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Dire de Catherine Deneuve qu'elle est à cent lieues
des images de papier glacé est un cliché en soi. Mais un
cliché sincère, dont l'authenticité se trouve décuplée
à mesure que la comédienne s'abandonne à sa manière,
rapide, amusée et précise, éprise de cinéma,
de vie surtout. Une qualité rare, forcément précieuse.
Vous avez été
particulièrement présente au cinéma ces derniers
temps avec "Place Vendôme", "Belle-maman", "Le
vent de la nuit"...
Ah, mais ils n'ont pas été tournés la même
année, et leur sortie quasi-simultanée est due aux mauvais
hasards de la distribution... Enfin, je dis cela parce qu'on a l'impression
qu'il y a un côté boulimique, alors que ces trois films étaient
programmés sur presque deux ans. En tant que spectatrice, je ne
suis pas certaine d'avoir la curiosité, l'envie d'aller voir un
acteur plus de deux fois au générique la même année.
Vous retrouver maintenant dans
des seconds rôles, comme dans "Pola X" et "Le temps
retrouvé", et bientôt "Est-Ouest", est plutôt
surprenant, vous qui affirmiez que seules les actrices américaines
ont la chance de s'en voir offrir de très bons.
C'est vrai qu'en France, on n'en écrit pas autant, et puis, on
a beau dire, il est plus facile de dire oui sur le principe que de le
faire quand on vous le propose ! Je m'en suis aperçue car j'en
ai fait l'expérience sur trois films de suite. Mais bon, Régis
Wargnier avait écrit le rôle pour moi, et "Le temps
retrouvé", Proust, c'était l'envie d'accompagner Raoul
Ruiz dans cette aventure, comme signer un manifeste. Je me suis dit que
cela suffisait, et puis me voilà sur le prochain Lars Von Trier,
encore une participation... Mais c'est un cinéaste que j'adore...
"Breaking the waves", quel film magnifique !
Ne pas tenir le devant de la
scène, est-ce un confort, une liberté supplémentaire
?
C'est mitigé. Je dirais que la première impression est positive,
mais, très vite, on se rend compte que l'on n'a pas assez d'éléments
pour se sentir de plain-pied avec les gens qui font le film...
Est-ce un sentiment que vous
avez éprouvé face à Leos Carax ?
Je vais vous dire, Carax, j'ai l'impression que c'est quelqu'un qui n'a
pas beaucoup de relations avec les acteurs sur le tournage. Il est complètement
dans son film, très délicat, d'une grande sensibilité,
il doit être timide et il s'en sert, aussi. En même temps,
l'ambiance était assez agréable, pas du tout froide, simplement
on sent bien qu'il n'est pas du genre à tutoyer ou à taper
sur l'épaule, mais personnellement, ça m'allait très
bien ! Ce que j'aime, c'est qu'un tournage soit à la fois réservé
et chaleureux car c'est ainsi que je me sens dans la vie.
"Pola X" et "Le
temps retrouvé" sont sélectionnés pour Cannes.
Est-ce qu'après tous vos passages là-bas, vous ressentez
encore de l'enthousiasme ?
Non, non. Alors moi, les festivals, ce n'est pas du tout un truc qui m'enthousiasme.
C'est peut-être une vitrine pour les grands acteurs étrangers,
une chance pour la promotion des films, mais je trouve que c'est beaucoup
plus dur pour les Français. Il y a une telle exposition, excessive
et brève, et un tel abandon tout de suite après, que c'est
vraiment une douche écossaise !
Revenons à "Place
Vendôme", pour lequel la presse a renoué avec son fameux
leitmotiv "Deneuve casse son image"...
Alors là, dites-moi, je voudrais bien comprendre pourquoi !
Cela n'a aucun sens pour vous
?
Non... Enfin si, cela signifie que les gens oublient très vite,
comme si, au bout de trois ou quatre films, tout s'effaçait et
ne subsistait plus qu'une vision mélangée, un peu floue.
On ne retient finalement que l'image des dernières années,
les photos spécialement destinées aux couvertures de magazines,
plus sophistiquées et sans rapport avec le film. J'entends souvent
aussi : "Ben alors, vous êtes mieux qu'à la télévision
!", preuve que les gens ne vont plus au cinéma. Mais "casser
son image", j'ai le sentiment de ne l'avoir jamais fait. Je crois
avoir déjà tourné des choses très différentes
quand j'étais jeune, et surtout, je n'ai jamais cherché
à installer une image, il n'y a donc rien à casser pour
moi !
Comment expliquer que le public ait finalement
retenu l'image de "Belle de jour" plutôt que celle des
"Parapluies de Cherbourg" ou de "Répulsion"
?
