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Catherine Deneuve sait se faire oublier
pour devenir une parfaite inconnue |
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Catherine Deneuve nous reçoit
à dîner dans le quartier des Halles, sur le tournage de "Belle-maman",
le nouveau film de Gabriel Aghion. En grande beauté (c'est rien
de le dire), attentive aux questions, soucieuse de ses réponses.
Deneuve texto, autant dire deneuvissime.
Comment êtes-vous arrivée dans "Place
Vendôme" ?
J'aime travailler avec des cinéastes qui
écrivent eux-mêmes le scénario. Nicole Garcia savait
que j'avais beaucoup aimé son film précédent "Le
fils préféré". Elle m'a proposé l'idée
du personnage, Marianne, une grande bourgeoise alcoolique, et celui du
milieu, les joailliers. Je lui ai dit que ça m'intéressait
et elle est partie très longuement sur l'écriture du scénario.
C'est quelqu'un d'intéressant parce que très compliquée
et hésitante. C'est un trait de caractère qui m'est familier.
En plus, on a le même âge, ça a forcément joué
dans notre complicité.
Le milieu des joailliers est
un milieu que vous connaissiez ?
Oui, puisque très jeune j'ai porté des bijoux, on m'en a
prêté, on m'en a offert, j'en ai acheté. J'adore ça.
En même temps, ça ne m'impressionne pas du tout. C'est comme
porter une robe du soir pendant trois heures. C'est très agréable
le temps que ça dure mais ce n'est pas ma vie, ni la vie tout court.
En plus, dans les diamants, il y a quelque chose d'à la fois unique,
abstrait et dérisoire. Si la firme DeBeers, qui a le quasi-monopole
des diamants dans le monde, mettait sur le marché tous ses stocks,
du jour au lendemain, les diamants ne vaudraient plus rien. Après
tout, un diamant ce n'est qu'un très beau morceau de charbon.
Jouer un rôle d'alcoolique,
c'est excitant ?
C'est un truc forcément attirant pour un acteur et en même
temps, quelle panique ! Le nombre de choses qu'il ne faut surtout pas
faire, dans les gestes, les attitudes. Alors je me suis dit : moins j'en
ferai, mieux ça sera. En plus, Marianne sort d'une cure de désintoxication,
il fallait donc la rendre encore plus subtile, sans compter que les alcooliques
mondains comme elle sont très rusés avec leur toxicomanie,
pour organiser leur emploi du temps : saoule mais pas trop pour assurer
dans un dîner, avec leurs enfants, vis-à-vis de leurs proches.
J'ai pensé à ces bourgeoises du XVIe qui se saoulent à
la bière, ce qui est une forme d'alcoolisme courant. On voit une
femme bien mise qui commande un demi dans un café. Personne ne
va imaginer qu'elle est alcoolique. L'alcoolisme, c'est toujours intérieur,
c'est un enfermement. Il fallait donc exprimer sans trop jouer. Avec Nicole
Garcia, on a beaucoup travaillé sur les timbres de voix, un rythme
à la fois saccadé et abandonné. Marianne est une
femme frontalière qui navigue dans les zones du "encore possible",
à la fois enfantine et ironique.
Au début du film, on
vous découvre défaite, sans maquillage, pas coiffée.
Ce n'est ni un sacrifice ni un risque mais une étape importante
dans la crédibilité du personnage. Ça n'est pas non
plus, je l'espère, une performance d'actrice. La réussite
d'une actrice dépend de la réussite du film. Une performance
d'acteur dans un film médiocre, je ne trouve pas ça très
intéressant. On ne va pas voir un film pour un acteur, mais pour
être transporté dans une histoire. Évidemment, je
suis ravie que Nicole Garcia ait pensé à moi pour le rôle
de Marianne mais ce qui m'a surtout fait plaisir c'est que je rentrais
dans un projet d'ensemble, dans un tournage et pas seulement dans un rôle.
Aujourd'hui sort "Place
Vendôme", vous êtes en train d'achever le tournage de
"Belle-maman" de Gabriel Aghion, vous allez enchaîner
avec le tournage de "Le temps retrouvé" de Raoul Ruiz
et, d'ici la fin de l'année, on va vous voir dans "Le vent
de la nuit" de Philippe Garrel et dans "Pola X" de Léos
Carax. Si on y ajoute un projet avec Benoît Jacquot et un autre
avec Régis Wargnier, ça ne fait pas beaucoup pour une seule
actrice ?
Il ne faut rien exagérer. Il y a certains hasards de calendrier,
de concordance des temps, qui font que tous ces films se bousculent au
même moment. C'est une chance. En même temps c'est très
angoissant, ne serait-ce parce que j'ai peur de ne pas avoir le temps
de profiter de tous ces films. Je vous parle de "Place Vendôme",
film pour le moins tragique, pendant le tournage de "Belle-Maman"
qui est une comédie. C'est une accélération générale
mais j'ai déjà prévu une décélération.
