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Identification
d'une femme |
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Son nouveau film vient de sortir.
A cette occasion, elle s'est "racontée" à Philippe
Labro, un de ses vieux amis. La plus secrète des stars lève
le voile.
La star dans le secret de sa beauté.
Sa carrière épouse le fil du temps qui, sans éteindre
l'éternelle étincelle de sa jeunesse, lui fait incarner
tous les âges d'une femme de son époque. Pour les Français,
Catherine Deneuve est un personnage à la beauté et au charme
si fascinants : dans un sondage réalisé par "Paris
Match", elle reste la seule star qu'ils aimeraient voir cloner. Dans
son nouveau film, "Généalogies d'un crime", de
Raoul Ruiz, Miss Deneuve se dédouble et incarne magistralement
Solange, une avocate, et Jeanne, une psychanalyste obsessionnelle. Secrète
en cultivant idéalement son mystère, Catherine se dévoilera
prochainement dans un livre. Elle se confie, en exclusivité pour
"Paris Match", à Philippe Labro, et parle de sa vie,
de ses amours, de ses deuils, de sa famille et du temps qui coule.
Face à ce monde nouveau qui apparaît,
n'appartiens-tu pas à une génération passée
?
Ah non, pas du tout ! Il est évident qu'à l'heure qu'il
est et à l'âge que j'ai, on doit considérer que je
fais partie du patrimoine. Mais tant que je continue à faire des
choses que je désire, avec des gens plus jeunes que moi, ça
va. La nouveauté de ma vie, elle est là : pendant très
longtemps, j'étais benjamine. Aujourd'hui, je sais que je ne suis
plus la plus jeune ! Mais je continue à travailler avec des gens
plus jeunes que moi et tant que j'ai l'impression d'être au milieu
de gens qui ne se prennent pas au sérieux, ça va.
Parce que, ce que tu aimes chez
les hommes, c'est quand ils ne sont pas adultes ?
Non, quand ils sont des garçons. Un garçon, c'est quelqu'un
encore capable de ne pas avoir oublié l'enfant qu'il vient d'être,
et de ne pas le cacher.
Les hommes de ta vie, dans ta
vie, étaient-ils plutôt garçon qu'homme ?
Oui, pour leur majorité : ils avaient une grande capacité
à ne pas se prendre au sérieux.
Mastroianni, c'était
un garçon ?
Un garçon d'une autre époque, mais un garçon. Il
faut bien comprendre que, dans le monde du spectacle, nous avons le droit
à l'insouciance et à la légèreté. Ce
que nous faisons est bien plus important que ce que nous sommes. Nous
pouvons demeurer des enfants.
A propos de Mastroianni, je
me trompe peut-être, mais il me semble que tu as vécu une
année mouvementée : du chagrin, la mort de Marcello, le
rappel triste et nostalgique, à travers le film de Canal+, de la
mort de ta soeur, Françoise Dorléac, mais aussi le bonheur
avec la naissance de l'enfant de ta fille, Chiara.
Ça a été, en effet, une année d'émotion,
très dure. Je suis allée d'épreuve en épreuve.
Et j'ai craint de ne pas être à la hauteur des situations.
Le deuil d'un être cher, une épreuve que tout le monde connaît,
c'est d'une effrayante banalité et d'une effrayante douleur. Tout
le monde y est confronté. Mais c'est la chose pour laquelle on
n'a absolument aucun bagage, quelle que soit l'expérience que l'on
ait des premières fois.
Tu as été surprise
par l'effet que la perte de Marcello Mastroianni a eu dans les médias,
dans le monde entier, dans le public ?
Oui et non. Les gens l'aimaient à un point inimaginable. Même
ceux qui ne le connaissaient pas. Il déclenchait une tendresse
auprès du grand public. Quand j'ai vu aux actualités les
réactions des Italiens, on sentait une vraie tristesse, il faisait
partie de leur paysage. Quand on parlait de l'Italie, Marcello était
l'une des premières personnes à qui on pensait. Il avait
une qualité de sympathie exceptionnelle. Et il dégageait
de la gentillesse, autre qualité rare.
C'est cela que tu cherches chez
un homme, gentillesse et sympathie ?
