|
A Montréal, Catherine Deneuve
nous a parlé de "Paroles et musique" et de ses projets.
Louise Tissot n'est plus. Margaux
Marker l'a remplacée. La journaliste-romancière, ardente
et passionnée, capable sur un seul regard de s'embraser pour le
lieutenant Saganne et sur une seule déception de lui tourner le
dos, est devenue une jeune femme d'aujourd'hui, cheveux courts, allure
décontractée, aimant les airs du temps et l'effervescence
des jours.
Un mari qu'elle quitte, une entreprise
qu'elle crée, un jeune chanteur qu'elle séduit, des enfants
dont elle s'occupe... Margaux Marker, agent artistique de son état,
est bien décidée avant tout - malgré les doutes,
les échecs et les erreurs - à prendre sa vie en mains. Pas
étonnant que ce personnage de "Paroles et musique" d'Elie
Chouraqui ait séduit Catherine Deneuve...
Le succès de "Saganne" malgré une
presse peu tendre, un nouveau film avec un jeune réalisateur et
de jeunes comédiens, un nouveau registre, un nouvel univers...
L'été commence bien pour Catherine Deneuve. Et... pour nous
aussi ! A Montréal, sur le tournage du Chouraqui, nous l'avons
vu travailler et nous l'avons rencontrée. D'une voix claire et
décidée, hésitant à peine entre les mots,
entre les phrases, elle nous a parlé de "Paroles et musique"
et de ses projets...
Parmi tous les films que l'on
vous propose, qu'est-ce qui vous a décidé à accepter
"Paroles et musique" ?
Le scénario. Et le rôle aussi. Au fond - et ça m'était
déjà arrivé - ce qui m'a séduit, c'est que
ce film n'avait pas, au départ, été écrit
pour moi. Ce n'est pas que je sois systématiquement attirée
par des personnages qui n'ont pas été écrits pour
moi, mais il y a un peu de ça... Quand on tourne beaucoup de films,
et depuis longtemps, il est évident qu'on a un personnage qui s'est
installé. Et même si elle n'est pas tout à fait exacte,
l'image que les gens ont de moi a quand même un fond de vérité.
Donc quand je lis des scénarios où l'on joue sur mon image,
ou avec mon image, soit ça m'attire pour des tas de raisons, soit
au contraire - et c'est plus souvent le cas ! - j'éprouve comme
une sorte de lassitude. Je me dis : "Oui, évidemment, je peux
le faire mais... je l'ai déjà fait". Et c'est d'ailleurs
en général quand j'ai l'impression que ce film risque fort
de n'être qu'un film de plus que je le refuse. Ce qui est arrivé
avec le film d'Elie (Chouraqui), c'est exactement le contraire. Il était
évident, à la lecture, que le scénario n'avait pas
été écrit pour moi. C'est ce décalage qui
m'intéressait. C'est bien plus amusant de faire des choses qui,
au départ, ne vous étaient pas destinées et dans
lesquelles on ne vous a pas imaginée... Je pense que si dès
le départ Elie avait écrit le film pour moi. le personnage,
l'histoire même auraient été différents...
Avant tout c'est le scénario que j'aimais. Elie, je l'ai rencontré
quand il était l'assistant de Lelouch sur "A nous deux",
j'ai vu ses films et je les ai aimés et j'ai aimé le scénario
de "Paroles et musique" parce qu'il lui ressemblait...
Votre personnage, celui d'une
femme partagée entre sa vie familiale, sa vie professionnelle et
sa vie sentimentale, est un personnage plus quotidien que ceux de vos
derniers films...
Oui, un peu... mais il a quand même un côté romanesque...
J'ai joué des personnages plus quotidiens. Avec Lelouch, avec Claude
Berri. Dans "Je vous aime", j'étais une mère de
famille prise dans ses problèmes de travail, d'enfant... Mais c'était
un autre point de vue. Ici, il y a quelque chose de particulier : le film
a été écrit par un homme et j'ai le sentiment, par
moments, que c'est une vision féminine des femmes...
Vous pouvez préciser...
Vraisemblablement à cause d'une justesse dans les détails,
dans la façon d'appréhender et de mélanger les choses...
