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Mon Indochine

Le tournage d'"Indochine" - son 70ème film, en trente ans d'une formidable carrière - a été pour elle un très grand coup de cœur. Catherine Deneuve, héroïne de la fresque lyrique et historique de Régis Wargnier qui, cette semaine, explose sur les écrans, a découvert, en trois mois de Viêt-nam et de MaIaisie, un rôle et un pays qui l'ont bouleversée. La star a confié à "Paris Match" les photos souvenirs qu'elle a rapportées de ce voyage dans un autre monde. Elle les a commentées elle-même. Et elle raconte, pages suivantes, comment le personnage d'Eliane Devries s'intègre dans sa vie d'actrice. Voici le reportage de Catherine Deneuve, vedette éblouie.

Superproduction qui a coûté quelque 120 millions de francs, qui fait revivre l'Indochine des années 30, c'est aussi un grand mélo tissé d'amour et de politique. Catherine Deneuve est une extraordinaire Eliane Devries, grande propriétaire terrienne qui dirige une plantation d'hévéas, si bien intégrée dans son pays - elle ne connaît même pas la métropole - qu'elle a adopté une princesse annamite, une inconnue découverte par Régis Wargnier, Linh Dan Pham. Vincent Perez (le Christian de "Cyrano") interprète un jeune officier et Jean Yanne le chef de la Sûreté. En deux heures et quarante minutes de passion et de drames, l'Histoire joue avec leur destin dans cette inoubliable Indochine.

Son visage raconte au fil des ans la plus vraie et la plus magique histoire de la beauté. De l'adolescence à la maturité, Catherine Deneuve garde le même éclat et le même mystère, la même élégance et la même sensualité, mais chaque saison de son talent semble encore l'embellir. Elle n'inspire pas seulement des chefs-d'œuvre à Buñuel, Demy, Polanski et surtout Truffaut, dont elle est l'actrice fétiche. Marianne a eu ses traits dans toutes les mairies du pays, de 1985 à 1989, et elle demeure de film en film la star préférée du public. L'ancienne ingénue romantique du cinéma français en est aujourd'hui l'incontestable diva. A 48 ans, elle trouve dans "Indochine" un rôle à la mesure de sa splendeur, de son métier et de sa légende. Le rôle d'une femme qui lui ressemble. Resplendissante et secrète, passionnée et troublante. "Ce que j'ai aimé, dans ce personnage, c'est la fêlure", dit celle que le magazine américain "Vanity Fair" a qualifiée de "trésor national français".

Qu'est-ce qui vous a incitée à accepter le rôle d'une héroïne aussi romanesque que cette Eliane vivant dans l'Indochine des années 30 une aventure exotique et passionnée ?
Depuis longtemps déjà, j'avais envie de travailler avec Régis Wargnier, dont j'avais beaucoup aimé et "La femme de ma vie" et "Je suis le seigneur du château". Je l'avais rencontré avant qu'il n'écrive le scénario. Il m'avait parlé d'un projet tournant autour d'un personnage de femme ayant des responsabilités d'homme mais gardant les avantages d'être femme. Il est parti de cette idée simple, de l'Indochine et d'une petite princesse orpheline. Je lui ai donné un accord de principe. Puis l'histoire s'est agrandie.

Ecrite spécialement pour vous ? Comme toujours ?
Pas comme toujours. Comme souvent. J'ai, en effet, la chance de lire beaucoup de scénarios écrits pour moi.

Pourquoi ne pas être davantage à l'origine de projets ?
Je trouve que c'est être à l'origine de projets que de susciter l'envie d'écrire.

Il n'est donc pas étonnant de trouver dans Eliane à la fois une continuité et un aboutissement de toutes les femmes que vous avez incarnées jusqu'alors...
Eliane est un personnage auquel j'ai pu facilement m'identifier. Elle fait des choses. Elle possède une grande énergie mêlée à de petites fêlures. C'est une femme qui a l'air en harmonie.

