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Deneuve le triomphe

Vous avez reçu un Golden Globe. "Indochine" a remporté cinq Césars. Vous avez été sacrée meilleure actrice aux Césars, vous recevrez peut-être un Oscar. Comment vivez-vous cette avalanche de consécrations ?
C'est le film qui a reçu un Golden Globe et je trouve le mot "sacrée" bien trop fort. Par contre, c'est bien d'être couronnée " reine d'un jour". Mais cela ne peut pas modifier profondément votre vision du cinéma, ce que vous êtes. Ça fait très plaisir, ça rassure sur le moment, mais heureusement, c'est éphémère. J'utilise le mot éphémère parce qu'autrement on resterait assis sur ses lauriers et l'on gâcherait son temps. Tout cela a une importance relative, plus liée au plaisir qu'au bonheur.

Comment avez-vous appris cette nomination pour les Oscars ? Qui vous l'a annoncée ?
J'étais à Milan. C'est le distributeur américain qui m'a appelée de Los Angeles et qui m'a réveillée.

Vous avez pensé que c'était une blague ?
Non, pas du tout, mais comme j'étais à moitié endormie, j'ai vécu l'événement dans une sorte de flou.

Quelle a été votre réaction ? Avez-vous pleuré, débouché le champagne ?
Non, j'ai repris deux antibiotiques et de la vitamine C car j'avais la grippe... Mais avant la conférence de presse pour Saint-Laurent, on a bu du champagne.

Ce n'est pas très romantique !
Le romantisme est un mélange de genres. Bien sûr, cela peut l'être de boire du champagne dans un grand restaurant. Mais ça peut l'être aussi d'être à Milan par un jour brumeux, de mettre son manteau et d'aller faire le tour de la grande place du Dôme, toute seule.

Aux Golden Globes, avez-vous essuyé une larme en allant chercher votre récompense ? Aviez-vous le trac ?
Oui. Le trac vous paralyse, vous glace, l'émotion, elle, peut vous faire verser une larme. Là, j'étais plus heureuse qu'émue. J'étais traqueuse. Mais c'est le plaisir qui l'emportait sur l'émotion quand j'ai pris le Golden Globe. J'étais contente pour Régis Wargnier, Eric Heuman [le producteur], contente pour nous tous. Et vous savez, les Américains sont très démonstratifs. C'était très gai, très bien organisé.

Vous étiez parmi les plus grands d'Hollywood. Est-ce que la star était impressionnée par les stars ?
Non, je n'étais pas impressionnée. C'est l'événement tout court, le fait d'être en direct à la télévision qui impressionne. C'est comme aux Césars, s'il n'y avait pas la télévision, ce serait plus intime. Les acteurs de cinéma n'ont pas l'habitude d'être en direct à la télévision et devant un public sans jouer, ni même chanter !

On est dans un univers différent de celui des Césars, ne pensez-vous pas ?
Oui, mais l'émotion est la même... le fait de recevoir quelque chose, d'être sur une scène et de s'exprimer devant les gens de votre profession... Mais vous avez raison, ça relève quand même de la même forme de trac.

Quels sont les acteurs qui étaient autour de vous ?
Il y avait Geena Davis, Susan Sarandon avec qui j'ai tourné "Les prédateurs". A la table où nous étions, il y avait Emma Thompson. Elle est absolument adorable. Elle a le talent mais surtout le charme des Anglaises.

Avez-vous vu "Retour à Howards End" pour lequel elle est nominée ?
Elle y est formidable. Je pense qu'elle a de grandes chances d'obtenir l'Oscar. C'est une actrice que j'aime beaucoup. Je pense qu'elle a la légèreté, la grâce et la folie en même temps.

Parmi les hommes, quel est celui que vous aimez bien en tant qu'acteur ?
C'est Robert de Niro, mais je crois qu'il n'était pas là. J'aime aussi beaucoup Al Pacino, je le trouve très émouvant.

Quand vous étiez sur la scène, est-ce que vous avez pensé à Simone Signoret quand elle a reçu son Oscar ?
Non, parce que j'ai pris le Golden Globe pour le film et ça m'a permis de m'exprimer plus librement.

