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Cet été, en Malaisie,
après un mois et demi au Viêtnam, l'héroïne d'
"Indochine" nous a confié, en plein tournage, ses premières
impressions. Interview exclusive.
Lorsqu'on lit le scénario
d' "lndochine", on est frappé de voir à quel point
votre personnage a l'air d'être le prolongement de votre image,
un peu comme s'il était la synthèse de tous ceux qui l'ont
précédé...
Exactement, oui. Ce rôle d"lndochine" est en effet une
somme de tout ce que j'ai fait au cinéma - peut-être parce
que Régis Wargnier me connaît très très bien
à travers mes films... Bien sûr, aujourd'hui, il me connaît
beaucoup mieux parce qu'on se voit énormément, qu'on se
parle beaucoup mais quand il a écrit "Indochine" ses
scénaristes, il l'a écrit avec, en tête, tous les
films que j'ai faits... Cela m'a à la fois émerveillée
et fait terriblement peur...
Pourquoi peur ?
Parce qu'on se dit tout de suite : "Comment surprendre encore"
Et puis, bien sûr, parce que c'est un rôle complexe, un projet
énorme.... Mais j'ai tellement aimé le scénario.
Il est magnifique lyrique et romanesque : tout ce que j'aime ! C'est un
grand mélo, il y a des histoires d amour violentes, des drames
et de la politique. Il y a un arrière-plan historique, un contexte
réel, lourd, fort et important - la naissance du mouvement communiste
au Viêt-Nam - et en même temps, ce ne sont que des histoires
romanesques. C'est la peinture d'un univers où les gens sont finalement
toujours pris dans les tourments de leur vie personnelle - et c'est ça
qui l'emporte sur tout. Ça ressemble à la vie mais c'est
beaucoup plus romanesque que la vie... Mais, dans la vie, c'est un peu
comme ça aussi, non ? On croit qu'on décide alors que finalement
on est porté par ses émotions, par ces sentiments, révélés
ou cachés...
Qu'est-ce qui vous a séduite
en premier dans ce rôle d'Eliane ?
Que ce soit une terrienne, qu'elle dirige, avec son père, une plantation
d'hévéas... Si j'aime, à la ville, tout ce qui est
délicat, sophistiqué, j'ai aussi énormément
besoin de campagne, de nature, d'espace, d'air... Donc, l'idée
de tourner comme ça, dehors, d'être dans une plantation...
Ce n'était pas un rêve mais... si, quand même... C'est
vrai que je me suis dit : "Il y a là quelque chose d"Out
of Africa" !" (Rire.)
Je sais que vous aimez beaucoup
le livre de Karen Blixen et que vous auriez adoré jouer son personnage
au cinéma...
Ah oui... Surtout que j'ai eu la chance de lire "Out of Africa"
dont j'avais entendu parler il y a longtemps au Kenya lorsqu'on tournait
"L'Africain" et que j'ai rencontré là-bas des
gens âgés qui avaient connu Karen Blixen, comme son serviteur
qui a écrit un livre sur elle. J'ai vu où elle a vécu,
où elle a écrit... Il n'y a pas mieux pour s'imprégner
d'un pays que d'y travailler... Ainsi c'était évidemment
idéal de découvrir le Viêt-Nam à travers une
relation de travail - si on accepte l'idée que le cinéma,
c'est quand même aussi du travail. Il n'y a pas mieux que ces rapports
quotidiens avec tous ces gens qu'on ne connaît pas... Pour moi,
ça a été un tel choc, une telle révélation...
Qu'est-ce qui vous a le plus
frappée au Viêt-Nam ?
La beauté des gens... Leur Beauté avec un B majuscule...
C'est un peuple très beau, très noble... Je n'avais pas
vraiment une image du Viêt-Nam, ou plus exactement j'en avais une
un peu floue, plus dure... J'imaginais Hanoi un peu comme Pékin
avec de grandes avenues, alors que c'est une ville qui a un charme fou,
qui s'est totalement dégradée, mais où l'on trouve
des maisons des années trente, superbes... C'est une ville d'eau,
Hanoi, avec des petits lacs et de la verdure... En vous disant cela, je
me rends compte à quel point c'est difficile de communiquer toutes
ces impressions, toutes ces sensations incroyables... C'est comme si j'avais
été dans un pays vierge... Il y a à la fois quelque
chose de tellement archaïque et de tellement spirituel dans ce pays...
