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"J'ai toujours été
rebelle" |
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A I'occasion de la sortie du film
d'André Téchiné, "Les voleurs", dans lequel
Catherine Deneuve joue une nouvelle fois aux côtés de Daniel
Auteuil, Le Soir IIlustré vous propose un grand entretien avec
la plus grande star du cinéma français. Constitué
de deux interviews, la première accordée iI y a quelques
mois pour Ie film "Le couvent" de Manoel de Oliveira, la seconde
réalisée pour Ie film de Téchiné, iI évoque
une carrière moins classique qu'iI n'y paraît, épingle
I'exigence de I'actrice et son émotion face au début de
carrière de sa fille Chiara, et tente une mise au point sur les
images que reflètent la comédienne et la femme - selon qu'on
les regarde ou qu'elles se regardent.
L'an dernier, Catherine Deneuve
était au Festival de Cannes avec un film qui ne sortira probablement
jamais chez nous [Belgique]. Voilà qui, d'emblée, étonne
quand on connaît la popularité de l'actrice. "Le couvent",
de Manoel de Oliveira, lente digression sur Ie diable et ses différentes
représentations, tournait autour de Catherine Deneuve dont on croyait
percevoir, si pas l'ennui, la perplexité. Elle qui voulait à
tout prix tourner avec Ie maître du cinéma portugais ne renie
pas I'expérience mais I'assimile davantage à une tentative
de pénétrer I'univers du cinéaste, ou à un
essai théâtral, qu'à une expérience cinématographique.
Lâchant au passage qu'il existe sans doute des diables et des anges
en chacun de nous. Précisant, à l'adresse de ceux qui s'étonneraient
de la voir là, qu'elle avait toujours lutté pour ne pas
être conforme à l'image que les gens ont d'elle...
Je suis une rebelle et je l'ai toujours été.
Physiquement, j'ai l'air sophistiqué mais, si vous considérez
ma vie et les choses à travers lesquelles je suis passée,
vous verrez que je n'ai pas mené une vie très conventionnelle.
En surface, oui, mais il n'en est rien. Par exemple, j'ai signé
une pétition pour l'avortement, j'ai eu des enfants sans être
mariée... De nos jours, cela peut paraître banal mais, à
l'époque, c'était plus important. Ceci dit, je ne suis pas
une héroïne, juste quelqu'un qui a fait des choix. Je vis
comme je l'entends et, pour moi, c'est cela être rebelle.
Comme pour ponctuer sa déclaration d'indépendance,
Catherine Deneuve nous annonçait, dans la foulée, que son
prochain rôle serait celui d'une homosexuelle. Pour Téchiné,
l'ambassadrice d'Yves Saint Laurent à la ville, la plus belle exportation
française si on en croit Ie reste du monde, allait tomber amoureuse
d'une autre femme. Ce qui fut dit fut fait. A la différence près
que Catherine, Marie dans "Les voleurs", professeur de philo
à la générosite abondante, ressemble tout simplement
à une femme amoureuse. Et son histoire d'amour avec une de ses
étudiantes, est un accident de parcours. D'ailleurs, Marie a un
ex-mari. Comme si, justement à cause de cette image, Téchiné
n'avait pas osé faire de son actrice-fétiche une véritable
homosexuelle...
Je pense que l'envie que Ie public puisse s'identifier
l'a emporté. Pourrait-on croire que je suis une homosexuelle après
le nombre de films que j'ai toumés et avec ma personnalité
telle que le public la connaît ? On traîne toujours son passé
avec soi.
Mais ce que vous traînez
va devenir de plus en plus lourd.
Non, parce que, de ce sac que je traîne derrière moi, j'ai
l'impression d'avoir, comme le Petit Poucet, enlevé des pierres.
Ce sac, c'est la durée et l'existence depuis tant d'années.
Mais c'est aussi tous ces films que je fais depuis assez longtemps et
qui sont autant de pierres, de stéréotypes, que j'abandonne.
