Ses interviews / Presse 1990-99 / Madame Figaro 1995
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Le cinéma est encore un enfant

Elle est aux côtés de De Niro dans "Les cent et une nuits", d'Agnès Varda. Elle vient de terminer un film avec John Malkovich, s'apprête à rejoindre une nouvelle fois Téchiné et rêve de tourner avec Woody Allen. Eric Neuhoff a rencontré la star des actrices françaises à l'occasion du centenaire du septième art.

C'est toujours elle. Deneuve Catherine, actrice de cinéma, la seule star française (protestations d'Isabelle Adjani au fond de la salle). Elle ferait mentir Platon, selon lequel la beauté est une courte tyrannie. Son visage est une mécanique de précision. Elle doit savoir bouder, avoir des regards terribles. Il va de soi que cette femme a organisé toute sa vie en sorte que l'idée ne vienne à personne de lui donner une tape dans le dos. Ses sourires sont si rares qu'elle a l'air de vous en faire cadeau. Catherine Deneuve se surveille comme le lait sur le feu. Ce qu'il y a de mieux, chez elle, ce sont ses silences. La voix n'est pas mal non plus, un peu sourde, presque lointaine. Elle éprouve certainement une intense passion pour elle-même, mais elle a des excuses : le mystère, la légende sont à ce prix. Ses petites lunettes, toutefois, ont le bon goût de ne pas être noires. Catherine Deneuve parle de cinéma, ce qui est peut-être une façon de parler d'elle. En 1995, le cinéma fête ses cent ans.

C'est un mot un peu triste, centenaire. Ça paraît très, très vieux. Mais le cinéma est un enfant, par rapport aux autres arts.

Catherine Deneuve a beau être abonnée au câble, elle continue à aller voir les films en salle.

Je suis une actrice qui va au cinéma. Je vois les films avec le public. Il faut continuer à sortir, à voir les films ensemble, en groupe. Il se passe quelque chose d'indicible, pas comme devant son poste.

Devenir productrice ? Pourquoi pas ?

Et la voilà qui se lance dans un éloge vibrant de Nicole Garcia, de son "Fils préféré". Deneuve derrière la caméra ? Non, mais il ne serait pas impossible qu'on la retrouve un jour productrice.

C'est une profession intéressante et sous-estimée en France.

Nous n'en sommes pas là. Pour l'instant, elle vient de terminer un film sous la direction de Manoel de Olivera, avec John Malkovich. Elle s'apprête à tourner le prochain Téchiné, "L'enfant de la nuit" ["Les voleurs"], aux côtés de Daniel Auteuil, son partenaire de "Ma saison préférée".

Mais ça ne sera pas une suite. Ça se passe un peu dans le milieu, à Lyon. Je suis professeur. Auteuil est policier.

Si nos calculs sont exacts, il s'agira de son troisième film avec Téchiné.

Ça n'est pas que je refuse de tourner avec les autres, au contraire. Mais, oui, c'est un cinéaste que j'aime. Entre nous, il y a une histoire d'amitié. Ça n'est pas uniquement professionnel.

Deneuve a souvent fait ça, comme si elle avait besoin de retrouver ses marques, d'être en famille. Il y a eu Demy. Il y a eu Rappeneau. Il y a eu Truffaut. En même temps, cela ne l'empêche pas d'accepter des premiers films d'inconnus. A part elle, qui a vu "La partie d'échecs" ?

Je pensais que c'était original, que le film avait des qualités. J'ai été étonnée de voir qu'il était passé inaperçu.

Elle recommencera sûrement.

Le succès est un piège. Moi, je suis protégée parce que j'ai fait des films avec des auteurs, qui n'ont pas toujours marché. Si je n'avais rencontré que des grands succès, je ne sais pas ce qui se serait passé. Je suis très indépendante. Je préfère participer à des entreprises de groupe, entrer dans des bandes plutôt que de monter des choses autour de moi. Sur les tournages, j'ai besoin d'harmonie. Je n'aime pas les conflits. Je n'aime pas la violence.

Quand elle ne travaille pas, elle se sent "un peu malheureuse". Explications :

On est décalé, quand même. On ne peut pas vraiment faire des choses importantes quand on ne tourne pas. On est inquiet. On est en attente.

La méthode Deneuve est assez simple. Un scénario lui plaît : elle rencontre le metteur en scène et regarde d'abord ses yeux, puis sa bouche.

Ça ne ment pas. Je sais tout de suite. Je préfère m'engager avec des gens qui m'inspirent confiance.

Catherine Deneuve est une bonne spectatrice. Dans sa cinémathèque personnelle figurent "La Splendeur des Amberson", "Le Fleuve", de Renoir, "La Nuit du chasseur", "La vie est belle", de Capra. Parmi les siens, elle retient les Demy, "Le sauvage " et "Belle de jour".

C'est de là que vient mon image glacée. Et puis le côté blonde, héroïne de Hitchcock. Je n'ai rien contre. Je préfère ce qui sous-entend.

Elle regrette de ne pas avoir tourné plus de comédies et, comme tout le monde, dirait oui les yeux fermés si Woody Allen l'appelait.

II aime tellement les acteurs ! J'ai vu "Coups de feu sur Broadway" le soir du 31 décembre à New York. Il neigeait. C'était épatant.

II ne faudrait surtout pas embaumer Deneuve dans son rôle de vedette inaccessible. Pas de lamentations sur le cinéma qui n'est plus ce qu'il était.

Les films existent. Quand ils sont faits, c'est fini. Là-dessus, je suis fataliste. Il n'y a pas que des chefs-d'œuvre. Il y a eu des erreurs, heureusement. Il faut être de parti pris, se tromper. C'est quand on a toujours raison qu'on est en danger.

Un jour, Montherlant a écrit une phrase qui lui irait très bien : "II faut faire des choses folles, mais les faire avec un maximum de prudence". Oui, Catherine Deneuve serait parfaite si elle n'avait un horrible défaut : cette manie de toujours donner ses rendez-vous au bar du Lutétia. Ça, c'est vraiment la barbe.

Le cinéma et moi


Par : Eric Neuhoff
Photos : André Rau


Films associés : Les cent et une nuits, Les voleurs, La partie d'échecs







Documents associés
André Téchiné
Daniel Auteuil
André Rau