouvoir.
Votre metteur, en scène
dans ce film, Francis Girod, dit que vous connaissez parfaitement la technique
du cinéma, que vous savez vous mettre en valeur.
C'est normal que je connaisse la technique, au bout de vingt ans. Mais
je ne suis pas une actrice égoïste, je sais aussi mettre les
autres en valeur.
(Irruption de Christian, vingt ans, le fils de Catherine
Deneuve et de Vadim, qui vient demander de l'argent).
Je suis pour l'autorité vis-à-vis des
enfants, mais avec lui c'est fini, il est trop grand, il gagne sa vie.
Il ne me demandait qu'un prêt. Quand même c'est formidable,
ce qu'il est décontracté, je n'aurais jamais osé
déranger quelqu'un en plein travail. En même temps, je trouve
ça bien qu'on ose quand même. (On sent
une mère débordée, comme beaucoup de mères
d'adolescents.)
Ah oui, Christian, quelle décontraction. II
est réellement charmant mais il faut faire attention aux enfants
charmants, on a tendance à leur céder beaucoup trop.
Votre fille a quel âge
?
Onze ans. Elle veut tout le temps être avec moi. Ça me fait
un peu peur. Elle n'aime pas la compagnie des enfants de son âge.
Elle préfère être seule avec moi. Mais nous parlions,
je crois, de la technique: C'est vrai que ça m'intéresse,
c'est un bon dérivatif à l'angoisse de regarder les autres
travailler. Ma façon de me concentrer c'est de me déconcentrer,
donc d'observer, de regarder les techniciens, les autres acteurs. J'observe
beaucoup.
D'où votre réputation
de froideur ?
Peut-être, mais si je ne m'intéressais plus à rien
sur un plateau, ce serait l'attente, la répétition, l'ennui.
C'est parfois ce que je redoute.
Et comment vous débrouillez-vous
avec cette fonction de séduction de l'actrice, que personnellement
je trouve tellement angoissante ?
Tout le monde est dans la séduction, vous aussi, les hommes politiques
aussi, il faut toujours charmer, toujours séduire.
Si vous vendez du fromage, vous
n'avez pas besoin de séduire. Si vous vendez autre chose que votre
physique, c'est moins angoissant.
C'est vrai que la cruauté du public avec les gens qui font du cinéma
depuis longtemps, est terrible. C'est horrible ce qu'on peut entendre.
Des réflexions absolument épouvantables que les gens disent
à haute voix. Ça m'est arrivé, il n'y a pas très
longtemps. Ce jour-là, je me sentais en forme et je traversais
la rue. Un jeune homme m'a reconnue et m'a interpellée familièrement,
il était dans une voiture avec une jeune femme à côté
de lui, et il m'a dit : "T'es moche !" J'étais sidérée
mais j'ai trouvé ça tellement étonnant que j'ai ri.
J'ai compris que c'était plus pour épater la jeune fille
qui était à côté de lui. J'ai ri parce que
ce jour-là, je me sentais en forme, mais un autre jour, j'aurais
pu me sentir terriblement agressée.
Il y a une autre chose qui est
cruelle pour les acteurs, c'est le vieillissement.
Oui, c'est la chose la plus cruelle, la plus injuste, la plus dure, surtout
pour les femmes. C'est vrai que j'y pense, que ça me préoccupe.
Cela ne m'angoisse pas encore, mais j'y pense beaucoup et je sais qu'il
n'y a pas de remède. Ce que j'espère - des amies qui sont
des femmes plus avancées en âge que moi, me le disent - c'est
qu'avec l'âge, on voit les choses différemment. Heureusement,
c'est une compensation. Pour l'instant, ce sont des questions que je n'aime
pas me poser. Je ne sais pas comment je me verrai dans cinq ou six ans,
comment je supporterai de me voir vieillir dans les yeux des autres, comment
je réagirai. Je ne pas quelle est la meilleure façon de
se protéger, de se préparer à ça. On peut
se dire : ce sont des choses que je repousse, mais je sais que ça
arrivera. Il y a des jours où ça m'angoisse, il y a des
jours ou ça passe. J'espère que l'autre versant de ma vie,
qui n'est pas ma vie d'actrice, m'aidera à prendre le virage.
Il y a sans doute un moment
où il faut savoir changer d'emploi.
Oui et c'est difficile parce qu'on a tendance à toujours vous proposer
la même image qui a fait recette. Ce sont les autres qui ne veulent
pas vous voir vieillir, qui veulent conserver le passé. Il faut
avoir la lucidité de sentir les choses que l'on ne peut plus faire
mais c'est difficile quand les autres insistent : "Mais non, tu te
trompes, tu es encore si belle, tu peux encore faire ça".