D'une certaine façon, on pourrait dire que je n' ai presque plus
rien à craindre sur le plan de l'image. Avant la fin de l' année,
je jouerai une alcoolique dans "Place Vendôme", le nouveau
film de Nicole Garcia.
Cette image a pourtant influencé
votre carrière, non ?
Certainement inconsciemment. Sûrement, oui. Il est évident
que, quand vous avez 25 ans, que vous êtes très jolie, que
vous avez déjà tourné avec des grands metteurs en
scène, que avez tourné en Amérique, les scénarios
qui vous arrivent sont en harmonie avec ce que vous représentez.
Tout va dans le même sens. Des beaux rôles, des grands noms,
des rôles glamour. Mais en plus, à côté des
films liés à cette image, j'ai eu la chance de tourner des
grands films. C'est moins le cas aujourd'hui pour les actrices. Je n'avais
pas la même approche du physique qu'aujourd'hui, heureusement d'ailleurs.
Heureusement qu'on évolue !
Alors, contrairement aux autres
actrices, qui se plaignent de ne plus avoir de bons rôles la quarantaine
passée, vous parlez d'évolution ?
Déjà, j'ai dépassé la quarantaine ! Et je
ne me suis jamais plainte parce que je suis une actrice gâtée.
J'ai eu la chance d'avoir travaillé avec des cinéastes qui
écrivent pour les acteurs et qui ne se contentent pas d'un scénario
fini, qui s'identifient même éventuellement à eux.
D'autre part, être une maman, aujourd'hui au cinéma, n'est
pas forcément intéressant pour moi. Alors, je préfère
les personnages décalés. Mais j'ai toujours refusé
les stéréotypes. Je n'ai jamais choisi des personnages qui
sont socialement dans le cadre, dans le moule. D'ailleurs, c'est comme
ça dans la vie aussi. Ceci dit, c'est vrai, il faut faire attention
avec l'âge. En France, quand vous avez un certain âge, vous
êtes supposée être une femme en pleine harmonie. En
plus, je suis très sollicitée, par des organisations, des
causes. Je dois faire attention pour ne pas entrer dans l'image que les
gens attendent de moi.
Quand on écrit un rôle
pour vous, que vous reste-t-il à lui apporter ?
Ma chair ! Ma chair et ma chair. C'est une incarnation ! Surtout quand
le rôle est difficile. Celui de Marie l'était particulièrement.
Pas forcément long à l'écran mais demandant une longue
présence sur le toumage.
André Téchiné,
avec qui vous avez tourné quatre films, semble être Ie réalisateur
qui vous connaît Ie mieux. On dirait qu'il est capable de capter
chez vous des choses qui viennent de très loin. Etes-vous d'accord
?
Je le connais, comme homme et comme réalisateur. Je sais où
il peut me conduire et je n'ai pas peur quand il va chercher des choses
très profondes. J'ai confiance, je sais qu'il ne cherchera à
prendre que ce dont il a besoin pour le film - ce qui n' est pas le cas
d'autres réalisateurs.
II vous prend plus ou vous donnez
plus ?
Je crois qu'il y a un peu des deux. Peut-être que je donne plus
parce que je le connais bien. Et lui arrive à tirer de moi des
choses, vous savez, comme certaines personnes pour lesquelles vous marcheriez
sur la mer sans même savoir pourquoi. J'ai connu cela avec Truffaut
aussi. Et même des réalisateurs avec qui je n'ai tourné
qu'une fois. Je sens, au moment du tournage, si je peux faire confiance.
Peut-être ai-je parfois eu tort, j'ai été parfois
déçue, mais la plupart du temps je fais confiance. Je crois
que mes rencontres avec les réalisateurs ne sont jamais des hasards.
Mes rencontres avec Jacques Demy ou Truffaut ou Buñuel ont été
des choses très importantes dans ma vie.
A propos du film de Téchiné,
"Les voleurs". Contrairement au personnage dérangeant
que vous annonciez, Marie est la plus généreuse de I'histoire.
