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Deneuve parle d'amour

Catherine Deneuve dit qu'"Indochine", de Régis Wargnier, qui sort ce mois-ci à Paris, sera son soixante-dixième film. En fait, avant ce grand film lyrique, qu'elle a tourné pendant quatre mois en Asie, sa filmographie n'en signale que soixante-cinq ! Mais ce sont soixante-cinq premiers rôles féminins. Soixante-cinq apparitions. Et souvent sous la direction de réalisateurs qui marquent l'histoire du cinéma : Demy, Polanski, Buñuel, Cavalier, Ferreri, Truffaut, Melville, Téchiné...

Quelques-uns des titres de ses films suffisent à évoquer la plus célèbre vedette du cinéma français (depuis Brigitte Bardot) : "Les parapluies de Cherbourg", "Les demoiselles de Rochefort", "Répulsion", "Belle de jour", "Tristana", "Le sauvage", "Le dernier métro" jusqu'à "Drôle d'endroit pour une rencontre", premier film de François Dupeyron ou "Fort Saganne" d'Alain Corneau, car Catherine Deneuve sait se lancer dans toutes sortes d'aventures.

Ainsi, en trente années, Catherine Deneuve a réussi l'exploit dont rêve toute actrice de cinéma, cet exploit presque impossible qui est de durer, de savoir toujours se faire attendre du public, d'être à la fois une étoile filante et une étoile à tout jamais incontournable. Blonde et lisse, avec ce visage si fin et ce geste si rapide. Avec une chevelure sensuelle et une voix brève, l'un contrebalançant l'autre, elle brouille les cartes et crée le mystère nécessaire à tout renouvellement, à toute curiosité. Elle fut une jeune fille un peu évanescente, une jeune femme assez distante. Aujourd'hui, elle a franchi un tournant, elle est une femme mûre dont on découvre la nature passionnée. Elle a coupé ses cheveux, elle vit seule pour la première fois de sa vie, Elle est encore une nouvelle Catherine Deneuve.

Mais qui est cette personne à la nuque de garçon, qui entre dans le bar par une porte dérobée, qui s'enveloppe dans une cape de chauve-souris et porte des lunettes noires ?

"Indochine", votre dernier film, est environ le soixante-dixième film de votre carrière. Comment avez-vous fait pour que l'on vous attende toujours avec le même empressement ?
Je n'ai pas calculé. Sait-on ce que c'est une carrière ? Je n'ai jamais eu d'attaché de presse personnel, jamais eu une conception globale, mais c'est vrai que j'ai eu l'instinct de garder un certain recul. Je me demande toujours si ce que je suis supposée faire est bien pour moi, bien pour le film.

A chaque fois, vous vous posez la question ?
Oui, parce qu'on me demande des choses de plus en plus extravagantes. On demande trop aux acteurs. Ils n'ont pas forcément de compétence sur tout, mais ils sont sollicités sans cesse parce qu'ils sont connus. Parfois, c'est difficile de refuser. Cette année, j'ai accepté de parler publiquement du sida parce que je me sens très concernée.

Toutes les mères d'adolescents se sentent concernées.
Toutes les mères, oui, mais pas seulement pour leurs enfants. J'ai perdu trop de gens que j'aimais, trop de gens trop jeunes, on ne parlera jamais assez du sida, on ne dira jamais assez qu'il faut se protéger. De même, le test de dépistage devrait être gratuit, facile, anonyme, ce qui n'est pas le cas.

Vous avez pris position pour d'autres causes publiques ?
Oui, pour l'avortement, pour Amnesty, pour les Folles de mai. Pour des causes humanitaires, mais pas politiques.

Vous aviez quand même une idée politique du Viêt-nam quand vous y êtes partie pour tourner "Indochine" ?
J'avais des images de guerre, des images des bombardements américains. J'avais envie de voir la réalité de ce pays aujourd'hui. Je partais dans les conditions privilégiées d'un tournage avec une équipe de film bien organisée, mais je n'étais jamais partie aussi loin si longtemps. Je partais quand même pour quatre mois sans remettre les pieds en France.

Cela fait un drôle d'effet quand on rentre en France ?
Oui, même déjà quand j'ai quitté le Viêt-nam pour la Malaisie, j'étais déphasée. Il y a un climat particulier au Viêt-nam. Je me suis baladée dans les villages, mais je connais surtout Hanoi. J'ai beaucoup marché.