Pas forcément dans cet ordre-là !
Alors, que cherches-tu ?
Je ne cherche pas. Ce qui m'épate et m'attire d'abord, c'est l'intelligence.
Avant tout. Je suis séduite par le charme bien sûr, mais
ça passe par l'intelligence.
La beauté pure, ce que
l'on appelle "le beau mec" ?
Ah non alors, pas du tout ! Le physique pour moi, chez un homme comme
chez une femme, c'est quelque chose d'important et en même temps
de complètement secondaire.
Qu'entends-tu par gentillesse,
Catherine ? C'est un terme que l'on utilise de plus en plus rarement.
Une espèce de douceur envers les gens, même ceux que l'on
ne connaît pas. Je suis très sensible à cette attitude.
Cela veut dire que je suis vulnérable. Mais je me protège
pas mal. Je me protège même beaucoup parce que je trouve
que la vie, elle est vivante, mais elle est agressive !
Tu te protèges parce
que tu es Catherine Deneuve ? Ou tu le ferais de toute façon ?
Je me suis toujours sentie vulnérable et victime de mes sentiments,
de mes émotions. Contrairement à ce que tout le monde croit,
je ne suis pas très équilibrée. Je suis quelqu'un
de très excessif.
Quoi d'autre, chez les hommes
?
Humour, bien sûr, et fantaisie. Ce qui n'est pas la même chose
: la fantaisie, c'est la capacité de vous surprendre.
Est-ce qu'il n'y a pas plus
de brutalité aujourd'hui dans les rapports ?
Je ne suis pas aussi sure que cela. Je trouve les jeunes gens étonnants
de tendresse et de faiblesse, parfois. Par ailleurs, il est vrai que tout
ce qui a été fait pour gagner du temps rend les gens plus
agressifs, plus impatients. Ils ne veulent plus attendre, ils veulent
tout, tout de suite. Au Japon, j'ai été surprise : dans
les endroits les plus sophistiqués, au milieu des ordinateurs,
Internet, tout ce bazar, je voyais encore des gens utiliser des bouliers.
Ça m'a plu. Est-ce que j'appartiens à la génération
du boulier ? J'ai une réticence devant les ordinateurs, mais je
me dis que, s'il faut s'y mettre, je m'y mettrai, pas pour courir après
une mode, mais pour accepter une mouvance.
Reprenons sur cette année
difficile. Il y a eu la mort de Marcello Mastroianni et ce film à
propos duquel tu t'es livrée sur Françoise Dorléac,
ta sur.
Je ne l'ai fait que parce qu'une journaliste, Anne Andreu, que je connaissais
bien, m'a démontré par son esprit, son ton, que je pouvais
m'ouvrir à ce sujet. Mais, même si cela peut paraître
fou, trente ans après, j'ai quand même encore eu comme une
douleur. Je me suis rendu compte que le deuil, aussi lointain qu'il était,
passait très mal. Je m'en suis aperçue au courrier que j'ai
reçu : des hommes et des femmes qui me disaient la même chose.
Cette boule de chagrin qui reste là pour la vie, au fond de la
gorge, est universelle. Voilà vingt-cinq ans que ce chemin de deuil,
j'ai attendu d'en parler. Je ne suis pas sure de pouvoir recommencer.
Parce que la porte que j'ai ouverte a laissé passer du froid, beaucoup
de froid. Simplement, cela m'a permis de confirmer cette vérité
: dans un grand chagrin, la chose la plus positive, c'est qu'on se met
à aimer encore plus les gens que l'on aime.
Par ailleurs, il y a eu ce bonheur
: la naissance de l'enfant de ta fille.
Oui, mais là-dessus, j'ouvre encore moins la porte. Non pas parce
que celle-là ouvre sur du froid, elle ouvre sur quelque chose de
très chaud, tendre, merveilleux, mais parce que je respecte infiniment
la manière farouche dont Chiara protège son enfant. Son
enfant, c'est sa vie, et je fais tout pour l'aider.
Mais que t'apporte le bonheur
de cet enfant, celui de ta fille ?