Cette perception, disons, de la difficulté qu'ont les femmes à
vivre intensément, à toujours rechercher une forme de perfection
à la fois dans le travail et les rapports humains. Les femmes sont
très attentives, je crois, à réussir leur vie professionnelle
mais aussi leur vie personnelle... C'est ça qui me plaisait bien
dans ce personnage de Margaux. J'aimais bien aussi ce côté
à la fois léger et assez grave. A la lecture du scénario
d'ailleurs, j'avais retrouvé le charme de ce que j'avais aimé
dans "Qu'est-ce qui fait courir David ?" Ayant vu "...David",
il y a des scènes dont je sentais bien ce qu'il allait en faire.
Vous avez ensuite retravaillé
le scénario ensemble ?
Oui. Non pas parce que j'ai toujours envie de marquer les films de mon
empreinte... (Rires) Mais plutôt - et d'ailleurs les réalisateurs
sont de plus en plus nombreux à penser ça - parce que je
trouve normal de relire le scénario à haute voix avec le
metteur en scène, de retravailler les dialogues. Ce qui est écrit,
c'est une chose, ce qui peut se dire en est une autre... Je trouve qu'il
faut faire confiance à un acteur lorsqu'il estime que la phrase
n'est pas juste, qu'il a des difficultés à la faire passer.
Bien sûr, les acteurs n'ont pas toujours raison ! Mais il faut faire
confiance à leur instinct... Avec Elie, nous avons retravaillé
certaines scènes... Des petites choses par-ci, par-là...
Je trouve que le charme est une chose tellement fragile... Il faut bien
y faire attention... Mais tout ça était très minime.
C'est un travail normal avec un metteur en scène...
Qu'est-ce que vous attendez
d'un metteur en scène ?
Surtout, je n'attends pas la même chose de chaque metteur en scène.
Ainsi je n'attends pas d'être dirigée par Elie comme par
quelqu'un d'autre. En général, avec un metteur en scène,
j'essaie de comprendre d'abord comment il est, comment il fonctionne,
sans oublier, bien évidemment, ce dont moi j'ai besoin... Ce que
j'attends surtout, c'est une espèce de cohérence entre ce
qu'ils disent, ce qu'ils font, ce qu'ils ont écrit, ce qu'ils ont
choisi de raconter...
Dans ce film, vos partenaires
sont de jeunes comédiens...
Richard (Anconina), je le connais plus à travers les films qu'il
a faits qu'à travers ce film-là parce que malheureusement,
on a très peu de scènes ensemble. Christophe (Lambert),
je ne le connaissais pas du tout et c'est quelqu'un qui a un charme fou,
souriant. Une grande chaleur... Tous les deux, ce sont des gens gais qui
sont à la fois ambitieux et enthousiastes. Ils ont une vraie qualité.
C'est une question d'attitude, de jeunesse d'esprit... Ce sont des gens
dont on sent qu'ils ne sont pas installés et ça, c'est très
stimulant...
Bien qu'il soit encore un peu
tôt, quelle place pensez-vous que "Paroles et musique"
va avoir dans votre carrière ?
Le mot carrière est un mot qui m'est assez étranger. Car
j'ai le sentiment que je ne peux l'employer qu'après coup, quand
on fait des bilans... Pour moi, l'enchaînement des films n'est pas
un calcul... Je n'ai jamais fait que des films que j'avais envie de faire.
Bien sûr, il ne faut pas dire de choses malhonnêtes : les
acteurs ne font pas toujours que les films qu'ils ont envie de faire mais
disons qu'en gros, les films que j'ai faits, j'avais envie de les faire
- peut-être d'ailleurs pas toujours pour de bonnes raisons ! Mais
le choix de ces films ne rentre pas dans la vision globale d'une carrière...
Ainsi, en ce qui concerne le film d'Elie, je ne pensais pas faire une
comédie douce-amère comme ça, mais simplement le
film m'a plu et je l'ai fait. Savoir maintenant si c'est bien au point
de vue équilibre entre ce que j'ai fait avant et ce que je vais
faire après, je n'en sais rien. Je ne dis pas que je n'en tiens
pas compte, je dis simplement que ce n'est pas ma façon de vivre
ce que je fais : je ne calcule pas de faire un film drôle après
un film tendre, un film populaire après un film difficile... C'est
comme ça, au gré de mes envies, de mes besoins, de ce que
je sens à ce moment-là, de ce qui me séduit... Malheureusement,
ça ne se présente pas toujours dans le bon ordre, d'un point
de vue de la carrière justement ! (Rires).
