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L'année Deneuve

Couronnée à la Mostra de Venise pour son son rôle dans "Place Vendôme" de Nicole Garcia, Catherine Deneuve sera à l'affiche de cinq films dans les mois qui viennent. Interview d'une star à son apogée par Jean-Christophe Grangé, auteur des "Rivières pourpres", le polar de l'année.

Catherine Deneuve a beau multiplier les personnages inattendus, se prêtant aux rôles les plus durs, aux lumières les plus crues, n'hésitant pas même parfois à s'enlaidir, elle demeure aux yeux de tous une image en suspens, une beauté immatérielle. Comme s'il n'y avait aucune relation entre ses apparitions hyperréalistes au cinéma et l'image que le public s'est définitivement forgée d'elle. Mais, cette fois-ci, surprise : dans "Place Vendôme", le nouveau film de Nicole Garcia, Catherine Deneuve atteint une sorte de synthèse magnifique. Elle interprète à nouveau un rôle difficile - une joaillière déchue, tombée dans l'alcoolisme - mais resplendit pourtant tout au long du film. Elle est à la fois une héroïne perdue et une femme fatale. A la fois maudite et éblouissante. Il y a même longtemps qu'on n'avait pu l'admirer aussi souveraine, jaillissant d'un clair-obscur comme une pierre précieuse de son écrin. Pour l'interview, changement de décor. La rencontre se déroule dans un squat bétonné, au fin fond d'Aubervilliers, dans les studios où la comédienne tourne actuellement le nouveau film de Gabriel Aghion, "Belle-Maman". C'est encore un autre visage qui apparaît. Ni femme fatale ni icône figée - simplement une actrice souriante, spontanée, au sommet de son art.

Dans "Place Vendôme", vous interprétez une joaillière déchue, alcoolique. C'est un rôle plutôt noir... Pourtant, vous resplendissez à chaque image. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
Cela tient au monde dans lequel évolue le personnage. Marianne est un être déchu, mais elle demeure une femme sophistiquée. Sa déchéance même a pour théâtre le milieu de la joaillerie, du luxe, des grands hôtels : tout doit donc rester discret, feutré. Marianne peut chuter, mais elle doit le faire sans bruit, sans heurter les apparences. Sinon, c'est l'hôpital, la cure... A travers ce personnage, le film décrit l'alcoolisme mondain, presque invisible et d'autant plus dangereux, qui sévit dans les milieux raffinés.

C'est un personnage complexe, qui possède un secret...
C'est ce qui lui donne son charme, son mystère. Et aussi une certaine force. Ce secret l'a brisée, mais aujourd'hui elle se moque de tout le reste. Elle peut marquer une réelle distance, une ironie amusée vis-à-vis de l'argent, des affaires, des convenances. Par exemple, il y a une scène dans le film où elle simule l'ivresse face à son beau-frère. Elle a de l'humour. Elle peut se jouer des gens sérieux, cramponnés à leurs principes. Marianne est détachée de ce monde-là.

Vous vous sentez proche d'elle ?
Oui. Parce que Marianne est une femme qui est restée fidèle à ses sentiments. Et je pense qu'aujourd'hui la passion sentimentale est une des raisons qui valent la peine qu'on s'engage à fond. Marianne a été jusqu'au bout de sa passion, malgré la trahison qu'elle a subie.

C'est aussi une femme très romanesque...
Oui. Mais je ne la conçois pas comme une femme sacrifiée. Elle n'est pas une victime de l'amour. Au contraire, elle a conservé toute sa lucidité face à ses choix, face à son histoire. A un moment du film, lorsqu'elle revoit enfin l'homme qu'elle a tant aimé et qui l'a trahie, elle lui raconte qu'elle pense à lui, chaque nuit, depuis vingt ans, mais qu'elle s'est tellement repassé mentalement ce souvenir que tout cela est devenu abstrait, irréel. Parfois, elle s'endort en revoyant son visage, à lui, qui se perd dans la foule... Cette vision l'apaise. Elle a assumé son destin et, aujourd'hui, elle semble même libérée de cet amour. Mais à quel prix !

Catherine Deneuve traversant la place Vendôme : on vous imagine aisément, dans la réalité, dans un tel contexte...
Il est vrai que je connais un peu l'univers de la joaillerie, mais pas pour les raisons qu'on imagine. En fait, une partie de ma famille travaille dans ce métier. Mon beau-frère est artisan bijoutier. Sur le tournage, je connaissais beaucoup de termes techniques, le nom des instruments des tailleurs et des sertisseurs.

Le luxe, les soirées, les grands dîners appartiennent tout de même à votre quotidien, non ?
Cela fait partie de ma vie, oui. Mais je ne suis pas prisonnière de cet univers. S'il est vrai qu'on peut me croiser, au hasard d'une première ou d'un spectacle, habillée en Saint Laurent, il est tout aussi vrai qu'on peut me rencontrer, un autre jour, à la table d'un restaurant chinois de Belleville, dînant tranquillement en famille. Et je serai peut-être encore habillée en Saint Laurent !