J'adore les bébés, de toute manière. Je ne peux pas
m'empêcher de toucher des bébés, dans la rue. Je les
tripote, je touche l'oreille, la nuque. Les gens me regardent d'un air
étonné. Alors évidemment, dans le cas de ce bébé-là,
eh bien, c'est le bébé de mon bébé ! C'est
formidable, mais je ne tiens pas à en parler plus que cela.
Il y a une phrase assez connue
qui dit : "Pour avoir eu une vie vraiment réussie, il faut
avoir écrit un livre, construit une maison et entretenu un jardin."
Les maisons, j'en ai eu, pas beaucoup, deux. Les jardins, oui, j'adore
les jardins. Quant au livre, ce n'est pas encore fait, mais je vais le
faire !
Catherine Deneuve va faire un
livre ?
Oui, parce qu'il y a beaucoup de choses qui me paraissent floues. La parution
du livre sur la vie de François Truffaut n'a pas pu m'empêcher
de penser que François n'aurait pas forcément été
d'accord sur ce qui a été dit. Lui qui avait un tel goût
du secret, plus que n'importe qui. Même s'il avait gardé
tout son courrier, même si tout ceci a été vu, balisé,
autorisé. Je n'ai pas aimé la manière dont la presse
ne s'est occupée que de son aspect "Don Juan". François
Truffaut avait une uvre, c'était
un homme compliqué, intelligent, passionnant. Les journaux ont
polarisé sur ses femmes : "François et les femmes !"
Pour mon livre, il y a eu beaucoup de choses fausses à mon sujet
et je me dis : eh bien, qu'est-ce qui va rester de moi ? Oh, des choses
conventionnelles, des listes de films, des dates, des machins avec des
photos de films, ou... des choses écrites par d'autres, que je
n'ai pas voulu entériner. Alors je me dis qu'il faut que je le
fasse, au magnétophone, avec quelqu'un.
Tu y parleras de ta vie privée,
de tes hommes ?
Tu ne vas quand même pas citer le bouquin de Bardot, je t'en prie
! D'ailleurs, pourquoi dirais-je "mes hommes" ? Je n'ai jamais
eu le sens de la propriété. Pour moi, les hommes, ce n'est
pas la vie, et puis je pourrais dire aussi "mes femmes" ! J'ai
des amitiés si fortes avec certaines femmes. Aussi importantes
que mes relations avec les hommes. Je leur demande les mêmes qualités.
La différence, c'est que, bon, j'ai parfois envie d'embrasser les
hommes, mais pas vraiment d'embrasser les femmes. Encore que...
Ton hétérosexualité
l'emporte ?
Oui. Mais les femmes qui ont comptée dans ma vie, personne ne les
connaît. Ce sont des amitiés très anciennes, qui datent
de trente, trente-cinq ans. Ça aussi, c'est mon jardin.
Qu'est-ce que tu cherches dans
un jardin ?
Rien, ça a commencé très tôt, avec les fleurs,
parce que ma mère est une jardinière. Mes vacances d'enfance,
je les passais à la campagne, j'adorais les bois au printemps,
les mûres en été. Me retrouver dans un jardin, c'est
me retrouver dans mon enfance.
Tu t'y redécouvres ?
Tu as l'impression que tes masques tombent ?
Non, je n'ai pas de masque. Enfin si, je suis comme tout le monde, j'ai
des masques... Non, c'est beaucoup plus charnel, physique et sensuel.
Les formes, les odeurs et les couleurs, les volumes. J'ai la sensation
d'être dans quelque chose de tellement vrai, et me sentir tellement
petite que ça me rassure. La nature me protège...
Je te jure, Catherine, que tu
n'arrêtes pas d'employer le terme protéger.
Ah bon ? Je l'emploie ? Ben oui, d'accord, c'est parce que je suis une
peureuse courageuse, si ça peut se dire.
Qu'est-ce qui te fait peur ?
L'agression ! J'ai déjà été agressée,
physiquement. Dans la rue, il y a longtemps, il doit y avoir vingt ans,
mais ça a duré quand même assez longtemps et c'était
très dur.
Tu connaissais ton agresseur
?
Non, c'était un inconnu qui m'a harcelée.
Harcèlement sexuel ?
