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Bilan 1987
acteurs français |
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Ce qui est frappant, quand on rencontre
Catherine Deneuve, ce n'est pas que l'image qu'on a d'elle soit fausse
: elle ne l'est pas. Mademoiselle Deneuve est, comme prévu, belle,
séduisante, élégante. Mais c'est que cette image
soit si simplificatrice, si incomplète, en un mot, si réductrice.
En fait, l'image a exclu l'essentiel : Catherine Deneuve est une comédienne
et, donc, une femme inattendue, imprévisible. Quand elle dit que
les acteurs ont un droit à l'insouciance, on réalise soudain
qu'on a devant soi quelqu'un dont on ne sait rien. Et, au fur et à
mesure de la conversation, on fait là connaissance d'une femme
vivante, vibrante, faite de contradictions et non de certitudes. Une femme
"normale", dotée d'un grand capital charme, qui, en plus,
s'avère être l'incarnation d'un symbole, sûrement difficile
à porter : "la Française idéale". Lourde
couronne, qui lui va à ravir, mais qui tend à vampiriser
tout le reste...
De sa carrière, de sa place dans la profession,
de son métier, de son année, Catherine Deneuve parle avec
intelligence, humour, posément, mais pas indifféremment.
Et puis, soudain, au détour d'une phrase, elle dit trouver certains
rôles qu'on lui offre trop sages, trop adultes, et là, soudain,
on trouve enfin l'adjectif qu'on cherchait en vain depuis une heure pour
la définir un peu moins mal : ce qui fait, dans la vie, le charme
de Catherine Deneuve, c'est un trait de caractère imprévu,
enfantin, qui, appliqué à "l'image" qu'on a d'elle,
la rend terriblement sympathique : Catherine Deneuve est une femme déraisonnable...
Quel bilan faites-vous de l'année
cinéma qui vient de s'écouler ?
Vous savez, c'est difficile pour une actrice d'avoir un bilan sur le cinéma.
Je le vis de trop près, je n'ai pas la bonne distance. Et vous,
quel serait votre bilan ?
Peut-être, entre autres,
que les films, cette année, ont plus compté que les acteurs...
Cela faisait un moment qu'on évoluait dans ce sens. C'est vrai
qu'aujourd'hui les acteurs ne sont plus l'élément moteur
d'un film, même s'ils en demeurent l'élément central,
puisque le film passe toujours par eux, leurs visages, leurs émotions...
Mais c'est vrai qu'il y a tellement de films qui passent à la télé
que c'est devenu difficile de lutter contre cette banalisation. Moi, j'essaie
de ne pas être présente en dehors des films que je tourne,
mais les gens disent "on vous voit souvent". C'est parce qu'ils
me connaissent aujourd'hui plus par les films dans lesquels ils me voient,
qui passent à la télévision, qu'autrement. Aujourd'hui,
un acteur vit dans la mémoire du téléspectateur plus
que dans la réalité du cinéma.
Alors, comment gère-t-on
son image dans ce contexte ?
Eh bien, on gère, à contrecoup, des choses qui vous échappent,
ce qui ne ressemble pas vraiment à l'idée que je me fais
de la gestion (rires). Gérer, ce serait contrôler, choisir,
décider. Moi, je ne suis pas productrice de mes films. Quand ils
passent à la télé, ce n'est pas de mon ressort. Alors,
en contrepartie, j'essaie le plus possible de créer une absence
des écrans, qui ne peut être qu'éphémère,
pour contrebalancer le désir que je crois indispensable à
l'envie d'aller au cinéma. Or, ce désir passe forcément
par un manque, une frustration, une absence. Et c'est difficile, parce
que les gens n'ont plus le temps d'avoir du désir, on leur propose
tellement de choses ! Ils sont comblés. Il me semble qu'aux Etats-Unis
les choses sont différentes. Entre cinéma et télévision,
les territoires sont mieux gardés que ça. C'est pourquoi
un acteur ne peut que réagir au lieu d'agir... Du coup, je crois
que les acteurs font attention à ne pas trop se montrer à
la télé, je crois qu'ils y vont moins. D'un autre côté,
faire la promotion du film, c'est continuer à le défendre,
ça fait partie du travail de l'acteur, et puis, ne serait-ce que
financièrement, le cinéma a besoin de la télévision.
