Le sacre d'une actrice
mythique |
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Elle vient d'obtenir un prix d'interprétation à
Vense pour son rôle dans "Place Vendôme", de Nicole
Garcia, qui sort le 7 octobre. On la verra bientôt dans le dernier
film de Leos Carax. Il se dégage d'elle une impression de force,
de détermination. Pas l'ombre d'une lassitude. Elle triture nerveusement
la bande qui entoure sa main gauche : une blessure sans gravité.
Dehors, sur cet aérodrome désolé de la banlieue parisienne,
il pleut. Elle tourne "Belle-maman", sous la direction de Gabriel
Aghion. Elle est belle, aimable, détendue. Elle répond aux
questions sans détour. Franchement, Catherine Deneuve est épatante.
Qu'éprouve-t-on lorsqu'on
reçoit un prix d'interprétation ?
Quelque chose d'assez jubilatoire et d'éphémère.
On est à la fois heureux d'être distingué et en même
temps c'est un peu déstabilisant d'être la seule à
recevoir une récompense... Je dis ça, mais les acteurs sont
toujours tellement portés sur leur personne !
Avez-vous encore quelque chose
à prouver ?
Un prix, cela prouve que par rapport à un personnage, un rôle,
un film, on ne s'est pas trompé, qu'on a tenu sa promesse jusqu'au
bout. Et puis c'est une satisfaction, un plaisir. Je ne sais pas quel
effet ça m'aurait fait il y a quinze ans. En tous les cas, je ne
prends pas ça avec désinvolture. Je ne suis pas blasée.
"Place Vendôme"
se déroule dans le milieu luxueux de la joaillerie. Vous aimez
les bijoux ?
Oui. J'aime les pierres au sens minéral ; j'aime beaucoup les diamants.
C'est tellement fort, à la fois transparent et totalement dur.
Résistant. J'aime les toucher, les voir. J'ai rapporté de
Chine une pierre d'eau, que je conserve depuis dix ans dans une coupe
d'eau que je change très régulièrement. Elle est
supposée grossir. On dirait un petit animal. J'ai aussi une météorite,
un morceau de lave noire de Tenerife. Je les regarde, je les prends dans
mes mains.
Jouer une femme délaissée,
brisée par l'alcool, n 'est-ce pas un pari risqué ?
Jouer ce rôle m'a fait très peur. L'acoolisme et la folie
pour une actrice sont des tentations faciles. Je craignais de tomber dans
les clichés. Je sentais que je ferais quelque chose de juste si
physiquement on sentait ma vulnérabilité. Pas de maquillage.
J'avais confiance en Nicole Garcia. Je savais qu'elle n'utiliserait que
ce qui servait le personnage. Les visages démaquillés sont
toujours plus émouvants.
Un acteur qui boit, c'est fréquent
?
Les acteurs ne peuvent pas se permettre une telle dérive. Ils peuvent
avoir des cuites, une période comme ça, mais ça ne
peut pas durer longtemps, sinon c'est très vite fini pour eux.
Une actrice, ça vieillit
bien ?
Je trouve que je ne suis pas tellement vieille pour mon âge. Et
puis, en me voyant dans la peau d'une femme alcoolique, on pensera peut-être
que j'ai eu du courage, que je suis gonflée. De toute façon,
le temps ne joue pas pour moi. Autant accepter et choisir des rôles
qui me correspondent.
Vous arrive-t-il d'être
jalouse de femmes plus jeunes ?
Ça ne fait pas partie de mon caractère. Je ne suis pas jalouse
des femmes. Très fataliste pour ça. Je ne les vois pas comme
des rivales. La vie est pleine d'appâts et d'intérets, si
une femme est séduisante et qu'un homme tombe sous le charme, eh
bien...
La nostalgie ne vous guette
pas ?
Quand il faut se lever le matin très tôt et faire preuve
d'une certaine vivacité, parfois je me dis que... Mais non. J'essaye
de m'y faire, même si c'est très difficile de se voir changer.
