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Dans "Les voleurs", d'André
Téchiné, elle est Marie, amoureuse de Juliette à
en mourir. Sur ce rôle difficile, comme sur sa vie de star, elle
se confie à L'Express. Sans complaisance
Au dernier festival de Cannes,
à l'issue de la projection du film d'André Téchiné,
"Les voleurs", Catherine Deneuve, bouleversante, faisait l'unanimité.
Malgré tout, au palmarès, le jury l'oublia.
Cannes est un lieu dangereux pour
ce type de film. J'avais peur d'y aller, mais nous aurions été
tout aussi malheureux de ne pas y être. C'est toute l'ambiguïté
de cette manifestation, reconnaît-elle.
Pour L'Express, Catherine Deneuve
parle avec passion de son personnage, d'elle et de ceux qu'elle aime.
Entretien sans clichés avec une star qui bouscule son image officielle.
Sortie du film le 21 août.
"Les voleurs" est
votre quatrième film sous la direction d'André Téchiné
et, de rôle en rôle, on a le sentiment qu'il vous pousse à
prendre plus de risques.
II est le seul avec qui j'ai envie de les prendre. Certains me disent
: "Si Téchiné l'exigeait, tu serais prête à
sauter du troisième étage". A quoi je réponds
: "Je sauterais s'il m'assurait qu'il a posé des matelas en
bas". Je veux bien me faire mal, mais pas me casser. Je suis persuadée
qu'André peut me lancer dans une aventure folle, mais jamais absurde
ni ridicule. C'est quelqu'un de subversif, et en cela je le rejoins.
Téchiné dit à
votre sujet : "Elle est une page blanche sur laquelle je peux écrire
mon histoire".
Les acteurs doivent être des pages blanches. Pour un acteur ou une
actrice connue, le plus complexe, c'est de faire oublier ses autres rôles,
d'arriver vierge sur chaque nouveau tournage. Je m'efforce d'y parvenir
sans la certitude d'y réussir à tous les coups.
Dans ce film-ci, le fait d'interpréter
une femme homosexuelle vous a-t-il semblé périlleux au point
d'hésiter à accepter le rôle ?
Au début, ça m'a inquiétée, mais pas un instant
je n'ai songé à renoncer. Dans la première version
au scénario (il y en eut trois). Marie n'était ni professeur
de philo ni homosexuelle. D'ailleurs, pour moi, Marie n'est pas homosexuelle.
Elle est éperdument amoureuse d'un être et il se trouve que
c'est une femme. Il y a deux répliques qui sont explicites, l'une
à l'adresse de Daniel Auteuil - amant de Juliette dans l'histoire
: "Je n'aime pas les femmes, j'aime Juliette", et l'autre à
Juliette : "Je trouve chez toi tout ce que je cherchais avec les
hommes".
Pour les privilégiés
qui ont vu le film, notamment les journalistes qui étaient à
Cannes, la séquence où Marie et Juliette sont dans la baignoire
fait déjà figure de scène d'anthologie.
C'est une très belle scène, tendre et troublante. Sur le
désir, sur l'amour. On ne voit pas la nudité, mais on la
sent.
Dites-nous ce qui vous émeut
le plus chez Marie ?
Tous les personnages du film ont une peur panique des sentiments, sauf
elle. Elle les craint si peu qu'elle va jusqu'au bout de l'autodestruction.
Dans fa vie, on a toujours besoin d'un ennemi ; quelqu'un à qui
s'opposer. Il manque à Marie l'agressivité, c'est comme
si elle n'avait pas d'immunité. Alors que Juliette, bien que plus
jeune, est mieux armée. Elle s'est heurtée à la dureté
de l'existence toute petite. Et puis Juliette est un être de fuite.
Après son départ, Marie avoue : "Je ne l'attends pas
; elle remplit ma vie. Je ne veux pas la remplacer". On devine que
chez Marie la disparition de son chagrin serait plus douloureuse que l'existence
de celui-ci ; un désespoir vide, qui n'aurait plus de sens. On
pourrait penser qu'être professeur de philosophie la protège
de l'irrationnel, lui épargne la dépendance, lui donne une
solide maîtrise d'elle-même. C'est d'abord ce qui me touche
chez Marie. Elle est une amoureuse et rien ne lui sert de rempart : ni
son apparent contrôle d'elle-même ni sa formation intellectuelle.
Au départ d'une passion, on se sent invincible, ensuite on se sent
vulnérable. J'ai toujours cru qu'en affrontant la passion comme
la mort nous sommes tous égaux, désarmés.
Sa passion pour Juliette la
conduira pourtant au suicide...
Elle ne se tue pas par désespoir, elle accomplit un acte sacrificiel,
une immolation. Nous sommes dans la tonalité du "ni avec toi
ni sans toi" de "La Femme d'à côté",
de François Truffaut, avec Fanny Ardant et Gérard Depardieu.
Il n'y a pas d'autre issue que de mettre un terme à tout.
Il y a une chose bouleversante
que vous exprimez dans votre interprétation du personnage de Marie,