Rendez-vous donc le 29 mars pour les Oscars.
Je suis très contente d'être nominée. C'est déjà la preuve d'un très grand changement d'état d'esprit en Amérique envers les films étrangers. Je sais qu'Isabelle [Adjani] avait été nominée pour "Camille Claudel", et Gérard [Depardieu] aussi pour "Cyrano"... Je trouve que c'est déjà beaucoup. Mais je ne pense pas que cela puisse aller beaucoup plus loin pour le moment.

On évoque souvent l'écrasement du cinéma français par le cinéma américain. Avez-vous le sentiment d'une certaine revanche ?
Non, je trouve que c'est plutôt un beau retour des choses. Une forme de justice aussi. Mais je n'ai jamais pensé que le cinéma français était écrasé par le cinéma américain. C'est surtout un problème de langue. Si le cinéma français parlait anglais, il serait bien plus international. Il faut bien admettre que le public français n'est pas fanatique de films sous-titrés. Regardez, en province, il y a vraiment très peu de salles qui projettent des films en version originale. Les Américains sont comme nous. Ce n'est pas seulement du protectionnisme.

Quel reproche leur faites-vous ?
Je trouve que même à New York, il n'y a pas tellement de films étrangers, tandis qu'à Paris on peut tout voir. Je trouve que nous sommes plus curieux, ici, en France.

Que pensez-vous de cette polémique à propos des Césars et de la langue dans laquelle doivent être tournés les films français ?
Je trouve triste que cela ait été négocié à quelques semaines des votes. C'est là où ça ne va pas. On aurait dû prendre cette mesure pour les Césars de l'année prochaine. A partir du moment où les gens sont prévenus, ils décident en leur âme et conscience : soit ils voient un film en langue anglaise ou alors ils se privent de sa vision. Mais, en l'occurrence, vis-à-vis des films comme "L'amant", comme celui de Roman Polanski ou celui de Louis Malle, je trouve ça injuste. C'est trop douteux comme motivation.

Si vous avez l'Oscar, serez-vous prête à vous installer aux Etats-Unis ?
Quoi ? Jamais de la vie. Non, j'aimerais bien, de temps en temps, tourner un film en langue anglaise. Les Américains tournent aussi beaucoup de films en Europe. Donc, tourner un film en langue anglaise, et peut-être aller faire un film là-bas, d'accord. Mais m'installer aux Etats-Unis, non !

Vous avez déjà fait trois films en Amérique ?
Non, quatre. "Les prédateurs" était aussi un film américain.

Ça vous laisse des souvenirs mitigés, ces films américains ?
Non, pas du tout. Ce sont de bons souvenirs. J'ai tourné avec des acteurs que j'aime beaucoup, que ce soit Jack Lemmon ou Burt Reynolds. Mais il est vrai qu'après trois mois aux Etats-Unis, j'étais assez contente de rentrer en France.

Qu'est-ce qui vous manquait, le camembert, le vin rouge, Paris ?
Non pas du tout. Car il y a de bons fromages et d'excellents vins aux Etats-Unis. Oui, Paris, c'est ma "famille", mais au sens le plus large du terme.

Les Américains ne tarissent pas d'éloges sur votre beauté. Des articles extraordinaires vous voient comme une femme très française. Est-ce que ça vous fait plaisir ?
Je suis très française, je ne vois pas comment me définir autrement. Je suis terriblement citadine et terriblement campagnarde, ça, c'est très français. Je ne peux pas le nier. Je n'aime pas rester très longtemps loin de Paris, de la France. Plus on voyage et plus on se rend compte de l'importance que cela a.

Vous aimez bien tourner ?
Oui, c'est le moment le plus agréable pour les acteurs, on peut dire non à tout ce qui n'est pas le film. C'est une forme d'inquiétude parce qu'il y a toujours des moments de tension mais, en même temps, c'est une telle liberté. On est protégé quand on tourne.

