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La reine Catherine

Dans la lignée des "Parapluies de Cherbourg" et du "Dernier métro", "La reine blanche" de Jean-Loup Hubert s'annonce comme un nouvel anniversaire du mariage d'amour de Catherine Deneuve avec le public. L'occasion pour elle de faire le point sur sa carrière et sur sa vie.

Lili Ripoche est la fille du plombier. Ancienne reine de beauté du carnaval de Nantes, elle en garde depuis quinze ans un surnom, des souvenirs et, au fond de l'armoire, la robe de satin blanc de son couronnement. Mère de trois enfants, elle a épousé l'ouvrier de son père. Au bord de l'Atlantique, à l'orée des années 60, la vie coule douce et monotone. On installe des baignoires à tour de bras. La radio ne diffuse pas encore "Salut les copains". Sur les écrans, une certaine Catherine Deneuve n'a pas encore imposé son style. Tout irait bien si pour ses enfants qu'elle impressionne, pour son mari qui ose à peine la toucher, pour son père qui n'en est jamais revenu, Lili ne demeurait cette reine d'un jour. Trop belle pour eux.

Entre comptes d'épiciers et conte de fées, le film de Jean-Loup Hubert pourrait n'être que le prétexte à un remarquable rôle de composition. Celui d'une Bovary en blouse de nylon, engluée entre deux âges, dans les banlieues de l'amour. Pourtant, la reine Catherine, son magnétisme, tout ce que nous savons d'elle transforment l'anecdote en une réflexion sur la beauté et le temps qui passe avec ses rendez-vous manqués. Le thème ne devrait laisser aucune femme indifférente. Car c'est bien à leurs sœurs que s'adressent "La reine blanche" et Catherine Deneuve qui, pour l'occasion, accepte de remettre en question une image sur laquelle le temps semble n'avoir aucune prise. La carrière d'une grande actrice est jalonnée de multiples rôles. Certains remarquables, d'autres moins. Indépendamment de leurs qualités propres, quelques films marquent aussi une étape dans la vie de ces femmes en vue : la jeune fille en kilt des "Parapluies de Cherbourg", la séductrice perverse de "Belle de jour", la comédienne accomplie du "Dernier métro", la femme perdue de "Drôle d'endroit pour une rencontre" scandent le parcours sans fautes de Catherine Deneuve, comme autant d'anniversaires de son mariage d'amour avec le public. A son tour, "La reine blanche" pourrait bien constituer l'une de ces étapes heureuses où celle qui incarne la Française idéale reprend son dialogue avec ses sujets et fait le point.

C'est le réalisme qui m'attirait dans l'histoire de "La reine blanche". Après un certain nombre de films, j'avais envie d'un personnage différent. Lily a la sécheresse, la rondeur, la nostalgie d'une bourgeoise modeste qui a été belle, qui l'est encore, mais le vit mal et, involontairement, le fait payer aux autres. Tout le film baigne dans la nostalgie de l'adolescence. Elle a été choyée par des parents qui ont tout décidé pour elle. Ensuite, elle n'a pas eu la vie dont elle avait rêvé. C'est bien d'être aimée. C'est plus difficile d'être adorée.

Enfant, j'étais jolie, classique, timide et douce. Quand on me parlait de mon physique, cela me gênait. J'ai appris très tôt à vivre contre. Pas par modestie, mais parce que j'étais élevée dans un milieu de filles. Avec une sœur très nerveuse et plutôt angoissée. Ma mère ramenait toujours les choses à des proportions raisonnables. Pour nous, la beauté était un cadeau. Soyons juste, il y a pire à supporter que ce cadeau-là. Aujourd'hui, j'ai une fille dont je ne parle pas trop pour ne pas la brimer. Mais c'est sûrement encombrant d'avoir une mère comme moi.

Un physique, un corps, ça se gère. C'est un capital. Quoi qu'on en dise, un film passera toujours par un visage, des yeux, une voix. Dans les films comme dans la vie, son physique pour une femme peut devenir une source de complication et de ruine si elle n'évolue pas avec lui. On n'a pas à 45 ans la même forme de beauté qu'à 25. Il faut trouver un caractère, une personnalité qui vous permettent de supporter le regard des autres. C'est plus dur si on a été jolie.

Au regard de ses proches, on évolue de façon lente. C'est pourquoi il est important de vivre dans un univers personnel. Avec le public, les choses sont différentes. La télévision projette les films en désordre. Un jour, les gens vous voient sur leur petit écran dans l'un de vos premiers rôles. Le lendemain, ils vous croisent dans la rue. La superposition peut être cruelle. Il faut y être attentif. Mais il faut également savoir s'en moquer.

