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Deux monstres sacrés face-à-face, pour une fois hors plateau. Sur quel ton se parlent-ils ? Quels rapports ont-ils ? Qu'ont-ils à dire l'un sur l'autre ? "Drôle d'endroit pour une rencontre", leur nouveau film (une merveille !), nous a donné envie d'organiser cette autre rencontre. Ils ont accepté de jouer le jeu pour Studio.

C'est LE grand couple du cinéma français actuel, mais il aura fallu attendre leur cinquième film ensemble, "Drôle d'endroit pour une rencontre" (qui sort le 7 octobre), un premier film signé François Dupeyron, pour les voir enfin dans un grand film d'amour exclusivement centré autour d'eux. Avant, "Je vous aime" et "Le dernier métro" étaient des films qui appartenaient davantage à Catherine Deneuve et "Le choix des armes" et "Fort Saganne" davantage à Gérard Depardieu. Cette fois, c'est vraiment l'histoire d'un couple, un couple qu'on a l'impression de voir naître sous nos yeux.

Ces premières rencontres leur ont appris à aimer travailler ensemble et "Drôle d'endroit pour une rencontre" doit sûrement beaucoup à cette complicité née de tous ces tournages, de toutes ces histoires d'amour sur grand écran. C'est un film très fort, très original qui marquera leurs carrières autant que nos mémoires.

Le tournage de ce film bouleversant a été particulièrement difficile et si Catherine Deneuve et Gérard Depardieu ont accepté pour Studio d'avoir cet entretien ensemble à propos de ce film, c'est qu'il compte beaucoup pour eux et que le résultat obtenu, sans leur faire oublier les douleurs qui ont présidé à sa fabrication, est à la hauteur de leurs espérances. C'est cette satisfaction qui leur a permis de parler librement des problèmes et des tumultes qui ont agité le tournage, rompant ainsi le ronron du "tout s'est très bien passé, c'était un tournage formidable" qui a généralement cours avant la sortie d'un film.

Pour nous, cet entretien était surtout l'occasion de voir de plus près le rapport qu'entretiennent hors-plateaux ces deux monstres sacrés du cinéma français d'aujourd'hui. Ce jour-là, ils étaient particulièrement en forme et alors qu'ils ne s'étaient pas vus depuis la fin du tournage, voilà six mois (entretemps, Depardieu a tourné "Deux" de Claude Zidi et un nouveau Resnais !), ils ont retrouvé immédiatement une liberté de ton surprenante.

" Drôle d'endroit pour une rencontre" est le cinquième film que vous avez tourné ensemble, vous vous connaissez depuis longtemps...

CD - ... En fait, je n'ai pas l'impression que je connaissais Gérard avant de faire ce film. Je croyais que je le connaissais mais je me rends compte maintenant que je ne le connaissais pas beaucoup... C'est la première fois qu'on tourne ensemble en extérieurs...

Pourtant, vous aviez tourné des scènes de "Je vous aime" de Claude Berri aux Antilles...

CD - Ça n'avait rien à voir... D'abord, parce que pour "Drôle d'endroit...", on a beaucoup tourné de nuit. Rien ne vaut la nuit pour se rapprocher, c'est vrai, et on s'est parlé plus, mieux. Enfin, moi, j'ai l'impression que c'était mieux... A cause de la nuit, du froid, des problèmes techniques divers que nous avons eus et qui ont contribué à souder tout le monde, je me suis rapprochée de Gérard. Sa caravane était la plus proche de la mienne, on était dans le même hôtel, on a tourné presque tout le temps ensemble, on s'est donc vus le jour, la nuit, tout le temps. Alors c'est vrai que j'ai l'impression qu'en fait, avant ce film, je ne le connaissais pas bien. C'est la première fois que j'ai vu Gérard vivre à côté du tournage. D'habitude, il déboule sur le plateau pour travailler, quand il est là il est complètement là - ou il est au téléphone ! - mais ce n'est pas du tout pareil que sur ce film où, là, je l'ai vu vivre. En plus, il y avait dans l'équipe des gens qu'il connaissait bien, il était donc plus en confiance que d'habitude, et je l'ai vu vivre au milieu de ces gens-là, je l'ai vu pour la première fois en dehors du travail proprement dit.

