Ses interviews / Presse 1990-99 / Studio Magazine 1994
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Pour le plaisir

C'est sans doute le seul visage de Cannes qu'elle ne connaissait pas encore. Le Cannes du Jury. Celui où se tiennent, en secret, les délibérations et où se décident les récompenses. En acceptant, pour la première fois, d'être vice-présidente du Jury, Catherine Deneuve ne fait finalement que succomber à la tentation qui l'habite depuis toujours et qui est peut-être même l'explication de sa carrière exemplaire: plonger dans le noir d'une salle de cinéma pour voir un film. Et l'aimer...

Vous souvenez-vous du premier film que vous avez vu ?
Non, pas du premier film que j'ai vu mais du premier film que j'ai eu envie de voir et... que je n'ai pas pu voir. C'était "Quand la marabunta gronde". J'avais vu l'affiche. Elle me fascinait. On voyait un type attaché qui allait être dévoré par des fourmis... J'avais terriblement envie de le voir mais mes parents ne m'ont pas laissée y aller parce que j'étais trop petite.

Vous alliez souvent au cinéma quand vous étiez enfant ?
Non. Pas tellement. Nous étions quatre filles. Ce n'était pas évident d'emmener quatre enfants au cinéma. J'y allais quelquefois avec mes sœurs, l'après-midi, dans des cinémas de quartier. Je me souviens, il existait des premières parties... Après, il y a eu le blanc des années de lycée. Et c'est vers 15 ou 16 ans que j'ai commencé à y aller beaucoup. Sur les conseils d'amis cinéphiles, j'allais voir les classiques, comme Eisenstein, Welles... J'allais dans des ciné-clubs, au Mac-Mahon, et puis aussi dans les cinémas de la rive gauche, mais c'était toute une histoire, à 15 ans, quand on habitait rive droite, d'aller au cinéma rive gauche ! C'était comme de traverser le Styx !

Aujourd'hui, vous continuez d'y aller beaucoup ?
Quand je ne travaille pas, autant que je peux. Une ou deux fois par semaine, même plus, parfois. Ma fille est comme moi, et quand nous sommes parties aux Etats-Unis toutes les deux, nous y sommes allées, le soir même de notre arrivée !

Vous lui conseillez des films ?
C'est elle qui me conseille beaucoup. Mon fils aussi. D'ailleurs, si je ne suis pas sure de mon choix, avant d'aller voir un film, je leur téléphone. Ils me connaissent bien et savent si ça va me plaire ou non. Parce que je préfère aller voir des films que j'ai de grandes chances d'aimer. En même temps, je suis aussi extrêmement curieuse et, parfois, même si je sais que je risque de ne pas aimer beaucoup ça, j'y vais quand même...

Comment définiriez-vous le plaisir que vous recherchez au cinéma ?
La curiosité, justement, y tient une place. Et puis, il y a surtout l'envie d'être emportée, de rêver éveillée... J'ai un grand plaisir à aller voir les films en salles. Ça me demande toujours un petit effort au départ mais après, j'aime beaucoup cette sensation... Etre dans le noir avec des gens que je ne connais pas... Ce faux silence... La rumeur qu'il y a toujours dans les salles est pour moi le mixage indispensable à l'écoute d'un film. Sans cela, c'est comme si je voyais un ruisseau couler sans entendre le bruit de l'eau...

Quand on vous demande quels sont vos films préférés, vous citez toujours en premier "La nuit du chasseur"...
Oui. Je me souviens que la première fois que je l'ai vu, j'ai été frappée par ces images très fortes, par ces silhouettes découpées comme des ombres chinoises. J'aime la gravité du film aussi. Je crois que ce qui me plaît surtout, c'est ce côté à la fois extrêmement noir et très enfantin. On dirait un de ces contes de fées qu'on lit aux enfants et qui font rêver autant qu'ils font peur.

Lorsque, pour la cinémathèque idéale du Jury, on vous a demandé vos trois films préférés, vous avez cité, après "La nuit du chasseur", "La splendeur des Amberson" d'Orson Welles et "Le fleuve" de Jean Renoir...
C'est clair que Welles est l'un des plus grands cinéastes. Je peux revoir ses films toujours avec la même intensité, même à la télévision. C'est la même chose pour Bergman. En ce qui concerne "Le fleuve", c'est peut-être parce que je l'ai découvert assez tard. Du coup, c'est pour moi comme le point d'orgue du travail de Renoir, des films de lui que j'avais vus avant et que j'aimais... Mais ne choisir que trois films, c'est vraiment trop difficile ! C'est comme si on me demandait quel peintre je préfère, je ne peux pas répondre. Ce que je sais, c'est que j'aime la peinture. De la même façon, j'aime le cinéma. C'est impossible de s'arrêter à trois cinéastes, alors qu'il faudrait pouvoir en citer plein d'autres : Kazan, Mankiewicz, Hitchcock, Rossellini... La liste pourrait être longue. Et en plus, ce n'est pas très original : ce sont des goûts de cinéphile... Mais j'aime aussi les films d'horreur - enfin, s'ils ne sont pas trop gores ! (Rires.)

