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Noblesse oblige

Son personnage déchiré et déchirant de "Drôle d'endroit pour une rencontre", le premier film de François Dupeyron, restera comme l'un des souvenirs les plus bouleversants de 1988. Normal que nous ayons voulu en savoir plus sur celle qui a su aller aussi loin dans ce jeu avec son image, dans l'exploration de ses failles les plus secrètes... Catherine Deneuve a accepté pour Studio de sortir de son habituelle réserve et de se livrer sans fard...

Dans le film de François Dupeyron, "Drôle d'endroit pour une rencontre", sorti le 5 octobre, elle est bouleversante. Parce qu'elle joue bien sûr, face à Depardieu, une femme bouleversante. Mais surtout parce qu'on a le sentiment que Catherine Deneuve a su incarner, jusqu'à la blessure la plus secrète, le désarroi de cette femme abandonnée sur un parking d'autoroute. Elle n'a pas cherché en effet à faire une composition, mais simplement à pousser l'image qui est la sienne dans ses derniers retranchements, la pervertissant de l'intérieur en mettant ses failles à nu, s'aventurant ainsi jusqu'aux frontières du jeu, là où on touche forcément à l'essentiel. Pour Studio, confrontée notamment à son thème astral (elle est Balance ascendant Capricorne), elle a également accepté d'aller à l'essentiel, de livrer les clés de sa nature et de son fonctionnement avec une sincérité et une simplicité rares. A lire ses propos, vous serez forcément séduits par son sens de l'exigence et de la rigueur, par la connaissance qu'elle a d'elle-même mais il vous manquera la vivacité de son regard et de sa voix, la soudaine gravité de son visage que dément la seconde d'après le plus beau des éclats de rire...

Quand on a une structure comme la vôtre, extrêmement contradictoire, on doit se demander si l'on apporte de la rigueur à la séduction ou si l'on met de la séduction dans la rigueur...
J'espère qu'on apporte de la rigueur à la séduction... (elle rit)

Pourquoi ?
Parce que la rigueur, c'est le plus important. C'est ce qui doit dominer. La rigueur, c'est le fléau de la Balance, non ? Vous ne pensez pas que les Balance sont des gens qui tendent toujours vers l'équilibre, enfin plus exactement vers une harmonie...

En tout cas, ils en ont besoin... C'est en effet extrêmement difficile d'être à la fois dans la rigueur et dans la séduction. Ce qui est sûr, c'est que vous avez un thème étonnamment peu narcissique pour une comédienne.
Je suis d'accord. A ce niveau-là, il y a comme un malaise qui va en s'accentuant...

L'expérience ne l'a pas dissipé ?
Non. Autant je pense que l'expérience a facilité certaines choses, autant en ce qui concerne l'image et l'intimité, j'ai le sentiment que, pour moi, c'est de plus en plus dur. Parce que plus on sait ce qu'il faudrait donner et plus on a envie de le donner mais plus on s'approche de ce point-là et plus c'est douloureux. C'est comme si le fil sur lequel on marchait était de plus en plus haut. Ce n'est pas qu'on soit meilleur, mais on a envie d'aller vers des choses de plus en plus difficiles, de plus en plus dures. Et l'image ne facilite pas cette démarche. Au contraire. Dans l'image, il y a de la séduction. Or là, il ne s'agit plus de séduire mais de convaincre...

Votre thème met en évidence aussi un immense besoin de donner aux autres, de pratiquer l'altruisme au sens le plus noble. Vous avez par ailleurs une structure foncièrement aristocratique au sens étymologique du terme, c'est-à-dire le souci d'être la meilleure, d'être toujours tirée ...
... vers le haut ? Absolument. Toujours être tirée vers le haut plutôt que de se laisser entraîner vers le bas...

Et vous avez ce sentiment-là depuis toujours ?
Disons que je me suis toujours ressentie - et parfois douloureusement- comme quelqu'un ayant beaucoup d'exigence envers soi-même. Je suis aussi d'une lucidité épouvantable, effrayante...

Pourquoi "douloureusement" ?
Parce que, la lucidité, pour une actrice, c'est terrible. Parce qu'il faudrait pouvoir réellement s'isoler. Parce qu'il ne faudrait pas toujours sentir certaines choses. Parce qu'il ne faudrait pas toujours voir. Il y a des moments où l'on aurait besoin de se laisser entraîner par un certain élan mais cette lucidité le rend impossible. Elle paralyse, elle empêche la spontanéité. Les gens lucides ont souvent du mal à décoller. J'ai toujours ressenti l'exigence, l'anxiété... En revanche, j'ai l'impression que la lucidité s'aggrave avec le temps...