c'est cette douleur physique, ces malaises que l'on ressent devant la
menace de la perte de l'être aimé.
Ces manifestations physiologiques, les femmes les connaissent bien. Il
est rare qu'un homme les ressente ; mais il existe des cinéastes
plus féminins que d'autres, comme Téchiné, comme
l'était Truffaut. Ce sont d'exceptionnels cadeaux pour les actrices.
Selon vous, le metteur en scène
est plus important que le scénario ?
Bien sûr. Quand on m'avance cet argument : "Vous verrez, c'est
un scénario magnifique", cela n'a pas une réelle signification
; ce qu'il faut savoir avant tout, c'est qui va le tourner. Parce qu'entre
Godard, Blier ou Téchiné vous n'aboutissez pas à
la même uvre. Naturellement, je parle d'artistes, pas de fabricants.
Y a-t-il des images de vous
que vous avez du mal à admettre tout en sachant qu'elles sont bénéfiques
au film ?
J'ai été très éprouvée par la vision
de quelques scènes. Si j'avais quinze ans de moins, je me sentirais
moins fragile. On sait qu'il est difficile pour une femme de vieillir.
Combien plus pour une actrice ! Delon avec ses cernes et ses cheveux grisonnants
est aussi intéressant qu'il y a vingt ans ; un homme marqué,
on lui trouve du charme. Une femme, on la trouve pathétique. Vieillir
au cinéma est par ailleurs très cruel à cause des
films anciens que la télévision rediffuse. Le théâtre
est moins féroce. Mais je ne vais tout de même pas aller
au théâtre comme on va à l'hospice, pour faire une
fin.
Il y a des années qu'on
vous harcèle avec cette question : pourquoi refusez-vous de monter
sur scène ?
Ne pas faire du théâtre aujourd'hui, je m'en rends compte,
c'est presque une tare. Les gens qui m'aiment me répètent
que c'est en tout cas un manque. Ce qui me plairait surtout, c'est l'idée
de la troupe, des répétitions...
Danielle Darrieux, que vous
aimez et admirez, et qui est souvent sur les planches, ne parvient pas
à vous transmettre cette envie.
Danielle est une femme que j'adore. Je répète toujours qu'elle
est la seule qui m'empêche d'avoir trop peur de vieillir. Elle n'est
pas une vieille dame. Je la trouve désirable avec sa voix charmeuse,
sa démarche de jeune femme, cette grâce inégalée.
Je garde un souvenir ébloui du film de Téchiné "Le
lieu du crime". Je jouais sa fille, comme dans "Les demoiselles
de Rochefort". Je rêve encore de la retrouver.
Vous appartenez à la
catégorie de ceux qui, comme Gérard Depardieu et quelques
autres, encouragent les nouveaux acteurs et en parlent avec enthousiasme.
Je vais le plus souvent possible au cinéma, au moins deux fois
par semaine. Sauf actuellement, où je suis en tournage avec Raoul
Ruiz. J'aime les acteurs. Et pourtant je considère que se lancer
aujourd'hui dans ce métier est une folie. C'est être abandonné
à son sort six mois de l'année. S'il ne travaille pas, un
acteur n'existe pas. Il vit dans l'angoisse de l'attente. Je reste épatée
par la détermination et la maturité des jeunes qui écrivent
des scénarios, qui luttent pour faire aboutir leurs projets. Entre
l'époque de mes débuts et maintenant, les choses ont infiniment
évolué.
Votre fils Christian et votre
fille Chiara ont choisi eux aussi d'être acteurs.
Croyez que j'ai tout fait pour les en dissuader : surtout mon fils. Ma
fille est comme moi, très cinéphile, et puis l'idée
de jouer lui est venue. Je la trouve intéressante dans le film
de Ruiz qu'elle a tourné avec son père.
Que pense-t-elle de vous dans
"Les voleurs" ?
Elle a été très émue de voir sa maman dans
un tel rôle. La fin du film l'a énormément impressionnée.
Pensez-vous que ce rôle
est un tournant de votre carrière ?
Pas du tout. Je ne veux pas exploiter cette veine.
Quant au tournant, il est trop tard. Je suis dans la dernière ligne
droite, avec peut-être parfois un virage sur l'aile. Mais je ne
raisonne plus en disant : il faut que j'évolue de telle ou telle
façon. Et je ne fais pas un film pour faire un film de plus. Pour
revenir à Téchiné, je me souviens que, dans notre
film précédent, "Ma saison préférée",
Daniel Auteuil, qui incarnait mon frère, disait : "Tu t'agites,
tu t'agites, mais ce qui compte, c'est de donner un sens à sa vie".
Je partage cette réflexion et l'applique au mieux dans la mienne.

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Mes vérités

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Par : Martine Rabaudy
et Jérôme Garcin
Photos :
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Film associé
: Les
voleurs






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