Seule ?
Pas totalement. J'avais quand même toujours une voiture qui m'attendait à un point ou à un autre. J'ai été transportée par le charme d'Hanoi, par la beauté des gens, par leur activité incessante. J'ai vu les femmes travailler autant que les hommes. Elles réparent même les routes. Elles nettoient. Rien ne traîne par terre, rien ne se perd, tout est utile, recyclé. Mon plaisir se doublait du fait d'être anonyme. J'étais une femme blanche et c'est tout, une touriste comme une autre. Je pouvais aller au marché, à la campagne, on ne me reconnaissait pas. Je suis allée aussi dans le nord et dans la baie d'Along. C'est si beau, comme si le temps s'était arrêté. Je n'ai pratiquement pas rencontré de voitures, quelques camions quand on passe le bac, des bicyclettes, des motos, c'est tout. J'ai tant aimé ce pays que j'ai proposé aux "Editions des femmes" de lire en livre-cassette le livre de Duong Thu Huong, cette romancière qui a été arrêtée pendant sept mois. Le pays s'est un peu ouvert, mais les Vietnamiens n'ont pas encore la liberté. Ils n'ont que la pauvreté. En lisant "Les Paradis aveugles", j'ai retrouvé les impressions et les émotions que j'avais ressenties là-bas.

Vous avez enregistré plusieurs livres-cassettes. C'est un travail où l'apparence physique ne compte plus, où vous devez vous appuyer seulement sur votre voix; est-ce que c'est difficile pour vous ?
C'est un exercice intéressant, c'est vraiment être interprète. Il faut trouver le rythme et donner à un texte toute sa valeur. C'est un défi pour moi, de faire vivre un texte uniquement par la voix, parce qu'une actrice de cinéma, c'est avant tout une image.

Vous n'avez jamais eu envie de faire du théâtre ?
L'envie oui, mais je ne sais pas si j'en suis capable. Je suis tellement nerveuse, émotive et traqueuse ! Je me souviens, à l'anniversaire d'Yves Saint Laurent, j'avais le trac de monter sur scène, mais comme il était intimidé aussi, cela m'a aidée de l'entraîner.

Quelle signification a pour vous le mot star ?
Cela n'a pas de signification dans ma vie privée sauf à savoir que je suis très privilégiée. Autrement, le regard des autres est parfois faussé. Il arrive que certaines personnes se conduisent avec moi différemment parce que leur vision est troublée par des images. C'est pour cela que je me protège... Enfin, c'est à cause de ça que j'en suis arrivée à me protéger beaucoup, c'est-à-dire à avoir un cercle d'amis restreint. Il n'y a que ceux très proches, qui vous connaissent au quotidien, qui peuvent vous parler normalement. Je ne supporterais pas d'avoir des relations de "groupies".

Ce regard faussé pèse lourd ?
Je suis consciente des privilèges dont je dispose, mais je vis normalement. Je suis plutôt une femme active, bien ancrée dans la réalité.

Vous ne pouvez pas être un peu souillon, un jour.
Mais si, ça m'arrive ! Evidemment, on me voit dans des circonstances où je ne suis ni prise en défaut, ni prise par surprise. Comme tous ceux qui ont un métier public, je me présente au mieux. Même à la campagne, je porte les vêtements que j'aime. C'est une déformation professionnelle, on est tellement habituée à être regardée et à se regarder qu'il y a instinctivement des choses que l'on fait. La seule différence, c'est de ne pas avoir à me maquiller quand je ne travaille pas, et ça c'est agréable, très agréable de consacrer un peu moins de temps à sa personne. En trente ans, soixante-dix films, ça fait beaucoup de temps à incarner des héroïnes. Il y a des films que je n'ai fait malheureusement que traverser, on ne peut pas être soixante-dix fois héroïne, cela n'existe pas. Une carrière, c'est la somme de tout ça, non ?