Je crois que c'est parce que la femme de "Belle de jour" a un
côté symbolique, avec un érotisme forcément
plus attirant que l'héroïne schizophrène et criminelle
de "Répulsion", à laquelle on n'a franchement
pas envie de s'identifier ! Je crois qu'inconsciemment, il y a toujours
ce besoin d'amour et d'identification à une histoire, un personnage...
Est-ce que cela ne signifie
pas que vous devez aujourd'hui aller vers des rôles extrêmes,
comme celui de "Place Vendôme"...
... pour que l'on dise : "Voilà, c'est une actrice !"
(rires)
Plutôt pour que l'on se
dise : "C'est un personnage incarné par Deneuve", et
non pas "Voilà Deneuve qui joue un rôle".
Tout ça parce que l'on m'a vue sans maquillage, comme si c'était
incroyable, alors que j'ai tourné pas mal de films avec Téchiné
où il y avait aussi une forme de dénuement ! Ce n'était
pas une chose pour laquelle je me tordais les mains sans arrêt !
(rires) Visiblement, avec "Place Vendôme", il y a eu comme
une rencontre, comme si ce rôle rejoignait ma personne, ce que les
gens imaginent que je suis ou que je pourrais être dans la réalité,
une femme qui a encore de l'allure mais qui peut aussi souffrir de ces
espèces de cassures...
Et cette image émane
de vous, de vos films ou d'un mélange des deux ?
D'un mélange des deux, mais aussi de l'idée que se font
les gens d'après une interview, justement. Et là, cela ne
dépend pas que de l'interviewé, sinon ce serait toujours
sur la même ligne : il y a le journaliste, le choix des questions
et de la coupe. Moi, je suis assez fataliste, même si je râle
souvent...
A propos, que vous inspire l'accroche
de couverture du "Paris Match" suite à la dernière
cérémonie des César, qui disait texto : "Je
suis un peu déçue, mais pas très" ?
Eh bien voilà, c'est extrêmement malhonnête, surtout
lorsque vous lisez l'interview, qui a duré près d'une heure
quinze. J'ai dû dire, au détour d'une phrase, "J'ai
été déçue sur le moment", car c'est vrai
que "Place Vendôme" avait douze nominations et n'a rien
obtenu. Mais comme je ne pensais pas que je l'aurais, j'ai dû ajouter
"... mais en définitive, je ne le suis pas trop". On
peut faire dire des choses très différentes en ne retenant
qu'une partie de la phrase, sauf qu'en plus, dans ce cas-là, ce
n'était même pas du bon français !
Revenons aux relations que vous
entretenez avec le public. Lorsqu'on regarde vos plus grands succès,
on se rend compte que les spectateurs vous plébiscitent davantage
pour des rôles comme celui d' "Indochine" plutôt
que pour ceux d' "Hôtel des Amériques" ou de "Drôle
d'endroit pour une rencontre". Est-ce que vous le regrettez ?
S'il y a regret, c'est par rapport à certains films de Téchiné,
mais heureusement, cela a mieux fonctionné avec "Ma saison
préférée". J'ai reçu un courrier incroyable
sur cette relation frère-sur... Sinon, vous savez, ce n'est
pas que je sois indifférente, mais là encore je reste fataliste
: je ne me fiche pas du public, mais je ne peux pas faire mes choix uniquement
en fonction de lui. Même si, inconsciemment, on est tout de même
porté à faire des films que l'on aurait envie de voir. J'espère
seulement pouvoir continuer ce que j'ai envie de faire et susciter encore
la curiosité. En tout cas, cela ne m'empêchera pas de tourner
à nouveau avec Téchiné, c'est une rencontre importante
pour moi.
Est-il excessif de dire que
sans cette rencontre, vous auriez peut-être arrêté
le cinéma ?
C'est difficile de penser cela, mais c'est envisageable... Et puis c'est
vous qui l'avez dit, pas moi ! Disons que si je ne l'avais pas connu,
je ne sais pas comment je serais aujourd'hui par rapport au cinéma.
Vous savez, il y a des gens avec lesquels j'ai eu une trajectoire, puis
qui sont malheureusement partis, comme Demy. Avec Truffaut, je n'ai pas
tourné beaucoup de films, mais c'est quelqu'un qui comptait énormément...
Une vie d'actrice, ce ne sont pas seulement les tournages, mais aussi
les relations qui se développent en dehors. Retrouver régulièrement
Téchiné, par exemple, c'est une envie et un besoin, comme
en amour, comme en amitié.
Vous dites souvent refuser le
jeu de l'intimité publique, or on vous a retrouvée récemment
dans l'émission "Public", de Michel Field, à une
heure de forte audience...
