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Tout jeu tout flamme

"C'est rare les comédiens en paix avec leur image". Et la sienne, glacée, commence tout juste à fondre. Mocky attise avec "Agent trouble". Et Pierre Murat s'est réchauffé à son insolente franchise.

Elle change de look dans "Agent trouble". Perruque bouclée et petites lunettes cerclées. Mais depuis longtemps, en fait, Catherine Deneuve donne des coups de canif à son image. Rien de commun entre la jeune fille rose et bleue des "Parapluies de Cherbourg", la psychopathe de "Répulsion", le Bogart au féminin d' "Ecoute voir" et la cabaretière du "Lieu du crime" qui trouve sa vérité - et peut-être sa rédemption - auprès d'un voyou au cœur pur.

Etrange Deneuve, si réservée dans ses rôles, si franche, si directe, si insolente dans la vie. Elle ne chôme pas, notre star n° 1. Pour Canal +, elle vient de commenter une émission sur Marilyn Monroe et elle s'apprête à tourner, sous la direction d'Elisabeth Rappeneau, "Fréquence meurtre", un suspense "psycho-patho" comme les adorait Hitchcock.

Avec Mocky, vous venez de tourner un bien joli film...
Un joli film ? Joli ? Etes-vous sûr que c'est le mot qui convient ?

Ben... oui ! Vous avez l'air déçue ! C'est bien un joli film, non ?
Ah oui, c'est bien ! Bien sûr que c'est bien. Mais "joli", ça m'intrigue. C'est plutôt un film mélancolique, non ? Et mystérieux. Et inhabituel. Non ?

Ce n'est pas un chef-d'œuvre tout de même !
Oui. Alors là, écoutez : chef-d'œuvre ne peut pas s'appliquer, dans mon esprit, à un film d'aujourd'hui. Il faut du temps pour cela. Du recul. On tourne des films, c'est déjà ça. Certains deviennent des chefs-d'œuvre, avec le temps.

Faites-moi rire : racontez-moi une journée de tournage avec Jean-Pierre Mocky...
Mais je ne pense pas que cela vous fasse rire ! Ce n'est pas un comique Jean-Pierre. Son sens de la dérision peut amuser, mais il bouleverse aussi. Mocky se sert du rire, mais sa vision du monde est tragique.

Est-il aussi cinglé qu'on le dit ?
Quelqu'un qui écrit ses films, qui les produit, qui les tourne et les enchaîne les uns après les autres avec cette rapidité, est fatalement plus raisonnable qu'on le croit. Bon évidemment il a un grain, mais c'est plutôt bien, ça ! Il fait exactement ce qu'on attend de lui : c'est-à-dire qu'il gueule tout le temps ! Mais c'est juste pour faire du bruit. Pour animer. Pour que ça aille vite. Ce ne sont pas de vraies colères.

Est-ce qu'il vous a déconcertée ?
Ce qui m'a troublée, parfois, c'est de tourner plus rapidement que prévu, plusieurs scènes soudain raccourcies en un seul plan. On sent bien, avec Mocky, les séquences qui ne l'intéressent pas. Les autres réalisateurs le cachent. Lui, ça se voit.

Ça a dû vous arriver de tourner des séquences inutiles ?
Je ne pourrais pas. Ça me déprimerait complètement ! Il faut que je sente chaque scène indispensable. Enfin, cohérente. Utile. Il faut qu'il y ait une vraie justification de la part du réalisateur. Un coup de cœur, un coup de tête, mais une raison.

Et vous la demandez, cette raison ?
Pas tout le temps, parce que les pauvres... Je me mêle déjà de tellement de choses qui ne devraient pas me regarder et dont je considère, moi, qu'elles me concernent...

Ah bon, vous êtes plutôt emmerdeuse sur un plateau ?
Ah oui, j'espère ! Etre emmerdeuse, c'est manifester de l'intérêt. Evidemment, j'essaie de ne pas faire "Gnagnagna, et pourquoi ci et pourquoi ça ?" à tout bout de champ. Mais je pose des questions.

Sur quoi ?
Sur mon personnage. Sur ceux de mes partenaires. Sur la mise en place des scènes. Le son, aussi, me passionne. A mes yeux, c'est 30 % de la réussite d'une image. Et on n'y attache pas toujours l'importance qu'il faudrait. C'est vrai, quand on répète et que surgissent des problèmes de son, il arrive toujours un moment où tout le monde s'énerve et dit "Allez, on tourne quand même", avec la certitude que ça s'arrangera au studio. On ne devrait pas !

Vous assistez aux "rushes" ?
Ah oui ! C'est le seul moyen, pour un acteur, de sentir un film avant qu'il ne soit fini, qu'il ne soit trop tard. Et puis, on apprend plein de choses. Sur son réalisateur, si on ne le connaît pas très bien. Sur ses partenaires. Sur soi.

La personne que vous voyez aux rushes, sur l'écran, c'est vous ?
Oui... Enfin, ce n'est pas aussi net que ça. Souvent, je me dis "Non là, c'est pas bon, c'est pas ça". Ça me déprime mais, en même temps, ça m'aide à avancer...

Aimez-vous que l'on vous regarde tourner ?
Ah non. Pas du tout... C'est curieux, hein, les acteurs ! Il y en a qui ne supportent pas de se voir aux rushes, d'autres qui détestent qu'on les regarde tourner. Et, paradoxalement, tous veulent être vus. Mais en différé. Sur un écran... C'est rare, les comédiens qui acceptent d'être en paix avec leur image.

