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Quand une star au long cours rencontre l'espoir de demain...

Pour Paris Match, elles se sont retrouvées au Crillon. D'un côté, "la" Deneuve de l'autre, Natacha Régnier. D'un côté, une gloire du cinéma, l'anti-Garbo qui relève le défi de vieillir à l'affiche où elle sera présente cinq fois cette année, avec deux films déjà sortis "Belle-maman" de Gabriel Aghion, et "Le vent de la nuit" de Philippe Garrel. Et de l'autre, la jeune fille éblouie par ce titre du espoir qui va si bien à son âge. Face à tant d'innocence. La belle Catherine a revécu ses émotions passées. "Le danger, vous verrez.." a-t-elle voulu prévenir. Alors que Natacha, insouciante, confiante, se dépêchait de ne pas entendre : "Si l'on fait des erreurs... autant faire ses propres erreurs. J'ai juste envie de me jeter dans les choses qui me passionnent".

Quel souvenir gardez-vous de cette soirée des Césars où vous n'avez pas obtenu le prix de la meilleure actrice, alors que toute la profession vous donnait favorite ?

C.D. L'impression qu'on n'arrive pas à avoir de plaisir dans ce genre de soirée. Le stress l'emporte surtout le reste. Tout au long de la nuit, je me suis sentie mal. C'est une épreuve physiquement difficile. Tout se joue dans une partie tellement serrée. De toute façon, pour moi, la notion de mérite en art n'a pas beaucoup de sens. Quand j'ai été coprésidente du Festival de Cannes, j'ai réalisé combien les palmarès, les palmes sont injustes. On essaie de faire partager ses convictions aux autres et le résultat final est souvent l'objet d'un compromis plus ou moins arbitraire. Je ne veux pas simuler l'indifférence. C'est vrai que j'ai été un peu déçue, mais je ne peux pas dire sérieusement que j'ai été très déçue.

N.R. Les plus beaux cadeaux, ce sont les rôles, les personnages. Mais je pense que c'est un "plus" le César. Surtout le "César de l'espoir" qui comporte un côté vraiment magique. On vous fait confiance pour l'avenir. On parie que vous serez capable de tenir les promesses qui sont en vous.

C.D. Absolument, parmi toutes les nouvelles venues, vous êtes choisie.

Natacha, en recevant votre César, vous avez dit que vous étiez d'autant plus heureuse que vous veniez de "nulle part". C'est-à-dire ?

N.R. Dans ma famille, personne ne travaille dans ce métier, personne ne m'a encouragée à devenir actrice. Mes vrais débuts au cinéma, je les dois à Pascal Bonitzer qui m'a engagée pour jouer dans "Encore", après m'avoir vue dans un court métrage, alors que je n'habitais même pas en France à ce moment-là. Vous voyez que rien ne me prédestinait à être là où je suis aujourd'hui.

C.D. J'ai vécu une histoire un peu semblable avec Jacques Demy. Lorsque je l'ai rencontré, et qu'il m'a proposé "Les parapluies de Cherbourg", je n'avais tourné que deux petits rôles assez moyens. Je ne comprenais pas pourquoi il me proposait un rôle aussi important. Je suis timide mais je l'étais plus encore à l'époque et je me souviens avoir ressenti un terrible mélange de plaisir et d'inquiétude. Pour une jeune fille qui débute, être remarquée, c'est à la fois ce qu'on désire le plus et ce qu'on redoute. C'est l'entrée dans l'arène.

N'y a-t-il pas quelque chose de commun entre "Les parapluies de Cherbourg" et "La vie rêvée des anges" dans la mesure où, pour l'une comme pour l'autre, le succès des films a changé votre vie ?

C.D. Sûrement. Comme "Les parapluies", à l'époque, "La vie rêvée" est un film qui marche partout, jouit d'une reconnaissance englobant à la fois le metteur en scène, le film, les actrices. Quand on a la chance de participer à une aventure pareille, on est placée sous la lumière. On ne peut plus revenir en arrière.

Est-ce que pour vous, Natacha, la carrière de Catherine Deneuve, c'est quelque chose qui vous fait envie ?