GD - Moi, en ce qui te concerne, j'ai eu l'impression d'une grande solitude... Peut-être que j'ai d'autant plus ressenti cette solitude que j'étais justement entouré de beaucoup de gens que je connaissais bien... J'ai beaucoup aidé François Dupeyron à constituer son équipe. C'était son premier film...

CD - ... Tu étais plus toi-même, plus vite...

GD - C'est vrai que j'étais très heureux de pouvoir un peu réchauffer les choses... Mais il faut dire d'abord que Catherine a dans ce film un rôle assez vertigineux, un rôle où elle était totalement seule : c'est quand même quelqu'un qui se retrouve larguée par son mari sur une aire de repos d'autoroute ! Moi, je ressentais très fort sa solitude et je ne savais pas comment l'aborder... Alors que Catherine, Dieu sait, tout le monde sait ce que j'éprouve pour elle...

CD -... C'était un film bizarre, c'était un film où la vie du tournage a par moments ressemblé au film lui-même. Par moments, on avait l'impression que c'était le film qui ressemblait à ce qu'on vivait. A d'autres moments, c'était plutôt nous qui vivions ce qui se passait dans le film ! Quand on tourne la nuit, forcément il y a des drames. Il faut qu'il y ait des drames ! Alors, il y a eu des moments un peu plus dramatiques que d'habitude et, en même temps, c'était un tournage drôle... C'est curieux d'ailleurs, parce que l'équipe était assez importante, mais c'était une équipe très serrée, très intime et comme c'était un tournage difficile, très violent, très dur, on s'est quand même beaucoup amusés, peut-être aussi parce que c'était un besoin... D'abord, c'est vraiment un film à deux. A ce point-là, c'est rare. Il y a d'autres acteurs dans le film bien sûr, mais la plupart du temps, et surtout dans toutes les grandes scènes de nuit, dehors, nous tournions seuls, Gérard et moi. Sur un film à deux, avec des dialogues aussi forts, on a besoin d'éloigner, d'exorciser l'aspect un peu trop dramatique, trop dur de ce qu'on tourne... En même temps, on n'a pas de situations qui permettent d'éloigner le rôle ou le film, parce que ce sont des choses trop proches de vous. Quand on dit des monologues pareils, à un moment, c'est impossible de ne pas être complètement dans le monologue. Alors que dans des scènes plus normales, on peut être à la fois dans ce qu'on fait et ressortir du film, là, c'était difficile d'en ressortir. Avoir pu quand même, malgré la pression, malgré la hantise de ces monologues, en rire et s'en amuser, c'était aussi une façon de se protéger de l'influence du film, qui était vraiment très lourd...

GD - Oui, c'était pesant...

CD - Dur, très dur.

Pourquoi c'était si dur, si pesant ? Pendant le tournage, des bruits ont couru à Paris que vous aviez de vrais gros problèmes, en particulier avec François Dupeyron... Mais, comme d'habitude, il est bien possible que ces rumeurs aient amplifié ou déformé la réalité...

CD - C'est le mistral, ça !

... J'ai rencontré hier François Dupeyron, il a l'air très doux...

CD - Prenez garde à la douceur des choses ! (Rires)

GD - La douceur peut se transformer en obstination très vite ! Après obstiné, il y a buté, après buté il y a busin et après busin...

CD - Mais c'est vrai qu'il est les deux. Il est doux et pas doux.

GD - Dans la naissance d'un film, il y a plusieurs étapes. Après celle de l'écriture vient celle de la confection du film, et là l'auteur se sentait dépossédé de son sujet par ses deux acteurs...

CD - C'est vrai que pour un jeune metteur en scène, ça doit être dur de voir d'un seul coup s'incarner...

GD - Voilà : s'incarner. Ça a provoqué chez François des réactions très violentes... Il faut dire aussi qu'il était un îlot isolé puisque comme c'était son premier film, qu'il n'avait pas d'équipe à lui, c'était la production qui s'en était chargée, et qu'on m'avait fait confiance là-dessus... Je connaissais tout le monde, et lui personne...

CD - Et puis, il y a la nuit, c'est très important... Un premier film tourné la nuit, c'est très dur. La nuit, on a d'autres rapports avec les gens, tout est plus difficile, le ton est différent...

GD - La nuit, les gens travaillent moins vite, il y a une fatigue, une lourdeur, quelque chose de pesant qui s'installe... Et tu te retrouves, à deux heures du mat', dans la lumière, face à une caméra, avec quelque chose de lourd à sortir, quelque chose qui vient de loin... Parce que ça vient toujours de loin... La nuit, tout est comme démultiplié... Dans la fatigue et le froid, personne ne réagit pareil, tout le monde est démonté !