Avancer ! C'est mon truc dans la vie. Ne pas me laisser piéger par une image. Je ne veux pas commencer à décaler mon image-photo de mon image réelle. Ni courir après quelque chose qui ne corresponde pas à mon évolution. Bien sûr, j'essaie de retarder, les échéances. Mais j'espère franchement arriver à m'en accommoder. Enfin, comme tout le monde il y a des jours où je m'en accommode mieux que d'autres.

La mélancolie fait partie de ma nature, comme la gaieté d'ailleurs. J'ai toujours tout voulu. J'ai un appétit féroce de la vie. Une énergie forcenée. Mes coups de barre sont à la proportion de cette énergie. Quand ils se produisent, j'ai besoin de parler sincèrement avec quelqu'un. Même s'il m'arrive d'éprouver de la solitude, je ne suis pas seule dans la vie, Je suis une femme accompagnée, comme on dit. C'est capital.

Bourgeoise, moi ? Je vis d'une façon très bohème par rapport aux gens qui m'entourent. Mais il y a certainement dans le décor où j'évolue une recherche de qualité, discrète et raffinée, qu'on peut considérer comme bourgeoise. Le plaisir du toucher, de l'odorat, des yeux... Depuis toujours j'achète des chemises de nuit brodées aux Puces. Quand j'étais mère célibataire, j'allais chercher des fleurs aux Halles. Je pouvais passer la soirée à faire des bouquets pour mon fils et moi.

Mon père était un homme simple, mais très raffiné, J'admirais ses beaux mouchoirs blancs, ses chaussures bicolores. Peut-être n'en avait-il que trois paires. Mais elles étaient impeccables. Il était très protecteur. On s'est envolées sans avoir été sevrées. Tant que j'ai élevé mes enfants, je ne m'en rendais pas compte. Mais aujourd'hui, sans doute à cause du poids des choses, je réalise que je suis restée l'enfant de mes parents.

J'aurais pu me marier très jeune, comme la "Reine blanche". J'adore les enfants. J'aurais sans doute divorcé avant 30 ans. Je me serais mise à travailler... Oui, j'aurais pu avoir ce genre de vie. Mais, avec ma nature secrète et très têtue, ce dont je suis certaine c'est que je n'aurais jamais accepté de vivre les choses qui ne me convenaient pas. On m'a appris très tôt cet égoïsme-là.

Dans le cinéma, avec ses multiples tranches de vie, je me sens comme un poisson dans l'eau. Dans l'immédiat, je pars sur le plus long travelling de ma carrière. Un film de Régis Wargnier, "Indochine", qui me retiendra près de cinq mois au Viêt-nam. Le rôle a été rêvé pour moi. C'est l'histoire d'une femme qui dirige une exploitation de caoutchouc, avec son père, dans les années 30. Jamais je ne suis partie si loin, si longtemps. C'est merveilleux.

Les chansons accompagnent toute ma vie. J'en connais beaucoup de très anciennes, que nous apprenait mon père lors de nos voyages en voiture. J'en emporte beaucoup au Viêt-nam. Notamment celles de Julien Clerc, dont "Ma préférence" est ma préférée. Et puis Serge Gainsbourg : "Fuir le bonheur avant qu'il ne se sauve", "Comme une souris dans un coin de l'alcôve..." Petite, j'avais une souris. J'adore les petits rongeurs. J'adore aussi les chats. Mais c'est l'homme qui reste mon animal préféré. Oui, pour moi, l'homme est un animal.

Quant aux livres, si je n'en emportais qu'un seul, ce serait "Les Mémoires" de Groucho Marx. Très tonique. Hélas, sur les tournages je suis trop concentrée pour pouvoir lire beaucoup ! Je préfère emporter un cahier, un stylo, mes disques compacts et un petit oreiller. Surtout pas de photos de mes enfants. Jamais ! Je n'ai rien contre les souvenirs. Mais, pendant la durée d'un film, je ne m'entoure que des choses qui m'aident à m'investir dans un personnage, un scénario inconnu.

Désir : c'est le mot que je préfère dans la langue française. Il est plus long en italien, desiderio. J'aimerais qu'il le soit assez pour composer toute une ligne. Il dessine pour moi un fonctionnement essentiel. Le mécanisme de base. Beaucoup de gens qui ne le savent pas se reconnaissent quand on prononce ce mot-là. Voilà, je vous ai tout dit... Enfin, tout ce que je pouvais dire.

Deneuve parle de la beauté, de son enfance, du mariage, de la mélancolie, de sa fille, de la bourgeoisie, du désir


Par : François Baudot
Photos : Annie Leibovitz


Films associés : La reine blanche, Indochine



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