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Son personnage déchiré
et déchirant de "Drôle d'endroit pour une rencontre",
le premier film de François Dupeyron, restera comme l'un des souvenirs
les plus bouleversants de 1988. Normal que nous ayons voulu en savoir
plus sur celle qui a su aller aussi loin dans ce jeu avec son image, dans
l'exploration de ses failles les plus secrètes... Catherine Deneuve
a accepté pour Studio de sortir de son habituelle réserve
et de se livrer sans fard...
Dans le film de François
Dupeyron, "Drôle d'endroit pour une rencontre", sorti
le 5 octobre, elle est bouleversante. Parce qu'elle joue bien sûr,
face à Depardieu, une femme bouleversante. Mais surtout parce qu'on
a le sentiment que Catherine Deneuve a su incarner, jusqu'à la
blessure la plus secrète, le désarroi de cette femme abandonnée
sur un parking d'autoroute. Elle n'a pas cherché en effet à
faire une composition, mais simplement à pousser l'image qui est
la sienne dans ses derniers retranchements, la pervertissant de l'intérieur
en mettant ses failles à nu, s'aventurant ainsi jusqu'aux frontières
du jeu, là où on touche forcément à l'essentiel.
Pour Studio, confrontée notamment à son thème astral
(elle est Balance ascendant Capricorne), elle a également accepté
d'aller à l'essentiel, de livrer les clés de sa nature et
de son fonctionnement avec une sincérité et une simplicité
rares. A lire ses propos, vous serez forcément séduits par
son sens de l'exigence et de la rigueur, par la connaissance qu'elle a
d'elle-même mais il vous manquera la vivacité de son regard
et de sa voix, la soudaine gravité de son visage que dément
la seconde d'après le plus beau des éclats de rire...
Quand on a une structure comme
la vôtre, extrêmement contradictoire, on doit se demander
si l'on apporte de la rigueur à la séduction ou si l'on
met de la séduction dans la rigueur...
J'espère qu'on apporte de la rigueur à la séduction...
(elle rit)
Pourquoi ?
Parce que la rigueur, c'est le plus important. C'est ce qui doit dominer.
La rigueur, c'est le fléau de la Balance, non ? Vous ne pensez
pas que les Balance sont des gens qui tendent toujours vers l'équilibre,
enfin plus exactement vers une harmonie...
En tout cas, ils en ont besoin...
C'est en effet extrêmement difficile d'être à la fois
dans la rigueur et dans la séduction. Ce qui est sûr, c'est
que vous avez un thème étonnamment peu narcissique pour
une comédienne.
Je suis d'accord. A ce niveau-là, il y a comme un malaise qui va
en s'accentuant...
L'expérience ne l'a pas
dissipé ?
Non. Autant je pense que l'expérience a facilité certaines
choses, autant en ce qui concerne l'image et l'intimité, j'ai le
sentiment que, pour moi, c'est de plus en plus dur. Parce que plus on
sait ce qu'il faudrait donner et plus on a envie de le donner mais plus
on s'approche de ce point-là et plus c'est douloureux. C'est comme
si le fil sur lequel on marchait était de plus en plus haut. Ce
n'est pas qu'on soit meilleur, mais on a envie d'aller vers des choses
de plus en plus difficiles, de plus en plus dures. Et l'image ne facilite
pas cette démarche. Au contraire. Dans l'image, il y a de la séduction.
Or là, il ne s'agit plus de séduire mais de convaincre...
Votre thème met en évidence
aussi un immense besoin de donner aux autres, de pratiquer l'altruisme
au sens le plus noble. Vous avez par ailleurs une structure foncièrement
aristocratique au sens étymologique du terme, c'est-à-dire
le souci d'être la meilleure, d'être toujours tirée
...
... vers le haut ? Absolument. Toujours être tirée vers le
haut plutôt que de se laisser entraîner vers le bas...
Et vous avez ce sentiment-là
depuis toujours ?
