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"Je ne suis pas une femme raisonnable"

Starissime. A la Mostra de Venise, Catherine Deneuve a reçu le prix d'interprétation féminine pour "Place Vendôme", de Nicole Garcia. Un prix de plus dans une carrière jalonnée de récompenses ? Non : jamais elle n'avait autant donné d'elle-même que pour ce film où elle incarne une femme qui décide de faire face, après avoir sombré dans l'alcoolisme. Pour Gala, elle s'est confiée sur sa vie, ses amours, ses enfants, ses blessures. Un entretien vérité à fleur d'âme.

Hôtel Lutétia, un palace parisien de la rive gauche,14 heures. Catherine Deneuve arrive, pressée. La veille, elle a travaillé jusque tard dans la nuit "Belle-maman", la nouvelle comédie de Gabriel Aghion, le réalisateur de "Pédale douce". Tout à l'heure, elle rejoindra le tournage.

Je suis très fatiguée, s'excuse-t-elle. Ce matin, j'avais envie d'enfiler un jean et des baskets, mais comme j'avais promis de venir vous voir, je me suis dit :je vais me mettre en blanc avec un manteau rouge, ça va me donner un coup de fouet !

Telle est la star, telle est la femme : exigeante, lumineuse, souveraine, unique.

Dans "Place Vendôme", vous incarnez avec une vérité troublante Marianne, une femme alcoolique...
L'alcool, la folie sont des états très attirants pour une actrice. La difficulté est de ne pas être caricaturale. J'ai fait très attention à éviter les clichés : la démarche vacillante, les tremblements, etc. J'ai recherché des petits gestes nerveux, un ton de voix un peu cassé. Les gens qui boivent fument énormément et se couchent tard. Marianne est une femme en désintoxication, elle n'est pas perdue, elle retrouve peu à peu son énergie vitale. Avec Nicole Garcia, on tenait à une forme de dignité dans sa détresse. Marianne, c'est "l'alcoolisme mondain". Dans ce milieu, on ne roule pas sous la table. On commence à boire à l'heure du loup. et la nuit est longue. L'alcool est là pour calmer l'angoisse et parer à ses démons.

Faut-il avoir sombré soi-même pour atteindre une telle vérité ?
A mon âge, il serait difficile de ne jamais avoir été dans une situation "alcoolisée", sauf pour ceux qui n'ont toujours bu que de l'eau ! L'alcool, on en connaît les états, le mal que ça fait, éventuellement la violence que ça déclenche. Ce n'est pas quelque chose qui m'était étranger. Il m'est arrivé d'avoir besoin, dans d'autres films, de boire un verre pour combattre la fatigue ou le froid lors de scènes violentes tournées la nuit, pour me désinhiber. Là, au contraire, il fallait être d'une lucidité totale. J'ai repensé à des gens que j'ai connus, des hommes, mais aussi des femmes, qui ont eu une relation passionnelle avec l'alcool. C'est très pervers, l'alcool, on sait qu'on se fait du mal, et on sait que ça fait du bien...

Vous avez bien connu des hommes, des partenaires qui ont trinqué avec certains démons : Dewaere, Gainsbourg...
Et d'autres... Très jeune j'ai vécu avec des gens plus âgés qui étaient vraiment très alcoolisés. J'en ai connu, des écrivains, des auteurs. .. Il y a des gens qui toute leur vie savent très bien boire... ils sont toujours là. Vous les retrouvez au Flore, un peu maigris, mais toujours d'attaque. Ont-ils maîtrisé leurs démons ? L'alcool, c'est quand même une façon de se protéger, de gommer les angles, d'amortir les chocs.

De noyer une souffrance...
La souffrance est toujours enrichissante. Malheureusement. C'est dans les moments éprouvants que l'on est le plus proche de soi, et que l'on s'interroge vraiment sur sa vie. Dans les moments heureux, on est comme sous amphétamines, on plane, on est en pleine euphorie, loin d'une certaine réalité. On a tous ses démons, spécialement dans nos professions qui sont un peu narcissiques. On a tendance à vivre intensément avec nos émotions, notre sensibilité, on travaille avec ou contre... C'est une relation très ambiguë.

A propos de ce film, on entend dire : "Deneuve casse son image"...
Mais je ne casse pas mon image ! Dans la vie, j'aime me présenter de façon assez impeccable. Des gens s'en tiennent à cela, il y a peut-être un refus de leur part à voir que je peux aussi être une femme cassée. Pourtant, le public aime aussi me voir "défaite"... On a toujours envie de détruire un peu celui qu'on aime. C'est une façon de se l'approprier. Quand quelqu'un est démuni, on a envie de le prendre dans ses bras, de l'aimer davantage.