Je me suis sentie incroyablement bien là-bas. Je savais, en partant
pour le Viêt-Nam, que tout ne serait pas simple, que c'était
une véritable aventure. C'est peut-être ça, justement,
qui était si excitant... Le plus gros problème, peut-être,
c'était de ne pas pouvoir communiquer avec l'extérieur.
Faire la queue à la poste et ne pas arriver à avoir sa communication.
Mais finalement on s'y habitue... On s'habitue à retrouver ses
livres en fin de journée parce que la lumière tombe assez
tôt, on s'habitue au bruit des ventilateurs, aux moustiquaires bien
bordées, à la douceur du soir... On s'habitue à n'entendre
que des bicyclettes, à boire du thé...
Entre le Viêt-Nam et la
Malaisie, vous serez restée plus de trois mois en Asie. C'est long...
C'est la première fois que je pars aussi longtemps à l'étranger
pour un tournage... Et Paris ne me manque pas. Il me manque, bien évidemment,
la présence des gens que j'aime, que j'ai envie de voir... Je lis,
j'écris, je me balade beaucoup à pied, je fais des promenades
en voiture... Et comme en plus, c'est un pays où je ne suis pas
connue j'ai un sentiment de liberté que je peux rarement avoir
en Europe, d'autant qu'il y a ici, comme dans les pays méditerranéens,
cette décontraction des pays chauds...
Vous vous étiez renseignée
auparavant sur le Viêt-Nam, vous aviez lu des livres ?
Quand on est arrivés j'étais en train de lire "Les
Asiates" de Jean Hougron qui est un livre très proche du climat
qui existe dans le film. Il a d'ailleurs nourri les auteurs lorsqu'ils
écrivaient le scénario... Avant, j'avais aussi regardé
beaucoup de photos, d'albums... J'avais rencontré deux personnes
qui avaient vécu leur enfance au Viêt-Nam, mais un peu plus
tard qu'à l'époque du film. La rencontre avec le pays a
été une chose formidable. J'ai été totalement
imprégnée. D'autant que comme je ne tournais pas beaucoup
au Viêt-Nam, j'ai eu le loisir d'aller et venir... Et du coup, lorsque
je me suis vraiment mise à tourner, j'étais déjà
complètement habitée par ce pays, par son rythme... Si j'avais
davantage tourné au Viêt-Nam, je ne crois pas que j'aurais
pu voir autant de choses que j'en ai vues,. ni me nourrir autant de l'atmosphère
des gens, de la vie, des villes, de ce mélange de patience et de
lenteur... Pendant que Régis tournait avec Vincent Perez et Linh
Dan, j'ai eu beaucoup le temps de ... - non pas de travailler précisément
le personnage parce que moi, j'ai une approche beaucoup plus périphérique
: je tourne autour - mais d'entrer dans le film tout naturellement à
tel point que, dès que j'ai commencé à beaucoup tourner,
j'étais dedans absolument tout le temps et sans effort... Il y
a des décors, des lieux qui vous facilitent la tâche... Je
me souviens d'un matin ici, en Malaisie, où l'on a tourné
dans une plantation d'hévéas, c'était extraordinaire.
Les saigneurs d'hévéas qui récoltent le latex, avançaient
en rang, au milieu de la brume, leur petite lampe sur la tête, c'était
magique... Là. vous n'avez plus aucun effort à faire : vous
êtes dans le film tout de suite. Moi, je suis dedans tout le temps,
sauf quand je dors. Et je ne dors pas beaucoup ! !
Vous aimez qu'on vous parle
beaucoup de votre personnage ou vous préférez y rêver
toute seule de votre côté ?
J'aime bien qu'on m'en parle avant le tournage, surtout quand c'est quelqu'un
comme Régis. Mais c'est vrai qu'après, au moment où
l'on tourne, j'aime mieux travailler en... comment dire ?.... oui, c'est
ça : en complicité presque muette. J'aime que cela passe
par très peu de discussions, très peu d'indications... Sauf
s'il s'agit de scènes où il y a des choses très compliquées
à faire...