Et pas l'anxiété ?
Non, pas l'anxiété, j'ai quand même l'impression de m'être développée sur des choses positives, harmonieuses. Par goût profond, j'ai toujours utilisé des choses qui m'aidaient, qui m'équilibraient, qui convenaient tout à fait à ce que j'étais, véritablement. J'ai toujours eu un très grand souci de me sentir en accord avec moi-même. Donc l'anxiété a toujours été contrebalancée par ce sentiment-là, le me suis tellement construite à travers ce que j'ai fait, à travers les films... J'ai commencé à travailler très jeune et tout ce que j'ai appris et développé, je l'ai appris et développé à travers le cinéma.

A travers des rôles précisément ?
Ah oui... J'ai appris à découvrir des êtres à travers les rôles. Un personnage, ce n'est jamais quelque chose qu'on prend comme ça, pour soi, et qu'on redonne. C'est d'abord quelque chose dont d'autres vous parlent, le metteur en scène, le scénariste, vos partenaires... C'est ensuite des mots qu'il faut apprivoiser, des situations qu'il faut affronter... Il vous faut faire connaissance avec des choses intimes de la personne imaginée, alors que dans la vie lorsqu'on croise quelqu'un, on reste le plus souvent à la périphérie. Avec les personnages, on est obligé d'aller très vite à ce qu'ils ont d'essentiel, de profond, d'intime. On est très vite attiré par ce qu'ils sont vraiment. Donc, on apprend beaucoup de choses. Sur soi et sur les autres.

Vous diriez que vous allez vers les personnages ou que vous les attirez plutôt vers vous ?
Je suis sure de ce que je pense mais je ne suis pas forcément sure du résultat : j'ai l'impression de chercher à être le personnage mais je sais qu'il y a des gens qui disent que je suis toujours la même, que c'est moi qui absorbe les rôles et pas l'inverse. Moi, j'ai l'impression d'aller au devant des personnages. De plus en plus d'ailleurs. Par expérience, par goût de la découverte...

On a en effet depuis plusieurs années le sentiment que vous approfondissez un sillon...
Oui, depuis à peu près huit ans. Depuis le début des années 80. Si je peux le dire avec autant d'assurance, c'est qu'on m'a obligée à le formuler il n'y a pas très longtemps. Un journal américain m'a demandé de choisir quelle était ma décennie et, en y réfléchissant, je me suis dit finalement que c'était celle des années 80, aux alentours de mes trente-cinq ans. Ce qui me semble quand même tard pour une actrice. Mais, en tant qu'actrice, je me considère comme quelqu'un de lent...

A quel point de vue ?
J'ai l'impression d'avoir été extrêmement attentive à tout ce qui se passait mais qu'il a fallu du temps avant que ça touche quelque chose d'essentiel en moi. En revanche, aujourd'hui, même si je m'arrêtais, je sais que je n'arrêterais pas de penser au cinéma : cela a été profondément marquant dans ma vie. Je suis véritablement imprégnée de ça aujourd'hui.

Vous envisagez parfois de vous arrêter de faire du cinéma ? Pourquoi ? Par refus ? Par exigence ? Par regret ?
Non pas par regret. Peut-être par exigence, Je ne l'envisage pas vraiment mais j'y pense quand même. Peut-être par masochisme. Pour me défier.

Si vous arrêtiez, le jeu vous manquerait ?
Je ne sais pas parce qu'il m'a été très difficile d'aimer le jeu. J'adore les jeux de cartes, ces jeux où tout vous échappe. Mais le jeu pur, non... Même enfant, je n'ai jamais aimé me déguiser. Tout ce qui est déguisement, bals masqués et tout ça, j'ai horreur de ça. J'ai toujours trouvé ça d'une mélancolie profonde... C'est trop passéiste pour moi. C'est comme si on avait voulu être quelqu'un d'autre, comme si on ne pouvait pas... Il y a plein de jeux de société auxquels je n'ai pas pu jouer avant d'être très grande, avant d'avoir trente ans ! Le jeu, pour moi, c'est quelque chose de très important, qui révèle des choses essentielles, profondes, ça ne peut donc pas se partager comme ça, de manière insignifiante, en batifolant. Il m'a fallu du temps pour m'y faire...