Je crois que c'est pire pour les hommes parce qu'on n'en parle pas. Mais
toutes les femmes qui disent que ça ne les emmerde pas de vieillir
sont des menteuses.
Au fil des rôles, on apprend
à mieux se connaître ?
L'être humain est tellement mystérieux. On ne se connaît
jamais vraiment, tout compte fait. Je sais que je n'en ai pas encore fini
avec moi-même. Et puis il y a des choses auxquelles on n'a pas envie
de faire face. Les acteurs sont tellement habitués à .se
regarder, c'est peut-être un moyen d'échapper à soi-même.
On vit beaucoup trop avec soi-même.
Dans le film, un personnage
- une Libanaise - déclare que dans son pays, une femme qui n'a
pas d'enfant est un monstre. Cela vous choque-t-il ?
C'est une Orientale. Les femmes qui ne veulent pas avoir d'entant, ça
m'attriste toujours un peu. Il y a quelque chose qui a manqué.
C'est tellement enrichissant. N'en déplaise a Simone de Beauvoir,
être mère procure physiquement une émotion particulière.
Et être grand-mère
?
Qu'est ce que ça veut dire d'être grand-mère ? Aujourd'hui,
les femmes travaillent, et moi encore plus. J'aimerais avoir davantage
de temps pour pouvoir faire ce que les grands-mères faisaient autrefois,
mais je n'y parviens pas réellement. En revanche, je trouve absolument
adorable d'avoir un bébé à la maison.
Votre fille, c'est vous en plus
jeune ?
Je suis très proche de ma fille. Mais elle a une personnalité
à part. J'essaye de lire ce qu'elle va devenir, ce vers quoi elle
va aller.
La famille, ça compte
beaucoup pour vous ?
Je suis très proche de ma famille. C'est un noyau assez fort, une
famille très soudée. Pas un clan, car elle reste ouverte.
Puis il y a les amis, pas forcément dans le cinéma.
On vous décrit souvent
comme quelqu'un de froid. Il vous arrive de crier ?
Comme tous les gens qui se contrôlent pas mal, il m'arrive de crier.
Nerveusement. Les enfants ont sûrement des souvenirs de certaines
scènes. Des choses assez violentes dans les mots et dans la gravité.
Oui, je peux être violente.
Vous avez répondu à
beaucoup d'interviews. Avez-vous beaucoup menti ?
Non. J'ai caché des tas de choses, mais je n'ai pas menti. Enfin,
j'ai dû quand même mentir quelquefois, si, mais pas sur des
points importants. Il y a des choses négatives que je n'aime pas
dire sur les gens. Je me suis tue par politesse, mais je n'ai jamais dit
le contraire de ce que je pensais. Et puis avec le temps, on ment de moins
en moins.
Il y a beaucoup d'actrices qui
passent. Comment faites-vous pour durer ?
Je ne connais pas l'alchimie, ni le secret. Il y a trop de paramètres
: ce que l'on est, les choix que l'on a, ceux que l'on fait, la préservation
de sa vie personnelle. Ce n'est pas vraiment un calcul. Faire durer une
carrière ne passe pas uniquement par votre désir, mais aussi
par le désir des autres. Je ne suis pas sure d'avoir envie de savoir
vraiment pourquoi je suis encore là.
II y a beaucoup de choses que
vous n'avez pas envie de savoir ?
Quand on sait qu'on dépend du désir des autres, on n'a pas
envie de s'appesantir et de prendre le risque d'être paralysé.
Il faut essayer de suivre son instinct. C'est un métier où
on a encore la possibilité de l'exercer.
Vous ne détestez pas
faire des choix qui surprennent ?
Il est important de ne pas être fixé dans une case. Il faut
pouvoir continuer à étonner. L'usure est alors peut-être
moins grande. Mais c'est surtout pour satisfaire ma propre curiosité
que je fais certains choix.
Vous vous souvenez de votre
premier film ?
Oui. C'était "Les portes claquent"
En 1960. avec
ma sur. Il y a presque quarante ans, c'est fou !
Vous trouvez naturel d'être
encore sur le devant de la scène ?