Mais la télé peut avoir un effet boomerang...
Quand on a su que vous alliez
tourner "Agent trouble", on a surtout fait une mini-révolution
autour du fait que vous alliez porter une perruque et des lunettes...
Oui, et j'ai fait très peu d'interviews à ce moment-là
parce que je trouvais ça très agaçant ! Je n'avais
pas envie de répondre à ça. C'est un peu radical
de parler de "révolution"... Et puis, j'ai laissé
dire et faire, mais c'était mon idée, cette perruque, pour
trouver une coiffure désuète qui irait avec le personnage.
Cela a plu à Mocky, il aime les clins d'il.
Et j'avais plus envie d'aller dans un film de Mocky que de lui demander
d'aller vers une image qui était la mienne.
Mais cette fameuse image ne
"colle" pas avec votre filmographie...
Je trouve aussi ! Parfois, je me dis : "Alors, Buñuel, Polanski,
et même les comédies de Rappeneau, tout ça, ça
ne compte pas ?" Mais, en fait, je crois qu'un film chasse l'autre
et qu'on vous relie juste à ce que vous avez fait dans l'année.
Par exemple, mon année, on s'en souviendra plus à cause
de la publicité Suez qu'à cause du film de Mocky. Parce
qu'aujourd'hui les spectateurs sont avant tout des téléspectateurs.
D'où la nécessité de sortir du jeu, de s'en exclure.
C'est ma façon à moi de réagir...
En s'excluant du jeu, on risque
de créer une frustration qui engendre la rumeur, comme celle dont
Isabelle Adjani a été victime
au début de l'année...
Oui, mais je crois que la rumeur n'existe pas réellement
tant qu'on n'y répond pas. La réponse concrétise
le bruit. Officiellement, les images d'Isabelle ne sont parues qu'après
son explication à la télévision. Mais c'est dur de
tenir face à la rumeur, de ne pas se laisser envahir par ce malaise...
Si la rencontre avec Mocky a
eu lieu cette année...
C'est parce que j'ai revu des choses de lui avec un il
différent. Très franchement, je ne suis pas sure que j'aurais
tourné avec Mocky il y a dix ans. Je n'aurais pas eu cette envie
de clin d'il par rapport à
moi-même, cette envie de refus par rapport à un système.
Tourner avec Mocky, c'est aussi venu d'un refus, d'une envie de décaler
les choses. Il y a eu une rencontre sur un projet, un bouquin précis.
Et puis j'aime l'esprit qui se dégage de l'ensemble de ses films,
c'est un esprit qui me séduit sur la durée. Mais attention,
j'avais dit oui au projet avant le succès du "Miraculé"
! Je crois que pour ce genre de rencontre, c'était le moment propice.
Je raconte toujours cette anecdote au sujet de Polanski, qui m'avait offert
un rôle dans "Naïves hirondelles" : j'avais refusé,
vexée qu'il pense à moi pour incarner une idiote ! [Rires].
Je n'avais fait que trois films à l'époque et ça
m'avait blessée dans mon orgueil. Finalement, un peu plus tard,
on a fait "Répulsion"... C'est un coup de sang, aussi,
le choix d'un film. Pour le Mocky, c'était comme un coup de fouet
par rapport à ce que je lisais.
Est-ce que les scénarios
qu'on vous a envoyés depuis suivent cette évolution ?
Je reçois parfois des choses que je trouve trop décalées
par rapport à moi, des personnages avec lesquels je n'ai pas encore
d'affinités. Ce sont souvent des femmes trop sages, trop adultes.
Je n'ai pas le sentiment d'avoir déjà cette maturité-là...
[Rires].
Vous venez de tourner "Fréquence
meurtre", le premier film d'Elisabeth Rappeneau. Vous la connaissiez
depuis longtemps ?