A quel moment est venu le déclic ?
Le premier déclic est venu très tôt. quand j'ai rencontré Jacques Demy pour "Les parapluies de Cherbourg". J'ai découvert un sentiment nouveau et j'ai su que je ne l'oublierais jamais. Il y avait quelque chose de magique avec Jacques, avec ce rôle, avec ce film. Quelque chose m'a vraiment touchée. Comme une soudaine harmonie. Disons que j'ai ressenti quelque chose qui, par rapport à moi et au cinéma, m'a paru fondamental. Donc, pour la suite, je me suis tenue à ça. Je savais que c'était ce qu'il fallait que je fasse mais il m'a fallu passer par des périodes où parfois ma vie personnelle l'a emporté d'une façon plus ou moins heureuse... Je n'ai pas vécu la suite comme une succession de vagues qui me portaient de plus en plus haut... Il y a eu plein de choses mouvementées, des retours en arrière, des moments de désespoir... En fait, après, ça a été très long avant de vraiment retrouver cette sensation. Il a fallu que je rencontre François Truffaut et puis André Téchiné. Il a fallu que je rencontre des gens positifs qui m'ont beaucoup apporté, qui, d'une certaine façon, ont eu à me convaincre que c'était bien ça qu'il fallait que je fasse, que ça ne pouvait pas être autrement... Vous savez, je doute énormément...

Mais est-ce que le jeu lui-même peut être une souffrance ?
La souffrance vient plutôt de la contradiction. De l'envie de jouer et, en même temps, du refus de jouer. Lorsqu'on le fait, il faut vraiment que ce soit essentiel. En même temps, c'est ça qui est difficile... Le cinéma est un art qui doit être léger. Moi, j'adore les comédies. Par rapport à ma nature, ça peut paraître bizarre, mais pour moi, c'est vraiment le summum de l'acteur. J'aime tout ce côté léger, champagne, de la comédie qui fait que c'est un art. Comme la danse...

Vous avez fait de la danse ?
Ah oui. J'en ai fait, petite, mais j'ai vite arrêté parce que je suis tombée malade. Ma sœur [Françoise Dorléac], elle, a continué. Elle a dansé très longtemps, elle dansait très bien d'ailleurs. Ce que j'aime dans la danse, c'est la grâce et la beauté. C'est quelque chose qui a l'air évident, facile, et on ne voit pas ce que ça a coûté aux danseurs, les douleurs que cela a forcément représenté. J'adore l'idée qu'on vous montre des choses parfaites et que l'on croit qu'elles sont nées comme ça. J'adore la réussite des choses, j'aime cet effort physique, ce dépassement qui ne se sentent pas. Ce qui, en revanche, me fait très peur chez les gymnastes - mais qui m'émeut aussi terriblement - c'est la grimace de la douleur, de l'effort. Chez les danseurs, au contraire, le visage doit être comme un masque, presque gai. Même s'ils sont en train de faire subir à leur corps les pires atrocités. Il me semble qu'il y a chez les êtres humains une nécessite de vivre ce genre de contradictions. La tête et le corps ne pouvant pas être en accord, il faut vivre des choses contradictoires pour trouver son sens. Il y a un axe en nous, et si l'on n'a pas cette tension de la contradiction, cette maîtrise de soi, on ne sait plus où il est...

Est-ce qu'il y a des périodes où vous avez senti que vous aviez perdu cet axe ?
Oui. Il y a des moments où l'on est emporté par les choses, où l'on a l'impression que les gens vous portent et que ça vous convient. C'est plutôt confortable mais en même temps... Ce sont des périodes un peu rêveuses... Je crois en tout cas que la période la plus difficile, la plus dure, a été les années 67-70. Pour des raisons personnelles. A cause de drames qui ont vidé de leur sens les élans que je pouvais avoir. Et c'est vrai que je n'avais, alors, qu'une envie : travailler, travailler, être occupée...

II y a dans votre thème les signes d'une blessure fondamentale, très ancienne, et qui fait que quoi qu'il vous arrive de parfaitement heureux, il y a toujours comme un ver dans le fruit, comme une petite musique intérieure qui est de l'ordre, pourrait-on dire, de la mort, de l'absence...
C'est ça. Exactement.

C'est ce qui empêche aussi cette spontanéité débridée que vous sembliez regretter tout à l'heure mais qui n'est pas la vôtre...
Par moments seulement. Mais elle n'est pas dans ma nature, c'est vrai...