N.R. Je dirais d'abord que j'ai envie de faire mon propre chemin. Mais c'est vrai que le parcours de Catherine est exceptionnel par la diversité des films, la longévité d'une carrière qui n'a pas connu d'éclipsé, la fidélité du public qui lui manifeste toujours autant d'amour. Ça fait rêver.

C.D. Quand on raconte l'histoire avec du recul, tout a l'air magique, mais j'ai rencontré aussi beaucoup d'échecs, vous savez, je n'ai pas eu que des succès commerciaux, loin de là, et je m'en réjouis. Si j'avais aligné les triomphes, j'aurais peut-être été coincée dans un autre système de production où je n'aurais pas été heureuse. J'ai toujours un peu surfé entre les metteurs en scène. Au fond, j'ai fait une carrière plus expérimentale qui me ressemble profondément.

N.R. On a l'impression que vous avez toujours été maître du jeu, que vous avez été capable d'alterner des succès commerciaux avec des petits films qui n'étaient pas destinés à rencontrer le public. C'est quelque chose que j'aimerais réussir.

C.D. Les gens croient souvent que tout est très concerté, qu'une carrière correspond à une tactique mûrement réfléchie. Ce n'est pas ainsi que la vie se passe. C'est beaucoup plus chaotique, beaucoup plus difficile que l'image que le public en a. La seule règle, c'est d'être très vigilante sur ce qu'on vous propose et d'être très bien entourée. Le danger, vous verrez, surtout lorsqu'on démarre avec un grand succès comme vous, c'est de rester sur une route un peu trop droite, où l'on essaie d'éviter tout ce qui pourrait brouiller son image. Dans un premier temps, les autres vous disent : "II ne faut pas prendre de risques." On vous pousse toujours vers la normalité et la normalité, c'est de s'accrocher aux choses positives, aux recettes qui ont marché. Qui est votre agent ?

N.R. Intertalent. Ce qui m'intéresse, c'est justement de prendre des risques. Je ne fonctionne pas d'une manière intellectuelle et réfléchie. Je fonctionne sur des coups de cœur. Après, si l'on fait des erreurs, autant faire ses propres erreurs. C'est pourquoi je n'ai envie de reproduire la carrière de personne, j'ai juste envie de me jeter dans les choses qui me passionnent. Je voulais vous dire aussi qu'une autre chose que j'admire beaucoup chez vous, c'est la manière dont vous avez su protéger votre vie privée.

C.D. Mais j'ai eu la malchance d'être tout de suite très exposée dans ma vie privée, parce que j'ai vécu très tôt des choses dramatiques. La chance, en revanche, c'est que j'ai été obligée de me radicaliser très vite par rapport à un certain genre de presse, de ne rien laisser passer. J'ai été aidée par un très bon avocat qui a gagné tous mes procès et qui a su imposer mes positions. Depuis longtemps j'ai une réputation d'emmerdeuse et c'est pourquoi je suis moins en danger que d'autres. Mais aujourd'hui, la presse à scandales est devenue un véritable phénomène de société. Tout le monde en parle et je pense que les jeunes actrices sont beaucoup mieux informées que les filles de ma génération, qu'elles réfléchissent davantage. Comme si la compétition était plus dure et qu'il fallait s'armer sur tous les plans. Mais vous Natacha, c'est drôle que la protection de la vie privée vous préoccupe autant ? Vous êtes une jeune actrice, vous n'êtes pas encore vraiment exposée ?

N.R. Quand je vois certains journaux qui étalent la vie des stars, je me dis que je n'aimerais pas du tout m'y retrouver un jour. A part ça, j'ai déjà vécu des choses désagréables. Le lendemain du Festival de Cannes, on a essayé de joindre mes parents et de les interviewer, et cela a recommencé avec les Césars. C'est quelque chose que je déteste.

C.D. C'est indécent. Je pense la même chose que vous et je le pensais déjà à votre âge.

Pensez-vous qu'à travers les interviews que vous accordez vous arrivez à communiquer une image juste de vous-même ?

C.D. On se trompe toujours sur la vie des gens célèbres. Les livres, les journaux ont tendance à romancer la vie des stars, à supprimer les aspects dérangeants ou les erreurs. Même si je n'ai pas eu de trous noirs, j'ai traversé des périodes où j'ai vraiment douté. Je me souviens que, vers 40 ans, je me suis demandé si j'allais continuer à être actrice. Les rôles qu'on me proposait ne me plaisaient plus du tout. J'avais commencé si jeune. J'étais confrontée, sans doute, à un problème d'âge, de lassitude. Pour ne pas quitter le monde du cinéma, j'ai même envisagé de faire de la production...