Cela semble être lié à son âge et à son
expérience. Marie est à I'âge où on donne alors
que Juliette, son étudiante, est à celui où on a
besoin de recevoir. Vous avez I'impression de donner plus qu'avant, au
cinéma par exemple ?
Dans le film, il y a beaucoup de personnages très en colère
les uns contre les autres, contre la vie. Marie est effectivement le plus
généreux. Mais je ne pense pas que l'on devient généreux.
Je crois que, oui, je donne plus au cinéma. Mais, si j'ai donné
moins avant, c'est que je retenais, mais cela devait être potentiellement
là. On ne peut pas libérer des choses qui ne sont pas là.
Marie est bonne mais sacrifiée...
Elle n'est pas sacrifiée, son suicide est un choix. La décision
de quelqu'un qui a accompli sa vie et qui, comme certains intellectuels,
choisit d'arrêter sa destinée quand elle sait qu'elle ne
peut plus attendre quelque chose de mieux. Il lui manque l'agressivité
pour avoir envie de vivre et de lutter mais ce n'est pas un acte de désespoir.
Moi je comprends très bien qu'on puisse mourir d'amour. Pour un
homme ou pour une femme, d'ailleurs. Tiens, maintenant que j'y pense,
je suis souvent morte au cinéma mais jamais d'amour !
Par deux fois, Catherine Deneuve et sa fille Chiara Mastroianni
étaient au programme de la Compétition cannoise. Si Catherine
Deneuve ne s'intéresse pas aux prix ("Je peux Ie prouver,
ce ne sont pas des mots. Je n'ai pas de décoration non plus. Je
n'en tire pas de fierté particulière mais je n'aime pas
ça"), elle a également du mal à se sentir en
compétition. Surtout avec sa propre fille.
Je ne la vois pas comme vous. Elle est là et
je la vois tout le temps. Je me fais du souci quand j'entends qu'elle
perd sa voix, puis je suis délivrée lorsque celle-ci revient.
Elle est assez bonne en interview et aux conférences de presse.
En plus, j'aime les films qu' elle fait.
Les Américains vous adorent.
Toute une génération redécouvre actuellement "Belle
de jour" qui devient, là-bas, un film-culte. Pourquoi n'avez-vous
pas continué une carrière aux Etats-Unis?
Parce qu'on ne me l'a pas demandé ! Depuis "The hunger",
qui a été tourné en Europe et en Amérique,
je n'ai plus reçu de scénarios intéressants pour
une actrice française. Je ne crois pas que j'aurais voulu faire
une véritable carrière là-bas mais j'aurais aimé
l'idée de vivre en Europe et de travailler en Amérique.
Comme d'ailleurs en Italie ou en Angleterre. C'est normal, ce qui m'attire
dans ce métier, c'est la curiosité.
Et puis, une fois que vous connaissez
?
Je ne pose jamais de questions sur les metteurs en scène avec lesquels
je vais travailler. Je préfère les approcher avec mon regard
à moi, à travers leurs films et notre rencontre. La curiosité
et le désir sont mes principaux moteurs. Plus que le plaisir. Car
ce n'est pas toujours un plaisir de tourner. L'attente du film, la préparation,
la lecture du scénario, l'approche du rôle, c'est comme Noël
pour les enfants. C'est quand même plus gai avant que le jour même,
non ! Après, le passage à l'acte, bon...
Et quelles sont vos craintes
?
Que les paris ne soient pas tenus. Mais c'est aussi Ie plaisir et Ie mystère
d'un film, on ne sait jamais complètement à I'avance si
on fait un grand film. On peut avoir conscience qu'on toume une grande
scène, mais pas un grand film. C'est très rare.
Catherine Deneuve, vous êtes
partout. Par exemple, sur ma carte de téléphone...
Je l'ai fait pour Les Restos du Coeur. La photo est tirée du "Bon
plaisir". J'aurais préféré ne pas devoir Ie
faire, mais bon
... et aussi au cur de
cette nouvelle association qui uvre pour la conservation des costumes
de films. C'est votre robe dans "La reine blanche" qui sera
la première à être conservée officiellement.