CD - Comme disait Truffaut : "Si c'était simple, on n'aurait pas besoin de prendre des acteurs"... C'est vrai, la nuit, c'est comme du coton noir, on ne peut pas faire bouger les gens comme d'habitude...

GD - François avait trop fait le film dans sa tête, il essayait de se raccrocher à des choses qu'il avait en tête et qui lui échappaient parce qu'elles ne tenaient plus debout dès qu'on y mettait de la chair...

CD - Ce qui était difficile aussi, c'est que François Dupeyron, c'est quelqu'un de dur, et il a parfois raison de l'être, parce qu'il savait ce qu'il voulait, mais il ne savait pas toujours comment l'obtenir. Donc, il y avait des moments où on le sentait en attente de quelque chose qui ne venait pas comme il le voulait. Et on n'avait pas les moyens d'attendre... Ce qui est bien, quand les metteurs en scène sont difficiles, c'est qu'on ait l'impression d'avancer, de progresser... Et le problème, avec la dureté et l'obstination, c'est qu'il y a des moments où les choses se figent alors qu'elles devraient s'éclater et s'ouvrir sur quelque chose d'autre. Par moments, les choses se bloquent, plus rien ne bouge... On a eu, c'est vrai, ce genre de tensions, mais c'est obligatoire pour un jeune metteur en scène qui fait son film avec deux acteurs comme nous. Il devait forcément avoir un a priori et nous aussi. Nous essayant d'aider et lui...

GD - ...se sentant dépossédé...

CD - ...ayant besoin de s'affirmer, aussi.

Vous vous êtes sentis dirigés ?

GD - Non, mis en images.

CD - D'une façon abstraite, oui, pourtant... Il me semblait que, de toute façon, il y avait ce scénario, son scénario, qui était comme un lasso qui nous empêchait de sortir de ce qu'il voulait. Sa façon de nous diriger, c'était de nous tenir dans ce scénario. C'est ce film-là qu'on voulait faire, c'est ce film-là qu'on avait choisi, le désir était là, mais on avait aussi envie que ça bouge, que les choses avancent quand on arrivait sur le plateau... Mais chacun utilise les moyens qu'il peut et peut-être que pour lui c'était le seul moyen... Mais c'est plus facile pour moi de le dire maintenant tranquillement assise dans ce fauteuil qu'il y a six mois sur le tournage !

GD - La maladresse de François, les mots qu'il emploie, je n'ai jamais vu ça...

CD - C'est peut-être aussi pour ça qu'il écrit bien !

GD - J'en ai pourtant rencontré, des mecs maladroits ! Je le lui ai dit, d'ailleurs... "Si tu dis ça à n'importe quel acteur, il t'envoie chier ! Direct !"

CD - Moi je pense que quand on tourne certains sujets, ça ne peut pas bien se passer. La convention, c'est de dire : "Deux acteurs connus avec un jeune metteur en scène, il va le sentir passer, le pauvre !" Mais le problème n'était pas là. C'était d'abord le problème d'un metteur en scène qui fait son premier film sur un sujet si difficile, de nuit, à la fin de l'hiver. D'habitude, les tensions finissent toujours par se calmer, mais là, tout concourait à ce qu'elles se multiplient...

Vous avez tourné combien de nuits ?

GD - Oh c'était énorme ! Six à sept semaines de nuits, de neuf heures du soir à cinq heures du mat' ! Plus quatre semaines de jour. Mais moi je ne suis pas contre les nuits, quand on travaille véritablement...

CD - On avait beaucoup de plans-séquences à faire, et la nuit, c'est compliqué à préparer, c'est long... Alors on avait l'impression de travailler moins, et quand, enfin, on avait à travailler, on avait tellement attendu que la tension était très forte... Les plans-séquences de nuit, c'est très long à éclairer et lui (elle montre Depardieu), il était comme un lion en cage ! Moi je dors, ou je lis, ou je regarde ce qui se passe, lui, il devient fou !

GD - La nuit, si au moment où tout est prêt tu décides de déplacer la caméra de 50 cm, il faut modifier toutes les lumières et c'est deux heures de plus à attendre. Alors que ça ne change rien, de déplacer la caméra de 50 cm...

