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Catherine Deneuve : l'art de se plaire

Une petite flamme brûle à l'intérieur de Catherine Deneuve : celle de l'élégance non feinte. Qui d'autre mieux qu'elle aurait pu inaugurer avec autant de splendeur d'âme la 32ème Foire des Antiquaires de Belgique ? L'actrice, on le sait, est femme de goût. Elle tutoyé la beauté et incarne une harmonie fort subtile. C'est ce qui ressort clairement de notre rencontre avec elle - en exclusivité pour la presse hebdomadaire - où un sujet était sévèrement tabou : le cinéma !

D'accord, j'accepte de vous voir à l'occasion de ma venue à Bruxelles, mais à la condition expresse de ne s'en tenir qu'aux antiquités !

Cette mise en garde lapidaire, qui nous avait été transmise en bonne et due forme, avait été reçue 5 sur 5. Mieux même, pour une fois qu'on pouvait sortir des sentiers battus du tyran cinéma, il ne fallait surtout pas s'en plaindre. Notre intuition fut récompensée : Catherine Deneuve diffuse autour d'elle ce charme discret de l'esthétisme. Derrière son visage lisse, impassible au point d'en devenir mystérieux, on devine une véritable curiosité pour les œuvres d'art. Le vernissage a tenu toutes ses promesses ; Madame Deneuve n'a pas failli à sa réputation de goût exquis.

Pourtant quelle cohue au Palais des Beaux-Arts ! De quoi décourager les amateurs d'art les plus passionnés. Au milieu d'une foule qui la détaillait des pieds à la tête, Catherine Deneuve s'est pourtant attardée devant une multitude de stands, ayant presque l'air de souffler au public "ce n'est pas moi qu'il faut regarder, c'est ce qu'il y a dans les vitrines..." La Chambre des Antiquaires avait visé juste : Deneuve a créé l'événement parce que chacun sentait une parfaite concordance entre l'invitée d'honneur et le "décor" où elle évoluait. Pas vraiment de cérémonie pompeuse, mais une réelle présence. Que demander de mieux ?

Nous sommes ici dans une manifestation qui célèbre le bon goût. Vous avez une définition personnelle à ce sujet ?
Non, pour moi, il n'existe pas de bon goût. Il y a du goût. Je suis plus sensible au goût personnel de quelqu'un, qui compte beaucoup pour moi, qu'à la notion de bon goût. Il est défini par les experts et pas par moi. Je respecte aussi très fort les goûts des autres, même si ce ne sont pas les miens. En ce sens, je suis très libérale.

Vous faites des collections ? Vous aimez les antiquités de quel genre et de quel style ?
Pour moi, une personne qui possède plus de trois objets est un collectionneur, ce qui est mon cas. Mais je ne suis tout de même pas une vraie collectionneuse, ce qui me permet de me montrer moins exigeante sur l'état de perfection des objets. Je vais souvent aux Puces, où je connais quelques marchands. Mais cela s'arrête là et j'ignore tout des mécanismes du marché de l'art. J'aime bien la brocante. Alors, ce que je retiens ? Surtout le XVIIIe, méditerranéen, provençal même, mais pas trop rustique. J'aime bien les meubles peints, ou de la Haute Epoque. J'apprécie beaucoup l'art déco et l'art nouveau. Vous voyez, j'aime des choses vraiment variées. Je suis également très sensible à l'art oriental. Certaines pièces japonaises me plaisent énormément.

Votre cadre de vie est-il plutôt uniforme ou préférez-vous mélanger les éléments décoratifs ?
Je suis ravie qu'un décor me réserve des surprises. Et je pense que des objets d'époque et de style différents débouchent souvent sur des mariages beaucoup plus heureux que des mariages évidents, de bon goût justement. Par exemple, je trouve très bien de mélanger des objets, des tentures, des lampes, des tapisseries du XIXe avec des choses orientales.

Vous achetez beaucoup de choses pour votre intérieur ?
Oh là là, oui ! Et les objets commencent vraiment à m'envahir, à occuper de plus en plus d'espace. Or le luxe, ce sont les objets plus l'espace. Et chez moi, c'est le contraire.

Vous parvenez à vous débarrasser de certaines pièces ?
Ça m'arrive de m'en défaire. Vos goûts s'affinent ; certaines pièces de votre collection ne sont plus à la hauteur de vos exigences, alors je m'en sépare. Mais jamais dans le but de revendre un objet qui a pris de la valeur. La spéculation, ce n'est pas mon affaire.

L'œuvre d'art est-elle sacrée pour vous ?
Je ne peux pas faire de généralités. L'objet d'art a toujours fait partie de ma vie. Depuis longtemps. Même très jeune, à 18 ans, j'allais déjà fouiner aux Puces. Et à choisir, je prenais toujours un objet ancien.

Dans quel type de décor vivez-vous ? Influence-t-il particulièrement votre humeur ?
Je vis dans un décor art déco. J'y attache une certaine importance malgré moi. J'estime que les choses ne devraient pas exercer trop d'influence sur vous. Elles vous apportent un certain bien-être mais elles peuvent aussi vous entraîner dans une forme d'esclavage, car il s'agit d'une vraie relation qui n'est forcément pas à sens unique. L'objet me fait plaisir, mais il peut aussi me contredire ou me contrarier. C'est excessivement difficile de collectionner des choses, aussi simples soient-elles, sans que cela ne devienne une passion. La collection vous isole, elle présente un danger. Il faut bien en avoir conscience. Regardez les grands collectionneurs : ils ne vivent plus dans un lieu mais au milieu d'objets. Il faut toujours garder un œil vigilant sur soi-même. La lucidité est une qualité.