C'est difficile de résister à ce discours qu'on a encore
envie d'entendre. J'espère que je saurai m'armer pour ce tournant.
Mes enfants m'aideront.
Comment cela ?
Quand on est une actrice seule, qu'on a un coup de cafard, qu'on a des
problèmes, on a tendance à se réfugier chez les uns,
les unes, les autres ; on a moins d'obligations à réagir.
Quand on a des enfants ou même un enfant, on est obligé de
faire des efforts. Je crois qu'il faut faire des efforts, pas démesurés
parce que si ça coûte trop, on craque, mais les enfants obligent
par leur comportement, leur vie à eux, leur exigence, à
ne pas se laisser aller, à ne pas s'écrouler.
J'ai l'impression qu'il y a
dans ce métier d'actrice, peut-être particulièrement
pour les femmes, une angoisse continuelle de n'être pas à
la hauteur. De surcroît, le statut de star, portée au pinacle,
ne conduit-il pas à une sorte de perte d'identité ? On n'est
plus que l'image des autres.
C'est vrai que bien des acteurs deviennent alcooliques ! Il y a une vie
artificielle dont je me rends compte, mais je me protège. Je suis
assez sévère avec moi-même, pour m'empêcher
de tomber dans ces débordements. Quand j'étais très
jeune, je ne savais pas ce que je voulais mais je savais déjà
qu'il y avait des choses que je n'accepterais pas, que je ne me laisserais
pas entamer, que je ne laisserais pas ma vie professionnelle prendre le
dessus. J'ai un instinct de survie très grand.
Est-ce que vous imagineriez
d'arrêter ce métier, comme Bardot, en disant : "C'est
fini".
Non, parce que Brigitte, je crois, n'aimait pas beaucoup ce métier.
Moi, j'aime beaucoup ce que je fais.
Imaginez-vous de travailler
moins, de gagner moins d'argent ?
Oh ! la, la ! Travailler moins, je m'en accommoderai, ce n'est pas que
je sois paresseuse mais j'ai beaucoup de choses à faire dans la
vie. Mais gagner moins d'argent, ça me posera de gros problèmes.
Rien que d'y penser, ça m'inquiète. Je suis une cigale,
je dépense tout ce que je gagne.
Vous qui êtes si sérieuse
!
Sur ce plan-là, je ne suis pas du tout sérieuse. Vous voyez
que je ne suis pas irréprochable.
Un autre metteur en scène,
Philippe de Broca, dit que vous portez une cotte de mailles.
Il exagère, Philippe. D'ailleurs une cotte de mailles, c'est plein
de trous. Je ne sais pas pourquoi il dit ça. Je me suis beaucoup
amusée sur le tournage de "L'Africain". C'était
un peu loin mais j'aime beaucoup tourner en extérieurs. On appartient
entièrement au film, on ne rentre pas le soir chez soi, c'est une
bonne concentration. Généralement, les hommes souffrent
davantage des tournages en extérieurs, ils sont beaucoup plus déracinés,
ils ne savent pas s'adapter.
Quel est finalement à votre avis, le plus
difficile de ce métier ?
L'incertitude. Parfois, il m'arrive de me lever tôt et de voir des
gens qui vont à leur boulot, comme ça, tous les jours Et
curieusement, j'éprouve comme une pointe d'envie. Ce n'est pas
que cela me plairait de faire régulièrement quelque chose
tous les jours mais cette incertitude de notre travail, sur l'activité
de la journée, souvent me fait peur. Dans le métier d'acteur,
le vrai travail est très peu de chose. Le pire, est tout ce que
ça demande autour.
Est-ce que ce métier
est plus difficile pour les femmes que pour les hommes ?
Si j'étais un homme, je pourrais vous répondre. Une chose
que j'envie aux acteurs, c'est de pouvoir plus se transformer que les
femmes. Les acteurs sont sollicités pour des rôles différents
et ils ont plus de possibilités. Mais ça a changé
quand même car les femmes ont de plus en plus d'activités
professionnelles et ça se retrouve dans les films. Autrefois, au
cinéma, les femmes étaient des maîtresses ou des épouses
ou des infirmières, mais le personnage féminin était
toujours lié au sentiment, à la vie sentimentale, jamais
à une vie active ou professionnelle. Maintenant, on est dans un
rôle sentimental mais aussi inséré dans la vie. Que
les femmes aient pris dans la vie des responsabilités, ça
élargit les rôles des actrices au cinéma.