CD - Enfin, il vaut mieux des conflits et un film comme celui-là qu'une bonne entente et un film mièvre ! Mais moi je préfère toujours quand les choses se passent bien.

Vous ne pensez pas que ces tensions ont finalement servi le film ?

GD - (presque en colère) - Je ne crois pas que les tensions servent un film. Je n'y crois pas du tout.

CD - Moi non plus.

GD - C'est un leitmotiv à la con ! Il n'y a rien de plus con que d'essayer de travailler dans la tension. Les tensions, il faut vraiment tomber sur des acteurs qui ont un cœur énorme, sinon, ça casse. Moi je fuis ça ! Et je t'assure qu'avec Maurice (Pialat), je n'ai jamais eu de tensions de ce genre ! Quand les tensions servent le film, c'est parce que ce sont des acteurs qui ne sont pas bons !

CD - Et voilà ! Le compte est bon ! N'en jetez plus !

GD (se radoucissant) - II faut reconnaître que ce n'était pas facile pour François, après trois ou quatre ans d'écriture, de se retrouver en pleine nuit en train de chier son film, si j'ose dire ! Comme il avait l'impression qu'on l'en dépossédait, il résistait, c'est normal. Mais c'était trop... Un jour, je lui ai dit : "Tu n'es jamais content".

CD - C'est un fim qu'il portait depuis si longtemps, il avait des images tellement précises dans la tête qu'au moment où on arrivait, il croyait que ça allait se faire là, comme ça. Mais il y a un trajet, un travail pour arriver à ce qu'on veut. C'est ce trajet que François ignorait, il pensait que les choses sont là ou pas là... Forcément, ça créait un malaise, d'avoir l'impression de ne pas lui donner ce qu'il voulait, de ne pas être ce qu'il attendait...

GD - C'est terrifiant.

CD - Moi, si on ne me donne pas les moyens de bouger, d'avancer, de progresser, je perds pied. l'ai besoin qu'on me parle, qu'on me pousse...

GD (à M.E.) - Catherine, elle est impeccable, dans le film, mais je t'assure qu'elle aurait pu être aussi impeccable, et heureuse. On n'est pas des bêtes !

CD - On est des bœufs, mais on n'est pas des bêtes ! (Rires)

GD - On savait très bien le scénario qu'on avait lu. Catherine, elle sait très bien où elle va en tournant un script pareil. Ça ne sert à rien de vouloir casser quoi que ce soit, exprès...

CD - C'est vrai qu'il est quand même beaucoup plus compliqué que toi et moi réunis !

GD - C'est vrai ! Mais ça va se décoincer, je pense...

CD - II faut tout de même insister sur le fait que, malgré tous ces problèmes, il y a eu une ambiance formidable sur ce film. C'est vrai que j'ai rarement vécu un film d'une façon aussi douloureuse, et je suis comme Gérard, je n'aime pas travailler dans les larmes et la souffrance, c'était très intense, mais très chaleureux aussi...

Si vous êtes là aujourd'hui, c'est que. finalement, vous aimez le film. Mais avez-vous été surpris que ce soit aussi bien ?

CD - Oui, moi j'ai été surprise.

GD - Moi non.

CD - Et Gérard a vu moins de rushes que moi... J'ai été surprise d'avoir la sensation de découvrir le film, il y a des choses que j'ai eu l'impression de voir pour la première fois.

GD - Moi je n'ai pas été surpris du tout. Pourtant, je n'ai vu les rushes qu'au début du tournage, et après, à un moment où François était à un point culminant d'une crise, je me suis fait projeter un ensemble de scènes... Pour voir... Là, il était tétanisé, on n'avançait plus... C'était sa tétanisation à lui, hein ! C'était pas nous qui l'avions tétanisé !