Avez-vous pensé, en acceptant ce rôle, qu'il serait important pour et dans votre carrière ?
Je ne pense jamais en termes de carrière. J'écoute mon instinct. Il m'arrive parfois d'hésiter. Mais il m'arrive aussi d'avoir des emballements. D'une rencontre ou d'un projet nouveau, j'attends toujours plus de surprise. J'ai envie de chocs. Loin de moi donc l'idée de rester une femme à sa fenêtre. Et d'attendre.

Parmi les rôles que vous n'avez pas tenus, regrettez-vous le film d'Alfred Hitchcock qui ne s'est pas tourné ?...
Je n'ai pas tourné le film avec Hitchcock car il est mort après me l'avoir proposé. Mon rêve aurait d'ailleurs été de jouer dans "Pas de printemps pour Marnie". Il y a là tout ce que j'aime. La complexité d'un joli personnage de femme. Et aussi une ambiguïté pas trop déclarée. J'aime être imprévisible.

Dans votre désir de surprendre, vous n'avez pas hésité à changer votre apparence physique...
N'exagérons rien. Pour "La reine blanche", je me suis amusée à prendre quelques kilos afin de paraître plus ronde. L'idée que je me faisais du personnage, femme de plombier, était celle d'une créature épanouie. Cela me paraissait vraisemblable. Mais je ne veux pas, de film en film, habituer les spectateurs à une suite de transformations.

Vous avez cependant fait couper vos cheveux pour le film ?
Le scénario d'"lndochine" se déroulait en 1930. Je ne pouvais donc garder mes cheveux longs. J'avais d'abord voulu essayer une perruque, mais, avec mon épaisseur de cheveux en dessous, elle me faisait une tête énorme. J'en ai donc fait couper. Cela allait bien avec la silhouette que j'avais choisie d'esquisser. Anglaise et maigre. Elle me correspondait mieux, car les gens me voient toujours en femme très parisienne, dans un cadre sophistiqué.

Admettez-vous que les gens puissent avoir un droit de regard sur vous ?
Tout se passe, parfois, comme s'ils l'avaient. Je m'en suis aperçue à travers le fait que je me suis fait couper les cheveux, cette fois très courts, à la fin du tournage. Je l'ai fait pour moi. Pas pour changer de tête, mais parce que je voulais savoir ce que cela faisait d'avoir une nuque de garçon. Et ce qui n'était, a priori, qu'un acte banal a pris une importance phénoménale en devenant presque une affaire d'Etat. Heureusement que je ne tiens pas compte de l'opinion des gens, car, à les entendre, et à la suite d'actes aussi personnels que quotidiens, il m'aurait presque fallu organiser un référendum. Oui, j'appartiens donc aux gens. Un peu. Je n'admets pas, mais je comprends qu'ils croient avoir un droit de regard sur moi. Par bonheur, la plupart ont des réactions positives. Sans cela, je serais très troublée.

Avez-vous éprouvé le même sentiment à l'égard d'actrices qui, à un moment ou un autre, vous ont éblouie ou épatée ?
Non, pas à ce point. Mais il est vrai que beaucoup d'actrices m'épatent. Et quand je dis que quelqu'un m'épate, c'est plus par le talent que par la réussite. J'aime énormément quelques comédiennes. Louise Brooks, autant pour ce qu'elle a été que pour ce qu'elle a écrit. Julie Christie. Et encore Jessica Lange, Carole Lombard, Geena Davis et Susan Sarandon. J'aime l'énergie .des actrices, surtout américaines.

Quelle actrice vous a laissé le plus durable souvenir ?
Sans aucun doute Sophia Loren. J'ai un souvenir très très fort d'elle. Je l'ai vue, quand j'étais petite fille, dans "La fille du fleuve" en une robe mouillée qui lui collait à la peau et j'ai été suffoquée par cette apparition très sensuelle. Ce fut ma première forte impression de cinéma.