Bah, sexuel, quand il s'agit d'une actrice, il y a toujours quelque chose
de cela. Mais c'était violent et dur et c'est une de mes grandes
peurs. En gros, j'ai l'impression que je suis une peureuse qui s'est rééduquée.
Soudain, à ce stade de la
conversation, Catherine Deneuve interroge :
Nous n'avons pas encore parlé du film ? Nous étions venus
pour cela, pourtant, non ? Pour parler de "Généalogies
d'un crime", de Raoul Ruiz.
Certes, mais je vois bien ce
qui a pu t'intéresser dans ce rôle : c'est passionnant pour
une actrice que de jouer un rôle double. Et puis, il y a la psychanalyse.
Il y a aussi beaucoup d'humour. Pour une actrice, qui n'avait jamais fait
cela, c'est original de passer dans le même film, d'une femme à
une autre. Ce film a une vision très sud-américaine, baroque,
c'est une culture différente et foisonnante qui me plaît.
Et puis il y a le rapport avec la jeunesse, avec le transfert qui s'opère,
tout cela m'a intéressée. C'est-à-dire que c'est
un film moins basé sur l'anecdote ou sur l'action que sur la situation.
Et j'y ai trouvé un apport qui correspond à ma vie actuelle.
Parmi les gens que tu as pu
approcher, il y a ceux dont on parle souvent, Truffaut, Mastroianni, mais
j'aimerais que nous parlions un instant de la relation que tu as eue avec
Yves Montand ou Serge Gainsbourg.
J'ai beaucoup mieux connu Serge qu'Yves Montand. J'ai tourné avec
Yves, je l'aimais beaucoup, c'était une relation de tournage, un
homme adorable et émouvant, mais Serge était vraiment un
copain, pas un ami - un copain ! D'ailleurs, il me disait que je me comportais
comme un garçon. Le soir, je l'accompagnais, on est beaucoup sortis
ensemble à une époque où il avait une vie très
difficile. Je rigolais beaucoup avec lui, il était très
drôle, mais évidemment, voir un homme et une femme, Catherine
Deneuve et Serge Gainsbourg sortir, presque tous les soirs, cela fait
parler. Il y a toujours cette ambiguïté : moi-même,
je verrais un homme et une femme sortir une, deux, trois fois ensemble,
à la fin je me dirais : tiens ? Mais nos relations étaient
celles de copains. Il ne détestait pas donner l'apparence d'une
ambiguïté dans une relation avec une femme, même s'il
ne la touchait pas. C'est la faiblesse de beaucoup d'hommes. Quand on
leur dit : "Alors, dis donc, il paraît que"... Eh bien,
ils ne démentent pas ! Les hommes ne démentent pas par vanité.
C'est un défaut masculin, bien plus que féminin. Les femmes,
elles, démentent. Elles passent leur vie à démentir,
si j'ose dire.
Même à mentir ?
Oui. Mais Serge, ça le flattait de laisser planer autour de lui
que toutes les femmes qui l'approchaient, il les tombait. C'est un homme
qui a eu un mal fou à se remettre de son physique, mais aussi de
son échec en tant que peintre. Ce ratage, sa laideur physique sont
les deux éléments qui l'ont poussé à rechercher
autre chose, et ces deux ratages ont créé une provocation
qui l'a amené à construire un autre univers, à une
forme de génie. Et puis je trouve qu'il avait un charme fou !
Revenons-en à ta vision
des choses de la vie. Qui a du charme aujourd'hui ?
Aujourd'hui... Euh, Daniel Auteuil. Dans un autre domaine, Le Clézio.
De toute façon, on est dans un monde de séduction, même
les hommes politiques aujourd'hui, il faut qu'ils aient du charme. Mitterrand
avait beaucoup de charme.
Il t'a fait du charme ?
Mais il en faisait à tout le monde ! Les hommes charmeurs font
du charme à tout le monde ! Même à une porte !
Bon, mais Mitterrand, il est
mort. Alors parle-moi des hommes politiques vivants. Et si tu me dis qu'il
n'y en a pas qui aient du charme, alors dis-le moi.