Ca vous touche ?
Ah oui, ça me touche. Moi, je considère et aime beaucoup
les vêtements comme représentation et images très
fortes des choses de la vie. Ca me touche beaucoup. Quand je pense à
des robes de ma mère ou des vêtements qui sont liés
à des événements importants, ou même à
un film. C'est dommage que les productions n'aient pas gardé les
costumes mais c'est une question de place et de moyens. Ca ne se met pas
dans des boîtes puis au grenier, comme ça. Seuls les grands
studios américains ont pu, à l'époque, se payer cela.
Nous pas.
Un costume, ça se quitte
plus facilement que Ie rôle qu'on y a glissé dedans. Vous
demandez parfois à I'emporter après un tournage ?
Oh oui, très souvent. Quand ce sont des films contemporains, les
productions ne gardent jamais les costumes, donc je les emporte très
souvent. Pour les porter, oui, oui. Tout de même, c'est bizarre,
souvent je n'y arrive pas ; alors, je les donne. Mais ça me touche.
J'ai un manteau du film de Téchiné, qui est resté
dans une housse et que je n'avais pas remis depuis Ie tournage. Dans la
poche de ce manteau, j'ai retrouvé la houpette de maquillage du
maquilleur, Ie paquet de cigarette que je fume dans Ie film et Ie texte
de la scène de ce jour-là. Ca m'a vraiment fait quelque
chose, ça m'a émue. D'un seul coup Ie vêtement avait
un parfum incroyable, une photographie du jour, de la scène...
Vous avez votre propre créateur
de costumes qui vous suit de film en film ?
Non. Ce que je demande est à la fois plus ouvert et plus contraignant.
Je demande à être consultée pratiquement pour... énormément
de choses. Je ne demande pas à imposer mais à donner mon
avis. Ainsi, la costumière est choisie d'un commun accord. Les
seules personnes que je demande à avoir sont celles de mon entourage
très proche ; mais même celles-là, je ne veux pas
qu'elles ne s'occupent que de moi. Je ne veux pas d'une équipe
qui ne s'occuperait que de moi sur un toumage. En revanche, il y a des
choses sur lesquelles je demande un droit de regard et qui dépassent,
c'est vrai, mon rôle. La lumière, Ie son, l'éclairage,
mes partenaires, l'équipe, tout m'intéresse. Cela ne veut
pas dire que j'impose. Non, juste un droit de regard...
Pour mieux gérer tout
Ie jour venu ?
Non. Avoir un droit de regard et pouvoir émettre un jugement ou
une critique ne veut pas dire forcément être créatif
pour autant. Avoir une opinion et sa personnalité, en se trompant
éventuellement d'ailleurs, oui. Mais je ne me sens pas capable
de tout décider et pour tout Ie monde sur un toumage. Je trouve
cela terriblement éprouvant.
Et les noms qu'on vous prête
d'un film à I'autre, ils sont importants pour vous ?
C'est drôle, c'est la chose qu'on oublie Ie plus. C'est curieux.
Dans une émission, un jour, quelqu'un m'a piégée
en me disant une liste de prénoms pour que je retrouve les films.
Impossible. On ne s'appelle pas par son nom de film sur un tournage, alors...
à part quelques cas particuliers comme Séverine dans "Belle
de jour" ou Solange dans "Les demoiselles de Rochefort"...
Je vais d'ailleurs m'appeler à nouveau Solange, dans Ie film de
Raul Ruiz, "Généalogies d'un crime", dans lequel
je joue deux personnages : Solange et Jeanne. Ceci dit, il y a des prénoms
que je refuse, oui.
Le titre de votre dernier film
s'appelle "Les voleurs". Vous avez déjà volé
?
Oui. Des salières en Angleterre quand j'avais
quinze ans. J'en ai gardé un souvenir terrible.

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