Il faut bien s'entendre sur le terme d'intimité. Ce que je ne veux
pas, c'est parler de choses soi-disant personnelles, comment je vis, si
j'aime mes enfants, parce que finalement on aboutit à quelque de
chose de très bateau ! En revanche, s'exprimer sur des choses liées
au cinéma tout en étant personnelle, c'est quelque chose
de très différent. Et puis, il y a la force du direct, ce
côté "sprint" et l'occasion d'adopter un ton naturel,
le plus sincère possible. J'étais très contente de
le faire, mais il ne faut pas me reparler d'une émission de télévision
avant un bout de temps !
Au cours de cette émission,
vous avez évoqué "Drôle d'endroit pour une rencontre"
en citant quelqu'un qui ne croyait pas au film à cause du couple
DepardIeu-Deneuve...
Oui, il s'agissait de Philippe Garrel.
Et vous avez reconnu n'avoir
compris cette réaction qu'avec le recul des années. Comment
cela a-t-il cheminé en vous ?
Personnellement, j'aime beaucoup ce film et je pense y être tout
à fait crédible, mais je comprends aussi l'idée que,
pour quelqu'un d'autre, ce soit inacceptable de voir Depardieu et Deneuve
dans ces rôles-là. Est-ce un constat d'échec en tant
que comédienne ? Non. C'est orgueilleux de dire cela, mais non,
ce n'est pas un échec, c'est un constat de multiplicité,
pouvoir me dire que Garrel a sa manière de fonctionner, de filmer,
sa poésie et son réalisme et qu'il y a certaines choses
pour lui qui ne passent pas.
A propos de vous, François
Truffaut disait : "Tous les rôles qu'un acteur a tournés
s'accumulent et lui donnent une image contre laquelle on ne peut lutter
tout à fait. Il vaut mieux jouer avec".
Oui, c'est assez juste et je crois que certains réalisateurs en
sont conscients lorsqu'ils tournent avec des acteurs très connus.
Imaginez Schwarzenegger jouant un tourmenté chez Coppola - mais
si, c'est possible ! -, je crois qu'il faudrait un bon quart d'heure sans
aucune scène fondamentale pour son personnage, pour donner au spectateur
un temps d'adaptation. Et c'est pareil pour Delon ou Belmondo... Depardieu,
c'est différent, car il a une faculté d'adaptation assez
rare, enfin... peut-être un petit peu moins maintenant.
Depardieu, que l'on ne ménage
pas vraiment en ce moment contrairement à vous qui avez toujours
bénéficié d'une courtoisie de la part de la presse...
Oui, mais en ce qui me concerne, la sortie de tous mes films est concentrée
sur une période réduite. Sinon, je pense que l'on finirait
par se dire : "Ça suffit !". En fait, je pense que ce
que l'on reproche éventuellement à Gérard, ce ne
sont pas tant les films que tout ce qu'il y a autour : la production,
la réalisation, le vin... on a un peu la tête qui tourne
! Pour moi, c'est un acteur et un partenaire formidable, mais c'est vrai
que l'on a parfois l'impression qu'il est en danger d'implosion. A côté
de lui, je suis une paresseuse ! (rires) En fait, Gérard ne peut
tout simplement pas ne pas travailler, alors il y a moins de curiosité
car on a l'impression que l'on vous montre tout avant même d'en
avoir le désir... Il n'empêche qu'il reste un acteur extraordinaire,
et puis quand j'ai vu la bande-annonce d' " Astérix et Obélix
contre César ", j'ai immédiatement ressenti une grande
tendresse envers lui. Il a l'air tellement mignon !
Encore une fois, cette sorte
de déférence de la presse envers vous, cela ne vous agace
pas ?
Non, non. Que l'on ne m'attaque pas, cela me convient même très
bien. (rires) D'ailleurs, je crois que dans le cas contraire, je serais
très vite blessée... C'est vrai aussi que j'essaye de ne
pas trop faire parler de moi, de ma vie en dehors des tournages, mais
là, c'est une question de caractère.
Lors du tournage du "Dernier
métro", vous déclariez : "Je n'ai toujours pas
une grande confiance en moi, mais j'ai l'impression d'avoir pris un peu
d'assurance. " C'est un peu surprenant alors que vous aviez déjà
près de cinquante films à votre actif !
Non, et je crois que tous les acteurs sont un peu comme cela. Pour ma
part, c'est toujours le cas, même si on a moins d'angoisse que les
jeunes comédiens. Simplement, il y a d'autres types d'angoisses,
d'autres responsabilités : encore cette année, il m'est
arrivé d'avoir des coups de grisou terribles. En même temps,
il y a une certaine griserie à connaître de temps à
autre des relations extrêmes, il y a un effet positif, comme une
nécessité, un vertige qui vous évite de tomber dans
la routine. Ce vertige, je l'ai ressenti sur "Place Vendôme",
forcément. "Belle-maman", non, car c'était une
comédie et le tournage s'est déroulé dans la gaieté...