Comment la star que vous êtes aujourd'hui voit-elle la petite fille que vous étiez ?
Eh bien, le problème, c'est que la petite fille que j'étais, elle est toujours là... (Eclats de rire). Mais enfin, ce n'est pas vraiment un problème. Il faut s'accepter comme on est. Ce qui me frappe beaucoup pourtant quand je parle avec mes sœurs ou avec ma mère, ou quand je regarde des photos, c'est cette présence incroyable, cette enfance qui n'est jamais très loin en moi...

Ça a forcément à voir avec le fait que vous êtes extrêmement fidèle à vous-même...
Absolument. Moi, je sens bien que j'ai évolué essentiellement à travers le cinéma mais je sais aussi que, fondamentalement, je n'ai jamais changé depuis ma plus tendre enfance. Ce qui me plaît dans la vie, ce qui m'attire chez les êtres, c'est ce qui me plaisait, m'attirait lorsque j'avais dix ans, douze ans.

C'est-à-dire ?
J'étais sensible à des détails, aux voix, aux regards, au caractère plus qu'au physique, à ce qui avait l'air secret, aux gens insolites, complexes, plutôt réservés...

Et vous, comment étiez-vous ?
Rêveuse, secrète, romantique, mélancolique... Je regardais les grands avec des yeux ronds comme des soucoupes. Je crois surtout en effet que je regardais et que j'écoutais beaucoup. Avec ma sœur, nous étions très complémentaires. On ne sait pas comment tout évolue, mais il y a chez moi une envie de vivre en harmonie. Ce qui fait qu'on accentue les complémentarités. L'une prend les pleins, l'autre prend les creux... Parce qu'on sait que ça se passe mieux comme ça...

Quels types de rapports aviez-vous avec elle ?
Très complices. On était extrêmement différentes. Je crois que je la connaissais mieux qu'elle ne me connaissait. Elle était moins secrète que moi, elle parlait beaucoup alors que je suis quelqu'un qui écoute beaucoup. C'est ma nature d'écouter...

Et d'aider...
Oui, elle était très complexe, elle avait beaucoup de problèmes et j'avais très envie de l'aider.

Est-ce que le fait de faire toutes les deux le même métier n'était pas parfois difficile ?
Pour elle, je ne sais pas, ça a peut-être été difficile parce que, c'est vrai, il y a eu des moments où on s'est retrouvées toutes les deux comme en concurrence. Mais pour moi alors, en toute sincérité, jamais, jamais je ne me suis sentie en rivalité. Quand j'étais enfant, j'ai été très aimée. Je n'ai jamais eu de doutes sur le sentiment que me portaient les gens avec qui je vivais. Je crois que c'est important. Je me sens forte sur ce plan-là et c'est ce qui fait que je me suis sentie en rivalité ni avec ma sœur quand nous faisions le même métier, ni avec mes sœurs, ni même aujourd'hui avec les autres. Professionnellement ou non... En ça non plus, je n'ai pas changé... Même mes amis d'aujourd'hui, ce sont des amis que je connais depuis très très longtemps, je suis fidèle.

En même temps, vous devez être capable de remettre très durement les êtres en question...
Ah oui.

Vous devez être tout à fait capable de réfléchir à votre propre honnêteté et...
... à mes propres faiblesses...

... et si l'autre vous trompe, vous ne faites pas de quartier.
C'est vrai. Lorsque quelque chose se termine en moi, c'est définitivement terminé. Comme dit Sempé joliment : "Je peux pardonner mais pas oublier. Parce que j'ai ma liste..." C'est une image terrible mais elle est vraie. Je peux très bien pardonner mais je ne peux pas oublier. Quand c'est cassé, c'est cassé. |e ne peux rien y faire. Même si c'est encore plus douloureux pour moi que pour l'autre, je ne crois pas aux réparations. Sauf pour les objets. Mais certainement pas pour tout ce qui palpite, tout ce qui vit...

Professionnellement, ça ne doit pas vous faciliter la vie...
Non... Mais au départ, je suis plutôt crédule. Je suis très soucieuse de justice. C'est vrai que professionnellement, ce n'est pas toujours très simple parce que je ne suis pas prête à jouer le rôle qu'on me demande tout le temps, me montrer, applaudir, dire des choses que je ne pense pas. Parfois, il vaut mieux que je ne sorte pas parce que je ne peux pas mentir ! Enfin... je peux mentir comme tout le monde mais pas pour des choses qui comptent, je préfère ne rien dire. D'ailleurs vous avez remarqué, je ne dirai pas de mal des metteurs en scène avec qui j'ai eu des mauvais rapports parce que je pense que la blessure que l'on peut faire alors est trop grave...