On a le sentiment qu'aujourd'hui plus rien ne peut vraiment vous atteindre ?

C.D. Pas du tout, je suis en danger. En grand danger d'être statufiée, de devenir une institution. [Rires...] Vous connaissez les clichés qui me collent à la peau "glaciale, distante, le feu sous la glace, taratati, taratata". C'est vrai qu'à travers les médias j'ai contribué à forger cette image de moi. J'en suis consciente. Si la personne qui est en face de moi ne m'intéresse pas, je ne fais pas d'efforts démesurés. Et comme je suis réservée de nature, je peux sembler carrément froide. Tant pis, je ne vais pas changer maintenant. Je n'ai jamais été capable de faire semblant. C'est comme ça.

Pour vous, Natacha, après ce démarrage foudroyant, sentez-vous la difficulté de vous maintenir au même niveau ?

N.R. J'essaie de ne pas me poser la question en ces termes parce que, sinon, j'arrête tout de suite. [Rires.] Au contraire, le succès du film me donne des forces pour la suite. Il me pousse en avant. C'est comme s'il y avait une voix qui médisait : "Vas-y, continue..."

C.D. Un succès comme "La vie rêvée des anges" fait du bien à tout le monde. Si c'est possible, tout est possible. La profession est confortée dans l'idée qu'on ne peut jamais prévoir à l'avance les résultats d'un film, et c'est bien. Il faut que le cinéma reste une loterie. Que Natacha profite de son plaisir, elle aura bien le temps d'avoir le contrecoup, comme on dit.

Vous avez déclaré dans une interview récente que vous arriviez à un âge où vous n'aviez plus droit à l'erreur...

C.D. Il faut savoir de quoi on parle. Le droit à l'erreur, je le revendiquerai toujours face à ceux qui veulent me dicter ma conduite. Bien des gens, j'en suis sure, considèrent que, pour Catherine Deneuve, c'est une "erreur" de tourner un film avec Philippe Garrel. Pour moi, et pour d'autres j'espère, c'est un film magnifique. Mais, par ailleurs, j'estime que j'ai moins le droit à l'erreur parce qu'avec le temps on attend beaucoup de vous. On attend de vous ce que vous êtes, ce que vous êtes supposée être, bonne actrice, juste, talentueuse, ce qui est la moindre des choses, mais le public attend plus, beaucoup plus. Les gens vous ont tellement vue au cinéma que pour les surprendre et leur donner envie, il faut tenter autre chose. Quoi alors? C'est la question... Il n'y a qu'une idée qui me paraît importante aujourd'hui et que je voudrais faire passer dans les interviews : ne croyez pas que je ne sais pas. Je sais, je vois, je me vois, je sais l'âge que j'ai, je suis présente, je suis lucide, je ne vis pas dans une tour d'ivoire, je me connais, je connais mon statut d'actrice, je ne suis pas sure que je saurai vivre toutes les situations qui m'attendent, je ne sais pas comment j'envisagerai ma vie dans quelques années, je sais tout ce qu'il y a de magnifique derrière moi, je sais à peu près ce qui reste devant moi, tout en espérant encore être surprise car j'ignore ce que je ferai dans cinq ou dix ans ou vers quoi je vais évoluer. Voilà.

Vous avez peur de vieillir ?

C.D. C'est très difficile de vieillir. Pour une femme, c'est déjà difficile de vieillir dans la vie, mais pour une actrice, c'est effrayant de vieillir au cinéma. Après tout, je me dis qu'on a le droit de refuser les évidences, le racisme lié à l'âge et les idées toutes faites que la société tente de nous imposer. Ce qui me guide, dans le choix de mes rôles, c'est de rester en harmonie avec ce que je ressens.

On a le sentiment que vous avez pris le virage en douceur ?