Nicole Garcia a dit : "Je voulais faire le portrait d'une femme qui a une double image, icône féminine idéale et, accolée à elle, une femme face à son chaos". De Catherine Deneuve, on admire l'icône, on sait peu du chaos...
Et si on ne sait pas grand-chose depuis tant d'années, c'est que je n'ai pas eu franchement envie d'en parler... sinon...

Vous avez une grande exigence envers vous-même. Vous pliez, mais ne rompez jamais.
C'est plutôt rompre en cachette... Je ne crois pas que les gens aimeraient me voir totalement brisée... Les gens brisés nous renvoient à notre propre souffrance, c'est trop dur. Les gens aiment bien l'idée que vous êtes au bord de vous briser, mais il faut s'arrêter juste avant le précipice.

Il vous est arrivé d'être au bord de la fenêtre ?
Pas au bord de la fenêtre, mais... au bord du précipice... oui bien sûr... Le désespoir, sûrement... oui. Heureusement, j'ai la chance d'avoir eu des enfants très jeune.

Comment se sort-on de ces moments où l'on croit vraiment que l'on va mourir de douleur, à la perte d'un homme par exemple...
Comment on fait ? Ça dépend de votre entourage. C'est une souffrance absolue, une grande épreuve que l'on ne souhaite pas revivre.

Que reste-t-il de vos premières amours ?
"Que reste-t-il de mes amours..." (Catherine fredonne l'air de Trenet.) De mes premiers amours, il reste des sensations très mitigées... très passionnelles... mais aussi très douloureuses. Il n'y a pas eu mort d'homme, dans la mesure où il n'y a pas eu trahison, comme pour Marianne. On peut être trompée, souffrir vraiment, sans être trahie.

Est-ce que la femme d'aujourd'hui pense que la jeune fille a su aimer à l'époque ?
Quand on est jeune, on aime ! Je ne sais pas si on sait aimer. Avec le temps, on peut se sentir tout aussi amoureux, mais on n'aime plus jamais de la même façon. Les plus grands chagrins d'amour, les suicides, c'est à vingt ans. Mes plus grands chagrins... oui, j'étais assez jeune. Sans l'expérience, les drames prennent des proportions apocalyptiques, on est tellement absolu à vingt ans !

Vous aviez de vraies raisons pour ces chagrins ?
Les chagrins d'amour, oui, j'appelle ça de vraies raisons. Si à vingt ans on ne trouve pas que l'amour est vraiment la chose la plus importante de votre vie, alors vraiment ce n'est pas la peine ! L'amour est "la" grande histoire des femmes, beaucoup plus que pour les hommes. Comment peuvent-ils préférer d'autres choses - ce n'est même pas d'autres femmes -, préférer leur réussite professionnelle à leur vie affective ? C'est ça, le vrai divorce entre les hommes et les femmes. Il y a peu d'hommes qui sont de grands amoureux. J'en ai connu, j'en croise parfois, j'en vois, je les admire beaucoup, mais c'est rare.

Les médias n'ont jamais cherché à vous piéger, à vous détruire. On vous aime, on vous respecte.
Je ne sais pas... C'est une espèce d'accord tacite passé depuis si longtemps, ce serait indécent... Je ne suis pas "froide", je suis très réservée, alors... ils n'osent pas trop.

La violation de l'intimité est en pleine actualité.
Avec l'affaire Clinton, on est dans une parodie, c'est de la folie ! On dirait un remake de Docteur Folamour ! Un film de Kubrick, dont le titre serait "Comment mettre en danger un Président". C'est aberrant, on raconte sur Internet les détails des escapades de l'homme le plus puissant du monde ! Mais c'est sa vie personnelle. Où est la déontologie de la presse ? A trop vouloir savoir, maintenant les gens sont écœurés ! La nature humaine est ainsi faite, on est fasciné par le sexe, attiré et dégoûté à la fois.

Serait-ce la fin de la liberté sexuelle des années soixante-dix ?
Dans l'intimité, rien ne me choque, du moment que la personne est consentante et qu'on ne met pas en danger la vie de quelqu'un. Que les gens se soignent comme ils peuvent ! Une personne à la sexualité débridée est moins dangereuse qu'un violeur de petits garçons ou un type qui touche les petites filles dans le métro.

Et le Viagra comme remède miracle ?
J'ai bien peur que ce soit d'abord les gens qui recherchent des performances sexuelles qui en profitent plus que les impuissants !

Revenons à l'amour.
Oui, après la sexualité parlons d'amour !

"Place Vendôme", c'est aussi une superbe histoire d'amour et de trahison.
Marianne a été plus marquée par la trahison de l'homme qu'elle a aimé que par son amour. L'amour, la sexualité et l'argent font apparaître les ressources incroyables de cruauté et d'égoïsme de l'être humain. Dans l'histoire de Marianne, les trois sont réunis. L'homme qui vous a fait du mal est peut-être encore plus fascinant que celui qui vous a fait du bien. La trahison est la pire des blessures, en amitié comme en amour. Dans une trahison, il y a le mal que l'autre vous fait, auquel s'ajoute la destruction de l'image que vous vous étiez faite de lui, tout s'effondre. C'est la déception extrême.