Disons que je me suis toujours ressentie - et parfois douloureusement-
comme quelqu'un ayant beaucoup d'exigence envers soi-même. Je suis
aussi d'une lucidité épouvantable, effrayante...
Pourquoi "douloureusement"
?
Parce que, la lucidité, pour une actrice, c'est terrible. Parce
qu'il faudrait pouvoir réellement s'isoler. Parce qu'il ne faudrait
pas toujours sentir certaines choses. Parce qu'il ne faudrait pas toujours
voir. Il y a des moments où l'on aurait besoin de se laisser entraîner
par un certain élan mais cette lucidité le rend impossible.
Elle paralyse, elle empêche la spontanéité. Les gens
lucides ont souvent du mal à décoller. J'ai toujours ressenti
l'exigence, l'anxiété... En revanche, j'ai l'impression
que la lucidité s'aggrave avec le temps...
Et pas l'anxiété
?
Non, pas l'anxiété, j'ai quand même l'impression de
m'être développée sur des choses positives, harmonieuses.
Par goût profond, j'ai toujours utilisé des choses qui m'aidaient,
qui m'équilibraient, qui convenaient tout à fait à
ce que j'étais, véritablement. J'ai toujours eu un très
grand souci de me sentir en accord avec moi-même. Donc l'anxiété
a toujours été contrebalancée par ce sentiment-là,
le me suis tellement construite à travers ce que j'ai fait, à
travers les films... J'ai commencé à travailler très
jeune et tout ce que j'ai appris et développé, je l'ai appris
et développé à travers le cinéma.
A travers des rôles précisément
?
Ah oui... J'ai appris à découvrir des êtres à
travers les rôles. Un personnage, ce n'est jamais quelque chose
qu'on prend comme ça, pour soi, et qu'on redonne. C'est d'abord
quelque chose dont d'autres vous parlent, le metteur en scène,
le scénariste, vos partenaires... C'est ensuite des mots qu'il
faut apprivoiser, des situations qu'il faut affronter... Il vous faut
faire connaissance avec des choses intimes de la personne imaginée,
alors que dans la vie lorsqu'on croise quelqu'un, on reste le plus souvent
à la périphérie. Avec les personnages, on est obligé
d'aller très vite à ce qu'ils ont d'essentiel, de profond,
d'intime. On est très vite attiré par ce qu'ils sont vraiment.
Donc, on apprend beaucoup de choses. Sur soi et sur les autres.
Vous diriez que vous allez vers
les personnages ou que vous les attirez plutôt vers vous ?
Je suis sure de ce que je pense mais je ne suis pas forcément sure
du résultat : j'ai l'impression de chercher à être
le personnage mais je sais qu'il y a des gens qui disent que je suis toujours
la même, que c'est moi qui absorbe les rôles et pas l'inverse.
Moi, j'ai l'impression d'aller au devant des personnages. De plus en plus
d'ailleurs. Par expérience, par goût de la découverte...
On a en effet depuis plusieurs
années le sentiment que vous approfondissez un sillon...
Oui, depuis à peu près huit ans. Depuis le début
des années 80. Si je peux le dire avec autant d'assurance, c'est
qu'on m'a obligée à le formuler il n'y a pas très
longtemps. Un journal américain m'a demandé de choisir quelle
était ma décennie et, en y réfléchissant,
je me suis dit finalement que c'était celle des années 80,
aux alentours de mes trente-cinq ans. Ce qui me semble quand même
tard pour une actrice. Mais, en tant qu'actrice, je me considère
comme quelqu'un de lent...
A quel point de vue ?
J'ai l'impression d'avoir été extrêmement attentive
à tout ce qui se passait mais qu'il a fallu du temps avant que
ça touche quelque chose d'essentiel en moi. En revanche, aujourd'hui,
même si je m'arrêtais, je sais que je n'arrêterais pas
de penser au cinéma : cela a été profondément
marquant dans ma vie. Je suis véritablement imprégnée
de ça aujourd'hui.
