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Le mystère Deneuve

Les retrouvailles de Catherine Deneuve et François Truffaut pour "Le dernier métro", dix ans après "La sirène du Mississipi", c'est bien sûr un événement.Pour le fêter, Benoît Barbier et Marc Esposito ont rencontré Catherine Deneuve. Pour "Première", et pour la première fois depuis très longtemps, elle a accepté de donner d'elle une image différente. Moins sophistiquée, plus naturelle, peut-être plus authentique...

Souvenez-vous... 1969. Dans "La sirène du Mississippi" de François Truffaut, on voit pour la première fois, Catherine Deneuve rire, éclater en sanglots, crier et même, se déshabiller (oh, très, très vite, mais Belmondo en était tout choqué !). En femme fatale attendrissante et fragile, elle surprend alors tout le monde en révélant une nature, un naturel, qu'aucun metteur en scène jusqu'à Truffaut n'avait songé à exploiter. Avant "La sirène", les grands succès de Catherine Deneuve, c'étaient "Les parapluies de Cherbourg", "Répulsion", "La vie de château", "Les demoiselles de Rochefort", "Belle de jour", "Benjamin". Elle pouvait incarner la pureté ou la perversion, la douceur ou la froideur, mais jamais la passion, l'élan, la vie. Truffaut ouvre la voie. Dans laquelle s'engouffrent, très vite, Marco Ferreri qui en fait une amoureuse éperdue et humiliée dans "Liza", Nadine Trintignant qui lui donne le rôle d'une mère amputée d'un enfant dans "Ça n'arrive qu'aux autres", Laszlo Szabo qui lui fait jouer les putes sympas dans "Zig-Zig", alors que Rappeneau la transforme en une adorable emmerdeuse tourbillonnante et obstinée dans "Le sauvage", que Lelouch la met en prison et que Hugo Santiago, dans "Ecoute voir", la filme en Bogart ambigu qui tire et cogne comme un homme. Peu à peu, l'air de rien, Catherine Deneuve est devenue comédienne. Pourtant, la "une" de tous les magazines, dont elle est l'une des grandes habituées, continue de nous renvoyer l'image d'une jeune femme lisse et froide. Très "bon chic-bon genre". Plus Chanel ou St-Laurent que Courrèges ou Levi's. Résultat : on dit qu'elle est notre dernière "star" (et c'est sûrement vrai), qu'elle est "la-plus-belle-femme-du-monde" (et c'est probablement - il faudrait les connaître toutes pour être sûr - exact), mais elle n'est pas vraiment "populaire". Alors, elle alterne les bides et les succès avec une étonnante régularité, sans jamais cesser d'être là. Tout en haut. Aujourd'hui, la voilà dans "Le dernier métro". Retrouvailles avec François Truffaut. Que lui a-t-il fait jouer, cette fois ?

Une actrice, une directrice de théâtre, pendant l'Occupation, à Paris. Une femme d'affaires donc, aussi. Mais qui, quoiqu'elle fasse, est femme. Avant tout. Elle est femme avant d'être actrice, avant d'être directrice de théâtre. Cela modifie tous ses rapports avec les gens, qu'ils soient professionnels, amicaux, sentimentaux...

C'est une femme d'action, tout de même ?
Oui, mais sans être un volcan. Ce n'est pas du tout une de ces femmes d'action comme on peut en voir dans les comédies américaines. Pas du tout. C'est un personnage plus sage, plus raisonnable, plus mûr, plus tranquille... Avec une ambition modérée...

Elle qui, d'habitude, parle à toute vitesse, sans avoir besoin de chercher ses mots, ralentit son rythme. Truffaut, c'est important, et il est évident qu'elle aimerait en parler "bien"...