Celle qui vous a donné envie de devenir actrice ?
Rien ne m'a donné envie de devenir actrice. Sinon le fait d'avoir été prise par la main, un jour, par ma sœur Françoise Dorléac m'emmenant sur un plateau de cinéma.

Aujourd'hui, pourriez-vous exercer un autre métier que celui d'actrice de cinéma ?
Vous plaisantez. Je n'ai pas d'envie ni de dispositions pour faire autre chose.

Est-ce que le métier d'actrice vous a apporté, maintenant, ce que vous en attendiez quand vous étiez jeune et que vous débutiez à 15 ans ?
Je n'attendais rien et je n'imaginais rien du métier d'actrice quand j'ai débuté. Mais j'ai appris beaucoup de la vie à travers les films que j'ai faits et les réalisateurs que j'ai rencontrés. Etre vedette jeune, c'est une chance formidable. Quand on réussit très jeune, on ne peut pas dire qu'on l'a voulu ou souhaité. Les propositions arrivent vite, donc il n'y a pas de lutte. Je n'ai jamais su ce qu'était la rivalité et j'ai toujours travaillé.

Vous arrive-t-il de regarder vos films et de les montrer à votre fils ou.à votre fille ?
Je ne revois pas mes vieux films. Je n'en ai pas l'occasion. Ni le temps. Et je ne les montre pas à mes enfants. Je n'en ai pas très envie. Mais je sais que ma fille, lorsqu'elle a besoin d'énergie, regarde "Les demoiselles de Rochefort".

Comme Eliane, votre personnage d'"Indochine", vous donnez tout en gardant votre mystère.
Cela ne me semble pas incompatible. J'aime les personnages qui se révèlent plus complexes et plus tourmentés que ce qu'ils apparaissent.

Vos rôles fonctionnent souvent sur ce sens de la retenue.
J'ai une forme de réserve naturelle dont je ne cherche pas toujours à me départir.

Vous paraissez souvent mettre entre le monde et vous un rempart de bonnes manières...
Vous vous trompez. Je suis très réservée, mais pas pour autant farouche adepte des bonnes manières. J'ai, peut-être, de l'allure comme ça. Mais je peux parfaitement l'oublier. Je peux me conduire très très mal, Je peux être très violente et très agressive. Je ne suis pas quelqu'un qui se contrôle totalement.

Vous aimez l'idée des fausses apparences ?
J'aime l'idée de jouer les femmes à l'extérieur lisse mais à l'intérieur déglingué. On dit que j'attire ce genre de personnages, mais peut-être est-ce moi qui les choisis délibérément. La double image, c'est troublant. Et il est toujours plus facile de jouer l'ambiguïté. J'aime le secret. J'aime l'idée des choses cachées. J'aime l'idée de pouvoir tout donner aux personnes qui me sont chères et je ne peux concevoir de donner des morceaux à beaucoup de gens. Et, comme Eliane, je crois que ma volonté me tient lieu de squelette.

Il est amusant de constater que vous rayonnez aujourd'hui, sur le cinéma français, d'une indéniable autorité, après avoir refusé beaucoup de règles du jeu social...
Je ne peux pas parler de cette autorité que vous me prêtez, même si je suis consciente d'une sorte de consensus à mon sujet. Et il est vrai que j'ai refusé beaucoup de règles sociales. A commencer par le mariage, puisque j'ai eu mes enfants alors que je n'étais pas mariée. Et que j'ai mené ma vie comme j'en avais envie.

Qu'est-ce qui vous donne, depuis trente ans que vous travaillez, l'envie de continuer ?
Il n'y a pas que le cinéma dans ma vie. C'est important pour moi, mais j'ai besoin d'autres choses qui m'intéressent, peut-être banales mais vitales pour mon équilibre. Je veux m'occuper quotidiennement de choses tout à fait naturelles, prendre mon temps et ne faire que ce que j'ai vraiment besoin de faire. Pour vivre comme j'en ai envie. Ou alors survivre.


Par : Henry-Jean Servat
Photos : Catherine Deneuve


Film associé : Indochine



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