Vous envisagez parfois de vous
arrêter de faire du cinéma ? Pourquoi ? Par refus ? Par exigence
? Par regret ?
Non pas par regret. Peut-être par exigence, Je ne l'envisage pas
vraiment mais j'y pense quand même. Peut-être par masochisme.
Pour me défier.
Si vous arrêtiez, le jeu
vous manquerait ?
Je ne sais pas parce qu'il m'a été très difficile
d'aimer le jeu. J'adore les jeux de cartes, ces jeux où tout vous
échappe. Mais le jeu pur, non... Même enfant, je n'ai jamais
aimé me déguiser. Tout ce qui est déguisement, bals
masqués et tout ça, j'ai horreur de ça. J'ai toujours
trouvé ça d'une mélancolie profonde... C'est trop
passéiste pour moi. C'est comme si on avait voulu être quelqu'un
d'autre, comme si on ne pouvait pas... Il y a plein de jeux de société
auxquels je n'ai pas pu jouer avant d'être très grande, avant
d'avoir trente ans ! Le jeu, pour moi, c'est quelque chose de très
important, qui révèle des choses essentielles, profondes,
ça ne peut donc pas se partager comme ça, de manière
insignifiante, en batifolant. Il m'a fallu du temps pour m'y faire...
A quel moment est venu le déclic
?
Le premier déclic est venu très tôt. quand j'ai rencontré
Jacques Demy pour "Les parapluies de Cherbourg". J'ai découvert
un sentiment nouveau et j'ai su que je ne l'oublierais jamais. Il y avait
quelque chose de magique avec Jacques, avec ce rôle, avec ce film.
Quelque chose m'a vraiment touchée. Comme une soudaine harmonie.
Disons que j'ai ressenti quelque chose qui, par rapport à moi et
au cinéma, m'a paru fondamental. Donc, pour la suite, je me suis
tenue à ça. Je savais que c'était ce qu'il fallait
que je fasse mais il m'a fallu passer par des périodes où
parfois ma vie personnelle l'a emporté d'une façon plus
ou moins heureuse... Je n'ai pas vécu la suite comme une succession
de vagues qui me portaient de plus en plus haut... Il y a eu plein de
choses mouvementées, des retours en arrière, des moments
de désespoir... En fait, après, ça a été
très long avant de vraiment retrouver cette sensation. Il a fallu
que je rencontre François Truffaut et puis André Téchiné.
Il a fallu que je rencontre des gens positifs qui m'ont beaucoup apporté,
qui, d'une certaine façon, ont eu à me convaincre que c'était
bien ça qu'il fallait que je fasse, que ça ne pouvait pas
être autrement... Vous savez, je doute énormément...
Mais est-ce que le jeu lui-même
peut être une souffrance ?
La souffrance vient plutôt de la contradiction. De l'envie de jouer
et, en même temps, du refus de jouer. Lorsqu'on le fait, il faut
vraiment que ce soit essentiel. En même temps, c'est ça qui
est difficile... Le cinéma est un art qui doit être léger.
Moi, j'adore les comédies. Par rapport à ma nature, ça
peut paraître bizarre, mais pour moi, c'est vraiment le summum de
l'acteur. J'aime tout ce côté léger, champagne, de
la comédie qui fait que c'est un art. Comme la danse...
Vous avez fait de la danse ?
Ah oui. J'en ai fait, petite, mais j'ai vite arrêté parce
que je suis tombée malade. Ma sur [Françoise Dorléac],
elle, a continué. Elle a dansé très longtemps, elle
dansait très bien d'ailleurs. Ce que j'aime dans la danse, c'est
la grâce et la beauté. C'est quelque chose qui a l'air évident,
facile, et on ne voit pas ce que ça a coûté aux danseurs,
les douleurs que cela a forcément représenté. J'adore
l'idée qu'on vous montre des choses parfaites et que l'on croit
qu'elles sont nées comme ça. J'adore la réussite
des choses, j'aime cet effort physique, ce dépassement qui ne se
sentent pas. Ce qui, en revanche, me fait très peur chez les gymnastes
- mais qui m'émeut aussi terriblement - c'est la grimace de la
douleur, de l'effort. Chez les danseurs, au contraire, le visage doit
être comme un masque, presque gai. Même s'ils sont en train
de faire subir à leur corps les pires atrocités. Il me semble
qu'il y a chez les êtres humains une nécessite de vivre ce
genre de contradictions. La tête et le corps ne pouvant pas être
en accord, il faut vivre des choses contradictoires pour trouver son sens.
