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"Proust
me guette depuis trente ans" |
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Dans le film de Raoul Ruiz, Catherine Deneuve incame Odette,
amour et épouse du héros dans Un amour de Swann, roman qui
se termine sur cette réflexion dudit Swann : "Dire que j'ai
gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir,
que j'ai eu mon plus grand amour, pour une femme qui ne me plaisait pas,
qui n'était pas mon genre !" "Le temps retrouvé"
la remet en scène, bien après la mort de Swann.
Comment entre-t-on dans la peau
d'un tel personnage ?
Je crois qu'avant tout on essaie de tout oublier. Au lieu de focaliser
sur des clichés concernant l'atemporalité nécessaire
du film ou la réputation du livre dont il s'inspire, il est préférable
de coller à la version imaginée par le metteur en scène.
De toute façon, Odette n'est qu'un personnage secondaire. Comme
toutes les femmes chez Proust, elle représente le miroir qui réfléchit
l'image des hommes.
Vous êtes-vous replongée
dans Proust à l'occasion du tournage ?
Non, faire un film obéit à une démarche particulière.
On doit s'extraire d'un caractère figé par la littérature
et se l'approprier pour le rendre vivant. Les costumes, les perruques,
le roman de Proust sont des éléments classiques qui raidissent
le corps. L'enjeu, pour moi, c'est d'insuffler du naturel à mon
rôle.
Votre approche d'actrice est
donc complètement intuitive...
C'est le cas en général. Ensuite, il m'arrive d'en parler
à demi-mots avec le réalisateur, tout dépend des
relations que j'entretiens avec lui. Les médiations sont rarement
directes, j'attends qu'il vienne vers moi de son plein gré, et,
sur le plateau, je me limite à des questions d'ordre technique
: où me placer, quel ton adopter...
Pourquoi avez-vous accepté
ce rôle ?
Franchement, je ne sais pas. Je n'ai jamais souhaité incarner un
personnage de roman : c'est très difficile de surprendre avec ce
qu'on connaît déjà. Toutefois, il se trouve que Proust
me guette depuis trente ans. Alors que j'en étais à mon
deuxième film, on m'a proposé le rôle d'Albertine,
mais les années ont passé et le projet a été
repris par quelqu'un d'autre. Avec le temps, j'ai commencé à
davantage coller au personnage d'Odette. De plus, il y a Raoul Ruiz, avec
qui j'ai déjà tourné, et le producteur Paulo Branco,
un ami...
En 1999, Proust peut-il encore
s'avérer passionnant ?
Sans doute, puisqu'il évoque l'évolution des relations humaines.
Au-delà des divers progrès qui marquent la modernité,
il revient sans cesse à l'essentiel : l'amour et la mémoire.
C'est un auteur extrêmement sophistiqué, sa mélancolie
et son acuité émotionnelle sont percutantes. Si les costumes
sont nécessaires pour restituer les contraintes sociales d'une
époque donnée, les sentiments, eux, restent dans l'air du
temps.
Pensez-vous, comme Proust, que
l'amour n 'est qu 'une affaire de quiproquos ?
Je ne pense pas être aussi négative
que lui. Les fins d'histoire sont parfois des malentendus, mais les histoires
en soi, non. C'est plutôt une affaire d'affinités longuement
élaborées, et de pulsions.

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