Ses interviews / Presse 1980-89 / Le Matin Magazine 1980
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Même à 6 heures du matin, coincée au fond d'une boîte de nuit, je n'aurais jamais signé en sa faveur. Je suis atterrée...

L'effet Coluche, ça ne la fait pas rire, Catherine Deneuve. Enfoncée dans un fauteuil de cuir, les jambes négligemment croisées, de fines lunettes rectangulaires à monture d'acier posées au milieu d'un nez parfaitement dessiné, elle s'est brutalement redressée et les mots sont tombés. Faciles, naturellement rapides pour une fois :

Comment peut-on seulement envisager qu'il obtienne cinq cents signatures ? Ce serait un constat terrible sur l'état de la France. Voter ? Bien sûr, j'irai, impossible de ne pas voter. Je ne me vois pas vivre dans un autre pays. Ici, il est encore possible de jouir d'une assez grande liberté, d'une certaine douceur qu'il n'y a pas forcément ailleurs.

Elle est sérieuse, Deneuve, quand elle aborde certaines questions.

Mais est-elle aussi élégante, classique, raffinée et parisienne que d'aucuns ne cessent de le répéter ? Depuis maintenant dix-sept ans qu'elle a pris place sur les plateaux de cinéma, ces quatre adjectifs n'ont cessé de la poursuivre, Deneuve. Son visage ? Limpide. Ses cheveux ? Superbes. Son allure ? Exquise. Ses filins ? Quelques triomphes, quelques échecs, comme tout le monde. Et un nouveau film, "Je vous aime", de Claude Berri, qu'elle porte à bout de bras en dépit de la présence de quelques vedettes anciennes ou nouvelles : Jean-Louis Trintignant, Gérard Depardieu, Alain Souchon et Serge Gainsbourg. Pourtant, on sentait bien une réticence, quelque part, indéfinie chez les cinéphiles, professionnels ou non. S'il fallait en croire les uns et les autres, elle serait froide, elle n'aurait pas grand-chose à dire. Bien sûr, Deneuve était "intéressante", mais on ne "l'aimait" pas. Pis, pour les gens de cinéma, on ne la "mythifiait" pas.

Je ne peux pas parler aisément, reconnaît-elle. Ce n'est pas ma nature. Et, dans certaines circonstances, je ne veux plus faire semblant d'être aimable.

D'emblée, elle affiche sa personnalité qu'elle voudrait d'un bloc. Elle est arrivée à notre rendez-vous cinq minutes en retard. Elle s'est excusée poliment, s'est assise et a attendu, silencieuse, la première question. Inquiète, sur ses gardes.

Les acteurs sont à la fois admirés, vénérés... et fort peu respectés, lâchera-t-elle rapidement. A ce sujet, rien ne m'étonne et je n'entretiens plus aucune illusion. Que l'on parle ou non de moi, en bien ou en mal.

Et puis. au fil des ans, des films, des rencontres amoureuses et des enfants - deux, un garçon et une fille -, on finira par s'apercevoir qu'elle a toute une série d'idées sur la vie des femmes, sur la sienne en tout cas, qu'elle ne le claironne nulle part à coups de pétitions ou de manifestations, qu'elle essaye, plus terre à terre, de les appliquer au quotidien, forte simplement de quelques certitudes : le cinéma lui fournira, largement, les moyens d'une véritable indépendance financière ; elle élèvera seule ses enfants dans un appartement, le sien, qu'elle fera "marcher" elle-mêrne ; elle n'hésitera pas à "s'engager" - un mot qu'elle exècre - quand elle l'estimera indispensable sur un sujet qu'elle "connaît" et qui la touche comme viscéralement.

C'est sans doute pour cette raison qu'aux côtés de tant d'autres, elle reconnaîtra par exemple, dans le Nouvel Observateur, s'être fait avorter.

C'est terrible, dit-elle, que des noms connus puissent ouvrir et fermer des portes. Les acteurs ne sont pas mieux informés que les autres de l'état du monde. Je ne vois pas pourquoi ils parleraient légèrement de tout et de n'importe quoi.

Alors, bien sûr. elle recule aujourd'hui au moment où certains voudraient la présenter comme un modèle, celui d'une "femme libre". Il suffit de la pousser un peu dans ses retranchements pour qu'elle reconnaisse d'une voix teintée de lassitude :

Ce que j'ai à vous donner est contenu dans les films. Ne cherchez pas le reste. Il est à moi.

Et à l'issue de cette cavalcade à la liberté, les cinéphiles "re"-découvrent en cette année 1980 une Deneuve actrice épanouie, supportant pour l'essentiel un chef-d'œuvre de François Truffaut "Le dernier métro". Rôle difficile, ambigu parfois que celui de cette femme directrice de théâtre par la force du nazisme et d'un mari juif, rôle ambitieux parce que, à l'encontre de nombreuses autres actrices, Deneuve accepte un personnage à facettes, qui ne correspond plus à "l'effigie blonde" si longtemps disséquée, si tranquillisante par essence.