Vous menez une vie indépendante
de femme moderne qui décide de tout. Vous sentez-vous un peu comme
un homme ?
Parfois, oui. Je voudrais me coucher, ne plus décider. J'ai une
secrétaire mais je m'occupe de tout avec elle. Parfois, j'en ai
assez. Parfois aussi, je me sens carrée, comme un homme qui expédie
les affaires courantes. Je le remarque, je me dis : tiens là, je
suis un homme. Parfois, ça me fait un peu peur.
Vous aimez bien les femmes ?
Oui, mes amies sont des femmes. J'ai quelques amis hommes mais j'ai plutôt
des amies femmes et je n'ai jamais considéré une femme comme
une rivale. Je n'ai jamais eu ce sentiment parce que j'ai eu la chance
d'être très aimée par les hommes, très admirée.
Je vous admire de pouvoir dire
aussi simplement: "Je suis admirée".
Quand je dis "admirée", je le dis sans orgueil, je le
constate, c'est tout, ce n'est d'ailleurs pas tellement l'admiration mais
l'amour et l'amitié que j'ai eus dans la vie qui m'ont permis de
ne jamais éprouver un sentiment de rivalité. En plus, j'aime
les femmes peut-être parce que je suis d'une famille de femmes,
j'ai eu beaucoup de surs, j'ai toujours été avec des
femmes, donc j'ai toujours aimé les femmes avec lesquelles j'ai
travaillé. Quand j'entends dire : "Tu ne sais donc pas qu'elles
se détestent." Je me dis : mais comment peut-on travailler
avec quelqu'un qu'on déteste ? On ne peut pas devenir ami avec
toutes les personnes avec lesquelles on travaille, mais l'idée
de se détester, c'est un sentiment que je n'ai jamais éprouvé.
Jean-Paul Rappeneau écrit
un film pour vous et pour Isabelle Adjani. Comment envisagez-vous une
collaboration avec Adjani ?
Ça m'excite beaucoup. Une comédie avec deux femmes, c'est
amusant au départ. Quant à Adjani, je vous l'ai dit, je
ne considère jamais une femme comme une rivale. Quelque chose en
moi aime tempérer le passionnel.
Vous n'êtes pas quelqu'un
de passionnel ?
Si, si, mais je viens d'une famille nombreuse et j'ai été
éduquée pour vivre avec les autres. Quand on a vécu
dans une famille nombreuse, on sait se supporter, se tolérer.
Est-ce que vous avez changé
et en quoi, depuis vingt ans ?
Je n'ai pas l'impression d'avoir changé du tout. Parfois, quand
je pense à mon âge, je me dis : je ne fais pas assez de progrès.
Les gens disent le contraire,
ils disent : elle progresse.
Professionnellement oui, j'ai fait des progrès, mais dans la vie,
j'ai l'impression de ne plus avancer. J'ai les mêmes amis, j'ai
les mêmes goûts, il y a des choses que je connais mieux, mais
souvent je me dis : je ne fais pas assez de progrès. Je rêve
de me connaître mieux, de connaître mieux les autres, d'arriver
à une sérénité qui me semble la grande compensation
de l'âge. Je ne suis pas encore arrivée à un âge
assez grand pour ça, mais c'est ça qui m'attire.
Cette image d'une femme sereine
et raisonnable ?
Oui. Je crois qu'autrefois les femmes y parvenaient plus tôt. Dès
qu'elles avaient des enfants, elles entraient dans le raisonnable. Heureusement,
nous sommes une génération où nous avons droit au
déraisonnable, où le raisonnable est un choix.
Trouvez-vous choquant qu'une
femme ait un amant de vingt ans de moins qu'elle ?
Dans le domaine sentimental, rien ne me choque. Là, je suis complètement
amorale. Je n'ai pas de préjugés. J'estime que jamais personne
ne sait ce qui se passe entre un homme et un femme, même une femme
qui aurait connu cet homme avant.
Là, on entre dans le
style d'interviews que vous n'aimez pas.
Nous parlons en général. Ce que je ne supporte pas, c'est
que l'on tombe dans l'anecdote.
Vos enfants, c'est l'anecdote
?
Non, c'est capital. Je suis peut-être égoïste, mais
j'ai un besoin physique de contacts charnels avec des enfants. J'ai été
attentive à l'éducation de mes enfants. J'ai fait sûrement
des erreurs mais j'ai été attentive. J'ai essayé
d'être un peu comme mes parents ont été avec moi.