Vous avez vu les dernières Palmes d'or : "La leçon de piano", "Adieu ma concubine", "Les meilleures intentions", "Barton Fink", "Sailor et Lula"...
J'ai adoré "La leçon de piano", j'ai eu la chance de le voir très tôt, en projection privée. Je l'ai donc vu avant qu'on en parle beaucoup : la surprise, le choc, ont été d'autant plus grands. J'apprécie énormément les films de Jane Campion. J'ai beaucoup aimé "Sailor et Lula". D'ailleurs, je l'ai préféré à "Blue Velvet". Quant à "Barton Fink" c'est un film qui, sur le moment, m'a beaucoup touchée. Ça m'a fait penser à Polanski et ça ne m'étonne pas qu'il ait eu la Palme quand Roman était président du jury. Il y a quelque chose d'assez proche de son univers. Quelque chose d'ironique, d'obsessionnel. Cette impression d'enfermement avec ces choses, ces murs, ces objets qui se dégradent, ces personnages insolites, à la fois inquiétants et drôles....

C'est quoi une bonne Palme d'or pour vous ?
Une bonne Palme d'or, ce serait une vraie surprise, un film peut-être inattendu, mais avec un potentiel grand public et auquel la Palme, justement, donnerait une plus grande chance encore de toucher le public. Vous voyez, je veux tout en même temps ! Mais c'est impossible, c'est comme vouloir un vêtement qu'on pourrait porter durant toutes les saisons...

Vous avez, par le passé, refusé d'être présidente du Jury. Qu'est-ce qui vous a fait accepter cette année ?
Qu'il y ait déjà un président ! Et que ce président soit Clint Eastwood.

Vous l'avez déjà rencontré ?
Oui, l'an dernier, quand je suis allée aux Oscars pour "Indochine". Il avait vu le film, il m'en a parlé, il a été adorable. Je l'aime beaucoup. Comme acteur et comme réalisateur. Il a quelque chose de particulier.

Vous qui craignez un peu la foule, vous appréhendez votre séjour à Cannes ?
C'est une expérience. Je me dis que, même s'il y a des moments difficiles, je vais avoir la possibilité de voir des films du monde entier plusieurs fois par jour, pendant deux semaines. Pour quelqu'un qui aime le cinéma comme moi, c'est très excitant, stimulant même. C'est presque la réalisation d'un rêve secret d'aller autant au cinéma. Surtout sans avoir mauvaise conscience: à Cannes, je n'aurai rien de plus important ni de plus urgent à faire que d'aller au cinéma deux fois par jour !

La première fois que vous êtes allée à Cannes, c'était pour "Les parapluies de Cherbourg", qui a eu la Palme d'or...
Oui. La projection avait été très chaleureuse. En même temps, cela avait été un peu difficile, parce que ma sœur était là aussi, pour la présentation en compétition de "La peau douce", et que les deux films étaient concurrents... C'était donc dans un contexte un peu ombré, disons...

Vous y êtes retournée plusieurs fois. Notamment pour remettre la Palme...
... A Pialat, oui. Et j'avais été tellement choquée de l'accueil que la salle lui avait réservé, j'avais trouvé ça tellement inélégant, que moi, qui suis plutôt réservée et qui n'aime pas parler sur scène, j'avais demandé qu'on se calme... Après tout, s'ils n'aimaient pas son film, ce n'est pas lui qu'ils devaient siffler, mais le jury !

Vous avez aussi remis la Palme d'or l'année d' "Apocalypse Now" et du "Tambour"...
Oui, il y avait aussi John Huston sur scène... C'était une Palme ex aequo. Je suis contre les Palmes ex aequo, parce que je trouve que ça minimise le prix.

Si vous aviez été dans le jury l'an dernier, vous auriez voté pour "La leçon de piano" ou pour "Adieu ma concubine" ?
Qu'est-ce que vous me demandez là, quelle horreur !!! (Rires.) Voilà le genre de situation qui m'aurait bien embêtée ! Surtout avec mon côté Balance, toujours à la recherche d'une bonne répartition des choses... Peut-être que j'aurais choisi de donner à "Adieu ma concubine" un ou plusieurs prix très importants, qui ne soient pas la Palme d'or... En fait, je ne peux pas vous répondre, il faut être dans le contexte. Et puis, un jury dépend aussi de la sélection qu'on lui propose... Donc, je vous dis tout ça aujourd'hui mais peut-être que dans quinze jours, il y aura une Palme d'or ex aequo ! (Rires.)


Par : Jean-Pierre Lavoignat
Photos : Luc Roux


Film associé : Aucun





Documents associés
Cannes 1994
Jean-Pierre Lavoignat
Luc Roux