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"Les acteurs devraient faire les films puis disparaître"

[…]

La dernière star du cinéma français ne comprend pas la persistance de son image de bourgeoise glamour : de Demy à Truffaut, de Polanski à Buñuel, de Saint Laurent à Oliveira, de Paribas à Téchiné, Catherine Deneuve n'en a toujours fait qu'à sa tête et dans toutes les directions.

"Les voleurs" est votre quatrième film avec André Téchiné. Votre complicité s'est-elle nouée dès "Hôtel des Amériques" ?
C'est difficile de savoir exactement comment les choses se nouent. Une rencontre, ce n'est pas forcément un coup de foudre immédiat. On apprend à se connaître, on s'apprécie... tout ça se fait au fur et à mesure, et pas seulement pendant les tournages de films. Téchiné est quelqu'un que je vois beaucoup dans la vie, avec qui j'ai noué une relation de plus en plus personnelle. Ça fait quinze ans qu'on se voit beaucoup et, finalement, on n'a fait que quatre films, pas tant que ça. C'est une relation personnelle autant qu'artistique, presque idéale.

Est-elle comparable à celle que vous entreteniez avec Jacques Demy ?
C'est très différent. Quand j'ai connu Demy, j'étais extrêmement jeune ; je n'avais pas de projets particuliers, pas d'idées quant à la suite des événements. Et puis Jacques m'a tellement portée, m'a tellement insufflé sa passion avec une énergie, une grande force romanesques... Ce qui fait que nous avions un autre type de relation. Quand j'ai rencontré André, j'existais déjà comme actrice. Quand j'ai rencontré Jacques Demy, je n'existais absolument pas. Mais c'est vrai que Demy est quelqu'un que je voyais aussi beaucoup dans la vie, avec qui j'ai eu une relation assez forte.

Regrettez-vous de ne pas avoir fait "Une Chambre en ville" avec lui ?
Ce n'est pas un regret mais quelque chose de douloureux, un malentendu douloureux. Quand il nous a parlé du projet, à Gérard Depardieu et à moi, on était emballés. Mais, très vite, s'est posé le problème de nos voix. Elles étaient très connues c'était quinze ans après "Les parapluies de Cherbourg" et il nous semblait difficile ne pas chanter nous-mêmes : les gens ne l'auraient pas accepté. Avec Michel Colombier, le compositeur, il fallait adapter la partition à nos voix. On a donc commencé à travailler le chant mais Jacques n'a rien fait pour que ce soit probant et a décidé trop vite, sans qu'on ait assez travaillé, que l'essai n'était pas concluant. Je dois dire que ça m'a braquée. En plus, j'étais sincèrement convaincue que des acteurs connus privés de leur voix, ce n'était pas acceptable et là, c'est Jacques qui s'est braqué. C'est très, très triste parce qu'on est restés brouillés assez longtemps. Nos rapports étaient suffisamment forts pour que Jacques ne supporte pas ce qu'il considérait comme une trahison. Heureusement, on s'est réconciliés... Il y a des choses magnifiques dans "Une Chambre en ville" : je me souviens encore de l'air principal du film, il était très beau.

Par rapport à Demy, Téchiné a eu la possibilité de jouer avec votre image.
Exactement. Et puis avec Jacques, j'ai fait des films tellement particuliers, des comédies musicales un type de travail très différent pour une actrice. L'univers de Demy était très personnel, complètement féérique. André, même s'il fait des films romanesques et lyriques, est beaucoup plus réaliste, ses personnages sont plus proches de la vie.

Aviez-vous vu ses films avant de tourner dans "Hôtel des Amériques" ?
C'était un cinéaste qui m'intéressait beaucoup. Il était déjà connu... même par moi ! Je suis assez cinéphile, je vais beaucoup au cinéma.

Avec des cinéastes comme Téchiné, vous sentez-vous en totale confiance, prête à aller plus loin qu'avec d'autres ?
Cette confiance est basée sur des choses qu'on a faites, ce n'est pas une confiance aveugle, abstraite. Généralement, je préfère travailler dans la confiance, je n'aime pas les rapports conflictuels. Avec André, je suis sure qu'il ne me demandera pas de faire des choses qui seraient mauvaises pour moi. Je sais qu'il a suffisamment de recul par rapport à son travail pour refaire ou défaire les choses s'il se trompe. On peut tenter des choses à fond, parce qu'il n'insistera pas si ça ne fonctionne pas : André ne se contenterait pas de choses à moitié réussies. Quand je dis "réussies", je parle d'une satisfaction intime, intérieure pendant le travail, le sentiment d'être allé dans une direction voulue ; je ne parle pas du résultat final qui n'appartient... à personne. Cette satisfaction personnelle résulte de l'harmonie, de la compréhension, de la justesse de l'échange entre un réalisateur et des acteurs.