Mes parents, tous les deux acteurs, étaient à la fois très
formels et très libres. Ensemble, on parlait de tout. J'ai été
aimée par mes parents et même adorée par mon père
qui s'est marié tard et a adoré ses quatre filles. Ma mère
disait toujours: "Tu arrêtes avec ces filles !" Vous savez,
je me souviens d'une interview de Mel Brooks qui disait qu'étant
enfant, il ne se souvenait pas d'avoir touché le sol tellement
il allait de bras en bras. Moi aussi. Je pense que ma fille aussi. Son
père l'adore. Il lui téléphone trois fois par semaine.
Elle flotte. Le problème c'est qu'elle voudrait flotter toujours.
En somme, à part l'incertitude
du métier, vous êtes une femme, une mère et une actrice
privilégiée, une star, une femme qui a eu, qui a tout ce
qu'eIle a voulu ?
On peut dire ça, mais il y a tellement l'incertitude. Tout peut
s'arrêter demain. Enfin, pas demain mais peut-être après-demain.
La grande Catherine vue par ses metteurs en scène
Francis GIROD ("LE
BON PLAISIR") : "Une expérience inouïe"
C'est la seule, et même parmi les actrices connues, qui ait une
représentation exacte de son image au cinéma. Elle sait
exactement comment elle va être dans tel ou tel plan, comment sera
la lumière, elle comprend le tournage aussi bien qu'un metteur
en scène, elle a une expérience inouïe du cinéma.
Elle ne se trompe pas et c'est pour cela que sa carrière est exceptionnelle,
non seulement par la qualité mais par sa longévité.
Philippe DE BROCA ("L'AFRICAIN")
: "Une cotte de mailles !"
Dans la vie, Catherine représente parfaitement la femme d'aujourd'hui,
elle est homme et femme à la fois, responsable, indépendante.
Au cinéma, il y a, avec elle, quelque chose que je ne comprends
pas. Pendant le tournage de "L'Africain", on aurait dit qu'elle
se protégeait contre un danger. Depuis "Le monsieur de compagnie"
que nous avons fait ensemble, il y a vingt ans, elle s'est considérablement
armée. Elle a appris à ne compter sur personne, mais j'ai
l'impression que parfois elle porte une cotte de mailles.
Alain CAVALIER ("LA
CHAMADE") : "Une vraie femme épatante"
Elle mêle à merveille le naturel de son comportement à
la sophistication de son style. Elle est passionnante à voir vivre
et travailler parce qu'elle fait tout jusqu'au bout avec une volonté
de fer. Par exemple, elle veille à son maquillage comme un acteur
japonais qui s'apprête au rituel du Nô, elle étudie
scrupuleusement sa coiffure, son vêtement, jusqu'au moindre détail.
Puis elle passe à la fougue, à l'élan, à la
fantaisie avec une vitalité spontanée tout aussi vraie.
Elle est une artiste de sa personne. Et une vraie femme épatante.
Jean-Paul
RAPPENEAU ("LE
SAUVAGE") : "Un bulldozer"
On m'avait dit : "Vous n'arriverez pas à la faire bouger,
c'est du marbre." Or, j'ai eu du mal à la freiner. Cette blonde
diaphane et immobile était un bulldozer. Avec un punch, un humour,
un aplomb fabuleux, bref, l'idéal pour jouer la comédie.
Elle présente tout ce dont peut rêver un metteur en scène
de comédie. C'est la personne capable de dire le plus de mots dans
le moins de secondes possibles tout en ne perdant pas une seule syllabe.
Elle qui, a priori, semblait statique, cache un moteur de formule 1.
Jacques
DEMY ("LES
PARAPLUIES DE CHERBOURG") : "Une carrière bien en
main"
Je n'ai eu aucune peine à tirer l'étincelle. Catherine à
vingt ans était déjà une star en puissance. Vadim
avait senti ce phénomène inexplicable, mais il avait voulu
faire d'elle une autre Bardot, un autre "sex-symbol". Or Catherine
n'était pas du tout ce que Vadim voulait. Fille d'un comédien,
elle était venue au cinéma un peu par routine. Il me semble
qu'avec "Les Parapluies", elle a pris sa carrière en
main. Et quand Catherine prend quelque chose en main, c'est sérieux,
elle a une ligne de conduite, une conscience professionnelle, bref, elle
est irréprochable.

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"Pourquoi je cache ma vie privée"

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Par : Michèle Manceaux
Photos :
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Film associé
: Le
bon plaisir











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