Il y a un axe en nous, et si l'on n'a pas cette tension de la contradiction,
cette maîtrise de soi, on ne sait plus où il est...
Est-ce qu'il y a des périodes
où vous avez senti que vous aviez perdu cet axe ?
Oui. Il y a des moments où l'on est emporté par les choses,
où l'on a l'impression que les gens vous portent et que ça
vous convient. C'est plutôt confortable mais en même temps...
Ce sont des périodes un peu rêveuses... Je crois en tout
cas que la période la plus difficile, la plus dure, a été
les années 67-70. Pour des raisons personnelles. A cause de drames
qui ont vidé de leur sens les élans que je pouvais avoir.
Et c'est vrai que je n'avais, alors, qu'une envie : travailler, travailler,
être occupée...
II y a dans votre thème
les signes d'une blessure fondamentale, très ancienne, et qui fait
que quoi qu'il vous arrive de parfaitement heureux, il y a toujours comme
un ver dans le fruit, comme une petite musique intérieure qui est
de l'ordre, pourrait-on dire, de la mort, de l'absence...
C'est ça. Exactement.
C'est ce qui empêche aussi
cette spontanéité débridée que vous sembliez
regretter tout à l'heure mais qui n'est pas la vôtre...
Par moments seulement. Mais elle n'est pas dans ma nature, c'est vrai...
Comment la star que vous êtes
aujourd'hui voit-elle la petite fille que vous étiez ?
Eh bien, le problème, c'est que la petite fille que j'étais,
elle est toujours là... (Eclats de rire). Mais enfin, ce n'est
pas vraiment un problème. Il faut s'accepter comme on est. Ce qui
me frappe beaucoup pourtant quand je parle avec mes surs ou avec
ma mère, ou quand je regarde des photos, c'est cette présence
incroyable, cette enfance qui n'est jamais très loin en moi...
Ça a forcément
à voir avec le fait que vous êtes extrêmement fidèle
à vous-même...
Absolument. Moi, je sens bien que j'ai évolué essentiellement
à travers le cinéma mais je sais aussi que, fondamentalement,
je n'ai jamais changé depuis ma plus tendre enfance. Ce qui me
plaît dans la vie, ce qui m'attire chez les êtres, c'est ce
qui me plaisait, m'attirait lorsque j'avais dix ans, douze ans.
C'est-à-dire ?
J'étais sensible à des détails, aux voix, aux regards,
au caractère plus qu'au physique, à ce qui avait l'air secret,
aux gens insolites, complexes, plutôt réservés...
Et vous, comment étiez-vous
?
Rêveuse, secrète, romantique, mélancolique... Je regardais
les grands avec des yeux ronds comme des soucoupes. Je crois surtout en
effet que je regardais et que j'écoutais beaucoup. Avec ma sur,
nous étions très complémentaires. On ne sait pas
comment tout évolue, mais il y a chez moi une envie de vivre en
harmonie. Ce qui fait qu'on accentue les complémentarités.
L'une prend les pleins, l'autre prend les creux... Parce qu'on sait que
ça se passe mieux comme ça...
Quels types de rapports aviez-vous
avec elle ?
Très complices. On était extrêmement différentes.
Je crois que je la connaissais mieux qu'elle ne me connaissait. Elle était
moins secrète que moi, elle parlait beaucoup alors que je suis
quelqu'un qui écoute beaucoup. C'est ma nature d'écouter...