D'un film à l'autre, avez-vous l'impression que Téchiné décline avec vous le même personnage ou bien qu'il vous emmène dans des zones différentes ?
Je crois que c'est un cinéaste fidèle à un thème et que je représente quelque chose à l'intérieur de ce thème. Même s'il écrit des histoires différentes, on retrouve toujours des personnages récurrents dans son cinéma. Il y a une évolution. On a exactement le même âge, on continue donc ensemble.

Dans "Les voleurs", vous êtes moins apprêtée que d'habitude...
Oui, c'est difficile.

Dans une scène, votre personnage dit "Ne vous fiez pas aux apparences, j'aime aussi déconner". Est-ce aussi un jeu conscient avec votre image ?
Absolument : André sait parfaitement ce qu'il faut casser par rapport à l'idée que les gens peuvent avoir de moi. Surtout au début du film... C'est là qu'il faut casser les idées reçues et prendre le temps d'installer un nouveau personnage. Et André me connaît suffisamment pour me faire dire des choses qui passeront bien dans ma bouche... Un cinéaste qui écrit pour des acteurs est forcément quelqu'un qui a déjà une bonne relation avec eux ; il a besoin de penser à des visages, à des caractères.

Ça vous intéressait de jouer démaquillée, une flasque de whisky à la main ?
Je lui faisais confiance... La bouteille de whisky, franchement, ça ne me gêne pas du tout. J'ai du mal à comprendre comment, après toutes ces années, les gens ont de moi une image figée... En vérité, j'ai l'impression qu'ils ne s'intéressent pas assez à mon travail, ne regardent pas en détail ce que j'ai fait. Quand je repense à mes films, je crois qu'il y a une image physique de moi qui ressort et qui est plus forte que tout : plus forte que "Belle de jour", plus forte que "Répulsion", plus forte que "Tristana"... Mince, ce sont quand même des films avec des personnages assez décalés, assez tordus ! Mais on oublie ces rôles et on ne retient que la blonde glacée. Je crois aussi que ce qui reste dans l'inconscient collectif n'est pas mon image dans les films, mais plutôt mon image-papier : les interviews, les couvertures de magazines, l'actrice qui parle de ses films. Finalement, les acteurs devraient faire les films, puis disparaître. Mon image est certainement plus sophistiquée que moi.

Depuis quelques années, votre image n'est justement pas figée. Vous avez fait des films d'auteurs "risqués" (Mocky, Dupeyron, de Oliveira, Ruiz...), des publicités pour Saint-Laurent ou Paribas, vous avez servi de modèle pour Marianne.
Ça peut paraître contradictoire, mais ça me ressemble assez. C'est assez atypique. J'aime bien avoir ce côté populaire et être en même temps attirée par des choses plus marginales. Ça correspond assez à ce que je suis vraiment. Il ne s'agit pas du tout de tactique, de gestion d'image ou de carrière. Ce que je fais correspond toujours à des envies, à des intuitions.

Mais quand vous vous enlaidissez pour le film de Mocky ("Agent trouble"), ne souhaitez-vous pas casser votre image Saint-Laurent ?
Mais je ne trouve pas que je me sois enlaidie ! Vous savez, l'image Saint Laurent, très sophistiquée comme ça, ne correspond pas tellement au cinéma d'aujourd'hui. Et je trouve que cette image, je ne l'ai plus au cinéma depuis longtemps. Les magazines vous disent toujours qu'ils veulent parler des films et puis finalement ils vous demandent des photos, des séances en studio, des choses très sophistiquées... Les acteurs sont pris en tenaille, surtout les actrices d'ailleurs. Souvent, les photos du film seraient beaucoup plus intéressantes à mettre en couverture, mais les rédacteurs en chef ne veulent pas les passer, ils pensent que ce n'est pas assez attractif pour le public... Les journaux veulent bien parler des choses et, en même temps, ils ont cette exigence de couverture "vendeuse". Acteurs et actrices sont prisonniers de cela. Moi peut-être un peu moins que les autres, parce que je refuse beaucoup de propositions... Je ne veux pas être prise dans des choses contradictoires, il faut que je fasse attention, particulièrement dans le cas des "Voleurs" : le personnage de Marie est tellement décalé que je ne peux pas apparaître n'importe où, n'importe comment... De toute façon, je sais à l'avance que ce qu'on lira dans la presse sera en décalage complet avec ce qu'il y a dans le film. C'est difficile, il faut jouer avec tout ça, en tenir compte et en même temps ne pas tout refuser...