Vous souvenez-vous de ce que
Régis Wargnier vous a dit la première fois où il
vous a parlé de votre personnage dans "lndochine" ?
Je ne sais pas précisément, c'est venu comme ça,
peu à peu... On s'était déjà approchés,
Régis et moi, il y a quelques années (pour "La femme
de ma vie"). On s'était vus, on avait parlé, il avait
écrit et réécrit et puis finalement, j'avais renoncé.
On est restés en contact, je suis allée voir ses deux premiers
films avant qu'ils ne sortent, il me disait qu'il avait envie de faire
un film avec moi, d'écrire un film pour moi... Je ne peux pas retrouver
précisément ce qu'il m'a dit mais j'ai le sentiment qu'il
aurait pu me dire ce que disait Truffaut quand il a écrit "Le
dernier métro" : qu'il voulait m'écrire un rôle
à la fois d'un personnage romanesque et d'une femme responsable,
déterminée. Un rôle d'une femme-femme, d'une femme
qui n'est plus une jeune fille mais qui ne sera peut-être jamais
tout à fait une adulte. Un personnage qui soit en harmonie avec
le genre de personne que j'ai l'air d'être, aussi bien dans la vie
que dans les films. Régis m'a raconté les grandes lignes
de l'histoire. On se voyait souvent, il me disait : "Ça avance..."
De temps en temps, il me parlait de l'évolution de l'histoire,
il me racontait une scène, il me disait deux trois choses d'une
autre scène...
Vous avez attendu que le scénario
soit complètement terminé pour le lire ?
Oui, j'ai même attendu la version définitive, une fois qu'ils
l'ont eu retravaillée et raccourcie... Mais c'est un travailleur
acharné, Régis, et le nombre de fois où je l'ai vu
en deux ans, c'est incroyable. Depuis l'idée d'origine du scénario
jusqu'au tournage, il n'y a quasiment jamais eu de coupure. Il a organisé
assez vite une rencontre avec les scénaristes : je connaissais
un peu Louis Gardel depuis "Fort Saganne" (c'est lui qui a écrit
le roman qu'Alain Corneau a adapté) mais pas Erik Orsenna, je n'avais
pas lu ses livres à l'époque, ni Catherine Cohen... C'est
merveilleux quand on écrit pour vous, quand on rêve pour
vous...
Je vous ai rarement vue aussi
détendue, aussi à l'aise sur un tournage, aussi heureuse...
Heureuse, c'est le mot ! Mon éducation chrétienne me fait
dire : "Mon Dieu, je vais sans doute le payer cher !"
Pourquoi ?
Mais parce que c'est tellement rare un tournage où l'on est aussi
heureux, heureux de travailler, de tourner - même s'il va des scènes
dures, des choses compliquées et des conditions pas toujours faciles.
C'est tellement exceptionnel. Tout. L'ensemble. Le projet, l'aventure,
le pays... Je me dis que quand ça va s'arrêter, ça
va être terrible... Je ne suis pas du tout préparée
au mot FIN ! Déjà, quand on est arrivé du Viêt-Nam
en Malaisie, ça a été un choc. J'ai eu l'impression
d'être une immigrante : les néons, la lumière, la
circulation.... C'était trop. Un mois et demi de Viet-Nam m'avait
déshabituée de tout ça. Là-bas, il n'y avait
que des mobylettes et des bicyclettes... Quand je dis que je me sens dans
le film, ça ne veut pas vraiment dire que je me sente être
le personnage, ce n'est pas tout à fait pareil. Je me sens quand
même encore assez moi-même - et c'est vrai aussi que le personnage
est assez proche de moi par certains côtés...
Lesquels ?
Assez distante comme ça en apparence, mais passionnelle, avec des
pulsions fortes. Assez secrète et en même temps, violente...
Je connais les états d'âme de ce type de personnage. Je pense
que beaucoup de femmes vont s'y reconnaître. On y trouve les deux
côtés des femmes à la fois leur côté
masculin et leur côté féminin. Bien souvent, on montre
trop le côté féminin chez les femmes...