Vous n'avez pourtant pas été très très tendre avec Dupeyron après "Drôle d'endroit pour une rencontre"...
(visiblement très surprise) Ah bon ? Vous trouvez ? Dans la rencontre avec Gérard pour Studio, j'ai au contraire essayé de ne pas rester sur l'anecdote - même si elle a été grave pour nous -, de dépasser ce débat-là. C'est vrai que je pourrais dire des choses dures sur Dupeyron mais parce que, comme j'avais beaucoup d'admiration pour lui et ce qu'il avait écrit, j'ai été très exigeante, j'avais mis la barre très haut mais j'avais sans doute oublié que je travaillais avec quelqu'un qui n'avait pas l'expérience des acteurs. Mais c'est encore trop tôt pour en parler...

C'est un film que vous aimez beaucoup ?
Oui, beaucoup. Peut-être qu'il n'est pas complètement réussi, mais même comme ça, je le trouve beaucoup plus intéressant que d'autres films plus carrés. C'est un film profondément original et dérangeant. C'est bien parfois d'être dérangé au cinéma.

Vous disiez tout à l'heure que certains personnages vous avaient aidée à vous construire. Pourriez-vous le dire de celui-là ?
Absolument. C'est un personnage qui m'a beaucoup apporté mais qui m'a également beaucoup pris, à cause aussi de la difficulté du film et des relations sur le tournage... Quand on tourne des scènes très très longues, au bout d'un moment, on n'a plus de ressort. On ne peut plus jouer, on est obligé d'être très nu et c'est finalement quelque chose de très douloureux. Plus ça va, plus on est nu et plus on a froid et plus ça vous enlève des défenses et de la résistance. Et j'estime qu'il faut toujours garder quelque chose de soi en soi. Il faut toujours avoir présent à l'esprit, même inconsciemment, que ce n'est qu'un jeu, qu'une situation qu'on joue et qu'il faut donc garder une certaine distance. Pour son équilibre mental.

Vous sentez que vous pourriez le perdre ?
Oui, absolument. Et surtout dans des rôles comme celui de "Drôle d'endroit...". On va vers le dépouillement, vers la simplicité, vers l'essentiel. Les repères ne sont plus les mêmes. Je suis sure que d'autres acteurs s'en sortent mieux que moi mais encore une fois comme le jeu ne correspond pas profondément à ma nature, je suis obligée d'aller très loin pour donner au moins ça. Mais paradoxalement, plus ça va, plus c'est ça qui m'intéresse...

Vous semblez partagée entre le goût de la maîtrise et le désir d'abandon...
La maîtrise, j'aime ça. C'est un mot important, je n'aime pas ce qui part dans tous les sens n'importe comment, je n'aime pas les choses qu'on laisse sortir comme ça. J'aime la maîtrise. Pour la tenue. Et puis aussi je pense que c'est à cause des débordements qu'il y a des excès monstrueux... Quant à l'abandon, j'ai besoin, pour aller loin, de travailler avec des gens en qui j'ai une confiance totale et qui me poussent. J'ai besoin d'être poussée...

Vous pouvez vous sentir relativement menacée si vous vous mettez trop en danger. Mais vous n'êtes pas totalement insensible au vertige...
Si je suis attirée, rien ne m'arrête... Dieu sait pourtant que je suis une personne indécise, mais quand je suis attirée par quelque chose, alors là, vous pouvez me dire que ce n'est pas pour moi, que ce n'est pas moi, y a rien à faire. C'est comme un aimant. C'est comme ça d'ailleurs que je suis partie de chez moi.

A quel âge ?
Très jeune, j'avais seize ans et demi.

Pour quelle raison êtes-vous partie ?
(sourire) Une attirance extérieure irrésistible ! Je suis une femme qui ne résiste pas à l'irrésistible (rires).

A propos de vertige, l'été dernier, vous avez commenté pour Canal Plus un documentaire sur Marilyn Monroe. Est-ce que des destinées comme la sienne vous effrayent ?
Je ne m'identifie absolument pas. Pour moi, sa destinée ne relève pas du vertige mais du désespoir. J'ai énormément d'admiration pour l'actrice d'abord. Pour la femme ensuite. Je ne la connaissais pas mais quand on la regarde, on est frappé par l'enfant qu'il y a en elle, qu'on a envie de prendre dans ses bras, sur la nuque duquel on a envie de poser sa main... Il y a cette grâce, cette fragilité, cette qualité de la peau...