Vous étiez inquiète à l'idée que vos enfants, Christian et Chiara, deviennent comédiens.
Les parents voudraient toujours éviter à leurs enfants de souffrir. Je connais les pièges, les souffrances de ce métier, même si je sais que l'expérience de Chiara au cinéma ou celle de mon fils, qui joue en ce moment au théâtre n'ont rien à voir avec mon expérience. J'ai beaucoup vécu avec mes enfants, ils m'ont souvent accompagnée sur les tournages. Se consacrer uniquement à eux n'est pas sain non plus. Les parents doivent accompagner les enfants, et les enfants doivent accompagner leurs parents. On en veut toujours à ses parents, ils en font trop ou pas assez... On doit se débrouiller avec ça. Ensuite, on essaie de faire mieux avec ses propres enfants. De toute façon, on n'est jamais de bons parents.

La femme n'a rien sacrifié à l'actrice ?
Pas grand-chose. J'ai essayé de faire cohabiter ma vie personnelle, les enfants, le travail. Ça a grincé par moments. J'ai fait des choix personnels, égoïstes sûrement. J'ai souffert de partir parfois... mais je n'ai pas non plus renoncé. Non, je ne me suis pas sacrifiée. L'idée de sacrifice m'est étrangère, je suis amorale, surtout quand on parle de certaines règles de la société. Ça m'est égal d'être jugée et critiquée.

Vous avez eu deux enfants "hors mariage" : sous votre apparence policée se cache une indomptable.
Je m'arrange pour ne pas choquer, mais je vis ma vie. Très jeune, j'étais rebelle à l'idée d'être dans un moule. J'ai toujours été très individualiste. Très tôt, il a fallu que je trouve ma place dans le groupe. Je viens d'une famille nombreuse, c'est une sorte de synthèse de la société.

II y a une splendide adéquation entre votre visage et votre héritage. Vous êtes à ce moment crucial de la vie où soit on déteste son parcours, soit on porte, comme vous, la beauté de sa vérité, la fierté de ses joies et de ses blessures, de ses réussites et de ses échecs.
Je ne suis pas sure d'être fière... J'ai des remords, mais je n'ai pas trop de regrets. Et puis je suis assez fataliste ! Je me suis suffisamment interrogée pour savoir que les choses qui m'ont le plus coûté sont celles qui ont compté et qui m'ont faite. Ma curiosité naturelle et un appétit féroce de la vie m'ont permis de savoir que j'avais envie de continuer, et vers quoi je voulais aller. Je n'ai aucune amertume. J'ai eu dans l'ensemble une vie protégée, trop peut-être...

Avec tendresse, ou avec perfidie, la presse vous questionne inévitablement sur la beauté, l'âge ,le vieillissement... Comme si on voulait se rassurer soi-même à travers vos réponses !
A travers toutes les questions, il y a toujours l'envie de savoir des choses, et en même temps de se rassurer ou de se conforter dans l'idée positive ou négative que l'on se fait de quelqu'un. L'âge me pose des problèmes, évidemment... Enfin, ça me complique la vie. Si je dois faire une séance de photos, il faut que je sois reposée. Il n'y a plus cette insouciance que j'ai toujours eue, se coucher à 3 heures du matin et se lever à 7 heures.

Les désirs changent avec le temps... Est-ce qu'on a toujours envie de se coucher à 3 heures du matin ?
Malheureusement, oui ! Je ne suis pas une femme raisonnable. Je ne serai jamais une femme raisonnable. Je n'arrive pas à résister vraiment à mes désirs, ou alors il faut vraiment que je sois physiquement cassée de fatigue. Au moment où je vis les choses, je m'en fous... Je n'ai pas de limites. Je ne suis pas là à toujours prendre mon pouls. Paris est une ville tellement appétissante, c'est difficile de renoncer à un dîner avec des amis dans un resto à 11 heures du soir, à un film qui ne va ne plus être à l'affiche, à une exposition, à une fête...

Quel est le mot de la langue française qui a votre préférence ?
Harmonie. Trouver l'harmonie, c'est vraiment une recherche en profondeur : savoir qui on est, avec qui on a envie de vivre, être en accord avec la vie. Mais pour goûter l'harmonie, encore faut-il avoir connu le chaos !

"Je ne suis pas raisonnable"


Par : Jean-Yves Gaillac
et Tiffy Morgue
Photos : André Rau


Film associé : Place Vendôme

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

 

 

 

 

 

 



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