"Je
crois aux couples de cinéma !" |
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Vous avez absolument tenu à
participer à "Fort Saganne" d'Alain Corneau. Qu'est-ce
qui vous a plu dans ce projet ?
Je n'apparais que durant dix ou douze minutes dans "Fort Saganne".
J'ai d'ailleurs un peu hésité à accepter le rôle
car il est très court. Mais je me suis trouvée confrontée
à mes propres paradoxes car j'ai souvent dit que ce qui compte
pour moi, c'est davantage les films que les rôles. Comme, de surcroît,
le scénario est un des plus beaux qu'il m'ait été
donné de lire, et que Corneau ainsi que Depardieu étaient
de la partie, mes hésitations se sont vite évanouies.
Qu'est-ce qui vous a séduite
dans le personnage de Louise Tissot que vous incarnez ?
J'ai d'abord été attirée par le côté
moderne du personnage, l'idée que cette journaIiste s'engage et
prenne des décisions, chose qui n'est pas courante à l'époque
où se déroule l'intrigue. Louise est tout sauf une femme
conventionnelle. Elle éprouve une très grande curiosité
envers Saganne, un homme qui est assez éloigné d'elle, mais
chez qui elle sent une grande force et une pureté qui l'attirent.
Le personnage de Louise est superbe et, malgré le fait qu'on la
voit finalement très peu à l'écran, son importance
est grande dans l'histoire elle-même.
"Fort Saganne" marque
votre quatrième rencontre cinématographique avec Gérard
Depardieu...
J'espère que ce ne sera pas la dernière. J'aimerais beaucoup
tourner une comédie avec lui. Nous y pensons sérieusement.
Etes-vous d'accord avec cette
phrase qu'on lui doit : "Deneuve c'est le mec que j'aurais aimé
être" ?
Pour moi, Gérard est bien sûr un homme très viril.
D'un autre côté, c'est aussi un acteur très féminin
! Alors, je crois qu'il est sensible à ma féminité
car il la comprend parfaitement. J'ai des relations simples, fraternelles
et ouvertes avec lui, il n'y a pas de chichis entre nous.
Croyez-vous à la notion
de "couple cinématographique" ?
Absolument. J'y crois complètement et j'y ai toujours cru. Je fonctionne
comme cela, en tant que spectatrice. C'est surtout une question de chimie.
Je pense par exemple aux couples formés par Grace Kelly et Cary
Grant, Vivien Leigh et Marlon Brando, ou encore Isabelle Adjani et Alain
Souchon. Il y a également des acteurs qui ne fonctionnent pas lorsqu'ils
sont mis face-à-face. Pour qu'un couple cinématographique
soit réussi, il faut que le public souhaite vous réunir,
peu importe si c'est l'espace d'une demi-heure, une heure ou plus. Il
faut aussi, quelle que soit l'histoire du film, que les spectateurs désirent
vous voir ensemble à la fin.
Comment expliquez-vous que le
couple Alain Delon - Catherine Deneuve n'ait pas fonctionné dans
"Le choc" de Robin Davis ?
Je pense que nous n'avons pas tourné le film que nous devions vraiment
faire ensemble. Si nous devions retourner dans un même film, Alain
et moi, je crois qu'il vaut mieux que nous le fassions en tant que personnages
antagonistes. Pour en revenir au "Choc", je reconnais que le
tournage s'est avéré difficile. Je ne me suis pas bien entendue
avec Robin Davis. J'étais malheureuse
Vous avez affirmé un
jour...
Affirmé
J'affirme rarement des choses (rires). Ce n'est pas
que je n'aime pas me prononcer, mais le côté solennel des
entretiens écrits me gêne. Ces choses-là sont gravées
comme si on faisait des déclarations alors, qu'en fait, on ne répond
qu'à des questions.
Vous avez donc dit un jour que
vous n'aimiez pas trop vous retourner sur votre carrière. Pourquoi
?
Le passé ne m'intéresse pas beaucoup, car il ne m'apporte
rien On m'oblige souvent à en parler lors des interviews, mais
je préfère regarder devant moi, sur les côtés
aussi, rarement derrière. Cela, en ce qui concerne ma profession,
bien sûr, pas dans la vie.
On sait que vous avez eu la
chance de tourner avec des réalisateurs tels que Polanski, Truffaut,
Demy, Buñuel et Rappeneau, entre autres. Vous avez failli être
dirigée par Alfred Hitchcock et Maurice Pialat. Parlez-nous de
ces rencontres qui ne se sont pas faites.