Et quand "Elle" fait une couverture sur votre nouvelle coiffure.
On avait fait une photo comme ça, je ne savais absolument pas que ce serait une couverture. C'était en dehors de la promo d'un film. Généralement, j'évite de faire des choses avec les médias en dehors des films parce que je trouve qu'on voit déjà assez les acteurs comme ça... Ou alors il faut que ce soit vraiment quelque chose de spécial, une session avec Annie Leibovitz par exemple. Mais moi, j'ai déjà suffisamment parlé depuis suffisamment longtemps pour essayer de me taire le plus possible.

Pourquoi avez-vous eu envie de faire la publicité Paribas ?
On n'a pas envie de faire de la publicité, c'est la publicité qui vient vous proposer des choses. D'abord, je ne suis pas contre la publicité, dans la mesure où on peut choisir et où ça donne une grande liberté. Je ne prétends pas faire de la publicité pour une autre raison qu'un allégement des problèmes financiers. Dans ce domaine aussi, je ne fais que ce qui me plaît. Ce qui m'a plu avec Paribas, c'est que, dans un pays et une profession tellement machistes, une femme parle d'argent et en vende. Alors que les histoires d'argent, ce n'est pas mon truc C'était un pied de nez, je le sentais assez bien. Quand on fait des choses qu'on ne fait pas habituellement, autant que ce soit amusant, original, inattendu. Mais ce n'est pas moi qui ai décidé de faire une publicité Paribas... C'est comme quand on me demande "Mais qu'est-ce qui vous a donné envie de faire un film avec Buñuel ?" : d'abord, c'est Buñuel qui propose, et si Buñuel vous fait une telle proposition, vous êtes très heureuse et vous acceptez tout de suite en espérant que le rôle soit intéressant.

Comment s'est passée la proposition de "Belle de jour" ?
C'est venu par les producteurs. Ils avaient acheté les droits du livre, puis ils m'ont choisie, ils ont choisi Buñuel... C'était un film de producteurs, comme il en existe encore aux Etats-Unis et de moins en moins en France. Ici, ce sont les metteurs en scène qui choisissent pratiquement tout.

A l'époque, étiez-vous intimidée à l'idée de travailler avec Buñuel ?
Ça m'impressionnait. J'étais quand même assez tendue sur le tournage de "Belle de jour". Le sujet était difficile et les producteurs tenaient fermement le film, ce qui ne facilitait pas les relations sur le plateau. En outre, Buñuel avait des difficultés à entendre, donc il ne recherchait pas spécialement le dialogue quotidien. L'atmosphère n'était pas du tout celle de "Tristana".

Pourquoi était-ce plus détendu sur "Tristana" ? Etiez-vous mieux familiarisée avec l'univers de Buñuel, ses méthodes ?
Non ! "Belle de jour" était difficile parce que le sujet était délicat, parce qu'on ne se voyait pas tous les jours, parce que les producteurs s'étaient accaparé le projet... Je ne voyais pas les rushes. Ce n'est pas un souvenir de tournage très exaltant. Cela dit, il y a des tournages où je me suis bien amusée et où les résultats sont désastreux ! "Belle de jour" est un film qui restera. Mais le tournage de "Tristana" était beaucoup plus heureux et détendu : Buñuel retournait en Espagne pour la première fois depuis des années, ça le rendait plutôt gai. Moi-même, je me sentais plus à l'aise, y compris avec l'histoire, le personnage. Sur ce tournage, tout me semblait beaucoup plus juste par rapport à Buñuel. Et puis quand on tourne loin de Paris, on vit ensemble, on est beaucoup plus proche des gens avec qui on travaille : on est plus disponible, on se voit le soir... A Paris, dès que la journée est finie, chacun rentre chez soi.

Avec Melville, la rencontre a été plus brève : vous n'avez fait qu'un seul film, "Un flic".
Il savait que comme lui, je m'intéressais à un roman américain de série noire. On a donc projeté de faire ce film ensemble. En attendant, il m'a prise dans "Un flic", pour "faire connaissance" en quelque sorte. Et il est mort avant qu'on puisse faire ce second film qui aurait été notre premier vrai projet commun.