CD - Enfin, résultat des courses, il était tétanisé ! (Rires)

GD - Quand j'ai vu toutes ces scènes, j'ai trouvé que c'était impeccable, très beau, et que le montage allait être facile... Si je n'ai pas été surpris par le résultat, c'est aussi que j'avais vu dès le début - et je le dis devant toi exprès - à quel point tu t'engageais dans cette femme... Moi je n'ai rien à faire là-dedans, je suis spectateur. C'est vrai, c'est un beau rôle, une écoute particulière à donner, mais quand j'ai vu à quel point tu t'engageais, je savais qu'on ne pouvait pas ne pas faire ce qui était écrit... La surprise que j'ai eue, tout de même. c'est que je n'ai pas entendu le texte, j'ai eu l'impression d'être voyeur d'un moment privilégié entre deux êtres... qui se remettent... c'était même au-delà de la remise en question... C'est ce que j'avais aimé dans la littérature du script, cette espèce de quotidien profond où les êtres sortent leur instinct sans penser. Ce sont deux êtres qui ne pensent plus, ils sont comme des enfants, ils se racontent des histoires...

CD - Moi, c'est l'intimité du film que j'aime. L'intimité des rapports... C'est une chose qui me touche beaucoup dans la vie aussi, et que j'ai retrouvée là, cette intimité de ton qui peut exister entre deux êtres qui devraient, au petit matin, ne plus se revoir... Je trouve ce film original pour ça. Ils ne se disent pas des choses importantes, ils se disent bien plus que ça : ils se disent des choses qu'on ne peut généralement dire qu'à des gens avec lesquels on a vécu... Là, ils sont tous les deux au bout de quelque chose et c'est certain, ils étaient faits pour se rencontrer. Tout les éloigne mais en fait tout les rapproche.

GD - II y a entre eux la même violence directe qu'entre des enfants.

CD - C'est en cela que le film ressemble vraiment à Dupeyron. Ce mélange de force et de crudité. C'est extrêmement subtil et délicat, mais en même temps c'est d'une crudité et d'une cruauté terribles.. Quand elle lui dit, après l'avoir couvert de baisers, que ce n'est pas lui qu'elle embrassait, elle n'a même pas envie de s'excuser... Elle est comme une ardoise : je vous dis quelque chose, j'efface, je dis autre chose... Gérard parlait du personnage de la femme tout à l'heure mais je trouve que tout ce que cet homme dit sur lui et sur la vie, c'est magnifique... Il y a deux ou trois monologues... On sent que c'est un homme qui n'a pas dû avoir une vie facile avec les femmes, mais c'est un homme qui les connaît très bien, c'est évident. Il a cette espèce de cruauté et de tendresse qui montre qu'il a dû beaucoup les désirer, ne pas toujours les avoir comme il les voulait, mais qu'il les a beaucoup observées. On sent que c'est un homme qui connaît bien les femmes, pas forcément parce qu'il a beaucoup vécu avec elles, mais parce qu'il les a observées. Comme le chirurgien qu'il est.

GD - Ce qui est très beau, c'est qu'il aime cette femme là où elle ne s'aime pas. Ce qu'il aime, c'est la crise. Ça, c'est vraiment la tragédie de la séduction, c'est vrai, c'est profond... Ils sont ensemble, sur cette aire de repos, et l'audace de la conquête, c'est de tout accepter d'elle... Cette audace-là, c'est somptueux !

Ce qui est étonnant, aussi, c'est que vos images respectives servent le film... Ce n'était pas évident, avec une histoire pareille...

CD - Dans ce cas-là, je trouve que c'était bien d'avoir des acteurs qui ont déjà une histoire. Mais au bout d'une demi-heure, il fallait que l'image que les gens ont de nous soit éjectée. C'est bien qu'il y ait ce décalage à cause de nous, sinon ce serait presque de l'hyperréalisme et je ne sais pas si ce ne serait pas trop poignant, s'il n'y aurait pas des scènes carrément insupportables. Dans certains de leurs aveux, il y a des choses presque trop bouleversantes...

GD - Ah, il y a des fois où tu as un regard d'allumée totale ! (Rires)

Il me semble que vous êtes un cas pratiquement unique car vous êtes un couple de cinéma sans être un couple dans la vie... Vous avez déjà fait couple quatre fois, et ce n'est pas fini...

CD - Maintenant, il faudrait qu'on fasse une comédie !

GD - J'aime énormément être avec Catherine... Au cinéma, et dans la vie. Mais au cinéma, c'est encore plus magnifique parce que c'est une protection, une complicité rare...