En ce qui concerne Hitchcock, il était question qu'il me dirige
dans un film d'espionnage tourné en Suède "The short
night". Quant à Pialat, nous avions en projet de tourner un
film tiré de "La chambre bleue", le roman de Georges
Simenon. Les choses ont évolué depuis, mais Pialat est un
cinéaste que j'admire depuis longtemps. Il fourmille de projets
et le nôtre n'est pas vraiment abandonné, tout dépend
de lui.
Qu'en est-il de "Coup de
foudre", ce film de Robert Enrico dont vous étiez la principale
interprète aux côtés de Philippe Noiret, et dont le
tournage fut brutalement interrompu en 1977 ?
Le film a été arrêté parce qu'il était
impossible de continuer. il coûtait trop cher. Je serais ravie si
on le reprenait, seulement il faudrait faire très vite parce que
ce genre de films est extrêmement coûteux à monter
et à réaliser, surtout aujourd'hui. Si vous connaissez un
producteur, faites-moi signe
(rires).
A propos de réalisateurs,
pourriez-vous signer un contrat les yeux fermés pour tourner avec
un metteur en scène que vous admirez ?
Oui, s'il y a un synopsis ou un scénario à la base, sinon
ça ne correspondrait pas à la réalité. Ce
n'est pas une question de manque de confiance, mais de curiosité.
Pour qu'un metteur en scène veuille travailler avec des acteurs
précis pour un film, il faut qu'il ait déjà ses personnages
dans la tête. C'est une base de départ.
Vous avez pourtant tourné
deux films avec Claude Lelouch, un réalisateur connu pour modifier
les scénarios de ses films.
Lelouch est un cas à part. II est vrai qu'il change la teneur de
ses scénarios en cours de tournage, mais il raconte toujours une
histoire dans ses films. Il est cependant un des rares à fonctionner
ainsi.
Vous dites souvent que vous
n'êtes jamais aussi heureuse que lorsque vous travaillez...
C'est absolument vrai et je suis toujours contente quand je m'arrête
le soir !
Après vingt ans de cinéma,
qu'est-ce qui vous motive le plus dans votre métier ?
Les films, leur côté difficile et aventureux. C'est plus
excitant quand on a l'impression de participer à quelque chose
de dangereux. Travailler en équipe est devenu une seconde nature
pour moi.
Comment conciliez-vous votre
maturité et le besoin pour une actrice de se renouveler perpétuellement
?
J'ai la chance de travailler avec des gens qui écrivent, des metteurs
en scène qui sont aussi auteurs. Il devient alors évident
que cela m'évite de tomber dans des schémas classiques.
Je reçois beaucoup de scénarios, mais j'avoue qu'il y en
a peu d'intéressants. J'accepte les rôles qui me conviennent,
tout simplement.
Cela vous permet peut-être
d'éviter ainsi les erreurs de parcours.
Oh, je me suis trompée quelquefois. Heureusement, il y a des erreurs
que j'ai faites et que je trouve intéressantes. Je pense notamment
à "Ecoute voir" d'Hugo Santiago. un film raté
qui m'a cependant permis d'apprendre bien des choses. Tant que j'ai l'impression
d'apprendre sur un plateau, ça me va.
Votre expérience de productrice
dans "Zig Zig" ne vous a pas entièrement satisfaite.
Eprouvez-vous parfois le besoin d'être à l'origine d'un projet
ou de faire aboutir une idée à laquelle vous tenez beaucoup
?
Il me semble incompatible qu'un acteur soit aussi producteur. Cela va
à l'encontre du sentiment de liberté, de tranquillité
et de plaisir qu'éprouvent les comédiens lorsqu'ils jouent.
D'ailleurs, j'ai remarqué que les acteurs qui sont aussi producteurs
ont souvent l'air soucieux à l'écran. De toute façon,
le fait d'être producteur ne s'arrête pas à ce besoin
de faire aboutir un projet. Il faut surtout assumer un tas d'autres responsabilités
annexes. Cela n'est pas évident quand on est aussi comédien.
Personnellement. je préfère que ce soit les metteurs en
scène-auteurs qui me soumettent les idées auxquelles ils
tiennent.
Etes-vous tentée de passer
derrière la caméra ?
C'est une question que l'on me pose de plus en plus souvent, comme si
c'était une évolution normale pour une actrice. Je vous
répondrai que je pourrais avoir cette idée un jour, si je
ne me sentais pas satisfaite en tant que comédienne. Mais être
réalisatrice tout court ne me suffirait pas. Il faudrait alors
que j'écrive, et cela, je ne l'envisage franchement pas pour l'instant.