Et d'aider...
Oui, elle était très complexe, elle avait beaucoup de problèmes
et j'avais très envie de l'aider.
Est-ce que le fait de faire
toutes les deux le même métier n'était pas parfois
difficile ?
Pour elle, je ne sais pas, ça a peut-être été
difficile parce que, c'est vrai, il y a eu des moments où on s'est
retrouvées toutes les deux comme en concurrence. Mais pour moi
alors, en toute sincérité, jamais, jamais je ne me suis
sentie en rivalité. Quand j'étais enfant, j'ai été
très aimée. Je n'ai jamais eu de doutes sur le sentiment
que me portaient les gens avec qui je vivais. Je crois que c'est important.
Je me sens forte sur ce plan-là et c'est ce qui fait que je me
suis sentie en rivalité ni avec ma sur quand nous faisions
le même métier, ni avec mes surs, ni même aujourd'hui
avec les autres. Professionnellement ou non... En ça non plus,
je n'ai pas changé... Même mes amis d'aujourd'hui, ce sont
des amis que je connais depuis très très longtemps, je suis
fidèle.
En même temps, vous devez
être capable de remettre très durement les êtres en
question...
Ah oui.
Vous devez être tout à
fait capable de réfléchir à votre propre honnêteté
et...
... à mes propres faiblesses...
... et si l'autre vous trompe,
vous ne faites pas de quartier.
C'est vrai. Lorsque quelque chose se termine en moi, c'est définitivement
terminé. Comme dit Sempé joliment : "Je peux pardonner
mais pas oublier. Parce que j'ai ma liste..." C'est une image terrible
mais elle est vraie. Je peux très bien pardonner mais je ne peux
pas oublier. Quand c'est cassé, c'est cassé. |e ne peux
rien y faire. Même si c'est encore plus douloureux pour moi que
pour l'autre, je ne crois pas aux réparations. Sauf pour les objets.
Mais certainement pas pour tout ce qui palpite, tout ce qui vit...
Professionnellement, ça
ne doit pas vous faciliter la vie...
Non... Mais au départ, je suis plutôt crédule. Je
suis très soucieuse de justice. C'est vrai que professionnellement,
ce n'est pas toujours très simple parce que je ne suis pas prête
à jouer le rôle qu'on me demande tout le temps, me montrer,
applaudir, dire des choses que je ne pense pas. Parfois, il vaut mieux
que je ne sorte pas parce que je ne peux pas mentir ! Enfin... je peux
mentir comme tout le monde mais pas pour des choses qui comptent, je préfère
ne rien dire. D'ailleurs vous avez remarqué, je ne dirai pas de
mal des metteurs en scène avec qui j'ai eu des mauvais rapports
parce que je pense que la blessure que l'on peut faire alors est trop
grave...
Vous n'avez pourtant pas été
très très tendre avec Dupeyron après "Drôle
d'endroit pour une rencontre"...
(visiblement très surprise) Ah bon ?
Vous trouvez ? Dans la rencontre avec Gérard pour Studio, j'ai
au contraire essayé de ne pas rester sur l'anecdote - même
si elle a été grave pour nous -, de dépasser ce débat-là.
C'est vrai que je pourrais dire des choses dures sur Dupeyron mais parce
que, comme j'avais beaucoup d'admiration pour lui et ce qu'il avait écrit,
j'ai été très exigeante, j'avais mis la barre très
haut mais j'avais sans doute oublié que je travaillais avec quelqu'un
qui n'avait pas l'expérience des acteurs. Mais c'est encore trop
tôt pour en parler...
C'est un film que vous aimez
beaucoup ?
Oui, beaucoup. Peut-être qu'il n'est pas complètement réussi,
mais même comme ça, je le trouve beaucoup plus intéressant
que d'autres films plus carrés. C'est un film profondément
original et dérangeant. C'est bien parfois d'être dérangé
au cinéma.
Vous disiez tout à l'heure
que certains personnages vous avaient aidée à vous construire.
