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Marianne République en
marbre, muse de réalisateur, star de spectateurs. Vous êtes
sur tous les écrans avec le dernier film de Jean-Loup Hubert, "La
reine blanche". Vous reconnaissez-vous star ?
L'étiquette est utilisée par les journalistes. Tout cela
est très excessif. Le phénomène de star n'existe
plus parce que ce genre de cinéma n'existe plus lui non plus.
Est-ce pour cela que les stars
se prennent désormais en main ?
Il ne s'agit pas de se prendre ou de se reprendre en main. En Amérique,
les stars étaient à la fois contraintes et en même
temps protégées par les studios, tout leur échappait.
Ça ne s'applique pas du tout à la méthode européenne.
Aujourd'hui, aux Etats-Unis, elles sont presque toutes coproductrices.
Je l'ai été pour le film de Dupeyron parce qu'il était
difficile à monter et c'était une façon de faciliter
la production.
Comment gérez-vous votre
vie d'actrice ?
Je ne gère rien, j'ai un agent et un avocat. Je gère ma
vie personnelle, je gère ma vie professionnelle en gardant des
rapports personnels et directs avec les gens avec qui je travaille. Il
n'y a que dans les moments de sortie de film où il y a un attaché
de presse, où on passe par une filière qui paraît
plus classique, mais ce n'est que dans ces périodes très
limitées. Et je ne tourne un film que tous les 18 mois maximum.
On ne décide jamais de tout. Heureusement qu'il y a beaucoup d'inconnues
et de surprises, aussi bonnes que mauvaises d'ailleurs, sinon ce ne serait
pas très amusant.
Votre carrière n'a pas
comporté beaucoup d'écueils.
J'ai eu la chance, c'est vrai, de faire de très bons films avec
des grands réalisateurs et d'y avoir de très beaux rôles.
Je suis consciente de cette formidable chance qui m'a permis d'avoir du
succès très jeune et pas de frustration. Mes rapports au
cinéma, aux acteurs et à ce métier sont des rapports
assez naturels. Je n'ai pas souffert. Je ne suis donc pas agressive. Je
ne suis pas non plus préparée à d'éventuelles
difficultés si un jour cette profession devait changer. Je suis
moins armée qu'une jeune actrice pour répondre à
cette façon de se prendre en main aujourd'hui.
Comment changerait le cinéma
?
Il y a de plus en plus d'acteurs et de moins en moins de films. Il est
évident qu'une sélection va se faire. Il y aura une grande
demande de la télévision et ça ne va pas forcément
entraîner la qualité.
Avez-vous jamais pensé
passer derrière la caméra comme Jeanne Moreau ou Nicole
Garcia ou d'autres ?
Je pense qu'elles portaient un sujet en elles qu'elles avaient envie de
tourner. Il est normal qu'une actrice qui n'est pas satisfaite des rôles
qu'on lui propose préfère réaliser un film et que
parfois même elle en tourne d'autres. Ça reste tout de même
assez exceptionnel. Personnellement, je suis assez comblée et ça
me convient parfaitement d'être interprète. Le jour où
je ne serai plus satisfaite, ou bien où j'aurai l'impression qu'on
me propose toujours les mêmes choses, j'aurai peut-être envie
de me déplacer. Ce n'est pas le cas aujourd'hui. Je pars au Viêt-nam
où j'ai un rôle superbe dans un scénario magnifique
écrit pour moi par des auteurs formidables. J'en suis à
la fois heureuse et fière. Je n'ai pas de temps pour envisager
autre chose. J'aime être une interprète. Je n'ai aucune frustration
de création.
Avez-vous un pouvoir de décision
sur un film ?
On a toujours un pouvoir quand on a un rôle important. Il s'agit
simplement d'influence par expérience sur des gens qui ont confiance
en vous et avec qui on essaie d'entretenir des rapports de collaboration.
C'est ce qui m'intéresse le plus. D'aider, pas seulement à
ce que je fais, mais au film, à l'intérêt général,
aux scènes, par rapport à des choses qui, soi-disant, ne
concernent pas les acteurs a priori, que ce soit la lumière ou
les autres acteurs... Je me sens partie intégrante d'un film, je
ne me contente pas de sortir de ma loge pour aller répéter
ma scène et la tourner. Quand on a fait plus de trente films, je
pense qu'on ne vous engage pas uniquement pour votre nom. On attend de
vous une participation active. Il n'y a que les gens très complexés
qui veulent tout diriger eux-mêmes. C'est pour cela qu'il faut les
éviter, ainsi que les frustrés.
Vous avez présidé
le jury du Prix du Scénario et lancé un parfum, ceci étant
loin du métier d'interprète.
On ne fera jamais assez pour l'écriture, c'est si important au
cinéma. C'est là qu'on a besoin du plus d'argent, pour que
les gens aient la liberté d'écrire. Quant au parfum, il
s'agit d'un produit de luxe. J'en ai toujours porté, on m'a proposé
de le faire - on le propose à dix personnes dans le monde - je
prends ça comme une chose positive. Le parfum, c'est poétique,
sophistiqué.
Vous voyez qu'il n'y a pas que
les journalistes qui vous considèrent comme une star ?
Il y a aussi des hommes d'affaires (rires).
Ne rêvez-vous pas d'être
un jour, un jour seulement, parfaitement anonyme ?
Ce matin, j'étais à la terrasse d'un café tranquillement.
Personne ne m'a assaillie. Je vis à peu près normalement,
en étant reconnue la plupart du temps, bien sûr. Je vis beaucoup
dans mon quartier. Ce n'est pas toujours facile mais je vais au cinéma,
au restaurant, dans des endroits publics, je n'ai pas une vie comme tout
le monde mais je fais les mêmes choses, j'essaie simplement de décaler
les horaires et les lieux pour ne pas être ce qu'on appelle "embêtée".
Les gens s'habituent. Depuis le temps que j'existe... Ils sont contemplatifs
mais jusqu'à un certain point !
Ce n'est pourtant pas le cas
pour les gens de la télé. Edgar Morin a dit qu'aujourd'hui,
la star c'était Sinclair, êtes-vous d'accord ?
C'est une vraie star et en plus elle vient chez les gens, c'est la télévision,
c'est le quotidien. Le quotidien c'est le grand danger. On ne peut pas
faire sans et en même temps c'est la chose la plus difficile à
vivre, en ce qui concerne l'image surtout. Arrêtez le quotidien
pendant quelque temps et vous disparaissez. Je ne sais pas comment vit
Anne Sinclair, mais j'imagine que ça ne doit pas être simple.
Elle appartient aux gens. Les vraies stars aujourd'hui sont les chanteurs
et les gens de télévision, d'une certaine façon.
Ils mobilisent des millions de spectateurs.

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