Remarquez, il n'y a pas beaucoup de réalisatrices-actrices en France,
à l'exception de Jeanne Moreau et de Juliet Berto.
Comment conciliez-vous une nécessité
inhérente aux acteurs qui consiste à vouloir plaire au public
et votre goût de la réserve qui vous fait mettre des barrières
entre ce public et vous ?
C'est comme dans la vie : il y a certaines choses que l'on veut bien faire
et d'autres pas. En ce qui concerne mon métier, je fais des choses
qui me paraissent aller dans le sens de ce qui me plaît. Je me fixe
des limites assez vite car je ne cherche pas à séduire à
tout prix. On me trouve sympathique ou antipathique, mais y a des démarches
que je ne peux pas effectuer dans le souci d'une plus grande popularité,
ça ne fait pas partie de mon caractère.
Votre légende de "femme
glacée" s'estompe aujourd'hui auprès du public. Comment
le percevez-vous ?
Froide, glacée, le feu sous la glace (rires). On finit par s'y
habituer. A la limite, je crois qu'on n'y penserait plus tellement si
certains journalistes ne le rappelaient pas de temps en temps. Je crois
que cette image s'estompe car comme j'apparais un peu plus souvent à
la télévision, cela crée un contact plus chaleureux
que les interviews écrites. D'autre part, la tendance des articles
va aujourd'hui, beaucoup plus dans un sens personnel. Les interviews s'éloignent
du schéma classique questions-réponses et deviennent des
espèces de mini-analyses. Je ne suis pas pour systématiquement.
Sauf si c'est fait par quelqu'un que je connais bien ou en qui j'ai entièrement
confiance.
Les rôles que vous tenez
au cinéma ont également leur importance dans ce changement
d'image...
Oui, mais j'ai aussi changé physiquement. Quand on fait du cinéma
depuis pas mal de temps, les gens vous connaissent même s'ils ne
vont pas vous voir sur grand écran. Vous leur appartenez donc d'une
certaine façon, vous devenez quelqu'un qu'ils connaissent mieux.
Pour en finir avec cette fameuse
image, est-elle la même aux Etats-Unis où vous êtes
célèbre ?
Pour les Américains, je représente davantage l'image de
la femme française que celle d'une actrice française. C'est
sans doute a cause des rôles qu'on m'a proposés là-bas
qui peuvent apparaître stéréotypés. Cependant,
je reconnais avoir eu beaucoup de chance car les tournages de mes trois
films américains se sont bien déroulés. Que ce soit
"Folies d'avril" que j'ai interprêté face à
Jack Lemmon, "La cité des dangers" avec Burt Reynolds
ou "Les prédateurs" avec David Bowie. Comme Lemmon et
Reynolds étaient coproducteurs de leurs films, cela a contribué
à faciliter les tournages en question. L'ambiance était
différente de celle qui règne généralement
dans les grands studios américains.
"Les prédateurs"
tient une place à part dans votre carrière anglo-saxonne,
avec David Bowie, une rock star, pour partenaire
Beaucoup de gens ont trouvé "Les prédateurs" comme
un film esthétique et agréable à regarder. Moi, je
pense que ça va beaucoup plus loin que ces considérations.
Je me suis amusée à interpréter ce rôle de
vampire, d'autant plus que j'aime assez ce genre d'intrigues et les films
d'horreur en général, à la fois en tant qu'actrice
et en tant que spectatrice. Quant à Bowie, il possède de
réels dons de comédien. D'ailleurs, il existe davantage
de chanteurs ou de chanteuses qui ont des possibilités en tant
qu'acteurs que le contraire.
Et lorsque ce "contraire"
se passe, justement ?
C'est souvent plus difficile. On reste un comédien qui a enregistré
un disque alors qu'un chanteur qui joue au cinéma devient vraiment
un comédien. Regardez Eddy Mitchell qui, depuis qu'il a tourné
"Coup de torchon" avec Tavemier, est aussi considéré
comme un acteur.
Où en est votre carrière
de chanteuse ?
Ma carrière de chanteuse ne compte qu'un seul disque à son
actif (rires). Je compte enregistrer un nouvel album, toujours sous la
houlette de Serge Gainsbourg, mais je ne le ferai pas avant l'année
prochaine car Serge est tres occupé actuellement.
Quelle importance accordez-vous
à la célébrité ?