Loin de Paris, les habitudes
de travail ne sont forcément pas les mêmes. Vous n'avez vas
vu les rushes par exemple, ça vous a manqué ?
Je vais vous dire la vérité : oui. C'est étrange
de ne pas avoir sur son travail la possibilité d'un regard critique...
D'habitude vous y allez toujours
?
Ah oui, toujours. Je crois que le seul film où je n'y sois pas
allée c'est "Belle de jour" parce que Bunuel ne voulait
pas... Mais j'étais beaucoup plus jeune et puis, c'était
un film en studio, c'était différent... J'ai besoin d'y
aller. D'abord, pour voir comment fonctionnent le maquillage la coiffure...
Et, surtout, parce que l'on apprend beaucoup de choses sur les techniciens
avec lesquels on travaille et qu'on ne connaît pas forcément,
sur ses partenaires aussi... Je trouve que c'est un gain de temps. C'est
étrange de ne pas voir la concrétisation de son travail,
de ce qu'on a imaginé... Cela dit, je ne suis pas inquiète
par rapport à la photo parce que je sais que François Catonné
(le directeur de la photo) a fait des essais avec les lumières
et les objectifs... Mais moi, j'aurais besoin d'être rassurée
sur des points de détails, j'aurais besoin de voir des images pour
modifier, améliorer... Quand le film est fini, il ne vous appartient
plus, alors qu'au moment des rushes, on peut encore infléchir le
cours des choses... Mais même sans avoir vu les rushes j'ai des
regrets ! [Rires.] Par exemple, l'autre jour, je me suis dit que, pour
une scène avec Linh Dan dans le jardin d'hiver, j'aurais dû
demander à Régis de la jouer mouillée. Elle était
d'ailleurs écrite comme s'il pleuvait... Pour certaines scènes
d'émotion, je trouve que c'est beau d'être mouillée,
ça fragilise, ça rend plus vulnérable... Ça
dramatise... Et puis la pluie, c'est une musique, ça ajoute quelque
chose à l'émotion...
Quand vous avez lu le scénario,
y a-t-il eu une scène qui vous a fait peur, qui vous a inquiétée
à l'avance ?
Non. Ce qui m'a fait peur, ce qui m'a inquiétée en général,
c'était de me dire : "Ça a été écrit
pour moi, ce sont des scènes magnifiques. Est-ce que je suis capable
d'être aussi bien que ce qu'ils ont imaginé, que ce qu'ils
ont rêvé...". Voilà, c'était ça
ma peur et.., ça l'est encore ! Ce sont des craintes qu'on a, quand
on sait que le scénario est très beau, quand on sait que
le rôle est très beau et que, non seulement, il faut le réussir
mais qu'il faut aussi surprendre... Et on ne surprend jamais mieux que
lorsque l'on se surprend d'abord soi-même. Quand les scènes
sont très fortes, très riches, comme c'est le cas dans "Indochine",
c'est plus difficile de trouver des choses à soi, d'inventer des
choses en plus, de dépasser ce qui est écrit sur le papier...
Vous y travaillez comment ?
Vous relisez la scène la veille au soir, vous prenez des notes
dans votre scénario...
Non, ça jamais. Mais j'ai toujours été comme ça...
J'ai toujours eu à la fois cette capacité de m'absenter
de moi-même dans la journée et de me concentrer facilement...
Quand je tourne, je dors comme les chats. Mais je dors à moitié,
je somnole et, en vérité, je pense au film ou à la
scène, ou à des choses qu'on a déjà faites...
J'essaie de rester dans la continuité du film, c'est donc plutôt
les scènes précédentes que je relis. J'essaie d'oublier
que je connais le scénario, c'est-à-dire j'essaie de ne
jamais lire les choses au moment où l'on doit les faire, sauf si
ce sont des scènes très difficiles, j'essaie d'arriver avec
assez de fraîcheur sur le texte. Pour laisser naître l'émotion...
Sur le plateau, il y a une complicité
évidente entre Régis Wargnier et vous. Quel est selon vous,
son principal atout de metteur en scène ?