Oh si, si, il y en a sûrement. Mais je ne vais pas te citer Clinton,
je ne trouve pas qu'il en ait tellement. Non... Ah oui, Mandela ! Il a
un charme fou. Je l'ai rencontré dans une soirée extraordinaire,
tout à fait imprévue, en Afrique du Sud. Evidemment, on
n'est pas dans la même catégorie que Chirac, Toubon ou Jospin.
Tous ces canons de beauté,
tous ces jeunes gens qui font s'évanouir les petites filles aujourd'hui,
les Tom Cruise, les Boy's Band... Tout ça... Ils ont du charme
?
Tom Cruise a certainement du charme, mais je suis beaucoup plus sensible
à celui de De Niro, Pacino, Brad Pitt ou Johnny Depp.
Tu sais que cette petite liste
va très bien aux jeunes filles d'aujourd'hui ! C'est très
teen-ager ce que tu viens de me dire : Brad Pitt, Johnny Depp, c'est à
peu près 17 ans et demi comme réponse.
Oui, mais pourquoi pas ? Johnny Depp est un homme moderne et poétique.
Et les dames ?
Sharon Stone dégage quand même quelque chose d'assez irrésistible.
Le sourire, elle a l'air très coquine, très "touch
cookie", comme ils disent aux Etats-Unis. Ça pourrait se traduire
par "une sacrée garce", une fille dure, mais coquine.
C'est-à-dire libre. Une tombeuse, peut-être...
Qu'est-ce qui te manque le plus
dans la vie ?
Des gens et le temps. Les gens qui ne sont plus là et qui étaient
dans ma vie affective depuis trente ans, et ça commence à
faire beaucoup de monde. C'est même une galerie de portraits qui
me fait penser à ce très beau film de Truffaut, "La
chambre verte". A l'époque, je n'avais pas eu encore tout
le chagrin que j'ai eu depuis. Je n'avais pas perdu des amis morts du
sida, entre autres. Mais ce film m'avait beaucoup touchée à
cause de l'idée qu'il faut être fidèle aux gens que
l'on a aimés, conserver la mémoire de ceux qu'on a aimés.
Je n'oublie aucun de ces gens-là. Ma vie personnelle est beaucoup
plus importante que tout le reste.
Et ce temps qui te manque ?
Ce qui m'obsède, c'est non pas les années après les
années, mais la journée. Je triche toute la journée.
J'essaie toujours de faire plus de choses que je ne peux en faire. Je
réduis le temps, d'un jour à l'autre, je ne dors pas assez.
Qu'est-ce qui te satisfait le
plus dans la vie ?
Les jours où tout va bien. Les jours où ça palpite,
où le voile gris ne l'emporte pas, ne vient pas masquer toute la
vie.
C'est une belle expression,
"le voile gris", elle est de toi ?
Il y a des jours où le voile est même noir. C'est une question
d'ordre psychique, sans doute. C'est aussi parfois une suite d'événements,
la fatigue, ou le regard que l'on porte sur l'extérieur. Et le
voile noir, il est passé parfois pour moi. J'ai connu le désespoir
mais, à mon âge, on pourrait dire que c'est normal.
Quel âge te donnes-tu
aujourd'hui ?
Quand ça va bien, certains jours, je me donne 24 à 25 ans.
D'autres, 40 à 43, mais je ne vais pas au-delà ; de toute
façon, la notion de l'âge est liée à celle
de l'énergie. Tant que tu as de l'énergie, l'âge ne
compte pas. Je n'y pense pas. Tu vas peut-être me poser une dernière
question ?
Non, c'est toi qui va me la
poser.
Eh bien, précisément, quelle heure est-il ?
Voilà bien ton obsession
du temps.
J'ai des montres et des pendules partout. Oui, cela m'obsède.
A mon tour de te poser la dernière
question. Pourquoi fumes-tu autant ?
Je ne sais pas. J'avais arrêté il y a douze ans. J'ai repris
il y a quelques mois. Mes amis ont dû m'entraîner, je me suis
aperçue que c'était agréable, et j'ai recommencé.
Mais il doit y avoir une autre raison que celle de mes amis.
Quelle raison ?
Si j'avais trouvé, j'aurais déjà
arrêté. Mais je vais m'arrêter !

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