D'ailleurs, dans "Un flic", Melville vous filme très bien mais votre rôte est très peu développé, se limite à une icône blonde.
C'était un rôle de participation. Et il ne pouvait pas m'utiliser beaucoup plus parce que j'attendais un enfant. Il avait tenu absolument à ce que je participe, mais enceinte de 5 mois, ça limitait quand même beaucoup.

En plus, Melville était plutôt un cinéaste d'hommes.
C'est juste. Mais AIdrich aussi, et je me suis parfaitement entendue avec lui. Je m'entends bien avec les garçons, avec les cinéastes réputés plus masculins.

Quel souvenir gardez-vous du tournage de "Répulsion" à Londres avec Polanski ?
C'était une époque absolument formidable. Il y avait aussi Gérard Brach qui était là tout le temps, qui arrivait encore à sortir un petit peu de chez lui. On se voyait beaucoup puisque sur ce tournage, on était les étrangers. Avec Roman, on se parlait en français, ça nous rapprochait. C'était très marrant, on allait dans des endroits très rigolos, ça remuait pas mal, c'était une époque très insouciante. Mick Jagger était l'un des meilleurs amis de mon mari, le photographe David Bailey.

Truffaut est une rencontre importante, mais vous n'avez fait que deux films, à dix ans d'intervalle ("La sirène du Mississippi", "Le dernier métro"). Pourquoi cette relation en pointillé ?
Quand on rencontre quelqu'un, ça n'implique pas forcément de se retrouver systématiquement sur tous les films. Surtout quand les cinéastes sont des auteurs et qu'ils ont des projets très précis et très différents. Truffaut avait je ne sais combien de films en chantier, des projets qu'il portait depuis très longtemps. Moi, je le connaissais, on se voyait souvent, je n'avais pas forcément besoin qu'on tourne ensemble. Notre relation était bien au-delà de simples contingences professionnelles.

L'échec commercial d'un film comme "La sirène du Mississippi" vous a-t-il marquée autant que lui ?
Ça m'a beaucoup attristée : un sujet très romanesque, une histoire d'amour... J'adorais ce film. Mais il était tellement contre les lois du genre, contre mon image habituelle et surtout celle de Belmondo. Le public n'a apparemment pas accepté que Belmondo joue un homme faible, qui subit. C'était une série noire vraiment noire. Mais je considère que c'est un film important. C'était un tournage très particulier parce que Truffaut n'avait pas voulu écrire les dialogues à l'avance. On a tout tourné dans l'ordre chronologique et Truffaut écrivait au fur et à mesure du tournage pour que les choses évoluent, pour que quelque chose de fort se passe. Il écrivait la veille au soir les dialogues du lendemain ; c'était assez périlleux, surtout sur un si long tournage trois mois, déplacement à La Réunion... On avait parfois des difficultés, on manquait de recul, on ne pouvait pas discuter les dialogues mais, en même temps, ce risque était passionnant.

Quand il vous a proposé "Le dernier métro", on a vraiment l'impression qu'il vous offrait le rôle comme un cadeau.
On peut toujours dire ça a posteriori, quand le film a marché. Il l'a écrit en me disant qu'il voulait m'offrir un rôle de femme responsable, une femme qui tient les choses et qui, en même temps, vit une histoire romanesque. Les personnages féminins intéressants ne sont pas si fréquents... C'est difficile pour les femmes, le cinéma. Dans le cinéma américain, je vois une évolution très nette à partir du moment où Jane Fonda a fait Julia et où ce film a été un succès. On a commencé à voir enfin des films avec des actrices en vedette, tenant le rôle principal et non pas le rôle féminin principal. Il y a des films qui servent de points de repère à des évolutions assez nettes : "Le dernier métro" a été sans doute un tournant pour moi. Après, on m'a proposé beaucoup de choses intéressantes.

Comment effectuez-vous vos choix ? Pratiquez-vous une alternance entre les gros films populaires et les films plus exigeants ?
Pas du tout. D'abord, je n'ai aucun mépris pour les films populaires. Et il existe de nombreux cinéastes passionnants mais voués à des succès très limités ; comme ils sont intéressants, on se dit toujours qu'ils vont finir par rencontrer leur public. Cette incertitude permet aux "petits" films intéressants d'exister. Le jour où on pourra tout prévoir, ce sera terrifiant : quel producteur fera un film en étant sûr de perdre de l'argent ? Il y a ce côté casino dans le cinéma : c'est comme à la roulette, on sait qu'on va perdre, mais il y a quand même une chance de gagner.