Au cours de vos voyages, lorsque vous êtes allée présenter "Indochine", avez-vous été surprise par des remarques du public ou des critiques de journalistes qui seraient différentes en France ?
Oui, au Vietnam, ils n'arrivaient pas à comprendre comment Camille, ma fille dans le film, pouvait décider d'abandonner son enfant. C'est incompréhensible pour eux. Mais il s'agissait d'officiels que nous avons rencontrés. Il aurait fallu poser la question à ceux qui avaient fait les camps de rééducation... Pour les journalistes que nous avons rencontrés au Vietnam, ce n'est pas conforme à l'image de la réalité affective vietnamienne.

Avec le recul, y a-t-il des aspects du personnage d'Eliane que vous auriez aimé creuser ou jouer différemment ?
Ce qui m'a pesé au bout de quelques mois, c'est de ne presque jamais sourire. Eliane est un personnage tourmenté.

Quelles sont les scènes qui ont été les plus éprouvantes ?
Le premier jour du tournage où Eliane va chercher sa fille libérée du bagne. Régis avait promis qu'on la referait en Malaisie s'il y avait un problème. En fait, toute cette aventure du Vietnam et ce tournage en extérieurs avec une équipe française pendant trois mois a pesé d'un certain poids.

Est-ce que cette "aventure" a modifié ce que vous saviez de l'Indochine, du rôle de la France ?
Je ne savais que très peu de choses. J'avais lu le livre de Jean Hougron "Les Asiates". Mais je voulais surtout "recevoir".

Y a-t-il eu des scènes d'amour qui ont été coupées ?
Oui, il y a une scène en particulier qui a été raccourcie. Celle où Eliane s'abandonne dans la voiture. Mais je respecte le choix du metteur en scène, sa décision. S'il a coupé, je crois qu'il l'a fait pour l'équilibre du film et par rigueur.

Pourquoi tout à coup cet engouement pour notre aventure indochinoise et pas par exemple pour la guerre d'Algérie ?
On est assez lents et réticents en France. Regardez, pour la guerre de 1940, il y a encore des gens qui sont en attente de poursuites judiciaires.

Si un film devait être sauvé de tout ce que vous avez fait. lequel aimeriez-vous conserver pour la postérité ?
C'est terrible comme choix. C'est le choix de Sophie !

Vous êtes engagée depuis longtemps dans le combat d'Amnesty, mais vous en parlez peu.
Je ne suis pas d'accord quand je vois la revue de presse des films qui ont été tournés pour Amnesty. Et tous les galas qui ont eu lieu pour la présentation d'Indochine" aux Etats-Unis ont été faits au profit d'Amnesty.

On dit que vous êtes une femme chaleureuse et drôle, et, en fait, vous donnez l'image de quelqu'un de froid et de distant.
François Truffaut glissait souvent dans ses dialogues : "II y a deux femmes en vous". Je suis assez d'accord avec lui. Je pense qu'il y a souvent dualité, surtout chez les femmes. Il y a des gens avec lesquels on est mieux qu'avec d'autres, des jours qui sont meilleurs que d'autres, plus chaleureux. Les gens sont bizarres. Ils croient qu'on est toujours pareil. Je ne suis pas une mécanique !

C'est comment chez vous ? C'est sobre ?
C'est clair, c'est plutôt baroque, mélangé.

Est-ce qu'il y a un objet qui vous rappelle le Vietnam près de vous ?
Ah oui ! J'en ai quelques-uns, que je peux toucher. Entre autres, une petite théière en marbre blanc avec un tout petit gobelet comme ils vous en offrent là-bas.

Pour la prochaine interview, je pourrai venir prendre le thé chez vous !
Non, car ma maison est quelque chose d'intime, de privé. Quand vous êtes acteur, il y a très peu de choses qui vous appartiennent dans la vie de tous les jours.

On aimerait bien que vous l'ayez, cet Oscar !
C'est gentil. Mais j'ai l'impression que ce sont les gens autour de moi qu'il faudra éventuellement consoler.


Par : Alain Bouzy
Photos :


Film associé : Indochine

 

 



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