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Présente à Cannes avec deux films en compétition
- "Pola X" et "Le temps retrouvé", Catherine
Deneuve affiche, plus que jamais, la liberté et l'éclectisme
de ses choix.
"Place Vendôme",
"Belle-maman", "Le vent de la nuit", "Pola X",
"Le temps retrouvé" : cinq films à l'affiche en
quelques mois et vous enchaînez avec le tournage du Lars von Trier.
Êtes-vous devenue boulimique ou est-ce un hasard de calendrier ?
C'est un hasard de calendrier, à la fois de tournage et de distribution.
"Place Vendôme" est sorti presque six mois plus tard que
prévu ; "Belle-maman" a été tourné
un mois plus tard et il est sorti en même temps que le film de Garrel,
"Le vent de la nuit". La sortie du Carax a été
repoussée de six mois à cause de Cannes. Ce télescopage
est donc le fruit d'un enchaînement de hasards. En outre, parmi
ces films, il y en a un certain nombre où je ne tiens qu'un second
rôle. C'est ce qui explique aussi le nombre. À la limite,
c'est un peu trop...
Justement, le rapprochement
du calendrier met en valeur la diversité de vos choix. Enchaîner
Aghion et Carax n'est pas banal...
Oui, mais ce n'est pas nouveau : après "Les parapluies de
Cherbourg", j'ai enchaîné avec "Répulsion".
Ça, c'était un choix, pas le fruit du hasard. Un choix qui
ne fait que refléter mon goût pour la diversité qui
est aussi mon goût de spectatrice : je vais voir des films très
différents. Mes envies d'actrice rejoignent un peu ça aussi
: j'ai envie de choses différentes.
Vous vous adaptez à la
personnalité de chaque cinéaste facilement, ou il vous faut
du temps pour prendre vos marques ?
Les réalisateurs ne sont pas des gens que vous choisissez pour
la vie, ce sont des rencontres de tournage. Parfois, de vraies rencontres
se font. Mais je ne cherche pas à transformer systématiquement
des histoires de tournages en histoires d'amitié.
Est-ce que vous avez tout de
même fait des rencontres d'amitié cette année ?
Gabriel Aghion est quelqu'un que j'ai revu plusieurs fois, quelqu'un de
très gai. Nicole Garcia, je la vois très rarement ; mais
quand nous nous voyons, j'ai l'impression d'avoir un autre rapport avec
elle. Une certaine intimité s'est installée entre nous.
C'est vrai que cet événement des César nous a soudées.
Curieusement, nous avons passé une très bonne soirée.
Ces choix prouvent que vous
n'appartenez à aucune chapelle ?
Je n'ai pas le sentiment qu'il y a des chapelles dans le cinéma
français, en tous les cas moins qu'aux États-Unis, où
quand vous avez un certain statut, vous n'avez pas le droit de faire certaines
choses. Quand j'ai présenté "Les voleurs" là-bas,
beaucoup de journalistes m'ont dit qu'une actrice américaine de
ma notoriété ne pourrait pas jouer-un rôle de lesbienne.
Je trouve les comédiens américains assez conventionnels
dans leur fonctionnement ; ce n'est sans doute pas de leur fait, mais
de celui du système. En France, on est plus ouvert. Maigre tout,
il y a toujours un préjugé contre la comédie, considérée
comme un genre mineur. Moi, je considère Aghion comme un auteur
à part entière.
Et Philippe Garrel ?
J'ai eu énormément de plaisir à tourner avec Garrel.