Je ne tourne que les films dont j'ai envie, affirme-t-elle. Ils peuvent être bons ou mauvais. Mais il faut qu'au départ j'ai au moins éprouvé l'envie de le faire. C'est certainement difficile de jouer un personnage tout à fait antipathique. On veut toujours être aimé.

D'ailleurs, la réussite du "Dernier métro" ne l'étonne pas, ou à peine. Sans qu'elle veuille en donner l'impression, Deneuve a construit sa carrière avec minutie, une idée en tête : durer.

Si c'était fini, s'exclame-t-elle, qu'est-ce que vous voudriez que je fasse demain matin. Vous m'enlèveriez une part de mon identité.

Et dans l'année et demie à venir, elle envisage trois nouveaux films réalisés notamment par André Téchiné et Alain Corneau. Toujours la qualité, mais française. Deneuve est-elle une exclusivité aux contours de l'Hexagone ? Plus tout à fait puisque, à New York désormais, elle est affublée d'un surnom qui, forcément, la met en rage : "la déesse blonde".

Alain Souchon par exemple débutait à ses côtés dans "Je vous aime" qui sort la semaine prochaine. Il avait peur, il était tendu, nerveux, le hanteur, en face d'instruments bizarres, les caméras, qu'il ne connaissait pas, en face des stars Deneuve, Trintignant, Depardieu fréquentés quelquefois, de loin. Souchon n'a jamais manqué de souligner l'attention dont Deneuve n'a cessé de faire preuve à son égard.

J'avais envie de l'aider, de le protéger, reconnaît-elle. Je ne voulais pas qu'il soit blessé, je sentais à quel point il était fragile. Je ne peux pas travailler repliée sur moi-même. Et c'est sans doute également une façon de résoudre mes problèmes.

Elle est attentive, Deneuve, aux gestes, aux humeurs de ses proches, au cinéma et ailleurs.

Elle en arrive à oublier le journaliste, les questions, le fil de son propos quand elle entend la porte de l'appartement se refermer derrière son fils ou sa fille. Elle leur parle, un mot, une phrase, banale, celle de la "petite" vie de tous les jours. Et on en arrive, à travers d'infinies nuances, à percer la "carapace" Deneuve, à se trouver confronté à un personnage inquiet, tourmenté, qui fume dix cigarettes en un peu moins de trois heures, ingurgite cinq tasses de thé pour "s'occuper" et, finalement, ne sait pas trop pourquoi elle devrait répondre, s'expliquer, s'excuser de tel comportement ou de tel refus.

Je ne peux pas vivre le cinéma du matin au soir, affirme-t-elle. J'ai besoin de le quitter ce petit monde.

Pas facile à observer, même superficiellement, son entourage.

A priori, dit-elle, je serais plutôt attirée par les intellectuels. Mais j'ai égalemenr des amis extrêmement simples, j'ai envie de rapports simples.

Intéressant à cet égard de jeter un œil sur le rayon de la bibliothèque : des livres, plein, de toutes sortes. Impressionnant. Elle en rit, c'est plutôt rare :

Je n'arrive pas à lire suffisamment, pas le temps, trop de scénarios. Mais j'achète des bouquins, je les range, je les empile. Et je me dis qu'un jour, peut-être...

Pour l'instant, le cinéma l'occupe, à presque plein temps, qu'elle s'en défende ou pas. Chez elle, au cœur de Saint-Germain-des-Prés, les metteurs en scène se succèdent, elle vérifie son emploi du temps en compagnie de sa secrétaire. La star n'a pas de temps à perdre.

Au moment de la quitter, dans ce long et large couloir d'appartement bougeois, un malaise, étrange, subsiste, difficile à définir, à expliquer. Elle est douée, belle, intelligente. Elle ne peut que vous séduire et vous avez, quand même, le sentiment qu'elle a caché, volontairement, le plus important, les mille et un détails qui la font bouger, marcher, chanter, travailler. Y-a-t-il un mystère Deneuve ?

Je n'accepterai jamais de faire un film sur moi, répète-t-elle. Ça ne m'intéresse pas du tout. Je suis contre les mémoires, les miennes en tout cas.

Et ne cherchez pas à découvrir des rapports de caractère et de vie intime entre l'héroïne " prototype de la femme libérée " de "Je vous aime" et Deneuve. Parce que, d'une part, elle est bien trop pudique pour l'avouer et que, d'autre part, Deneuve est complexe, tourmentée, bien d'avantage en tous cas qu'elle le laisse éclater sur l'écran.

Demain peut-être se mettra-t-elle au volant de sa voiture et ira-t-elle se promener à travers les routes de Provence ou du Périgord. Les gens ne la reconnaîtront pas, ou si peu, ne la dévisageront pas, ou à peine. Et elle en sera parfaitement heureuse. Deneuve serail-elle à la fois un "monstre sacré" et une "bonne femme" qui n'a jamais hésité à "torcher" les gosses et à "faire ses valises" quand elle en ressentait l'impérieuse nécessité ? Apparemment oui. Mais son apparence ne nous aurait-elle pas, à nouveau, trompés.


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