Que vous le sentiez ou non, vous avez fait une carrière de star et cela depuis trente ans, ce qui est un exploit rarissime.
Parler de star à mon propos me paraît excessif. Je n'accepte pas l'idée d'être une étoile inaccessible, mais j'aime bien l'idée de l'étoile qui apparaît, qui éclaire le temps d'un film la nuit des gens et les fait rêver. Parce que j'ai tourné avec des réalisateurs un peu mythiques, je reste dans la mémoire avec une certaine qualité. Mais être star, pour gazouiller sur n'importe quel sujet, cela n'a aucun intérêt. Je n'ai pas envie de paraître glauque ou lugubre mais, franchement, le monde actuel ne donne pas envie de gazouiller.

Vous êtes très sensible à ce qui se passe dans le monde ?
Evidemment, il y a une détresse dans le monde à laquelle on ne peut être indifférent. Une forme de solidarité s'est créée. Les Français sont beaucoup plus conscients qu'ils ne l'étaient des misères qui ne font pas partie de leur univers social.

Cette solidarité, je ne la trouve pas tellement présente...
Si, si. Il n'y a jamais eu autant d'œuvres caritatives et d'associations privées. L'Europe est devenue plus socialiste. Avec le Portugal, l'Espagne, il y a eu quand même une ouverture.

Vous lisez beaucoup les journaux ?
Pas mal, oui, parce qu'à la télévision, c'est insuffisant.

Comment expliquez-vous que les gens vous trouvent si française ?
Parce que je suis très française ! Curieusement, je n'ai jamais eu envie de ressembler à quelqu'un d'autre. Il y a beaucoup de femmes et d'actrices que j'admire, mais je n'ai jamais voulu être quelqu'un d'autre. Est-ce parce que j'ai eu la chance d'être une jolie petite fille ? Je n'étais pas satisfaite pour autant, j'étais très complexée, mais je pensais que je devais toujours essayer de faire le mieux possible avec moi-même.

Faire le mieux possible de soi, c'est ce que vous avez dit à vos enfants.
Je leur ai dit que ce qui comptait, c'était son intime conviction. C'était le courage de dire ou de penser des choses personnelles, même si elles sont différentes des modèles et même pour une jeune fille. Pour tirer un bon parti de soi-même, il faut essayer d'être en accord avec ce que l'on est profondément. C'est très difficile pour des adolescents et pour tout le monde. Je crois que je me regarde avec assez de lucidité.

Est-ce que la beauté est quelque chose qu'il faut arriver à dépasser ?
Non, mais c'est quelque chose qu'on peut oublier et le danger pour les jolies filles est de devenir paresseuses parce qu'elles sont très gâtées. J'ai eu des années de ce genre, des années de "Belle au Bois Dormant", mais on peut aussi être jolie et ambitieuse. Ne pas se contenter d'être uniquement jolie. Si on dort trop longtemps, on ne peut plus récupérer une rigueur, une exigence. Dans ma famille, on était quatre filles, et l'on ne pouvait pas dormir sur sa beauté qui n'était pas une valeur. J'ai été élevée dans l'esprit de ne pas dire aux enfants qu'ils sont beaux. Ils n'ont pas à s'en vanter, c'est un cadeau.

Vous vous entendez bien avec vos enfants ?
Très bien, mes enfants se rendent compte de la réalité. Ils ont été privilégiés, ils ont voyagé jeunes, ils ont été aimés, mais je ne pense pas qu'ils aient été faussés par le confort matériel dans lequel ils ont été élevés.

Est-ce que vous leur consacrez beaucoup de votre temps ?
Oui et je vois aussi beaucoup mes sœurs, ma mère, mes amis. C'est pour cela qu'il me reste peu de temps. Au Viêt-nam, comme je ne tournais pas tout le temps, j'avais le temps de me promener, de m'imprégner de ce que je voyais. C'était extraordinaire. J'écrivais presque tous les jours.

Quelque chose que vous voudriez publier ?
J'ai pensé que j'écrivais pour moi, pour ne pas me censurer. J'écrivais des impressions, des choses comme ça. Je ne l'ai pas relu. Je ne sais même pas si c'est intéressant. Il faut un talent d'écrivain, il faut une écriture pour qu'un journal de bord soit passionnant. Le Viêt-nam y est lié au tournage, c'est peut-être un peu hybride.

Ecrivez-vous comme vous parlez, avec la même vivacité ?
Peut-être. Mais quand on veut publier, on doit porter le texte à un stade de vraie écriture.