Ces derniers temps, vous avez surtout eu des partenaires masculins mais prochainement, vous allez tourner un film de Téchiné avec Sandrine Bonnaire...
C'est une actrice que j'aime énormément. Je la vois comme un soleil - et moi, je me vois comme une lune...

??????
Regardez n'importe quelle photo d'elle : elle brille toute seule. Quelque chose en elle rayonne. Moi, je sens que j'ai davantage besoin du regard des autres. Peut-être parce que je suis beaucoup plus mélancolique. C'est comme un reflet... Si j'étais toute seule, loin du regard des autres, je pense que je serais plus terne d'apparence. Si je ne suis pas interpellée par l'autre, je suis comme derrière un paravent...

C'est dans ce sens que vous disiez tout à l'heure que le cinéma vous avait aidée ?
Absolument. Sinon, je serais la belle au bois dormant. Sans le cinéma, j'aurais pu dormir toute ma vie... C'est pour ça aussi que j'ai besoin d'être en mouvement pour savoir que je suis en vie. Tous les gens croient que j'ai une énergie extraordinaire mais c'est parce que je ressens le besoin de la relancer tout le temps. Sinon, je suis comme ces vieilles pendules dont le balancier s'arrête tout doucement, sans qu'on y prenne garde... C'est pour cela que j'ai beaucoup de mal à m'arrêter. En même temps, régulièrement, j'ai un grand besoin de me ressourcer. J'ai besoin de la campagne, j'ai besoin de la solitude, j'ai besoin du silence.

C'est que dans votre structure élémentaire, il y a beaucoup de feu et d'air mais pas assez de terre...
Ah bon ? Moi qui me prenais pour une terrienne...

Vous vous raccrochez à votre côté terrien parce que vous sentez que vous avez besoin de vous protéger de cette tentation du vertige dont on parlait tout à l'heure... Vous avez besoin de récupérer régulièrement votre énergie. C'est comme si, en effet, vous n'aviez pas assez de bûches pour alimenter votre feu intérieur qui, contrairement aux apparences, brûle finalement très fort...
On me reproche de vivre ce rapport à la nature de manière trop passionnelle mais pour moi, c'est vital. Je sais que je suis vite épuisée. Je sais aussi que j'ai quand même une vraie résistance, je connais très bien mon corps et je gère ça assez bien : je n'attends pas que le feu s'éteigne pour aller chercher du bois...

Pour vous définir, on pourrait dire que vous avez un côté raisonnable mais que vous êtes tentée par tout ce qui peut vous empêcher de l'être. Ou alors que vous savez que vous n'êtes pas tout à fait rationnelle mais que vous voulez l'être a tout prix...
Je dois savoir ce qui, en moi, relève de l'irrationnel. Par peur. Pour pouvoir placer des balises... Pour me protéger aussi peut-être... J'ai un certain sens du devoir et des responsabilités parce que j'en ai eues très jeune que j'avais choisies. Ce n'est pas quelque chose qui pèse mais plutôt quelque chose qui compte... Le problème, c'est que tout ça sert au cinéma... Ce n'est pas très reposant. Parfois, j'ai l'impression d'être comme les damnés dont on dit qu'ils ne connaissent pas le sommeil et qu'ils travaillent tout le temps, j'ai l'impression que tout ce qu'on est, tout ce qu'on vit, tout ce qu'on fait sert au cinéma...

Vous n'avez jamais pris de cours de comédie quand vous avez débuté ?
Non parce que j'ai été portée d'une chose à l'autre. Et puis, on ne m'a jamais remise en question au point que je ressente ce besoin-là. Vous savez, au cinéma, il suffit d'avoir un physique et on est porté longtemps. Ça aide... Mais en même temps, j'ai toujours ressenti la beauté physique comme un danger. Même étant enfant. Tout ce qu'on pouvait prêter à quelqu'un sous prétexte qu'il était séduisant... Peut-être que je m'en méfie parce que j'ai été élevée dans la religion catholique où l'on sait que le Diable peut prendre les apparences les plus trompeuses !

Ce physique, vous l'avez ressenti parfois comme une prison ?
Oui, mais dorée ! C'est plutôt comme un poids...

Et il vous arrive de le ressentir comme une responsabilité ?
J'estime n'avoir de responsabilités que vis-à-vis des mineurs et de moi-même (rires).

Divan : Catherine Deneuve


Par : Joëlle de Gravelaine et Jean-Pierre Lavoignat
Photos :


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