C'est vrai que c'est une rencontre. Une rencontre de quartier d'abord
: nous habitons dans la même rue. Nous nous sommes croisés
plusieurs fois. Tous les deux, nous sommes timides, mais nous avons fini
par nous parler. Et puis de se parler, nous avons envisagé de travailler
ensemble. Il m'a fait lire son scénario et j'ai décidé
de tourner avec lui. C'était vraiment agréable. C'est un
auteur au sens le plus noble du terme, c'est-à-dire qu'il est là,
il n'y a pas de scripte sur le film, c'est lui qui prend sa craie et qui
marque la place des acteurs. Il ne peut pas faire la mise en place s'il
n'y a pas les acteurs, ce qui me va tout à fait. Il est parti sur
une idée que j'étais prête à expérimenter
avec lui : ne faire qu'une prise. On répétait et on ne tournait
qu'une fois. On ne recommençait que s'il y avait un pépin
technique. Nous avons tourné comme ça, et c'était
assez intéressant et assez étrange.
Vous êtes une comédienne
de la première prise ?
Oui... ou de la deuxième. Sauf avec André Téchiné
qui fait beaucoup de prises, notamment quand il y a beaucoup de texte,
de déplacements et qu'il faut retrouver une espèce de vie
au milieu de la scène. Donc, ça dépend des cinéastes,
mais, a priori, je suis plutôt une actrice des premières
prises.
Est-ce que Léos Carax
a été aussi une rencontre ?
C'est un metteur en scène qui a besoin de temps, mais c'est vraiment
un cinéaste. Il est dans son film et sa démarche est de
rechercher. Avec moi, ça s'est bien passé, mais je n'ai
tourné que quatre semaines pour le début du film, la partie
la plus idyllique qui se déroule en Normandie, dans un château.
Léos Carax est quelqu'un d'assez timide, il parle peu aux gens
sur le tournage. Mais c'est sa personnalité. Je ne pense pas que
ce soit un jeu, je pense qu'il est comme ça. Il ne parle pas beaucoup,
mais, en revanche, il écrit, il envoie des fax... C'est quelqu'un
de très sophistiqué, d'étrange. Quelqu'un qui a un
univers, mais qui est mal à l'aise avec les gens.
Mais comment vous a-t-il communiqué
ce qu'il attendait de vous ?
Je ne crois pas qu'il attendait grand-chose de moi. Je n'ai pas un grand
rôle dans le film. Il m'avait choisie pour ma ressemblance avec
Guillaume Depardieu qui est le personnage principal et dont je suis la
mère. Ça, je l'ai su assez vite, il ne m'a pas raconté
d'histoire. C'est un personnage que je ne sentais pas trop, une femme
assez autoritaire avec des rapports à la limite incestueux, sans
l'être... très loin de moi. Mais c'était une chose
très courte, ça ne m'a pas posé de problèmes.
J'avais quand même envie de tourner avec lui. Mais je ne peux pas
dire que j'ai connu quelqu'un. Nous ne nous sommes pratiquement pas vus
en dehors du tournage.
L'envie de la rencontre est-elle
une motivation forte dans vos choix ou préférez-vous approfondir
une rencontre comme vous le faites avec André Téchiné,
par exemple ?
Tourner avec André Téchiné, ça va devenir
une angoisse. Car comment surprendre quelqu'un qui vous connaît,
qui vous estime et avec qui vous avez fait tant de films ? Pour revenir
à Carax, ce n'est pas tant que je cherchais à le connaître,
mais il y a eu cette proposition. Nous nous sommes rencontrés,
le projet était difficile à monter. J'ai accepté
de tourner la bande-annonce présentée à Cannes l'an
dernier, alors que je n'avais pas signé le contrat et que je n'étais
pas sure de faire le film pour des problèmes de calendrier. La
bande-annonce a permis de financer les effets spéciaux. Je me suis
dit : "Au moins, je serai dans la bande-annonce". Le film a
été reporté et j'ai pu le faire.
Et puis, il y a eu Raoul Ruiz...
Là, c'est une aventure de groupe, c'est autant pour Raoul Ruiz
que pour Paulo Branco que j'ai fait ce film qui a été très
difficile à monter. Je suis très peu présente dans
le film, encore moins que dans le Carax. C'est d'abord un film sur les
hommes, sur l'homosexualité, sur la mort. C'est un film assez mélancolique,
très beau mais très mélancolique. Mais là,
j'ai accepté plus pour participer à cette aventure qu'est
l'adaptation de Proust à l'écran.