S'entourer de beaux objets contribue-t-il à l'art de vivre ?
Sans aucun doute, mais d'autres conditions sont aussi indispensables. Une certaine harmonie dans les endroits, avec la lumière, je parle des choses sur lequelles on a un pouvoir. En plus, bien sûr, d'un équilibre interne.

Pourquoi est-on tellement attaché aux objets ?
La vie quotidienne n'est pas toujours belle. Les objets d'art vous permettent de mieux supporter sa dureté. Ils lui donnent un sens plus gracieux. Mais il faut être très matérialiste, comme moi, pour penser ainsi ! Et puis les objets vous apportent des joies mais aussi des contraintes. Parfois j'ai besoin de conseils pour me décider. Je doute. Et puis mes goûts changent. La maîtrise de la matière des œuvres anciennes m'émeut mais certains objets industriels, des années cinquante par exemple, arrivent aujourd'hui à me toucher tout de même un peu. Avant, je ne les aurais même pas regardés. L'œil s'habitue très vite à la nouveauté, à la mode. On subit finalement et seules les passions profondes résistent.

L'art de vivre ne débute-t-il pas par une franche ouverture d'esprit ? Vous pratiquez l'éclectisme, comme d'aller assister à un concert de Prince au Zénith ?
J'avais envie de le voir, par une vraie curiosité. J'aime beaucoup ce qu'il fait. Pour moi, c'était naturel d'aller le voir sur scène. Et même si je n'ai pas pu manifester mon plaisir physiquement comme le reste de la salle, j'étais très contente d'être là. Je n'ai ressenti aucune distance. Je ne suis pas blasée, vous savez, loin de là, car je sors peu, contrairement à ce qu'on pourrait imaginer.

La musique occupe une place importante dans votre existence ?
Je me rends compte que le temps se rétrécit et que c'est la musique qui a été la plus brimée. J'arrive encore à aller au cinéma, mais la musique a souffert. En fait, j'écoute beaucoup la radio en voiture, essentiellement la F.M.

Une petite question fondamentale maintenant...
Voyons voir.

On dit de vous que vous êtes en voie de mythification. Qu'en pensez-vous ?
Hhhein ! Quel danger ! Je pense que, si c'est vrai, je suis menacée de mort car le mythe ne vit que de la disparition...

Rayonnante, nous confiant encore qu'elle affectionne "les portraits de femmes et les dessins... pour la vigueur de la main", plus sensible aux objets qu'aux meubles, Catherine Deneuve conjugue la distinction à la fois sur le mode mineur et majeur. Elle a prêté son visage lisse au "N° 5" de Chanel et à Marianne. Son sourire vaut une leçon de style et son quant-à-soi la rend encore plus séduisante. Joue-t-elle un rôle et que cache cette sérénité trop parfaite ? Peut-être un frémissement prometteur, celui de la littérature puisque Catherine Deneuve a enregistré deux cassettes, l'une sur "Les Petits Chevaux de Tarquinia", un texte écrit par Marguerite Duras, l'autre plus connu, "Bonjour Tristesse" de Françoise Sagan.

Ce sont des livres cinématographiques, juge-t-elle. Enfin, je veux dire par là qu'ils s'approchent, dans leur ton et par leurs descriptions, davantage du cinéma que du théâtre. Et, on le sait, le théâtre est quelque chose qui me fait peur et m'attire. Alors, ce travail-là m'enchantait. J'y voyais une manière d'apprivoiser le démon.

Cette expérience l'a frappée, c'est sûr. A en juger par ses commentaires.

Enregistrer un texte, pour moi, c'est un exercice entre le sprint et la course de fond... Tout doit passer par la voix... Le texte, il faut qu'il me parle à l'oreille, à l'oreille interne... Je relisais souvent des passages mais je ne les apprenais pas par cœur. Je n'avais pas le livre en mémoire, j'avais plutôt envie d'être empoignée par lui...

Suite à ces deux enregistrements, vous dites "lire de cette façon, ça me donne envie d'écrire. Il faut que je passe à l'acte !" Vous nous préparez un livre ?
Eh bien oui, effectivement, c'est prévu. Et c'est exact que le fait d'avoir enregistré deux livres de deux femmes-écrivains que j'aime énormément m'a rapprochée de l'écriture. Cette comparaison peut paraître présomptueuse ou être mal interprétée, mais, dans mon chemin souterrain, le fait de toucher à ce qui n'est en principe pas tellement dans mes cordes, cette lecture me pousse dans mon idée. Les textes de Françoise Sagan et de Marguerite Duras distillent une musique particulière à mes yeux. Mais, vous savez, le projet est signé, sans plus. Je ne connais même pas encore le titre.

Mais le sujet est fixé ?
Ce sera le cinéma ou bien, qui sait, l'art de vivre...


Par : Bernard Meeus
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