CD - Pourtant, on ne se rencontre pas beaucoup dans la vie... On pourrait se voir davantage mais, personnellement, je ne le ressens pas comme un manque parce que quand je revois Gérard, je n'ai jamais l'impression d'être restée longtemps sans le voir... Il y a d'emblée une intimité dans mes rapports avec lui parce que je sais que je travaille bien avec lui et ça, c'est une chose qui ne s'explique pas. Pour moi, c'est chimique. Au cinéma, à chaque fois qu'on essaye de marier des noms plutôt que des visages et des personnalités, ça ne marche pas. Un couple, on y croit ou pas, et la notoriété ou le talent n'ont rien à voir là-dedans, c'est autre chose...

En vous retrouvant comme ça, de film en film, c'est aussi, pour vous, une façon d'avoir une longue histoire un peu idéalisée, de n'être ensemble que pour le meilleur et pas pour le pire, non ?

CD - Vous voulez dire que si on avait vraiment été ensemble, on aurait déjà divorcé et qu'on n'aurait pas fait ce cinquième film ensemble ? (Rires)

Est-ce que sur tous les films que vous avez faits ensemble, vos rapports ont dépendu de l'histoire que vous tourniez autant que sur "Drôle d'endroit..." ?

CD - Non... Sauf peut-être dans certaines scènes du "Dernier métro", je n'ai jamais joué un film aussi intimement avec Gérard.

GD - Absolument.

Bizarrement, alors que vous n'aviez pas tourné de premiers films depuis longtemps, quand vous avez attaqué le tournage de Drôle d'endroit...", vous sortiez l'un et l'autre d'un autre premier film, Gérard de "Camille Claudel" avec Bruno Nuytten, vous de "Fréquence meurtre" avec Elisabeth Rappeneau...

CD - Décidément ! On a dû avoir une histoire énorme dans une vie antérieure ! Je devais être ta femme ! (Rires)

Est-ce que vous pensez que le fait de sortir d'un premier film vous a bien préparés à cet autre premier film ou au contraire que vous êtes arrivés sur le tournage de "Drôle d'endroit..." déjà las des incertitudes inhérentes à tout premier film et que, par conséquent, vos susceptibilités ont pu s'en trouver accrues...

CD - C'est une vraie question ! Il y a sûrement des deux... Quand on fait un premier film, c'est qu'on a envie d'avoir plein de surprises, mais que des bonnes surprises... Alors, il y a forcément des déceptions... Là, il m'est arrivé de penser : "Je voudrais qu'on me porte". Mais moins que je ne l'aurais fait s'il n'y avait pas eu Gérard qui, lui, m'a beaucoup portée... Mais c'est vrai que, sur un premier film, il y a toujours des moments de doute... A la réflexion, je dirais que d'avoir tourné un autre premier film avant "Drôle d'endroit..." m'a sûrement aidée, m'a rendue plus indulgente.

Etre portée par son partenaire plutôt que par le metteur en scène, ça change beaucoup de choses pour vous ?

CD - C'est comme dans la vie, il n'y a rien d'idéal... Parfois, on se fait une certaine idée des gens et on découvre qu'ils ne sont pas exactement ce qu'on croyait. Mais dans des circonstances pareilles, c'est normal d'avoir été portée, protégée par Gérard. Gérard ne s'est pas du tout substitué à Dupeyron, bien sûr. Mais, dans la mesure où il y avait un rapport moins intime avec Dupeyron, j'ai cherché du réconfort ailleurs.

GD - On a mal démarré, il faut dire, puisqu'on a dû retourner, à cause de problèmes techniques, toute la première semaine de tournage. Ça, c'est terrible. C'est comme si on te faisait une prise de sang... Tu vois le sang qui s'échappe de toi et tout d'un coup, on s'aperçoit que ton tuyau n'est relié à rien et que ton sang coule par terre !

CD - J'ai commencé le film en tombant d'une voiture et je l'ai fini par une entorse ! Entre les deux, j'ai bien ri !

GD - Eh oui, puisqu'on a retourné à la fin du film toutes les premières scènes qu'on avait tournées au début !

CD - En gros, dans nos rapports à tous les trois, on peut dire que Gérard m'a portée, poussée et que mon rôle dans le triangle a été de calmer Gérard. Nous avions en face de nous quelqu'un de fort mais qui était comme une espèce de totem : il était là mais il voulait des choses qui, par moments, ne pouvaient pas être dites. Moi je me tétanisais et Gérard me détendait et me réchauffait alors que moi je l'apaisais plus que je ne le refroidissais. (Rires)

(à C.D.) - Ce film n'a sûrement pas la même importance dans vos vies respectives... Vous avez moins l'occasion que Gérard d'avoir des rôles aussi énormes...