Vous ne vous êtes jamais
investie dans la production ?
Si, ça m'est arrivé de coproduire : "Zig-Zig",
par exemple. Mais je l'ai fait surtout sous forme de participation pour
des films difficiles qui n'arrivaient pas à se monter. Il faut
savoir qu'à l'arrivée, ces participations ne rapportent
pas grand-chose financièrement.
Avez-vous déjà
acquis des droits et essayé d'être à l'initiative
d'une production ?
Je l'ai envisagé mais je n'ai jamais réussi. J'avais acquis
les droits de "La chambre du haut", un roman américain
de série noire. Deux metteurs en scène s'y étaient
intéressés : Melville, puis Pialat. Mais le projet n'a pas
abouti ni avec l'un ni avec l'autre. C 'est difficile de proposer un sujet
à de tels metteurs en scène. Car ils sont aussi des auteurs
et ont du mal à rentrer dans l'univers d'un autre.
Vous déplorez que les
réalisateurs veuillent absolument être des auteurs ?
Ce que je déplore, c'est qu'en France, il n'y a pas assez de collaboration
au niveau de l'écriture du scénario. En Italie, plusieurs
scénaristes peuvent travailler ensemble sur le même script.
Ça se faisait aussi autrefois, en France. Quand on voit le générique
de "La vie de château", nombre de cinéastes étaient
à l'écriture en tant que scénaristes. Maintenant,
quand les scénaristes ont deux ou trois succès, on leur
propose de passer à la réalisation. Je trouve bien que Bonitzer
devienne réalisateur mais j'aimerais aussi qu'il reste scénariste
pour les cinéastes.
Vous constatez une baisse de
qualité dans les scénarios que vous recevez ?
Non, j'ai toujours trouvé qu'il y avait un manque d'aboutissement,
en général, dans les scénarios. On a tendance à
vous envoyer un scénario en disant : "De toute façon,
ce n'est pas définitif, on va le retravailler". Et on ne le
retravaille pas toujours. Peut-être, aussi, n'y a t-il pas assez
d'aides à l'écriture. Il n'y a pas beaucoup d'auteurs qui
peuvent se permettre de travailler pendant six, sept, voire huit mois,
sans être rémunérés. Mais je regrette que le
sentiment d'auteur soit aussi fort en France. Je trouve que les producteurs
devraient être davantage partie prenante. Ils devraient tenir un
rôle plus important. Aujourd'hui, ce sont les télévisions
qui financent les films et certains producteurs s'en contentent. Or, ils
devraient être de vrais partenaires pour les cinéastes. Ils
devraient pouvoir critiquer, demander des changements sans que leurs remarques
soient prises comme un crime de lèse-majesté par l'auteur.
Tous les cinéastes ne peuvent pas fonctionner seuls. Souvent, on
aime un film mais on se demande pourquoi il est si long, pourquoi on n'a
pas été plus exigeant sur la fin du scénario.
Vous surveillez les entrées
de vos films ?
Je demande, comme ça, quand même. C'est une information importante
aujourd'hui dans la mesure où il n'y a plus de critiques capables
d'attirer les gens dans les salles.
Si vous faites un gros succès
populaire, c'est quelque chose qui vous touche ?
Oui, ça me fait plaisir, je ne suis pas indifférente. Si
j'aime le film et qu'il ne marche pas, je suis triste. Mais comme le film
existe et qu'il me plaît... Le pire serait que je n'aime pas le
film, et qu'en plus, il ne marche pas. Mais je sais que, parfois, mes
choix ne reflètent pas les goûts du plus grand nombre.
Est-ce une question que vous
vous posez quand vous lisez un scénario : "À qui ça
va plaire ?"
Non, pas vraiment. Mais parfois, je me dis : "C'est intéressant,
mais qui a envie d'aller voir ça ?" Ou bien : "Ce n'est
pas assez attirant, on ne va pas au cinéma pour voir ça,
et le public attendra de le voir à la télévision".