Quand vous êtes interprète, vous jouez sur votre expérience ou sur votre imagination ?
J'essaie de jouer avec mon imagination parce qu'avec l'expérience, on peut se répéter, on ne se renouvelle plus. Si l'on veut créer quelque chose de neuf, il faut aller vers l'invention, la curiosité et même le risque. J'aime me lancer, essayer quelque chose qui surprenne. C'est pourquoi je suis toujours meilleure dans les premières prises. C'est pourquoi je crains toujours le danger de travailler avec un metteur en scène qui n'a pas assez de compétence ou d'assurance. Le danger serait alors de ne pas pouvoir me laisser aller, de m'appuyer sur ce que je connais. Jouer sur ce qu'on appelle "le métier", quelle horreur !

Et c'est par souci de renouvellement que vous vous êtes fait couper les cheveux ?
Pas du tout ! Je n'ai jamais eu l'impression de devoir me renouveler ! J'ai avancé plus ou moins vite ou je suis restée immobile, mais je n'ai pas trop changé depuis que j'ai dix-huit ans. Tout d'abord, j'ai déjà coupé mes cheveux pour "Paroles et musique". Pas aussi courts, mais cette fois, dans "Indochine", je devais porter une perruque puisque le film se passe en 1930. On n'a pas été satisfait de la masse de cheveux que cela donnait. J'avais dit que si cela ne marchait pas, je me couperais les cheveux. C'est ce que l'on a fait.

On dit que de couper ses cheveux, cela peut correspondre à une rupture.
Il paraît. On dit ça, mais je ne suis pas superstitieuse. Je passe sous des échelles, j'aime certains œillets, je porte du vert, le chiffre 13 ne représente rien pour moi. Ce n'était pas une rupture avec le Viêt-nam, ni avec moi-même.

Vous avez dit à propos de Sandrine Bonnaire qu'elle était le soleil et que vous étiez plutôt la lune. C'était une jolie formule.
C'est vrai. J'ai plus l'impression de briller par réflexion, par rapport au regard des autres, alors qu'il y a des gens qui brillent, qui ont cet éclat constant. Sandrine Bonnaire, je vois son sourire, sa fossette et je trouve qu'elle a quelque chose de solaire.

Comment avez-vous quelque chose de lunaire ?
Parce que ma lumière passe par un autre astre, je ne sais pas. Comme une lumière répercutée.

Ce qui ferait dire que vous êtes une personne froide ?
On le disait, on parlait de glace ! Mais on ne le dit plus et je ne sais pas pourquoi, je n'ai pas changé.

Que pensez-vous avoir appris pendant toutes ces années ?
L'indulgence. Par rapport aux faiblesses, aux manques et l'indulgence par rapport à la difficulté de ce métier. Quand on est jeune, et c'est très bien d'ailleurs, on est intransigeant. Malheureusement, je dis malheureusement, l'expérience vous apprend l'indulgence et l'indulgence malheureusement ne vous aide pas à fonctionner. Elle apprend à comprendre. Ça ne facilite rien.

Quelles ont été vos grandes rencontres ? Les noms des gens qui vous ont marquée ?
Demy, Truffaut, Buñuel, Rappeneau, Polanski, Yves Saint Laurent... Mais j'ai perdu trop de gens que j'aimais... André Téchiné compte beaucoup pour moi dans ma vie personnelle et dans ma vie d'actrice. On me reproche parfois de ne pas parler assez de mon métier, mais ce n'est pas un métier dont on peut parler avec des gens extérieurs. On ne peut en parler qu'avec des gens avec lesquels on partage des goûts et des désirs communs, avec lesquels on fait un travail commun. Avec Téchiné, par exemple, c'est très particulier, on se devine, il me devine et il écrit pour moi. Régis Wargnier a écrit aussi "Indochine" pour moi. C'est un cadeau magnifique et une couronne lourde à porter parce qu'il faut être à la hauteur de ce beau rôle, de cette grande histoire d'amour, de ce film lyrique, de ce souffle superbe. Régis Wargnier est quelqu'un de lyrique qui aime les mélos et moi aussi, j'adore les grands mélos. "Indochine" a concrétisé l'envie que j'avais de travailler avec lui car j'avais beaucoup aimé ses deux premiers films. J'aime rire et pleurer au cinéma. J'aime être émue en tout cas.