CD - C'est presque dommage quelquefois de ne pas pouvoir profiter davantage d'un grand rôle. Mais ce qui arrive à Gérard - et qui n'est jamais arrivé à personne d'autre - qui n'arrête pas d'enchaîner des grands rôles, c'est un cadeau mais un peu empoisonné. Je ne dis pas qu'il est en danger, mais je trouve qu'il est un peu dommage de ne pas avoir de périodes pour profiter, pour vivre davantage avec ses rôles. Mais pour vous dire la vérité, j'aimerais mieux, en ce qui me concerne, que les périodes concentrées sur un grand rôle soient plus rapprochées... Mais Gérard est un cas unique.

Quand Gérard passe aussi vite d'un film à l'autre, cela rend tous ses metteurs en scène jaloux...

GD - Mais moi aussi je suis jaloux !

CD - De toute façon, Gérard a des rapports très féminins avec les gens et il déclenche des rapports de jalousie très féminine. Tous les metteurs en scène qui tournent avec Gérard sont amoureux de lui.

GD - Et moi d'eux ! Et de mes partenaires !

CD - Il a des rapports très forts avec les gens. Comme tous les acteurs sensibles... D'ailleurs, beaucoup d'acteurs auraient refusé ce rôle avec moi si on le leur avait proposé. Car la force de Gérard, c'est aussi de vouloir rentrer dans le film sans chercher à y voir d'abord son intérêt personnel. Là-dessus, à niveau égal, il est plus ouvert que beaucoup d'autres, il a une dimension en plus. Beaucoup de gens. après une première lecture du scénario, ont dit : "Ah le rôle de la femme est magnifique ! Celui de l'homme est bien aussi mais celui de la femme est exceptionnel". La force de Gérard, c'est que, même s'il s'est dit ça, même s'il a hésité, il a quand même choisi de faire le film.

GD - C'est vrai que je n'ai pas pensé tout de suite que je jouerais ce rôle. J'avais envie de jouer au producteur et de le produire sans jouer dedans. A l'époque, je sortais de l'abbé Donissan...

CD - Et de Maurice Pialat !

GD - Non, ce n'était pas Pialat qui m'avait épuisé, c'est Donissan.

CD - C'est un tout...

GD - C'était une période où je venais d'enchaîner beaucoup de jolies choses : "Jean de Florette", "Les fugitifs", "Tenue de soirée", "Lily Passion" avec Barbara, puis Donissan et "Sous le soleil de Satan", avec la Palme d'or en prime, alors j'ai eu la tentation de dire : "Hop, on arrête en beauté !" Et puis je suis tombé sur ce scénario qui était vraiment très très beau. Et je me suis dit que celui qui aurait le mieux joué ça, c'était Patrick Dewaere. Il aurait été sublime...

CD - J'adore Patrick, mais je pense qu'avec lui, ç'aurait été trop poignant. Je n'aurais pas pu.

GD - Après, j'ai pensé que c'était un rôle idéal pour un Michel Simon, qui était le portrait vivant de sa propre angoisse, de son malaise, je me suis dit qu'il y avait là peut-être pour moi une direction possible... Peu à peu, j'ai trouvé ce rôle de plus en plus excitant : ce type, c'est un voyeur, il est le spectateur unique de la dérive de quelqu'un dont il est en train de tomber amoureux. C'était une brèche séduisante, je m'y suis engouffré.

CD - C'est l'une des grandes forces de Gérard en tant qu'acteur masculin : il aime beaucoup les femmes.

Pourquoi ? C'est rare ?

GD - La plupart des acteurs s'aiment d'abord eux-mêmes.

CD - Il y a beaucoup d'acteurs qui aiment les femmes, mais Gérard les aime particulièrement en ce sens qu'il est aussi attiré par les personnages féminins que par ses propres rôles. C'est cela qui n'est pas courant.

GD - C'est vrai que, quand j'ai lu le script, j'ai d'abord vu l'histoire d'une femme. Mais ce n'était pas gênant car je n'ai pas systématiquement envie de me montrer, j'ai horreur des one-man-show ! Qu'est-ce que tu veux qu'on foute tout seul au cinéma ? Ce qui est excitant dans ce métier, c'est d'être dans la lumière pour partager le plaisir et les émotions avec quelqu'un.


Par : Marc Esposito
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