Pour ce qui est de la diversité de ces films et de leurs auteurs,
mes choix d'actrice sont aussi des choix de spectatrice. Je suis capable
d'aller voir un tout petit film indépendant qui se joue dans une
seule salle à midi et la même semaine un gros machin, par
exemple un film de Tim Burton que j'adore, dans une grande salle de la
place d'Italie. En tant qu'actrice, c'est à peu près la
même chose. Depuis le début de ma carrière, je me
suis déplacée dans des films extrêmement différents
parce que j'ai eu la chance de n'être jamais une actrice très
typée physiquement, ni sex symbole ni héroïne romantique.
Juste après " Les parapluies de Cherbourg" de Jacques
Demy, j'ai tourné "Répulsion" de Polanski. Dans
le genre coq-à-l'âne, c'était assez vif, non ? Mon
image n'est pas arrêtée même si je sais que lorsque
les gens parlent de moi sans me connaître, c'est-à-dire sans
aller au cinéma, ils disent en gros : Deneuve, c'est un femme encore
pas mal pour son âge, bourgeoise, etc. Je suis ça aussi,
ce côté miss Saint Laurent, et j'y tiens parce que ce n'est
pas publicitaire ou bidon, c'est une admiration et une amitié pour
Saint Laurent qui dure depuis plus de trente ans. Cela dit, tous les films
que vous avez cités sont encore à l'état de promesses.
Bien sûr, un film de Garrel ne peut pas rencontrer le même
public qu'un film d'Aghion, quoique... En tout cas, si aucun de ces films
ne rencontre son public, grand ou petit, je sais ce qu'on va dire, le
milieu n'est pas tendre : elle a trop tourné, elle vieillit, ce
n'était pas une si bonne idée. Mais si c'était le
cas, ce qu'évidemment je ne souhaite pas, je m'en foutrais. L'important,
c'est que ces films existent, avec ou sans succès. "Drôle
d'endroit pour une rencontre" de François Dupeyron a été
un échec commercial mais ça reste un film important pour
moi. Je préfère à jamais les gens qui ont du talent,
à ceux qui réussissent.
Est-ce que vous pourriez vous
passer de faire un film qui a de fortes chances d'être un succès
populaire ?
Et comment ! Si le scénario ne me plaît pas ou si le personnage
n'est pas à la hauteur. Ça m'est arrivé un très
grand nombre de fois. J'ai la chance incroyable de pouvoir choisir. Mais
si j'ai la possibilité d'être une actrice confidentielle
dans un petit film ou d'être une actrice secondaire dans un film
riche, par contre je n'ai pas du tout le pouvoir d'être une actrice
populaire dans un film commercial. D'une part, parce que tous les films
que j'ai faits n'ont pas été, loin de là, des films
populaires. D'autre part, parce qu'on ne sait jamais vraiment à
l'avance si un film va marcher. Et heureusement. Si le succès était
une science exacte, vous imaginez le nombre de films faciles qui se feraient
et surtout, nettement plus grave, le nombre de films réputés
difficiles qui ne se feraient pas. La règle du succès aujourd'hui
c'est qu'il n'y a plus vraiment de règles et c'est tant mieux puisque
ça profite aux petits films.
Ça vous est arrivé
de vous réjouir de l'échec d'un film commercial pour lequel
vous aviez été pressentie et que vous avez finalement refusé
?
Je suis humaine et il m'arrive de sortir des vacheries comme tout le monde.
Mais mon réflexe est plutôt un réflexe de spectatrice
déçue, je me dis : c'est nul de claquer autant de fric pour
un navet pareil.
Vous êtes satisfaite de
vos interviews ?
J'ai l'impression de dire des trucs très
flous, ben oui, ben non, d'atténuer l'effet positif de tout, comme
s'il fallait relativiser... C'est une façon d'avancer masquée
qui correspond à mon caractère. Je suis plus un millefeuilles
qu'un soufflé. Ça fait plus de trente ans que ça
dure et je sens que les gens ont envie de tirer des conclusions, de dresser
des bilans. J'ai l'impression qu'aujourd'hui on veut mettre ma vie en
boule. Deneuve mise en boule, ça à l'air d'une boule de
cristal, c'est magnifique, ça brille, et on oublie les échecs,
les erreurs. Or on sait bien que la vie, et la mienne en particulier,
n'est pas faite comme ça. C'est comme cette tendance à faire
de moi l'incarnation du cinéma français, c'est un truc dont
je me méfie, par nature. Remarquez, les hommages, les récompenses,
comme me dit mon agent en rigolant, il vaut mieux les accepter à
un âge où on est encore en activité qu'à un
moment où il faut deux personnes pour vous sortir d'une limousine.
J'arrive à un âge où une actrice ne peut plus jouer
qu'une seule partie, sa partie, sans possibilité de rappels, de
retour à la case départ, de droit à l'erreur, de
carte "Chance". C'est très difficile de savoir quand
on doit s'arrêter. Moi, je sais quand je m'arrêterai : le
jour où j'aurai l'impression que je m'ennuie. C'est un métier
trop dérisoire pour accepter de s'y laisser enfermer.

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