La rigueur. Et puis l'amour qu'il a des acteurs. On sent que pour lui
les films, ce sont avant tout les acteurs. D'ailleurs, dès qu'il
vous parle d'un film, c'est tout de suite d'une scène, d'un extrait
de dialogues, et donc des acteurs... Et si, par exemple, il aime bien
faire de longs plans séquences, en réalité c'est
pour servir les acteurs. Il est sans cesse à la recherche d'émotions...
Et on a beau être allés dans des paysages somptueux, dans
des décors magnifiques, je suis sure qu'il ne s'est pas laissé
tenter par l'esthétisme, par la beauté extérieure
des choses... On parle beaucoup de cinéma ensemble, et disons qu'on
parle davantage de gens comme Elia Kazan ou Douglas Sirk que.... que d'autres...
On a en commun un goût pour les choses romanesques, lyriques. On
n'a pas peur de l'excès ! (Rires).
Avant le tournage, vous avez
fait une lecture du script ensemble ?
Oui, une avec Régis c'est tout. C'était bien. Je m'étais
dit que cela aurait été bien d'en faire une tous ensemble,
Linh Dan, Vincent (Perez) et moi et puis, à la réflexion,
c'est pas plus mal qu'on ne l'ait pas faite vu l'histoire que raconte
le film. Je savais qu'avec Linh Dan, je n'aurais pas de problèmes
parce qu'elle joue ma fille et que ce n'était pas difficile pour
moi. Et elle, comme elle n'était pas actrice, ça ne l'aurait
pas beaucoup aidée de faire une lecture avec moi - et les choses
entre nous se sont mises en place naturellement. Et comme avec Vincent
Perez, j'ai, dans le film, une relation très violente et très
fulgurante, je pense finalement que ce n'était pas plus mal de
ne pas se connaître avant... En plus, les scènes les plus
difficiles qu'on a à jouer, on les tourne en dernier. Et c'est
bien pour ces scènes d'avoir déjà une certaine intimité
car ce sont les scènes les plus osées. Et ce qui est osé,
c'est justement ce qui est intime...
II y a une scène très
belle avec Vincent Perez : celle où, alors que vous lui parlez
pour l'une des premières fois, il se met à saigner du nez...
C'est une scène totalement inattendue... Le saignement, c'est une
chose physique, touchante... D'un seul coup, lui, ce jeune officier, il
est comme un enfant. Je veux dire que ça laisse présager
ce qu'ils sont l'un et l'autre, ce qu'ils vont vivre l'un et l'autre,
ce qu'ils vont être l'un pour l'autre... Tout de suite, elle prend
tout en main, elle s'occupe de lui... Cette scène-là présente
immédiatement la nature de leurs rapports : à la fois l'attirance
instantanée et le recul immédiat. Elle qui se reprend et
lui qui se laisserait aller... On sent que dans leur relation il va y
avoir une grande différence entre l'un et l'autre. Lui, c'est un
jeune homme, et moi, je suis quand même une femme responsable. Mais
une femme responsable qui va tomber...
II y a aussi une scène
très forte entre Dominique Blanc et vous, où elle vous dit
: "C'est pas beau d'être si beau quand on n'a pas de beauté",
qu'est-ce que...
... c'est magnifique, ça ! Et elle ajoute : "Même les
arbres, s'ils étaient sincères, ne pousseraient pas..."
C'est la phrase la plus cruelle qu'on puisse me dire à moi personnellement,
qui adore tellement les arbres ! ! (Rires.)
Qu'est-ce que ça vous
fait quand vous lisez ça dans un scénario ?
J'adore ça ! (Rires.) Je trouve que c'est une scène formidable.
C'est terrible pour le personnage mais elle vient de se conduire de manière
très dure, très cruelle, très froide... C'est une
scène magnifique sur l'imposture de la beauté. Si on est
beau dehors, on devrait être encore plus beau à l'intérieur
! Sinon il y a quelque chose d'encore plus injuste, c'est un paradoxe
presque insupportable...
Et vous n'avez pas peur que
les gens ne fassent pas la différence entre le personnage et vous
?