Ce qui m'émerveille, c'est de voir que les gens m'aiment. C'est
très réconfortant. Je vois bien qu'ils m'aiment. Ça
ne peut pas laisser indifférent.
Les jeunes notamment ?
Oui, je ne suis pas seulement une actrice des années 70. Peut-être
parce que certains de mes films - "Les demoiselles de Rochefort",
"Peau d'âne" - ressortent régulièrement.
Et aussi parce que vous tournez
avec de jeunes réalisateurs...
Je vis beaucoup avec des gens plus jeunes que moi. C'est très stimulant.
Que ce soient Leos Carax, Xavier Beauvois, Arnaud Desplechin, Philippe
Garrel, Laetitia Masson : leur énergie, leur curiosité,
leur personnalité m'intéressent. Quand je suis avec eux,
je n'ai pas la notion d'âge, je ne me sens pas comme une grande
personne parlant à des enfants. Je ressens une curiosité
pour ce qu'ils font, pour ce qu'ils sont.
Vous séduisez même
les rappeurs ?
J'ai rencontré Stomy Bugsy sur le tournage de "Belle-maman".
Il m'a trouvée plus juvénile qu'il ne s'imaginait. Pour
lui, je n'avais pas d'âge.
Vous êtes belle comme
une image ?
En mouvement. Je crois que je bouge tellement vite que les gens arrivent
à penser que je ne bouge plus du tout. Je suis comme projetée
dans l'espace, étemellement vivante. En fait, je ne suis pas jeune
mais je ne suis pas vieille. Et puis les acteurs vieillissent moins vite
que les autres. C'est un métier où l'on joue. Mais est-ce
le but de rester jeune ? Il serait surtout bien de rester en forme. J'aimerais
mourir en bonne santé, le plus tard possible évidemment.
Vous et votre image, vous vous
entendez bien ?
Je suis sure que parfois mes choix sont influencés par la volonté
de casser mon image. Je ne veux pas être étranglée.
Je me méfie beaucoup de mon image : elle n'est pas ma meilleure
amie.
Vous n'avez jamais eu peur des
lendemains ?
Je ne pense pas beaucoup aux vrais lendemains. Je ne suis pas une femme
très prévoyante, très prudente. Je suis à
la fois anxieuse et insouciante.
Comment tout cela se terminera-t-il
? Sur scène ?
C'est le cauchemar que je fais le plus souvent. Je suis sur scène
- je n'ai jamais été au théâtre - et je ne
connais pas mon texte. Peut-être que cela s'achèvera ainsi.
Mais je n'en suis pas sure.
Au cinéma, vous manque-t-il
encore quelque chose ?
Au cinéma on dépend beaucoup des gens. J'adore le travail
d'équipe et en même temps il existe cette frustration de
savoir que ce n'est pas forcément le meilleur de vous-même
qui va rester. Ce qui me plairait, c'est que chacun puisse donner au même
moment son maximum. J'aimerais aussi qu'on me laisse la possibilité
de poursuivre mes choix librement, continuer à tourner avec Garrel,
Wargnier, Jacquot. Je me sens comme un instrument, j'aime l'idée
d'évoluer dans une petite formation comme dans un grand orchestre.
"Quand je n 'arrive pas
à trouver le sommeil, j'imagine ma vie sans toi : et là
je m'endors". C'est ce que dit l'héroïne de "Place
Vendôme" à l'homme qui l'a fait souffrir. Vous souscrivez
?
Il y en a toujours un qui aime plus que l'autre. II y a des relations
où j'aurais aimé souffrir moins, des chagrins que j'aurais
aimé ne pas avoir.
Vous êtes rancunière
?
Non, mais je n'oublie pas. Très difficile d'oublier. En revanche,
pardonner je peux.
Y a-t-il des choses que vous
n'avez jamais avouées ?
A la presse ? Evidemment.
Un défaut qui vous a
permis de tenir ?
Sûrement. Je ne dirai pas lequel. Certaines personnes le considèrent
comme une qualité.

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