Pourriez-vous le dire de celui-là ?
Absolument. C'est un personnage qui m'a beaucoup apporté mais qui
m'a également beaucoup pris, à cause aussi de la difficulté
du film et des relations sur le tournage... Quand on tourne des scènes
très très longues, au bout d'un moment, on n'a plus de ressort.
On ne peut plus jouer, on est obligé d'être très nu
et c'est finalement quelque chose de très douloureux. Plus ça
va, plus on est nu et plus on a froid et plus ça vous enlève
des défenses et de la résistance. Et j'estime qu'il faut
toujours garder quelque chose de soi en soi. Il faut toujours avoir présent
à l'esprit, même inconsciemment, que ce n'est qu'un jeu,
qu'une situation qu'on joue et qu'il faut donc garder une certaine distance.
Pour son équilibre mental.
Vous sentez que vous pourriez
le perdre ?
Oui, absolument. Et surtout dans des rôles comme celui de "Drôle
d'endroit...". On va vers le dépouillement, vers la simplicité,
vers l'essentiel. Les repères ne sont plus les mêmes. Je
suis sure que d'autres acteurs s'en sortent mieux que moi mais encore
une fois comme le jeu ne correspond pas profondément à ma
nature, je suis obligée d'aller très loin pour donner au
moins ça. Mais paradoxalement, plus ça va, plus c'est ça
qui m'intéresse...
Vous semblez partagée
entre le goût de la maîtrise et le désir d'abandon...
La maîtrise, j'aime ça. C'est un mot important, je n'aime
pas ce qui part dans tous les sens n'importe comment, je n'aime pas les
choses qu'on laisse sortir comme ça. J'aime la maîtrise.
Pour la tenue. Et puis aussi je pense que c'est à cause des débordements
qu'il y a des excès monstrueux... Quant à l'abandon, j'ai
besoin, pour aller loin, de travailler avec des gens en qui j'ai une confiance
totale et qui me poussent. J'ai besoin d'être poussée...
Vous pouvez vous sentir relativement
menacée si vous vous mettez trop en danger. Mais vous n'êtes
pas totalement insensible au vertige...
Si je suis attirée, rien ne m'arrête... Dieu sait pourtant
que je suis une personne indécise, mais quand je suis attirée
par quelque chose, alors là, vous pouvez me dire que ce n'est pas
pour moi, que ce n'est pas moi, y a rien à faire. C'est comme un
aimant. C'est comme ça d'ailleurs que je suis partie de chez moi.
A quel âge ?
Très jeune, j'avais seize ans et demi.
Pour quelle raison êtes-vous
partie ?
(sourire) Une attirance extérieure irrésistible ! Je suis
une femme qui ne résiste pas à l'irrésistible (rires).
A propos de vertige, l'été
dernier, vous avez commenté pour Canal Plus un documentaire sur
Marilyn Monroe. Est-ce que des destinées comme la sienne vous effrayent
?
Je ne m'identifie absolument pas. Pour moi, sa destinée ne relève
pas du vertige mais du désespoir. J'ai énormément
d'admiration pour l'actrice d'abord. Pour la femme ensuite. Je ne la connaissais
pas mais quand on la regarde, on est frappé par l'enfant qu'il
y a en elle, qu'on a envie de prendre dans ses bras, sur la nuque duquel
on a envie de poser sa main... Il y a cette grâce, cette fragilité,
cette qualité de la peau...
Ces derniers temps, vous avez
surtout eu des partenaires masculins mais prochainement, vous allez tourner
un film de Téchiné avec Sandrine Bonnaire...
C'est une actrice que j'aime énormément. Je la vois comme
un soleil - et moi, je me vois comme une lune...
??????
Regardez n'importe quelle photo d'elle : elle brille toute seule. Quelque
chose en elle rayonne. Moi, je sens que j'ai davantage besoin du regard
des autres. Peut-être parce que je suis beaucoup plus mélancolique.