Est-ce important pour une actrice d'avoir envie de séduire son partenaire ?
Ah non ! Surtout pas ! Cela ne peut que lui enlever ses moyens ! La séduction peut complètement déstabiliser quelqu'un.

Quels sont les critères de la séduction pour une femme ?
Une femme séduisante est une femme que l'on trouve irrésistible, qu'on ne peut pas s'empêcher de regarder ou d'écouter, qui dégage quelque chose d'unique. Cela peut être des défauts, mais il faut que cela fasse courir l'imagination.

Même chose pour un homme ?
Non, pour moi, la séduction d'un homme passe par le mystère alors que le mystère chez les femmes ne m'intrigue pas forcément. Ce qui me plaît chez une femme, c'est le côté unique de sa personnalité, l'idée qu'elle se présente au contraire comme elle est, alors je suis plus attirée par les hommes un peu compliqués.

Ils sont tous compliqués !
Il y a des complications plus intéressantes que d'autres. J'aime que les hommes soient intelligents et bons.

C'est séduisant, la bonté ?
Pour moi, oui, très séduisant. Je n'aime pas les gens méchants, même s'ils sont très beaux, très intelligents. C'est comme l'avarice. Des femmes amoureuses vont passer outre, moi je ne peux pas. La méchanceté, la bonté, cela fait un peu enfantin de dire ça, mais je ressens cela tout de suite, dans le regard. Je suis capable d'être méchante, mais je sais que je ne suis pas quelqu'un de méchant. Il y a des gens chez qui on peut déceler la méchanceté. J'observe beaucoup les gens avant de me faire une idée sur eux, je peux me tromper, mais la bonté est une qualité assez rare à laquelle je suis très sensible.

On vous trouve distinguée, élégante, respectable.
Je suis même étonnée de voir à quel point... J'ai quand même deux enfants et je n'ai jamais été mariée avec leurs pères... En vérité, beaucoup de choses ont été occultées par les photos impeccables des magazines. Je suis toujours très bien habillée en public, c'est vrai. Habillée par Saint Laurent, et "Belle de jour " a donné une image, irrémédiablement...

Justement, l'après-midi, "Belle de jour" faisait autre chose. On aurait pu imaginer que vous aussi, vous faites autre chose !
Le côté bourgeoise ambiguë ! Je présente peut-être les signes extérieurs d'une bourgeoise, mais je suis plus tolérante que les gens habillés d'une façon extrêmement décontractée qui n'ont aucune indulgence pour les gens stricts ! Moi, je peux sortir avec des gens habillés n'importe comment, cela m'est égal. Mes enfants vous le confirmeront : ils s'habillent comme ils veulent, cela ne me gêne pas.

Vous êtes une mère libérale ?
Il y a des choses sur lesquelles je suis très stricte. Ils vous diront qu'ils n'ont jamais pu boire de Coca-Cola à la maison, ce n'est pas libéral ! Mais sur des signes extérieurs de reconnaissance, sur le vêtement, sur la coiffure, sur le style, je les laisse se trouver. C'est tellement difficile d'être un adolescent.

Avez-vous lu le livre d'Annie Ernaux qui s'appelle "Passion simple" ? C'est l'histoire d'une passion où la narratrice ne vit plus qu'en fonction d'un homme et s'habille pour lui, même s'il ne voit rien puisque lorsqu'il arrive, elle est tout de suite déshabillée !
C'est une histoire étemelle ! Une femme qui, par amour... Je comprends tout à fait.

Vous comprenez qu'une femme soit totalement aliénée par une passion ?
Franchement, il n'y a rien de plus beau que d'être aliéné par l'amour ou la passion. C'est la seule chose qui donne droit à tout. La seule chose qui donne le droit de s'humilier.

Cette femme passe tout son temps à attendre un homme.
C'est normal quand on est amoureux, on passe sa vie à attendre, à être jaloux, à être bête, à avoir des mauvaises réactions...

Mauvaises réactions... On n'imagine Catherine Deneuve qu'avec de bonnes réactions, la dignité, la domination de soi...
Je ne suis pas une sainte, je peux souffrir comme tout le monde. La passion, c'est un domaine où l'on ne sait jamais jusqu'où on peut aller. On peut aller jusqu'à la douleur physique, jusqu'à la mort. Il y a sûrement des femmes qui refusent cette idée.