Nous avions, lui et moi, l'expérience d'un premier film, "La sirène du Mississippi", un film très précieux - pour moi, en tous cas - alors, bien sûr, nos rapports ont été beaucoup plus faciles. Je suis quelqu'un de très... d'assez nerveux, et là, beaucoup de mes craintes sont tombées. Forcément, depuis le temps qu'on se connaît... Sur "La sirène", il me demandait des choses que je n'admettais pas bien ou dont je ne voyais pas la nécessité, mais je les faisais quand même, pour lui faire plaisir. Sur "Le dernier métro", j'avais l'impression de mieux comprendre ce qu'il voulait.

Ce n'est donc pas toujours évident ?
Vous savez, Truffaut, c'est quelqu'un de très précis qui a, à la fois, le goût du détail et de la stylisation. Ce qui n'est, en effet, pas toujours évident. Il sait très précisément ce qu'il veut, mais en même temps, il aime tellement les acteurs qu'il veut les laisser libres...

Mais vous aviez dû changer aussi, tous, les deux, en dix ans ?
Lui, non, il n'a pas changé. Il a tout au plus évolué : c'est quelqu'un qui est lui-même depuis si longtemps, qui est tellement accompli professionnellement... C'est plutôt moi qui ai l'impression d'avoir changé...

Et qu'est-ce qui a changé chez vous ?

Elle réfléchit, répète la question pour elle-même, comme surprise...

Je n'ai toujours pas une grande confiance en moi, mais j'ai l'impression d'avoir pris un peu de l'assurance qui me manquait...

C'est utile, face à Depardieu, non ?
(Elle sourit. Ce n'est un secret pour personne : ils se sont parfaitement entendus sur le tournage du "Dernier métro". Comme sur celui de "Je vous aime" de Claude Berri qu'ils viennent de terminer).

... Vous savez, quand une partition est très bien écrite, c'est facile... Il y a quelque chose de tellement harmonieux chez Gérard que c'était impossible de ne pas être bien en tournant avec lui. C'est quelqu'un qui apporte énormément sur un plateau, indépendamment de ce qu'il apporte sur l'écran. C'est vraiment l'un des acteurs qui m'a le plus épatée. Ah oui ! Il peut tout faire, c'est toujours évident... Gérard, c'est un acteur. UN acteur ! Fantastique, d'ailleurs, mais un acteur...

Pourquoi ? Pas vous ?

EIle rit. L'air de dire : "Ça m'apprendra à trop parler !" Visiblement, il lui est plus facile de parler des autres, de raconter un film, un personnage, que de parler d'elle. Mais elle joue le jeu. Plus qu'"aimablement".

Non ! Je ne me sens pas, moi, actrice, comme lui est un acteur ! Parce que, d'abord, j'ai beaucoup moins envie de jouer que lui. Déjà, au départ... Ensuite, je trouve qu'il est plus difficile pour une femme d'être vraiment, complètement et uniquement une actrice. C'est plus dur.

Pourquoi ?
Parce que la vie vous oblige à replonger, pour un oui, pour un non, dans des choses pratiques, des choses de tous les jours, qui ont l'avantage de vous remettre souvent les pieds sur terre, mais qui compliquent un peu votre vie professionnelle... Je ne sais pas... Au départ, je n'étais pas actrice. Je le suis peut-être devenue. Cela fait toujours une différence...

Mais vous disiez aussi que vous aviez moins envie de tourner que lui...
Mais lui, il a envie de tourner tout le temps ! Je n'ai jamais vu ça ! Moi, j'ai envie de faire autre chose que de tourner !

(L'occasion est trop belle)
Quoi, par exemple ?
De vivre.

Elle a dit ça, avec un grand sourire, de façon très appuyée. Avec ironie presque.

... De prendre le temps. De vivre, de cultiver les choses que j'aime (elle éclate de rire : ça devient trop sérieux !) Non, mais, c'est vrai ! Même le temps de prendre du temps, le temps de flâner, le temps de voir les gens que j'aime : ça ne se fait pas, du jour au lendemain ! Moi, je vois des gens qui ne sont pas de ce métier, donc des gens qu'on ne peut pas appeler, comme ça, en disant : "Salut ! Qu'est-ce que tu fais ? On se voit ?" II faut savoir ménager du temps pour ces choses-là.