C'est comme un reflet... Si j'étais toute seule, loin du regard
des autres, je pense que je serais plus terne d'apparence. Si je ne suis
pas interpellée par l'autre, je suis comme derrière un paravent...
C'est dans ce sens que vous
disiez tout à l'heure que le cinéma vous avait aidée
?
Absolument. Sinon, je serais la belle au bois dormant. Sans le cinéma,
j'aurais pu dormir toute ma vie... C'est pour ça aussi que j'ai
besoin d'être en mouvement pour savoir que je suis en vie. Tous
les gens croient que j'ai une énergie extraordinaire mais c'est
parce que je ressens le besoin de la relancer tout le temps. Sinon, je
suis comme ces vieilles pendules dont le balancier s'arrête tout
doucement, sans qu'on y prenne garde... C'est pour cela que j'ai beaucoup
de mal à m'arrêter. En même temps, régulièrement,
j'ai un grand besoin de me ressourcer. J'ai besoin de la campagne, j'ai
besoin de la solitude, j'ai besoin du silence.
C'est que dans votre structure
élémentaire, il y a beaucoup de feu et d'air mais pas assez
de terre...
Ah bon ? Moi qui me prenais pour une terrienne...
Vous vous raccrochez à
votre côté terrien parce que vous sentez que vous avez besoin
de vous protéger de cette tentation du vertige dont on parlait
tout à l'heure... Vous avez besoin de récupérer régulièrement
votre énergie. C'est comme si, en effet, vous n'aviez pas assez
de bûches pour alimenter votre feu intérieur qui, contrairement
aux apparences, brûle finalement très fort...
On me reproche de vivre ce rapport à la nature de manière
trop passionnelle mais pour moi, c'est vital. Je sais que je suis vite
épuisée. Je sais aussi que j'ai quand même une vraie
résistance, je connais très bien mon corps et je gère
ça assez bien : je n'attends pas que le feu s'éteigne pour
aller chercher du bois...
Pour vous définir, on
pourrait dire que vous avez un côté raisonnable mais que
vous êtes tentée par tout ce qui peut vous empêcher
de l'être. Ou alors que vous savez que vous n'êtes pas tout
à fait rationnelle mais que vous voulez l'être a tout prix...
Je dois savoir ce qui, en moi, relève de l'irrationnel. Par peur.
Pour pouvoir placer des balises... Pour me protéger aussi peut-être...
J'ai un certain sens du devoir et des responsabilités parce que
j'en ai eues très jeune que j'avais choisies. Ce n'est pas quelque
chose qui pèse mais plutôt quelque chose qui compte... Le
problème, c'est que tout ça sert au cinéma... Ce
n'est pas très reposant. Parfois, j'ai l'impression d'être
comme les damnés dont on dit qu'ils ne connaissent pas le sommeil
et qu'ils travaillent tout le temps, j'ai l'impression que tout ce qu'on
est, tout ce qu'on vit, tout ce qu'on fait sert au cinéma...
Vous n'avez jamais pris de cours
de comédie quand vous avez débuté ?
Non parce que j'ai été portée d'une chose à
l'autre. Et puis, on ne m'a jamais remise en question au point que je
ressente ce besoin-là. Vous savez, au cinéma, il suffit
d'avoir un physique et on est porté longtemps. Ça aide...
Mais en même temps, j'ai toujours ressenti la beauté physique
comme un danger. Même étant enfant. Tout ce qu'on pouvait
prêter à quelqu'un sous prétexte qu'il était
séduisant... Peut-être que je m'en méfie parce que
j'ai été élevée dans la religion catholique
où l'on sait que le Diable peut prendre les apparences les plus
trompeuses !
Ce physique, vous l'avez ressenti
parfois comme une prison ?
Oui, mais dorée ! C'est plutôt comme un poids...
Et il vous arrive de le ressentir
comme une responsabilité ?
J'estime n'avoir de responsabilités que vis-à-vis des mineurs
et de moi-même (rires).

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