Il y a ce phénomène-là aujourd'hui. Pour qu'un film
soit vraiment cinématographique, il faut qu'il ait des choses en
plus, car, maintenant, les films passent sur les chaînes un an plus
tard. Et il y a une telle concurrence dans les salles.
Vous avez toujours refusé
de tourner pour la télévision. C'est définitif ?
Quand je vois un film à la télévision, je vois tout
de suite si c'est un film de télévision ou un film de cinéma.
Non pas par le casting mais plus par la lumière, le son, le cadre.
Il est clair qu'on n'y dispose pas des mêmes conditions de tournage
qu'au cinéma, et ça se voit. C'est la raison essentielle
pour laquelle j'ai toujours des réticences vis-à-vis de
la télévision. Le fait que l'on ne peut pas s'installer
dans quelque chose, que le seul objectif est de tourner et de faire un
maximum de minutes utiles par jour me gêne. Ou alors, il ne faut
pas tourner dans des grosses productions mais dans des uvres expérimentales.
Malgré tout, c'est une expérience qui m'attire. Je pense
que je tournerai pour la télévision quand je trouverai un
sujet qui m'intéresse et qui ne peut pas être tourné
pour le grand écran. En fait, je voudrais faire quelque chose à
la télévision qui soit de la télévision et
pas une grande fresque du type super film.
Une entreprise comme "Le
Comte de Monte-Cristo" ne vous attire pas ?
Non. Je n'ai pas vu "Le Comte de Monte-Cristo". Je ne peux donc
pas juger, mais a priori, ça ne m'attire pas, car cela ne me semble
pas une entreprise originale par rapport à la télévision.
En fait, je réagis face à la télévision comme
je le fais avec le théâtre ; si un jour je dois jouer au
théâtre, je veux que ce soit vraiment du théâtre
et non pas un rôle contemporain avec une écriture proche
du cinéma. Cela dit, il y a plus de chances que j'aille à
la télévision qu'au théâtre !
Vous avez tourné avec
Buñuel, Truffaut, Demy. Pensez-vous que le cinéma vous réserve
encore des rencontres comme celles-là ?
Malheureusement pas. Ou alors pour des seconds rôles. Et c'est normal.
Car les jeunes cinéastes racontent des histoires de jeunes. Je
suis confrontée au problème du vieillissement. C'est difficile
de vieillir dans la vie. Alors, pour une comédienne qui vit de
son image...
Vous avez deux films en Sélection
officielle. Jeanne Moreau dit qu'elle a la chair de poule quand elle entend
le générique du festival. Partagez-vous cette émotion
?
Franchement, Cannes n'est pas mon endroit préféré.
Moi, ce qui me donne de l'émotion c'est d'entendre, par exemple,
rugir le lion de la MGM avant le générique d'un film. Je
trouve que Cannes est très dur avec les films français qui
y sont malmenés, plus que les films étrangers. On est surexposé
pendant quelques heures et abandonné, ensuite. Je trouve ça
très dur.
Et votre expérience de
présidente du Jury ?
J'étais réservée sur cette idée. Et maintenant,
je suis sure que ce n'est pas la place des acteurs. Le choix est difficile,
et souvent, tout se joue dans un mouchoir de poche. Pourquoi celui-ci
plutôt que celui-là ? Or, c'est une vraie responsabilité.
Sur Tarantino, ça n'a pas été difficile, il a fait
l'unanimité. Mais, j'ai eu beaucoup de mal à défendre
Nanni Moretti. Je crois qu'il faudrait assurer un équilibre, dans
le jury, entre Anglo-Saxons, Latins et Européens. Car les Anglo-Saxons
ne comprennent pas notre cinéma.
Donc, on ne vous reverra pas
membre ou présidente d'un jury ?
A priori non. Sauf si c'est dans un pays que je ne connais pas, que j'ai
envie de connaître et qu'il n'y a pas d'enjeux commerciaux de la
taille de ceux de Cannes.

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