Tant pis ! Ça m'est égal, ça... Ça fait partie
des choses que j'ai réglées il y a longtemps. C'est entre
moi et moi. Sinon, il y a tellement de choses qu'on ne ferait plus. Il
y a du danger, vous savez, pour les acteurs et les actrices, à
un moment donné, d'aimer les choses qui vous prennent dans le sens
du poil et dont d'ailleurs on ne se rend pas toujours compte. C'est vrai
qu'il y a sans doute des rôles que je ne pourrais pas faire parce
qu'ils me seraient trop antipathiques. Il faut pourtant accepter de pouvoir
être antipathique par moments... Là, c'est tellement important
pour le film, pour le personnage que... Mais j'y ai pensé, bien
sûr... Heureusement, il y a des choses aujourd'hui contre lesquelles
je suis blindée... Ce que j'aime dans ce personnage, c'est que
c'est quelqu'un de romanesque et d'humain, qui a des défauts...
Tant mieux ! (Rires.) Ce n'est pas quelqu'un d'idéalisé.
Il y a même des moments où elle est assez dure. Mais... on
pardonne tout à une femme amoureuse !
Vous avez un look très
différent pour ce film : vous avez beaucoup minci, vous vous êtes
coupé les cheveux...
Quand j'ai fait "La reine blanche", je voulais que ce soit un
personnage un peu rond, une femme qui avait eu trois enfants, je ne voulais
pas qu'elle fasse trop sophistiquée. Dans "Indochine",
je voulais ressembler davantage à une Anglaise qu'à une
Italienne, par rapport au personnage mais aussi par rapport au climat,
à l'occupation qu'elle a et à l'époque où
elle vit. je trouvais bien qu'elle soit mince, qu'elle ait ce visage mince,
cette silhouette longue et fine... Je trouvais que, dans les tuniques
indochinoises qu'elle met parfois, ce serait plus beau. Pour les robes
aussi d'ailleurs...
On sent qu'une grande attention
a été accordée aux costumes...
J'y tenais. Ça me paraissait important pour le personnage. C'est
quelqu'un qui dirige une plantation, qui ne vit donc pas en ville mais
c'est aussi une femme riche qui se tient au courant de la mode de Paris,
et qui a beaucoup de robes, de chapeaux... On en a beaucoup parlé
avec Gabriella Pescucci, la créatrice des costumes. Je l'admire
beaucoup et je tenais énormément à travailler à
nouveau avec elle. On avait fait un film, "Coup de foudre" de
Robert Enrico, je peux dire ça même si le film ne s'est jamais
tourné parce que nous deux, c'est comme si on l'avait fait puisque
tous les costumes avaient été réalisés ! J'ai
demandé à Régis de la rencontrer. Il savait à
quel point je trouvais que c'était important, pas seulement pour
moi, mais pour le film, et ça s'est très bien passé
entre eux. Comme il aimait ce qu'elle faisait, il lui a laissé
beaucoup de liberté. C'est un film où il y aura, par exemple,
beaucoup de couleurs. Au cinéma, on a souvent tendance, lorsqu'on
filme les années trente, à rester dans des couleurs toujours
sages : blanc cassé, beige, ivoire, gris... Comme si c'était
Ralph Lauren qui faisait les costumes ! Gabriella, elle, elle dit : "II
faut oser la couleur. Il faut oser les couleurs vives". D'abord parce
que ça va bien avec la violence des sentiments et aussi avec ces
pays où les couleurs sont magnifiques...
Quand l'aventure d"Indochine"
sera totalement terminée et que vous penserez au Viêt-Nam,
qu'est-ce qui vous manquera le plus ?
Le dépaysement... Les gens... Leur visage,
leur regard, leur lumière... L'ambiance de la rue aussi... C'est
quelque chose de très particulier un pays où il n'y a pratiquement
pas de voitures... C'est difficile à imaginer... Ce qui me manquera
le plus, ce sont mes promenades dans Hanoi, mes déambulations dans
la ville... Et puis, c'est toujours la nostalgie d'une chose nouvelle
qu'on a découverte... Cette mélancolie de se dire : "C'était
la première fois..." Peut-être j'y retournerai mais
ce ne sera plus comme avant... Ce n'était pas seulement la distance,
c'était un autre monde... Mais bon, c'est déjà formidable
d'avoir connu ce choc, cette intensité, ce plaisir, on ne peut
pas non plus se protéger d'être mélancolique... (Rires)

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