Mais je dis cela et je suis certaine qu'il y a eu des doutes ! Les vrais
moments durs, oui, c'était sur "Place Vendôme",
mais je ne veux pas que l'on croie qu'il s'agit d'un point négatif
: cela fait partie de la vie, je ne cherche pas à noircir le tableau,
sauf qu'un tournage, c'est un grand plaisir mais pas un conte de fée
!
Peut-on lier ce "manque
de confiance" à l'absence de cours de comédie, puisque
vous avez débuté sans en avoir jamais suivi ?
Franchement, je ne crois pas, car je connais des acteurs qui font du théâtre
depuis des lustres et qui ont un trac fou, alors qu'ils ont fait le Conservatoire...
Longtemps, je me suis sentie comme une actrice sans vocation, et puis
celle-ci s'est bâtie au fur et à mesure. Mais jusqu'à
ce que je rencontre Jacques Demy, je ne savais pas encore si j'allais
continuer.
Diriez-vous qu'à partir
de ce moment-là, vous vous êtes fixée un objectif,
une certaine ambition ?
C'est difficile à déterminer quand on a commencé
aussi jeune... Je dirais plutôt une ambition de vie, l'ambition
de se faire une idée de ce que l'on est et de ce que l'on veut
faire, sans aucun côté péjoratif. Rien à voir
avec l'idée d'une réussite de carrière, par exemple.
Et je crois l'avoir réalisée, cette ambition de vie, car
entre ce que l'on décide et ce qui vous arrive, je n'ai pas l'impression
d'avoir fait de concessions dans des domaines importants. J'en ai fait,
bien sûr, dans ce métier c'est impossible autrement, mais
sur le fond des choses, mes idées, mes goûts, mes attirances
et mes amis, je n'ai pas changé.
Et concernant les quelques films
que vous avez tournés aux Etats-Unis : concessions ou plaisir des
rencontres ?
Là, il y a eu un peu des deux ! Lorsque je suis allée jouer
"Folies d'avril", de Stuart Rosenberg, on disait que le cinéma
français allait être arrêté pour un an au moins
: j'avais 25 ans, j'étais à Paris avec ce petit garçon
que j'élevais et je ne supportais pas l'idée de rester paralysée.
Par contre, je ne suis jamais partie avec l'intention de m'exiler à
Hollywood. Simplement, c'était une occasion à saisir, peut-être
que j'avais besoin de cela, tourner en anglais, pour me motiver, me forger...
Comment expliquer enfin votre
absence dans le jeune cinéma français ?
Mais vous avez oublié que les réalisateurs avec lesquels
j'ai tourné étaient jeunes ! (rires)
Oui, mais aujourd'hui II y a
Besson, Kassovitz...
Attendez, vous me citez des cinéastes qui ont un univers typiquement
masculin...
Pourtant, Adjani a bien tourné
dans Subway !
Là d'accord, mais bon c'est Adjani qui l'a fait, je la trouve insolite,
formidable et très belle, alors se dire qu'on aurait pu le faire
aussi, je ne sais pas... En tout cas, les jeunes réalisateurs dont
vous me parlez, je ne les vois pas tellement donner des rôles aux
femmes de ma génération, ce qui ne m'empêche pas d'aller
voir leurs films sans me dire : "Tiens, Besson ne veut pas tourner
avec moi !" Et puis, encore une fois, ils tournent surtout avec des
hommes, ou alors c'est comme Lelouch et Besson, il faut être sa
femme, et je le comprends parfaitement, sans aucune moquerie.
Pour quelqu'un qui aime se préserver,
que représente une interview comme celle-ci ? Le professionnalisme,
un jeu où le mensonge par omission est nécessaire, ou bien
est-ce que le cinéma est un métier d'émotions que
l'on ne peut vraiment évoquer qu'avec ses proches ?
C'est vrai que je me préserve beaucoup,
donc c'est toujours avec réticence que je vais aux interviews :
il suffit que je ne sois pas dans l'état d'esprit et je me demande
ce que je vais pouvoir raconter. Et puis, au détour d'une phrase,
on ne sait pas pourquoi, il se passe quelque chose, les questions sont
formulées de telle façon qu'elles me permettent d'approfondir
certains sujets. Les interviews, cela me coûte, peut-être
plus encore qu'auparavant, mais c'est toujours une question de rencontre,
de dialogue. Forcément, s'il y a un truc qui ne va pas, je vais
me fermer et laisser passer très peu de choses. En tout cas, je
ne pense jamais à faire passer un message, à infléchir
une image. Je ne suis pas très tactique de ce point de vue !

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