Vous ne passez pas pour quelqu'un de très vulnérable...
Ah bon, je ne savais pas ! Vous croyez ? Qui dit ça ?

On vous sent plutôt sûre de vous. Calme. Tranquille. Ambitieuse.
Mais c'est Goldorak que vous me décrivez là ! Ambitieuse, inhumaine, moi ?

Ah, je n'ai pas dit "inhumaine", j'ai dit "pas vulnérable" !
Oui, enfin... Ambitieuse ? Pas assez en un sens ! Exigeante, ça oui.

Et secrète, aussi. Vous vous protégez beaucoup.
Mais si je me protège, c'est que je suis vulnérable, réfléchissez !

Et quand vous vous sentez vulnérable, blessée, vous restez seule ou vous appelez à l'aide ?
Ça dépend de la blessure. Du degré de l'hémorragie.

On dirait que ça vous gêne, la question que je viens de vous poser ?
Un peu... Oui, ça me gêne toujours de parler de problèmes personnels devant des gens avec lesquels je ne suis pas certaine de conserver des liens d'amitié.

Ah bon, c'est charmant pour moi !
Vous n'y êtes pour rien ! Mais bon, on parle, on philosophe. Et, au bout d'une heure, on revient à la case départ. Alors à quoi bon ?

Est-ce que vous aimez tous les films que vous avez tournés ?
Non ! Mais aiors là, je vais vous dire : je refuse d'en parler. Pas du tout pour perpétuer l'idée de la "grande famille du cinéma" : c'est une idée boyscout dont j'ai horreur. C'est une simple question d'honnêteté et...

... Et vous ne direz jamais la vérité sur vos films passés !
Ben, il faudrait qu'il y ait prescription. Et encore !

Bon ! Alors, c'est moi qui vais le faire. Il y a une scène de "Fort Saganne" qui me semble indigne de vous : celle où dans un salon, très Pierre Benoit, vous enseignez l'amour courtois à Depardieu...
On n'en a jamais reparlé avec Gérard, ni avec Alain Comeau. Peut-être y avait-il trop de texte. Ou pas assez... C'est vrai que je ne suis pas contente de moi dans cette séquence... Quoi d'autre ?

"Paroles et musique" !
Ah oui, mais ça, c'est un drame !

Ah ? Pourquoi ?

Mais je peux écrire que ça a été un drame ?
Ecoutez, ce que vous pouvez écrire, c'est que je n'ai pas vu à l'écran le film que j'ai tourné. Et quand un metteur en scène modifie à ce point son film sans prévenir sa vedette féminine, c'est... Allez, on n'en parle plus. C'est fini !

O.K. ! On va se retrouver d'accord, j'espère, sur un film : "Le lieu du crime" d'André Téchiné.
Ah oui ! Je l'aime beaucoup. Il y a cette séquence magnifique du repas de première communion. J'y repense souvent parce qu'elle me semble parfaite : le rythme, la caméra, la voix musicale de Danielle Darrieux, et cette mélancolie intense des regards... C'est ça, pour moi, une mise en scène : l'harmonie. Dans un chef-d'œuvre, ce n'est pas forcément de l'histoire qu'on se souvient. Mais de quelques moments. Tendres ou violents. Chez Hitchcock, par exemple, vous vous dites toujours : "Ah, tu te souviens de la séquence où..." Et les images reviennent. Quand je pense à Welles ou à Fellini, |e ne me souviens pas toujours de l'intrigue. Mais de scènes. De bribes.

Par trois fois, vous avez incarné la fille de Danielle Darrieux. Est-ce que vous revendiqueriez cette filiation ?
Ah mais moi je ne revendique rien !

Décidément, j'ai l'art du mot malheureux avec vous !
Non, je plaisantais. Mais c'est que c'est tellement peu dans ma nature de revendiquer !... Danielle, je l'aime et l'admire comme actrice et comme femme. On doit se ressembler, c'est sûr. Elle est comme moi : très nerveuse, très timide, et, en même temps, très directe.

Elle passe pour une actrice instinctive...
Moi aussi.

Donc, avec vous comme avec elle, les premières prises sont les meilleures ?
Eh oui !...

Vous n'avez jamais connu de passage à vide, dans votre carrière ?
Eh non !

Même au temps de "L'argent des autres" et de "Ils sont grands ces petits", en 1976 ?
Non, je vous assure. En fait, même si tout le monde ne s'en est pas aperçu, j'ai donné des coups de canif à l'image que les gens voulaient .avoir de moi. "Répulsion", les films musicaux de Demy, "La vie de château", Buñuel, ont modifié le cliché de la "blonde hitchcockienne glacée"...

Et ce cliché a fait son temps…
Ah oui ! Même les Américains ne m'en parlent plus, alors...

Avoir une image, ça peut être utile !
A condition de ne pas en être prisonnier. Sinon, on dure quoi ? Dix ans !

Mais admettez que ce passage à vide, que vous n'avez pas connu, survienne d'un seul coup ?
C'est comme si vous demandiez "Avez-vous peur de mourir" ? Oui, non, peut-être, je ne sais pas ! C'est trop général. Mais ne plus tourner, mourir, ce serait sans doute du même ordre. Aussi irrémédiable.

Catherine Deneuve tout feu tout flamme


Par : Pierre Murat


Films associés : Agent trouble, Fréquence meurtre, Paroles et musique, Le lieu du crime

 

 



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