C.D. Grâce à des cinéastes comme André Téchiné, je me suis rapprochée d'histoires de gens ordinaires, avec toutes les émotions et le poids du vécu que cela représente. J'ai cessé d'être du côté de la beauté idéalisée, pour devenir plus humaine. La seule beauté qui m'intéresse aujourd'hui, c'est celle du personnage. Dans un autre domaine, je souhaite que les films dans lesquels je tourne rencontrent le public, mais si ce n'est pas le cas, je m'en fiche un peu. L'important, c'est que ces films existent et tant mieux si mon nom les a aidés à se monter financièrement. Je n'aurais sûrement pas dit cela il y a dix ans...

Et vous, Natacha, y a-t-il des metteurs en scène avec qui vous rêvez de tourner ?

N.R. Ah non, je ne donne pas de noms...

C.D. Mais si, elle va donner des noms. Moi, vous me demandez des noms de metteurs en scène avec qui j'aimerais tourner, je le dis tout de suite, j'aimerais travailler avec Blier, Coppola, Scorsese, Desplechin, Nanni Moretti...

N.R. J'aimerais travailler avec Wong Kar-Waï...

C.D. Vous voyez, c'est pas difficile de dire des noms, Jim Jarmusch... Mes choix d'actrice rejoignent souvent mes choix de spectatrice.

N.R. Je dirais la même chose. Les films qu'on va voir, c'est les films qu'on aimerait faire. On va voir les films qui nous plaisent et en sortant, on se dit : "Oui, j'aimerais travailler dans cet univers-là, avec ces acteurs-là..."

Dans les deux films qui sortent, vous continuez à jouer le jeu de la séduction, mais sur un mode différent, avec une dimension maternelle. C'est un choix ?

C.D. C'est un état qui me convient parfaitement. Je suis une femme, je suis une amoureuse, mais maternelle, c'est un état de base chez moi. Je pense que c'est une chose qu'on laisse apparaître plus facilement avec l'âge. Pendant longtemps au cinéma, j'ai interprété des grandes histoires d'amour fou où les cinéastes filmaient des rapports fougueux et violents. Aujourd'hui, c'est vrai que je laisse apparaître mon côté maternel. Dans le film de Garrel, "Le vent de la nuit", j'ai une façon de toucher ce jeune homme qui n'est pas seulement d'ordre sexuel. Cette femme n'a pas eu d'enfants et elle a évoqué ce manque avec son amant. Ce n'est pas forcément érotique comme situation. Il y a un moment où l'on ne peut pas faire autrement. C'est incontournable, le maternel chez une femme par rapport à un homme, et je suis heureuse de pouvoir l'exprimer dans mes rôles. D'ailleurs, on dit que les hommes recherchent toujours leur mère et dans n'importe quelle amante, c'est toujours sa mère qu'on recherche.

Votre statut de star ne porte-t-il pas ombrage à la carrière de votre fille, Chiara Mastroianni ?

C.D. Ombrage, je ne le crois pas. Je trouve qu'elle travaille assez bien, mais c'est sûrement un peu lourd d'être ma fille. Ce soir, j'ai envie de dire : "Que mes enfants se débrouillent." Je serai toujours là si vraiment il y a des problèmes, parce que les parents sont toujours là. Avec Chiara, nous parlons beaucoup de cinéma ensemble, C'est drôle parce que les gens s'imaginent qu'il y a une rivalité latente entre nous alors que, ma fille et moi, nous sommes dans un rapport tellement fort, tellement fusionnel. Trop peut-être... Pendant la soirée des Césars, elle m'a appelée trois fois de Los Angeles. Non, nous ne sommes pas du tout dans un rapport de compétition et, s'il existe, c'est à un niveau d'inconscience tel qu'il m'est impossible de le formuler. Je suis vraiment la maman de ma fille, c'est tout.

Diriez-vous, l'une comme l'autre, que le cinéma, c'est la meilleure façon de se connaître soi-même ?

C.D. Absolument. Pour moi, le cinéma a été un révélateur. J'ai appris la vie à travers le cinéma.

N.R. Je sens que le cinéma va me permettre de prendre conscience de ce qui est là, ce que je n'aurais peut-être pas compris si je n'étais pas actrice.

C.D. Vous savez, à 5 ans, tout est joué. Mais en même temps tout reste à faire. Bienvenue, Natacha, au royaume du cinéma.

Catherine Deneuve parle des Césars


Par : Anne Andreu
Photos :


Films associés : Place Vendôme, Le vent de la nuit, Les parapluies de Cherbourg



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