Parmi les réalisateurs avec lesquels vous n'avez pas tourné, quels sont ceux qui manquent vraiment dans votre parcours ?
Il y en a beaucoup... Pialat, Blier... Brisseau est très intéressant. Il y a plein de jeunes que j'aime énormément... De toute façon, rien n'est jamais acquis, définitif. Je ne suis pas avide, impatiente de tourner avec Untel ou Untel. Ce qui doit arriver arrivera. Je sais aussi que certaines choses ne se feront jamais. Par exemple, je ne tournerai jamais avec Alain Resnais. J'adore son cinéma mais il est évident que je ne suis pas une actrice pour lui : je n'ai pas un passé assez classique, je n'ai jamais fait de théâtre, je ne cadre pas avec son univers... Mais c'est comme ça, je n'en éprouve aucun chagrin. La demande vient des cinéastes : ce sont eux qui écrivent, qui pensent aux acteurs.

Vu votre statut, ne pourriez-vous pas aller vers un cinéaste et lui dire que vous aimeriez tourner avec lui ?
Comme ça, non. Mais il m'est arrivé d'appeler des jeunes cinéastes dont j'avais beaucoup aimé le film. C'est plutôt pour communiquer mon enthousiasme, pas un appel du pied pour tourner ensemble. Ça me semble un peu faussé, pas très juste, de faire ce genre de sollicitation. En fait, les metteurs en scène, c'est comme les journalistes, il ne faut pas les voir en dehors du travail. Il faut que le travail et les relations privées restent séparés, indépendants l'un de l'autre. Les critiques ne doivent être sensibles qu'à ce qu'ils voient sur l'écran, il ne faut pas qu'ils se laissent émousser par le charme personnel d'un réalisateur ou d'un acteur.

Vous avez tourné quelques films américains. La carrière américaine vous a-t-elle tentée ?
J'ai fait très peu de films américains et là, je n'en fais plus du tout. On me propose toujours des rôles, mais rien d'original. Quand j'ai fait "La cité des dangers" d'AIdrich avec Burt Reynolds, c'était intéressant pour une actrice européenne, mais je ne me suis pas dit que c'était le début d'une carrière américaine. Quand le tournage s'est terminé, je n'avais qu'une envie : rentrer. J'avais un enfant, donc aucun désir pressant de rester là-bas. Juste après "Les parapluies", j'ai été sous contrat avec la Fox. C'était très avantageux pour moi, j'avais un droit de regard important et, comme ce qu'ils proposaient ne m'intéressait pas, le contrat est devenu caduc.

Quand vous étiez jeune, dans vos années d'adolescence...
…Mais je suis jeune ! Et toujours adolescente, malgré mon âge, qu'est-ce que vous croyez ?

Disons, avant d'embrasser la carrière d'actrice, étiez-vous cinéphile ?
Absolument. Très jeune, j'allais beaucoup au cinéma voir les Eisenstein, etc. J'ai eu la chance d'avoir des amis et un entourage qui m'ont fait découvrir un cinéma de cinéphile.

Qu'est-ce qui vous a poussée à devenir comédienne ?
Jacques Demy, ça a vraiment été la rencontre importante. Avant, je n'avais fait que trois films et je ne savais même pas si je continuerais à faire du cinéma : j'étais très jeune et pas assez déterminée. Profondément, ça ne correspondait pas vraiment à ma nature.

Vous sentiez-vous concernée par tous les débats qui agitaient le cinéma, par l'émergence de la Nouvelle Vague ?
Non, pour être sensible à tout ça, il aurait fallu que je travaille avec eux, que je voie des films avec eux, que j'aie cinq ans de plus. J'étais trop ailleurs, trop jeune, je débutais. Eux étaient déjà là, déjà adultes.

Est-ce que, vous aussi, vous ressentiez une chape de plomb qui pesait sur le cinéma français d'alors ?
Pas du tout. On ne peut pas penser ça quand on est une jeune actrice. Pour le ressentir, il faut avoir fait beaucoup plus de choses, il faut beaucoup plus de temps, faire face à des difficultés et à des déboires auxquels sont confrontés les metteurs en scène pour que leurs films se fassent, pour les distribuer A l'époque, les jeunes acteurs et actrices étaient beaucoup moins impliqués qu'aujourd'hui. Maintenant, ils appellent tous les jours pour connaître les entrées.

