Pour les cinéphiles, les noms de Polanski et de Deneuve sont à jamais associé. Depuis "Répulsion" en 1964, où Roman, pour son deuxième film, offrait à Catherine un rôle capital. Vingt-deux ans plus tard, tous deux se retrouvent à Cannes. Roman avec son onzième long métrage, "Pirates", et Catherine, avec "Le lieu du crime", d'André Téchiné.

"Catherine, l'angélique. Avec innocence, elle entre dans la peau des personnages les plus pervers. Entre le réalisateur et sa comédienne, c'est comme danser à deux un pas de tango. Et Catherine aime se laisser conduire". Roman Polanski.

Catherine Deneuve : Tu m'as dit un jour : "Je voudrais faire un film avec vous. C'est le rôle d'une idiote et c'est une histoire formidable". Je devais avoir vingt ans. Je me souviens d'avoir été vexée et m'être dit : "Mais pour qui me prend-il ?"

Roman Polanski : J'avais très envie de le faire, mais je n'ai pas pu me mettre d'accord avec l'auteur et j'ai abandonné le projet.

CD - J'ai eu cette réaction stupide suffisamment tôt pour ne pas l'oublier et ne plus éprouver, ensuite, de réticence ou de crainte à priori.

RP - J'ai l'impression qu'on te propose toujours le même genre de rôles.

CD - C'est une impression... Je te défie de me dire dans quel ilm tu m'as vue la dernière fois ! C'est sans doute dans un film programmé par la télévision...

RP - Probablement.

CD - Je ne dis pas que tu ne vas pas au cinéma. Je suis seulement sûre que tu m'as vue, la dernière fois, dans un film qui passait à la télévision et que tu as regardé 70 minutes sur 120 ! J'estime qu'on ne voit pas vraiment les films à la télévision.

RP - N'as-tu pas envie de te défouler en incarnant un personnage totalement différent de ceux que tu joues habituellement ?

CD - Je me suis pas mal défoulée avec André Téchiné dans "Le lieu du crime".

RP - Tu n'as jamais été tentée par un rôle au théâtre ?

CD - Pas du tout ! J'ai une trouille épouvantable et un trac incroyable de la scène.... Rien que de faire de la télévision en direct, d'être sur scène pour remettre une distinction, je suis physiquement malade ! Je n'ai pas réussi à dépasser ce stade-là. Si je ne peux pas boire pour vraiment me détendre, c'est une catastrophe. En même temps, je ne peux m'empêcher de dire : "II faut que j'essaie".

RP - J'ai l'impression d'avoir eu une Influence involontaire sur ta vie affective parce que je t'ai envoyé lors du tournage de "Répulsion" un photographe, que tu as épousé. Et je t'ai présenté à Marcello Mastroianni avec lequel tu as une fille de 14 ans l

CD - Je ne vois pas d'explication.

RP - Tu te rappelles comment cela s'est passé avec le photographe ? Je voulais que lu fasses des photos nue... ce que tu ne voulais absolument pas ! Je t'ai dit : "Catherine, tu ne veux pas le faire mais je connais un grand photographe, David Bailey, qui est, en plus, un type adorable. Tu le vois. Si ça ne te plaît pas, tu le renvoies". Tu ne l'as pas renvoyé. Tu l'as épousé.

CD - Il y a une chose que tu ne sais peut-être pas : c'est que quand tu m'as dit ça, je savais qui c'était. Je ne le connaissais pas, mais je l'avais vu. J'avais vu son œil... Tu n'es donc pas à l'origine mais au début du début ! Il n'y a pas de malédiction sur toi, ne sois pas inquiet. [Elle rit]. En revanche, tu as de l'influence sur ma carrière. Quand on me parle de cinéma, je dis "Indépendamment du talent qu'a Roman et de sa notoriété, même s'il n'avait fait que "Le couteau dans l'eau", je vous dirais que c'est l'un des metteurs en scène qui ont eu le plus d'influence sur moi".

RP - Les expériences que j'ai eues avec des acteurs, surtout des femmes et principalement toi, sont des points de repère dans ma vie ; ce sont des moments de vraie création où rien d'autre ne compte...

CD - Curieusement, quand nous avons fait "Répulsion" je n'avais pas beaucoup d'expérience, mais je sentais que c'était une rencontre Importante pour moi. Après, j'ai éprouvé beaucoup de nostalgie parce que ce sont des sentiments que je n'ai pas toujours retrouvés. Ce souvenir est d'autant plus précieux...

RP - Quel est le personnage que tu voudrais jouer ?

CD - J'aurais aimé jouer dans "L'honneur perdu de Katharina Blum". Pas pour prouver que j'étais une actrice mais parce que c'est un personnage qui m'a touchée par son lyrisme et sa simplicité. Je ne suis pas attirée par les héroïnes extravagantes, sauf dans les comédies.

RP - Suis-tu ton instinct ?

CD - Je n'ai pas d'idée de carrière, mais j'ai des envies. Faire une comédie, notamment. Le film d'André était à la fois très intéressant et très fort et j'ai l'impression que je ne pourrais pas me renouveler dans ce genre-là.

RP - Vas-tu au cinéma ?

CD - J'adore aller au cinéma. Ça me coûte beaucoup, parce que malheureusement on me reconnaît, mais j'éprouve un réel plaisir à être dans une salle. Je suis contente de vérifier qu'à chaque fois, malgré l'effort, la complication, l'énervement, la magie se reproduit. J'éprouve un vrai plaisir de spectateur.

RP - Moi aussi.

CD - J'assiste aux projections privées quand je sais qu'il n'y aura que des gens qui n'appartiennent pas au milieu des acteurs et du cinéma. Autrement, je n'aime pas. C'est comme aller en coulisses au théâtre...

RP - C'est très embêtant quand on n'aime pas le spectacle…

CD - Et qu on est oblige de dire des choses qu'on ne pense pas ou de dire plus que ce que l'on pense !

RP - Lorsque tu vas en coulisses, Je vais t'apprendre un truc qui marche toujours, il suffit de dire : " Chérie, t'as jamais été mieux ! "