C'est vrai, comme elle me le disait un autre jour, qu'elle n'a pas du tout l'âge de son âge. Elle se sent toujours plus jeune qu'elle n'est (37 ans, mais c'est la dernière fois qu'on vous le dit). Elle a raison. C'est peut-être surprenant, mais Deneuve, c'est AUSSI une femme-enfant ! D'abord, elle a des mains de bébé. Plutôt petites, rassurantes. Et - ô miracle - avec les ongles courts et sans vernis agressif. Et puis, elle est gaie, joyeuse c'est sûr. C'est d'ailleurs ce qu'il y a de plus troublant, chez elle, hors plateau : elle est tout le contraire des clichés qui courent sur elle depuis des lustres et, en même temps, à la fois, elle est exactement cela ! Compliqué ? Pas vraiment. En effet, il lui arrive d'être froide, distante, hautaine. Mais elle n'est jamais glacée, lointaine ou méprisante. Parce qu'elle change tout le temps, qu'elle peut éclater de rire à la seconde, et avoir un coup de barre (sa "spécialité", rayon faiblesses) immédiatement après. Mais elle le dit, et c'est sûrement vrai, ça ne dure jamais longtemps. Pourtant tout cela n'est-il pas un peu trop beau ?

Une actrice est habituée à se regarder, donc à jouer un peu, même quand on ne joue pas devant une caméra. Pas forcément pour séduire, mais parce qu'on est habitué à avoir des rapports de séduction, dans le cinéma. On est là pour plaire, pour se faire aimer. On veut que les gens vous trouvent bien, qu'ils vous trouvent mieux que ce que vous pensez de vous-même. C'est ça... (la voilà songeuse, presque grave). Pour plaire aux autres, on est forcément prêt à faire des choses pour eux, pour qu'ils vous acceptent, qu'ils vous trouvent bien, agréable, intéressante. Pour se rassurer...

Son physique, son succès, son bonheur ("Je suis aujourd'hui une femme heureuse, je ne veux pas devenir une actrice malheureuse") auraient pu en faire un monstre de fatuité, de nombrilisme. Mais non, elle veut qu'on la rassure ! Cette fragilité là, cette faille là, heureusement, se voient. A l'écran, comme en dehors. Et c'est là que réside certainement une grande part du "mystère Deneuve", de son charme, donc. Bien sûr, tout n'est pas là. Si Deneuve est "mystérieuse", c'est aussi, plus simplement, parce qu'elle n'est pas quelqu'un que l'on cerne facilement, qu'elle a toujours fermé à la presse et aux photographes les portes de sa cuisine ou de sa vie privée, devenant, par là même, complètement "originale" en ces temps de déballages impudiques.

Je ne cherche pas à faire des mystères, mais c'est vrai que, pour moi, le mystère fait partie de la vie - surtout de la vie des actrices. Si je me cache, ce n'est pas pour cultiver quelque chose qui me va bien, mais tout simplement parce que c'est ma nature : j'ai toujours été comme ça, alors... Quand j'étais plus jeune, on disait que j'étais secrète, maintenant, on dit que c'est du mystère !

Elle sourit. Et l'on se dit que les caméras de cinéma sont décidément des engins bien archaïques, bien grossiers, pour n'avoir encore jamais su rendre, exactement, la douceur de ce sourire, la sobre intensité de ce regard, la réelle luminosité de ce personnage toujours contradictoire, toujours fascinant. A moins que les "machines voyantes" de Truffaut et Almendros, n'aient enfin réussi, avec "Le dernier métro", cet impossible exploit. Auquel cas, voilà encore un film que l'on voudra connaître par cœur ! Vous parlez d'un métier !

Le mystère Deneuve


Par : Marc Esposito
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