Vous veniez d'une famille de comédiens ?
Mais des comédiens de théâtre : ça n'a rien à voir.

Justement, vous n'en avez jamais fait et vous dites toujours que vous n'en ferez jamais.
Je ne dis pas "jamais", je dis "pas pour l'instant". J'aime bien le théâtre, j'y vais, mais je ne suis pas prête à en faire.

Que ressentez-vous en voyant vos enfants embrasser ce métier à leur tour ?
Je suis fataliste... On fonctionne beaucoup par imitation. Le cinéma, c'est très attractif quand on le voit à travers ses parents et que ça marche bien pour eux, c'est un miroir aux alouettes. Comme parent, je n'aurais pas imaginé ça : c'est un métier trop difficile, trop aléatoire. Un acteur qui ne tourne pas ne peut plus rien faire, ce n'est pas comme un écrivain qui n'est pas publié... C'est plus difficile aujourd'hui, il y a une grande compétition, tout le monde veut faire du cinéma. Quand j'ai commencé, il n'y avait pas toute cette presse, cette télévision, ce n'était pas encore entré dans les mœurs, ça restait quelque chose d'un peu plus mythique, les gens en rêvaient mais n'osaient pas y penser. Tandis qu'aujourd'hui il y a beaucoup d'inconnus qui deviennent comédiens. On peut toujours être l'acteur ou l'actrice d'un film, tout le monde a un rôle à jouer, au moins une fois.

Avez-vous l'impression de vous être constitué une famille de cinéastes ?
Oui, mais c'est une famille un peu idéalisée puisque je n'en connais pas certains membres. Je ne les connais qu'à travers leur travail. C'est normal qu'au bout d'un certain nombre d'années, les choses se précisent davantage, je vois à peu près à quelle famille j'appartiens. J'appartiens à une famille en partie connue, en partie pas complètement reconnue, et sans doute moins classique qu'on pourrait l'imaginer. Mes critères de choix sont très personnels, je suis plus fascinée par les individus que je rencontre que par n'importe quoi d'autre.

Vous avez fait un disque avec Gainsbourg. Avez-vous encore envie de chanter ?
Ah oui ! C'est un plaisir extraordinaire par rapport au métier d'actrice, où vous dépendez de tellement de gens. La chanson, c'est physique, c'est direct.

Comment arrivez-vous à protéger autant votre vie privée ?
Parce que je suis féroce. Très jeune, mon avocat m'a donné la bonne habitude d'attaquer en justice dès que c'est possible et je n'ai pas beaucoup varié là-dessus. Quand j'étais mariée avec le père de ma fille, à Rome, c'était très difficile avec les paparazzi, j'avais des rapports très violents avec eux. Dans ces cas-là, je cogne, je peux être très violente, quand il n'y a plus que ça à faire, arracher les appareils. Il m'est arrivé d'emboutir la voiture d'un photographe qui me suivait.

Dans votre filmographie, il y a beaucoup de films importants...
[Elle coupe]... Je sais que j'ai participé à des films qui resteront, c'est une chance énorme. C'est très difficile parce qu'on ne fait pas toujours les meilleurs films d'un grand metteur en scène. Je suis une actrice comblée ! Je suis contente d'avoir participé à des projets vraiment originaux même "Les prédateurs", qui n'était pas entièrement réussi. Je ne l'ai pas fait pour Bowie, je ne suis pas midinette, mais ça m'amusait beaucoup de faire un film de vampires.

Comment réagissez-vous quand on veut vous rendre hommage, comme Alain Delon à qui la Cinémathèque consacre une rétrospective ?
J'espère résister à ça, il faut traiter ça avec beaucoup de vitalité et d'énergie, ou alors il aurait fallu que ça arrive plus tôt. La reconnaissance, les prix, les machins, tout ça n'est pas du tout mon truc. Les photos sur papier glacé vous figent assez comme ça. J'ai toujours résisté à la momification. A l'exception du buste de Marianne : j'ai trouvé ça sympathique car c'était un sondage populaire et puis la République, c'est important pour moi. Je trouvais bien qu'une femme comme moi, pas mariée et ayant eu des enfants hors mariage, symbolise la Française. Pour un journal, je n'aurais pas accepté de subir ça. Vous savez, j'ai toujours fait ce que je voulais faire mais maintenant j'ose davantage le dire.


Par : Frédéric Bonnaud et Serge Kaganski
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