Vous avez suffisamment approché l'univers du luxe pour en connaître les coulisses, les rouages : le regard que porte Nicole Garcia sur ce milieu vous semble-t-il juste ?
Particulièrement juste. D'abord, elle a bien su montrer qu'il s'agit d'un monde de dureté et d'engagement. Dans ce métier, une parole est une parole. Tout est question de confiance, de réputation. Ensuite, elle a su décrire les enjeux humains. La haute joaillerie est comme n'importe quel autre environnement professionnel : sous les apparences, il y a les destins individuels. C'est ce qui est formidable dans le film. Nicole nous décrit un univers fascinant, avec ses codes, ses lois, ses habitudes. Mais lorsqu'elle soulève le voile, c'est plus passionnant encore, parce qu'il s'agit cette fois d'hommes et de femmes, dans leur solitude, dans leur singularité.

Catherine Deneuve en femme déchue au cœur du luxe : cela sonne comme une provocation. N'est-ce pas pour vous une nouvelle façon de fouler aux pieds votre propre image, liée à l'élégance et au raffinement ?
Je ne vois pas les choses ainsi. Dans le métier d'acteur, il existe toujours une dimension ludique. Un comédien "joue" dans tous les sens du terme. Il joue avec sa propre personnalité, sa propre image, au fil des films qu'il interprète. Est-ce que ce nouveau rôle écorne ma réputation d'élégance et de chic parisien ? D'abord, je ne le crois pas. Ensuite, ce ne serait pas si grave. Je ne suis pas esclave de mon image : je la vis, je la subis aussi, mais elle finit toujours par me ressembler. Chaque matin, lorsque je me regarde dans la glace, je suis consciente que j'évolue, et que mon image doit évoluer avec moi. Si je n'avais pas cette lucidité, ce serait vraiment pathétique.

Comment s'est passé le tournage avec Nicole Garcia ?
Nicole est une réalisatrice passionnée, emportée, complexe. Mais elle a toujours su montrer qu'elle avait raison de s'obstiner dans ses choix.

Vous a-t-elle laissé beaucoup de liberté dans votre interprétation du rôle ?
Nicole avait une profonde connaissance de chacun des personnages : elle me dirigeait donc avec beaucoup de précision. Ensuite, j'avais ma propre relation avec le rôle. Je ne suis pas une comédienne qui se glisse avec fluidité dans son personnage. C'est toujours conflictuel, difficile comme un combat où je laisse toujours quelque chose de moi. Chaque journée est un vrai round. Mais je pense qu'il ressort de cette relation passionnelle une certaine vérité d'interprétation.

Après "Place Vendôme", on va vous découvrir dans "Pola X" de Léos Carax, "Le vent de la nuit" de Philippe Garrel, "Belle-maman" de Gabriel Aghion et "Est-Ouest" de Régis Wargnier : comment expliquez-vous cette recrudescence de rôles ?
C'est surtout un hasard de calendrier. Certains films ont été retardés, d'autres avancés : voilà pourquoi mon année 1998/99 est si chargée. Ce qui m'intéresse, c'est que je suis surtout contactée par des cinéastes qui sont aussi acteurs, qui participent à l'écriture de leur script. On peut donc se rencontrer, parler du rôle et du thème du film, avant même l'écriture du scénario. C'est ce qui s'est passé avec Nicole : nous avons beaucoup parlé du personnage et de l'histoire avant leur conception sur le papier. Ce travail commun permet d'aller plus loin et plus vite au moment du tournage, car je suis déjà familiarisée avec le projet.

Vous n'hésitez pas à prendre des risques avec de jeunes réalisateurs ou des cinéastes moins commerciaux, pourquoi ?
Le seul danger pour une actrice, c'est de ne pas prendre de risques, justement. De s'installer dans un ronron, dans une convention. D'être à chaque fois là où tout le monde l'attend. En tant que comédienne, je veux surprendre, tenter des aventures inédites. C'est pourquoi je vais voir beaucoup de films, je lis beaucoup de scripts. Je suis toujours à l'écoute des nouveaux talents.

Vous avez joué dans près de quatre-vingts films : pour parvenir à un tel résultat, avez-vous dû vous battre férocement ?
Pas du tout. D'abord, contrairement à ce que l'on pense, le monde du cinéma n'est pas une jungle impitoyable. C'est un univers en perpétuelle évolution, mais qui possède son propre équilibre. Pour ma part, je n'ai jamais eu à me bagarrer, au sens agressif du terme. En revanche, j'ai su m'affirmer. Ma carrière a suivi ensuite sa propre logique, avec ses hasards, ses coups de chance, mais toujours en cohérence avec moi-même. Aujourd'hui, j'ai passé un nouveau cap. J'ai la chance d'être à la lisière de deux profils. Je peux jouer les histoires d'amour, mais je peux aussi interpréter des héroïnes qui possèdent un passé, une véritable histoire, ce qui offre un registre plus large, plus fertile pour un réalisateur.

Vos deux enfants sont également comédiens : même si le cinéma est moins cruel qu'on ne le dit, n'êtes-vous pas parfois inquiète pour leur carrière ?
Bien sûr que je suis inquiète ! Parce que je connais ce milieu à fond. Je connais ses pièges, ses difficultés, ses tentations. Mais, encore une fois, le cheminement de mes deux enfants prouve que chacun suit sa propre logique, son propre rythme. Christian s'est plutôt orienté vers le théâtre, Chiara joue dans des films d'auteur : ils ont trouvé leur voie. Et même si on a toujours envie de protéger ses enfants, je me garde bien d'intervenir dans leur parcours.

L'année Deneuve


Par : Jean-Christophe Grangé
Photos : Dominique Issermann


Film associé : Place Vendôme



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