C'est une chose à laquelle je ne pense pas tellement. En fait,
j'en profite beaucoup plus inconsciemment qu'on ne le croit. La célébrité
cornporte plusieurs avantages, quant aux inconvénients, j'essaie
d'en supprimer un maximum et de vivre d'une façon suffisamment
privée pour me protéger. Je ne cherche pas à faire
des tours de force pour me sur-protéger.
Vous avez obtenu en 1981 le
César de la meilleure actrice pour "Le dernier métro".
Un an plus tard, vous présidiez la cérémonie des
Césars. Que pensez-vous de ce genre de récompenses et des
manifestations comme le Festival de Cannes ?
Avoir un César, c'est mieux que de recevoir une gifle. Non, sérieusement,
sur le moment, ça fait plaisir, c'est vraiment agréable
et cela peut contribuer à l'éventuelle seconde carrière
d'un film. Mais j'avoue que ce César n'a pas changé grand
chose pour moi après. Quant au Festival de Cannes, je ne m'y rends
pas si je n'ai pas de film à présenter. Je ne suis pas boy-scout,
vous savez
Je participe à ce genre de manifestations non
pour "défendre" un film, mais parce que ça fait
partie de son lancement, au même titre que la promotion.
Alain Corneau et Francis Girod
vous imaginent devant les caméras à 70 ans, comme Katharine
Hepburn. Envisagez-vous cette éventualité ?
Cette comparaison me sernble être une image exaltante, mais j'avoue
que tout cela me semble si loin. Je pourrais m'arrêter dans deux
ans. Et quand mon métier ne m'intéressera plus, je m'arrêterai.
J'espère que j'en aurai les moyens !
Yves Montand et Alain Delon,
pour ne citer qu'eux en France, ainsi que Jane Fonda et Paul Newman aux
Etats-Unis, prennent des positions politiques. Pourquoi pas vous ?
Il s'agit là de positions strictement personnelles. Les quatre
ou cinq acteurs engagés politiquement en France ne reflètent
quand même pas l'ensemble de la profession cinématographique.
Les choses sont différentes aux Etats-Unis, du fait de l'organisation
des campagnes électorales. Par conséquent, les gens adoptent
une attitude différente de celles qu'on peut observer ici.
Passons maintenant à
la vidéo. Vous y intéressez-vous ?
Ah oui, absolument. Je possède d'ailleurs deux magnétoscopes
VHS. L'un est tri-standard parce que je regrette de trouver tellement
peu de films en version originale. L'autre est un JVC VHS.
Enregistrez-vous beaucoup de
films de la télé ?
Mon plaisir, c'est de pouvoir différer. C'est-à-dire la
possibilité de faire enregistrer des films quand je ne suis pas
là, les regarder puis les effacer. Je suis contre l'accumulation
de cassettes car plus on en a, moins on a envie de les regarder. Personnellement,
je dois avoir entre 200 et 220 cassettes.
Y en a-t-il que vous préférez
plus que d'autres ?
Oui, je pense surtout à "La nuit du chasseur" de Charles
Laughton, avec Robert Mitchum et Lilian Gish, "Les ensorcelés"
de Vincente Minnelli, avec Lana Turner et Kirk Douglas, et tous les films
de Marilyn Monroe.
Possédez-vous tous les
films dont vous êtes la vedette et qui existent en cassettes ?
J'ai tous ceux que l'on m'a donnés ou ceux qui sont passés
à la télévision, mais je me demande pourquoi car
ils sont effacés avant même que je ne les regarde. D'ailleurs,
je n'ai déjà pas le temps de voir les films que j'enregistre.
En plus, je n'aime pas trop me voir, que ce soit au cinéma ou à
la télé.
Quels sont vos projets ?
Je tourne actuellement "Paroles et musique" d'Elie Chouraqui,
avec Christophe Lambert et Richard Anconina. Deux jeunes acteurs formidables.
J'ai un projet de film avec André Téchiné, "Vent
du désert", dont l'histoire se déroule en Algérie.
J'attends également le scénario d'une comédie que
Jean-Paul Rappeneau est en train d'écrire et où je pense
avoir Isabelle Adjani pour partenaire.
Et la collection de bijoux que
vous dirigez ?
Cette collection s'agrandit actuellement. Elle
vient d'être présentée aux Etats-Unis avant de l'être
au Brésil cet été et au Japon l'année prochaine.
Je suis très gâtée car je ne m'occupe que du côté
artistique, des dessins et des créations.

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