Les hommes peuvent vivre cette attente, cette dépendance, cette subjugation ?
Certains hommes sont capables de vivre ça, oui, je crois que les hommes ne sont pas à l'abri des passions ravageuses.

Tant pis ou tant mieux pour eux ?
Oh, tant mieux ! Mais les hommes sont souvent désarmés par une violente passion amoureuse. C'est quand même moins leur histoire, ils sont moins formés à la supporter parce qu'ils sont plus pris par ce qu'ils font que par ce qu'ils sont.

Il y a aussi les femmes qui ont vécu des passions violentes quand elles étaient jeunes et qui disent : "Ah, quel gâchis, plus jamais ça".
Je n'ai aucun regret.

L'amour peut faire souffrir physiquement ?
L'angoisse, l'état dépressif après une histoire passionnelle qui se termine mal peut causer une souffrance physique avec des symptômes tout à fait physiques.

Dans ce livre d'Annie Ernaux, il s'agit d'une passion uniquement sexuelle.
Ça, c'est encore pire ! C'est terrible ! C'est magnifique et en même temps, c'est terrible parce que c'est tellement rare. Tout passe, après il n'y a rien à faire, cela ravage tout. On sait bien que la vie sexuelle des hommes comme des femmes dans l'ensemble est le plus souvent limitée. On sait aussi qu'une grande histoire d'amour physique est condamnée dans le temps et que c'est extraordinaire de vivre ça. Alors c'est irrésistible, ça vaut le prix de cette souffrance car c'est une expérience unique. Très peu de femmes et d'hommes auront la chance de connaître ça, cette chose qui vous emporte. C'est une sensation qui ramène tellement les êtres humains à leur essence, à leur fragilité. C'est une expérience limite que l'on a la chance de connaître.

Pourquoi ce genre de passion choque ?
Parce que cela dérange tout, parce que la tête ne compte plus, mais ce qui ne va pas, c'est la honte. Quand, après, on essaie de masquer, de gommer...

Il y a des femmes qui refusent totalement ce genre de passion qui les asservit au sexe d'un homme.
(Rires) II y a beaucoup de femmes qui ont besoin d'alibis parce que l'idée du sexe pour le sexe s'oppose quand même à notre éducation. On est dans un pays catholique, on est quand même marqués par l'idée de la luxure, même si on veut s'en dégager.

Votre fille vit encore à la maison ?
Non, plus depuis quelques mois. C'est la première fois de ma vie que je vis seule. Je n'y suis pas encore habituée.

C'est plutôt difficile ou plutôt plaisant ?
C'est plutôt une difficulté. Je n'ai pas le choix, donc j'essaie de m'y habituer. Il faut que je m'y habitue.

Ça va avec les cheveux coupés aussi ?
Oh non ! Rien n'est coupé avec mes enfants, je les vois beaucoup. C'est une évolution. Simplement, comme je suis restée dans le même appartement, c'est un peu bizarre.

Vous n'avez pas envie de déménager ?
Non. Je croyais, mais je me suis aperçue que si je le faisais, ce serait pour le principe de tout changer et que ce serait ridicule : j'ai un appartement agréable. J'ai plutôt envie de voyager, de travailler, de faire bouger les choses autour de moi. Ce n'est pas en changeant de maison que l'on marche et moi, je veux continuer à marcher, à faire face, à avancer.

Il y a beaucoup d'amitié dans votre vie.
C'est vrai, j'ai des amitiés fortes. Malheureusement, plus la vie avance, plus on perd des amis auxquels on tient, plus on est attaché à ceux qu'on aime.

On est plus heureux en vieillissant ?
Oh non. Les choses qui me touchent me touchent encore plus. Je ne suis pas raisonnable. Je n'accepte pas que les gens qu'on aimait nous quittent. J'ai été assez peu gâtée sur ce plan-là. Avant, je pensais : il y a un âge où il faudra accepter ça. Mais non, c'est insupportable. Ou bien je suis encore trop jeune.

Deneuve parle d'amour


Par : Michèle Manceaux
Photos : Serge Arnau


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