"Terre brûlée",
le film que vous aviez en projet avec Téchiné, va enfin
pouvoir se faire ?
Oui. Le tournage est prévu pour septembre. Mais je croise les doigts,
tant qu'on n'est pas sur le plateau en Tunisie...
Vous pourriez me dire quelques
mots de ce projet ?
C'est un film extrêmement violent qui se passe pendant la guerre
d'Algérie au moment où la situation est à son paroxysme.
Mais c'est paradoxalement l'extérieur qui va être calme et
les personnages qui, en quelques jours, vont s'affronter, se faire mal,
se déchirer, se tuer... Ça, c'est vraiment intéressant.
Il n'y aura pas beaucoup de grandes scènes d'action sur la guerre
d'Algérie à proprement parler. C'est en effet à l'intérieur
des personnages, dans leur affrontement intime que l'on va ressentir ce
côté fin d'une époque, fin de tout...
C'est un projet qui a l'air
de vous tenir beaucoup à cur...
Je vais vous dire la vérité. C'est vrai que je tiens beaucoup
au projet mais c'est vrai surtout que je tiens beaucoup à retravailler
avec André Téchiné (Rires). J'ai gardé un
tel souvenir d" "Hôtel des Amériques"... C'est
quelqu'un que j'admire, que j'aime... Notre enthousiasme à travailler
ensemble est vraiment grand...
Où en est le film que
vous deviez faire avec Rappeneau ?
Oui (puis vers le micro du magnétophone) où êtes-vous
Rappeneau ? (Rires)... Je sais qu'il travaille. Et que comme c'est quelqu'un
qui travaille dans la douleur, il avance plutôt lentement. Il prend,
il reprend, il arrête, il renonce, il reprend...
II avait été question
également que vous fassiez un film avec Pialat, je crois...
Ça n'était pas aussi précis que ça... On a
simplement parlé d'un projet qui n'a pas abouti. On en a parlé,
on n'a pas été plus loin... Et je crois que même quand
on va plus loin avec Pialat, il peut changer d'idée. Moi, ça
ne me gêne pas. C'est ce que je vous disais tout à l'heure
: c'est une question de cohérence... Cette façon de s'enthousiasmer
pour certaines choses et, ensuite, d'y renoncer, ça pourrait être
décevant chez quelqu'un d'autre, ça ne l'est pas chez Pialat.
Je sais qu'il a ses raisons, je crois en sa sincérité...
Un jour, j'avais parlé d'un roman policier de la "Série
blême" pour lequel j'avais d'ailleurs pris une option. Pialat
m'avait téléphoné en me disant qu'il connaissait
ce livre et que ça l'intéressait qu'on se rencontre pour
en discuter. C'était il y a cinq ou six ans... L'adaptation était
difficile. Finalement, j'ai renoncé à suivre ce projet.
A un moment, on avait aussi parlé de faire l'adaptation d'un superbe
roman de Simenon : "La chambre bleue", mais ça ne s'est
pas fait non plus...
Des derniers films que vous
avez tournés, lequel vous semble, à vous, le plus important,
lequel regretteriez-vous le plus de ne pas avoir fait...
C'est terrible, je ne sais pas... C'est trop difficile (Rires). C'est
cependant évident que d'un point de vue personnel et d'un point
de vue public, "Le dernier métro" a été
un film essentiel. Après "Le dernier métro", j'ai
fait "Hôtel des Amériques" qui est aussi pour moi
vraiment important. Et après j'ai tourné d'autres films...
Mais, vous savez, c'est drôle, je n'ai pas du tout de vision de
recul comme ça. De la même manière que je ne projette
pas beaucoup dans l'avenir. Ce n'est pas que j'aime vivre au jour le jour,
mais j'ai besoin d'avoir l'impression que les choses se font, que je change,
que je bouge, que rien n'est installé, que les choses sont arrêtées,
qu'elles peuvent repartir. Il faut toujours que ce soit de l'eau vive
pour moi... Sans doute parce que j'ai besoin d'un peu d'insécurité
pour fonctionner. Sinon je pourrais peut-être me laisser aller à
une espèce de tendance naturelle à contempler, à
ne plus rien faire ! J'ai besoin qu'il y ait dans ma vie une certaine
inquiétude...

|
|