Oui, bien sûr, et elle a toujours aimé les histoires un peu
noires. Il y a deux ans, elle m'a donné, pour le lire, le livre
qu'elle a adapté pour "Fréquence meurtre". C'est
un roman américain avec, comme toujours dans un polar, un prologue
explicatif, et ça, c'est difficile à transposer. C'est une
bonne histoire, et puis, contrairement aux polars habituels, les personnages
ne sont pas conventionnels. Là, le rôle féminin est
assez nourri. Elle a de vraies relations avec sa famille, son travail,
sa vie. C'est un film où les rapports entre les gens sont assez
charnels. Et, en plus, c'est un suspense très dur. Je crois que
le film va avoir un ton, une couleur particulière.
On parle beaucoup d'un premier
film que vous allez tourner en 1988, avec Gérard Depardieu pour
partenaire...
Oui, c'est le premier film de François Dupeyron, et, pour des acteurs,
un projet irrésistible. C'est un film à deux personnages
qui se déroule sur vingt-quatre heures. Le scénario comporte
suffisamment d'éléments exaltants pour qu'on sache que ce
ne sera pas filmé de façon neutre. C'est trop minutieux
et insolite pour que Dupeyron n'ait pas des idées très précises
sur la mise en scène et la direction d'acteurs.
Vous aimeriez être à
l'origine de projets, prendre l'initiative de les faire exister ?
Pour financer des projets, il faut avoir une structure de production.
Moi, si je m'intéresse à un projet, il aboutira peut-être,
s'il est intéressant. Mais, pour transformer un scénario
en projet de film, il faut une structure que je ne possède pas.
C'est drôle, ce genre de questions... Par exemple, une question
comme "aimeriez-vous réaliser un film ?", on ne me l'aurait
jamais posée il y a dix ans.
Sans doute parce qu'aujourd'hui
les acteurs sont plus impliqués...
Oui, je trouve même qu'en France les acteurs sont de plus en plus
soucieux. Ils sont trop au courant, pas assez préservés
des problèmes de production. Bien sûr, c'est une industrie,
il faut être adulte, on se tient au courant des chiffres, des entrées.
Mais je dirais qu'aujourd'hui les acteurs n'ont pas plus de pouvoir, mais
qu'ils ont des responsabilités accrues. C'est devenu chargé
d'impératifs. C'est dur d'ignorer les réalités de
la profession mais, du coup, cela devient de plus en plus difficile d'être
insouciant, pour un acteur. Par exemple, je suis très admirative
de la maturité des jeunes actrices, maintenant. Moi, en comparaison,
j'ai perdu beaucoup de temps quand j'ai débuté. Mais c'est
comme les enfants qu'on ne met pas tout de suite à l'école.
Ils ont pris du retard, mais, d'un autre côté, ils ont vécu
une plus longue enfance... L'insouciance, c'est important pour les acteurs.
Mais, en même temps, c'est vrai que l'instinct ne suffit plus. Aujourd'hui,
les acteurs ont l'intelligence de leur métier. Moi, j'essaie, tout
en étant prudente, de rester instinctive. Ma prudence est surtout
là pour tempérer mon impulsivité. Les acteurs, ce
sont forcément des gens instinctifs, irrationnels. On le dit souvent,
mais on oublie d'en tenir compte, on leur demande d'être adultes
alors que ce sont des gens qui jouent...
Cette année, on vous
a vue, à la télévision, commenter dans un documentaire
des images de Marilyn Monroe. Vous avez fait, par ailleurs, pour "Libération",
une interview de Juliette Binoche. C'est votre image hors cinéma
que vous modifiez là...
Oui, mais c'est pour cela que j'ai tenu à ce que chacune de ces
choses reste unique. C'est dangereux, pour un acteur, de se déplacer.
Il faut surprendre en permanence, donc faire en sorte que chaque expérience
un peu inattendue reste une exception. Il faut savoir dire non, même
aux choses qui font plaisir, qui flattent l'ego. Il faut savoir résister
à tout ça. Et puis, j'aime que l'image reste constamment
brouillée. Cela permet d'évoluer tranquillement dans ses
contradictions, de surprendre les autres et de se surprendre.
On a l'impression que c'est
important, ce qui se passe entre vous et vous...
Oui, parce qu'avec le temps, le nombre de films,
la marge se rétrécit. Alors, il faut préserver son
plaisir, y veiller. Je me connais, s'il y avait une lassitude, une cassure,
je ne pourrais pas tricher. Ça se verrait, et ce serait irrémédiable...

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